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L’opéra Yue ou Yueju 越剧

par Brigitte Duzan, 16 mai 2022

 

Originaire de l’est du Zhejiang, le yueju (越剧) est une création relativement récente puisque cet opéra est apparu au tout début du 20e siècle et s’est développé dans les années 1920. Opéra « féminin », interprété traditionnellement par des interprètes féminines, il a connu une popularité croissante jusque dans les années 1980, puis a subi un déclin progressif, comme les autres opéras régionaux chinois, et comme l’opéra en général en Chine. Malgré tout, il a réussi à renouveler son répertoire et continue d’être l’un des opéras les plus populaires en Chine.

 

Histoire

 

1906-1920 : origines rurales

 

Le yueju est né dans le district de Shengxian (嵊县), aujourd’hui Shengzhou (嵊州), dans la préfecture de Shaoxing (绍兴), d’où son autre appellation d’ « opéra de Shaoxing ». Le nom de yue, lui, fait référence à l’ancien État de Yue (Yueguo 越国), État autochtone non encore sinisé du temps des Printemps et Automnes, devenu à partir du 5e siècle avant J.C. l’un des principaux « royaumes » rivaux de la période des Royaumes combattants. Le terme de yueju (théâtre de yue) ne sera cependant adopté que tardivement ; la succession des appellations le désignant dessine en filigrane ses origines modestes et son évolution : xiao geban (小歌班) diduban (的笃班) et, finalement, Shaoxing wenxi ou « théâtre lettré de Shaoxing » (绍兴文).

 

Comme la plupart des autres formes régionales d’opéra en Chine, les origines du yueju remontent à des divertissements paysans en milieu rural. Selon la tradition, c’est au village de Matang (马塘村) que se serait formée une lignée de conteurs  qui se produisaient dans les villages alentour lors des fêtes célébrant les moissons ou toute autre occasion. Devenus semi-professionnels, ces conteurs - qui s’accompagnaient d’un instrument dans un style local de parler-chanter dit luodi changshu (落地唱) - sont allés se produire de plus en plus loin dans le delta du Yangzi.

 

L’année 1906 est considérée comme l’année de naissance du yueju car, cette année-là, le 27 mars, fut en effet représentée, dans le village de Dongwang (东王村) dépendant de la municipalité de Shengzhou, ce qui est resté dans l’histoire comme la première pièce de yueju : « Dix choses [à ne pas faire] » (Shi jian tou《十件头》).  En fait, c’était un peu improvisé : les deux frères Li Shiquan (李世泉) et Li Maozheng (李茂正) étaient sortis avec Gao Binghuo (高炳火) et d’autres amis pour une soirée de changshu, et la pièce a pris une tournure un peu plus festive que d’habitude. On raconte que des auditeurs leur ont suggéré de faire une estrade de fortune… avec des barils de riz et des montants de portes. La pièce, typique du répertoire populaire des conteurs, raconte l’histoire d’amour entre une petite paysanne, Mei Duojiao (美多姣), et un jeune paysan un peu frivole à qui elle conseille d’éviter dix choses : fumer, boire, jouer, fréquenter des prostituées, forniquer, voler, se livrer au banditisme, tromper, tuer ("烟酒赌嫖奸,偷盗抢骗杀" ).

 

Le village de Dongwang a fêté le centenaire du yueju en grande pompe en 2006 : du 26 au 28 mars, une troupe a interprété des comédies célèbres du répertoire populaire durant trois nuits consécutives, dont « L’éventail en bois d’aloès » (Chenxiang shan 沉香扇) et « Wang Laohu prend sa femme de force » (Wang Laohu qiangqin《王老虎抢亲).

 

Dans les années qui ont suivi 1906, Li Shiquan et Gao Binghuo ont ensuite formé une petite troupe de chanteurs locaux. En 1917, ils sont allés se produire à Shanghai pour la première fois, mais sans grand succès car l’opéra était encore musicalement très limité : les troupes se composaient de sept ou huit personnes, dont deux ou trois chanteurs, les autres accompagnant essentiellement avec des petites percussions (tambours et cliquettes de bois) pour donner le rythme, d’où le nom de xiao geban (小歌班)

 

À partir de 1919 furent donc apportées des améliorations notables dans la musique, les livrets et l’interprétation. La pièce « L’épingle de jade » (Biyu zan碧玉簪) fut un triomphe à Shanghai et marqua un tournant dans l’histoire de l’opéra. C’est toujours l’une des principales pièces du répertoire.

 

En même temps les années 1920 signèrent le déclin de l’opéra martial de Shaoxing : Shaoxing daban (绍兴大班) ou Shaoxing wuxi (绍兴武戏) au profit du Shaoxing wenxi (绍兴文), en abandonnant les acrobaties et les thèmes historiques et guerriers pour se concentrer sur le chant et des histoires d’amour.

 

Années 1920-1940 : opéra lettré, opéra de femmes 

 

C’est au début de l’été 1923 que Wang Jinshui (王金水) a créé la première troupe féminine de xiao geban (小歌班) Considéré comme le fondateur du yueju féminin, il a contribué à infléchir les caractéristiques de l’opéra vers un type d’opéra féminin sur des thèmes féminins, précurseur de « l’opéra yue des femmes » (女子越剧). Cette troupe féminine est allée pour la première fois donner des représentations à Shanghai en janvier 1924, année charnière dans l’histoire de cet opéra.

 

Cette première « promotion » féminine, cependant, n’a existé que six ans car les jeunes filles, issues de milieux modestes, durent céder à la pression familiale et se marier. D’une part le métier de chanteuse souffrait  toujours de préjugés traditionnels, et d’autre part leur avenir matériel était des plus aléatoires. Mais d’autres classes furent ensuite fondées au fur et à mesure que l’opéra gagnait en notoriété : au début des années 1930, il y avait au Zhejiang plus de deux cents « classes » féminines d’une dizaine de membres chacune.

 

L’opéra a en effet bénéficié de l’atmosphère et des événements des années 1920 en Chine. D’abord, le mouvement du 4 mai 1919 a provoqué un bouleversement des mentalités en particulier concernant le statut des femmes dans la société. Elles ont commencé à sortir du huis-clos familial et à entreprendre des carrières dans le domaine de l’enseignement et de la culture. Les classes d’opéra offraient une alternative attrayante à l’usine textile.

 

Par la suite, dans les années 1930, la guerre contre le Japon a de nouveau favorisé le développement de l’opéra, surtout à la fin de la décennie dans Shanghai occupé. En effet, les intellectuels qui méprisaient le yueju pour ses origines rurales et populaires avaient fui vers l’intérieur et les réfugiés que la guerre y avait amenés étaient plus favorables à ces spectacles qui étaient en outre bien vus par les Japonais pour être de nature apolitique. En même temps se poursuivit la féminisation de l’opéra : la dernière troupe masculine disparaît en 1938. Le nom de yueju 越剧 est finalement adopté à Shanghai en 1942. Il se diffuse jusqu’à Hong Kong, Macao, et Taiwan en 1949.

 

Traditionnellement composé d’histoires d’amour légendaires, avec des rôles travestis, comme « Liang Shanbo et Zhu Yintai » (梁山伯与祝英台) ou « La légende du Serpent blanc » (《白蛇传》), le répertoire du yueju a commencé à se

 

Yuan Xuefen

diversifier, sous l’égide de la grande artiste Yuan Xuefen (袁雪芬) : elle a introduit en 1946 une adaptation de la nouvelle de Lu Xun « Le Sacrifice du Nouvel An » (《祝福》) en interprétant le rôle de la belle-sœur Xianglin (祥林) [1]. Rebaptisé Xianglin Sao (《祥林嫂》), l’opéra est l’une des plus belles réussites du répertoire moderne. 

 

 

Les « dix sœurs du yueju » 越剧十姐妹 en 1947
De g. à dr. au 1er rang,.Xu Tianhong, Fu Quanxiang, Yuan Xuefen, Zhu Shuizhao, Fan Ruijuan, Wu Xiaolou.

Au 2e rang : Zhang Guifeng, Xiao Dangui, Xu Yulan, and Yin Guifang

 

 

La fin de Xianglin Sao interprétée par Yuan Xuefen en 1978 (à l’âge de 56 ans)

 

 

Années 1950-1960 : opéra promu dans la Chine nouvelle

 

Poursuivant son développement dans la République populaire, le yueju a connu un maximum de popularité à la fin des années 1950 et au début des années 1960, avant de quasiment disparaître pendant la Révolution culturelle. Deux films témoignent de l’importance de cet opéra pendant cette période, et, pour le second, des difficultés rencontrées par les interprètes dans le contexte du début des années 1960 :

 

-   D’une part, l’adaptation au cinéma par Sang Hu (桑弧) de l’opéra « Liang Shanbo et Zhu Yintai » (梁山伯与祝英台), d’après la légende des « amants-papillons » : grand succès de l’année 1954, c’est le premier long métrage en couleur de l’histoire de la République populaire. Il a en outre une connotation politique : de même que le développement du yueju s’est fait dans le contexte de libération (relative) des femmes dans les années 1920, le yueju, en 1954, venait en soutien de la récente loi sur le mariage (promulguée le 1er mai 1950) et véhiculait un message en faveur de l’égalité entre les sexes, en particulier dans le domaine éducatif.

 

-    Sorti en 1964, deux ans après l’adaptation au cinéma du « Rêve dans le pavillon rouge » (Hongloumeng红楼梦) version yueju réalisée par Cen Fan (岑范), « Sœurs de scène » (《舞台姐妹》) de Xie Jin (谢晋) est bien plus représentatif : c’est à la fois un hommage à l’opéra et à ses interprètes et un tableau du monde du théâtre de Shaoxing dans les années 1930 à 1950. Le personnage de Shang Shuihua (商水花) aurait été inspiré par la grande artiste Yuan Xuefen qui était une amie du réalisateur.

 

Traité d’ « herbe venimeuse » (毒草), le film a été violemment attaqué dès le début de la Révolution culturelle. L’actrice Shangguan Yunzhu (上官雲珠) qui interprète le rôle de l’actrice âgée Shang Shuihua (qui se pend dans le film) s’est suicidée quatre ans après la sortie du film, des suites des persécutions subies. Son sort symbolise à lui seul celui de l’opéra pendant les dix années qui vont suivre.

 

Renaissance dans les années 1980

 

Après avoir quasiment disparu pendant les années 1970, le yueju – comme les autres opéras chinois - a connu un regain dans les années 1980, avec en particulier la création en mai 1984 de la troupe Xiaobaihua du Zhejiang (浙江小百花越剧团) – littéralement la « petite troupe des cent fleurs », qui comptait 81 personnes en avril 1985 [2]. Mais cette renaissance fut de courte durée, car l’opéra fut de nouveau menacé dans les années 1990, cette fois par l’évolution des goûts et des modes de vie. L’opéra n’avait plus le même sens, ne rencontrait plus les mêmes affinités auprès d’un public qui était en train de perdre ses liens avec la terre et la culture rurale.

 

Le yueju n’a donc cessé de s’adapter pour survivre, en modernisant son répertoire. De nouvelles pièces ont été créées comme « Kong Yiji » (《孔乙己》), adapté d’une célèbre nouvelle de Lu Xun, « Lu You et Tang Wan » (《陆游与唐琬》) ou « Le Bibliophile » (Cangshu zhijia藏书之家) :

 

-    « Kong Yiji » se prêtait d’autant mieux à une adaptation en yueju que l’histoire se passe à Shaoxing. Le livret, adapté de « Kong Yiji » et de la nouvelle « Le remède »《药》), a été écrit en 1998 par Shen Zhengjun (沈正钧) et le rôle créé par la grande artiste Mao Weitao (茅威涛) qui a elle-même commissionné l’opéra pour la troupe qu’elle venait de créer dans le cadre de sa modernisation de l’opéra. La première a eu lieu en 1999 à Hangzhou et a, dit-on, provoqué une véritable onde de choc (越剧冲击波). C’était la première création moderne de yueju depuis « Le Sacrifice du Nouvel An » en 1947 et l’une des pièces les plus réussies du nouveau répertoire.

 

« Le Bibliophile » par la troupe Xiaobaihua

 

 

Kong Yiji interprété par Mao Weitao (extraits)

 

-    La pièce « Lu You et Tang Wan » est adaptée de l’histoire du poète des Song du sud Lu You  et de sa cousine Tang Wan. Élevés ensemble et s’aimant profondément, ils se marièrent à vingt ans. Mais la mère de Lu You n’aimait pas Tang Wan et força son fils à divorcer pour qu’il se concentre sur le service de la dynastie en péril. Tous deux se remarièrent… C’est une autre histoire célèbre d’amour contrarié.

 

-    La troisième pièce - Cangshu zhijia -  est l’une des créations les plus récentes : créée en 2002 par la troupe Xiaobaihua du Zhejiang, et la directrice de la troupe Mao Weitao, elle est adaptée de l’histoire du Pavillon Tianyi (天一阁), célèbre bibliothèque privée de la Chine ancienne.

 

Cangshu zhijia  par la troupe Xiaobaihua avec Mao Weitao 茅威涛 dans le rôle de Fan Rong 范容 et Chen Huiling 陈辉玲 dans celui de Hua Rujian 花如笺 :

 

Mao Weitao 茅威涛 interprétant

Lu You, avec Chen Huiling 陈辉玲

dans le rôle de Tang Wan

 

 

Mais le répertoire classique continue d’être interprété avec toujours autant de succès. Parmi les « opéras du sud », le yueju rivalise aujourd’hui avec le kunqu.

 

Quelques spécificités du yueju

 

Opéra rural et local à ses débuts, issu de l’art des conteurs, le yueju était chanté dans le dialecte de Shengzhou, et accompagné au banhu (板胡), avec claquettes et petits tambours pour le rythme.  Le style vocal était relativement grossier ce qui a freiné son développement à Shanghai.

 

C’est Wang Jinshui qui a fait évoluer le chant en s’inspirant d’autres styles d’opéras qu’il avait pu voir à Shanghai. Il a contribué à créer une tonalité spécifique, ou si gong qiang (四工腔), les voix féminines dans les rôles masculins se rapprochant de voix d’altos. L’accompagnement instrumental a été étoffé par introduction de l’erhu et autres instruments à cordes.

 

À la différence des autres opéras chinois, où les interprètes masculins dans des rôles féminins s’attachent à se couler dans des timbres aigus et des attitudes féminines, au point que les premières interprètes féminines de ces rôles tendront à répliquer les gestuelles caractéristiques de leurs prédécesseurs, les interprètes du yueju ne cherchent pas à faire oublier qu’elles sont des femmes. Cela renforce l’ambiguïté des personnages masculins et ajoute au charme de l’opéra.

 


 

Bibliographie

 

Women Playing MenYue Opera and Social Change in Twentieth-century Shanghai, Jiang Jin, University of Washington Press, 2009, 340 p.

Partiellement numérisé : https://books.google.fr/books?id=OvgUCgAAQBAJ&pg=PA26&hl=fr&source=

gbs_toc_r&cad=3#v=onepage&q&f=false

 

 


 

[1] Née en 1922 dans un village du district de Shengxian, Yuan Xuefen est entrée enfant dans une troupe de yueju et a fait ses débuts à Shanghai en 1936. Elle a été l’une des principales forces novatrices du yueju dans les années 1940, sa notoriété n’ayant d’égale que celle de Fu Qianxiang (傅全香) aux côtés de laquelle elle figure sur la fameuse photographie des « dix sœurs du yueju » (越剧十姐妹) de 1947. Elle est décédée en 2011 à Shanghai.

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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