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Wu Zuguang et l’indépendance de l’artiste
par Marie-Claire Kuo-Quiquemelle

 

Parmi les dramaturges chinois historiques, Wu Zuguang, né et mort à Pékin (1917-2003), n’est pas seulement un grand lettré traditionnel. Dans l’esprit du mouvement du 4 mai 1919, il est dès sa jeunesse tout acquis aux idées nouvelles que toute sa vie il défend avec acharnement, notamment après 1979 lorsqu’il devient l’un des avocats les plus actifs de l’ouverture politique et du modernisme au théâtre.

 

Très loin de l’image de lettré apaisé que l’on voudrait aujourd’hui lui donner, Wu Zuguang s’engage tout au long de son existence, et notamment au cours des années 1980, dans combat parfois violent contre les autorités culturelles et politiques. C’est ainsi qu’il prend publiquement la défense de Gao Xingjian après l’interdiction de L’arrêt d’autobus en 1983 et rédige, tout comme Cao Yu, un texte introductif à la première édition des œuvres dramatiques de Gao. Se trouvant aux Etats-Unis au moment du déclenchement de la campagne contre la pollution spirituelle en 1983, il prend l’initiative à son retour en Chine d’une pétition contre la pratique des purges idéologiques.

 

En 1986, il défend successivement Pan Jinlian, version modernisée jugée scandaleuse d’un opéra du Sichuan « absurde » de Wei Minglun, et, avec le journaliste Liu Binyan, WM de Wang Peigong. Cette pièce audacieuse a été très durement attaquée et interdite après quelques représentations privées. Elle montrait en effet dans le premier acte une bande de « jeunes instruits » échoués à la campagne et en proie à la faim et aux brimades politiques se mettant à parodier les dirigeants de la Révolution culturelle, puis le destin de ces jeunes après leur retour en ville. Dans un texte célèbre de juin 1986 intitulé « Les assassins de la culture », Wu Zuguang cite l’affaire WM comme le dernier avatar d’une longue histoire de la tyrannie en Chine [1].

 

Wu Zuguang sait de quoi il parle. Déjà en 1942, alors qu’il travaille à Chongqing sous l’autorité du gouvernement nationaliste, sa pièce Retour par une nuit de tempête – histoire d’amour entre un chanteur d’opéra et une jeune étudiante devenue, à son corps défendant, quatrième épouse d’un seigneur de guerre – est interdite sous prétexte qu’elle donne une mauvaise image d’un haut fonctionnaire.

 

A Shanghai en 1946, la magazine littéraire Qingming (la Fête des morts) qu’il coédite avec son ami caricaturiste Ding Cong disparaît au bout de quatre numéros, à la suite d’une interdiction du gouvernement mécontent de critiques proférées à son encontre. Loin de se laisser intimider, Wu Zuguang écrit Le Pourfendeur de démons et Chang’e s’enfuit dans la lune, dans lesquels il fustige les abus des hauts fonctionnaires, ces « démons » qui exploitent le peuple.

 

Contraint à l’exil, il s’installe à Hong Kong et déploie une activité intense, au sein des deux compagnies cinématographiques les plus importantes de l’époque : la Dazhonghua et la Yonghua. Durant cette période, il signe entre autres le scénario du film réalisé par Bu Wancang L’âme de la Chine (d’après sa pièce écrite à l’âge de 22 ans : Chant de bravoure), véritable acte de résistance à l’invasion japonaise qui, à l’époque, lui a valu reconnaissance et admiration à travers toute la Chine.

 

Cette soif de justice et de liberté, Wu Zuguang l’a payée cher. De retour en Chine après 1949, il travaille un temps pour le Bureau du Cinéma avant d’être condamné comme droitier en 1957 parce qu’il a soutenu publiquement que la direction du Parti est un frein à l’épanouissement artistique. Il est envoyé en camp de travail forcé pour trois ans dans les steppes glacées du Grand Nord dont la plupart des condamnés ne sont jamais revenus. Il en réchappe et, libéré en 1960, écrit plusieurs pièces de théâtre et opéras, dont La rose pour intermédiaire (La Rose de Wouke) interprétée par son épouse, la grande cantatrice d’opéra pingju Xin Fengxia, pièce ensuite portée à l’écran oar Fang Ying en 1963. Dès le début de la Révolution culturelle, il est de nouveau déporté cinq ans à la campagne tout comme sa femme qui, obligée d’accomplir des travaux de terrassement, est victime d’une attaque et reste paralysée à vie.

 

Alors qu’il est entré au Parti à son retour à Pékin au début des années 1980, à l’instigation de Xia Yan qu’il connaît depuis 1946, Wu Zuguang appelle en 1987 à la fin de la censure dans le domaine culturel, se moquant de la campagne contre le libéralisme bourgeois lancée après les manifestations étudiantes et le renvoi de Hu Yaobang en janvier 1987. En août 1987, l’idéologue du Parti Hu Qiaomu rend visite à Wu Zuguang pour lui communiquer un texte l’accusant de droitisme et d’opposition à la campagne de 1983 contre la pollution spirituelle. On lui demande de quitter le Parti, faute de quoi il en serait exclu. Wu Zuguang s’exécute, mais publie immédiatement un texte d’une ironie féroce intitulé « Trois bonnes raisons de quitter le Parti » [2]. Rien ne semble devoir l’arrêter, et, à plus de 70 ans, il participe régulièrement au « salon démocratique » de l’Université de Pékin, un des lieux qui sont les ferments intellectuels du mouvement de Tian’anmen. Cela lui vaut d’être violemment mis en cause lors de la répression du mouvement.

 

Il reste inébranlable et il est encore une fois attaqué pour avoir notamment traité Deng Xiaoping de voyou (liumang 流氓) [3] et signé une pétition demandant la libération de Wei Jingsheng. Par la suite, Wu Zuguang a continué de soutenir la liberté de parole de ses amis ainsi que la création indépendante. Très affecté par la mort de Xin Fengxia en 1999, il se retire totalement de la vie publique. A sa mort en 2003, sa célébration comme un grand patriote par la presse chinoise unanime n’est pas dénuée d’ambiguïté car, derrière des ironies, ce sont ceux-là même qui, à la fin des années 1980, tentaient de ternir son image de résistant à l’époque de l’invasion japonaise en accusant son film « L’âme de la Chine » d’être antipatriotique qui aujourd’hui tentent de récupérer ce grand humaniste, pourfendeur inlassable des empiètements du pouvoir sur l’art et la politique.

 

 

[Article écrit par Marie-Claire Kuo-Quiquemelle en hommage à son ami Wu Zuguang. Paru dans : Théâtre /Public n° 174, "Chine, le théâtre contre le cynisme", juillet-septembre 2004, p. 43-44. Archives du CDCC]

 

 


 


[1] On en trouvera une traduction anglaise sous le titre Cultural Assassins in Geremie Barmé, John Milford ed., Seeds of Fire, Chinese Voices of Conscience, Bloodaxe Books, 1989, p. 368-369.

[2] Cf Wu Zuguang « Three Good Reasons to Quit the Party”, ibid. p. 370-372. He Qiaomu, ancient secrétaire de Mao, s’était fait le héraut des réformes économiques de Deng Xiaoping en 1978, devenant ensuite président de l’Académie des Sciences sociales. Il était accusé par Liu Binyan d’avoir permis à son fils de détourner trois millions de yuan. Les poursuites que Hu Yaobang a voulu lancer contre lui et d’autres fils de dignitaires ont été l’une des raisons de son renvoi.

[3] Geremie Barmé, In the Red, New York, Columbia University Press, 1999, p. 399.

 

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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