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Censure : Feng
Xiaogang explose
par Brigitte Duzan,
02
septembre 2011,
actualisé 1er juillet
2015
Les conditions de
travail des réalisateurs chinois sont devenues vraiment
difficiles dans le climat actuel : la censure est non
seulement renforcée, mais de plus en plus aléatoire et
imprévisible, si bien que la plupart des cinéastes se
réfugient dans des sujets historiques en évitant comme la
peste les sujets d’actualité, comme aux pires moments du
régime.
Explosion
On a une
petite idée des tensions auxquelles sont soumis les
cinéastes quand on apprend l’éclat récent de
Feng
Xiaogang (冯小刚),
en pleine Conférence sur la réforme de la culture.
Le cinéaste est réputé, dans la profession, pour ses
éclats de colère ; en jouant sur les caractères de
son nom, on l’appelle“小钢炮”
xiǎo gāngpào,
le petit canon. Cette fois, il s’est fait, courageusement, le
porte-parole de ses collègues.
Selon un
article publié le 30 août sur le site du Quotidien
du Peuple, il s’est exclamé : « La pression de la
censure a été renforcée à l’encontre des
réalisateurs et créateurs. Le SARFT [l’organisme de
contrôle du cinéma et de la télévision] interprète
tout de travers et juge sur |
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Feng Xiaogang lisant
son allocution |
des questions de
principe. Nombre de modifications exigées [à apporter aux
scénarios] frisent le ridicule ». « Ce système stupide,
a-t-il ajouté, est en train de porter atteinte à la création
cinématographique en l’entravant. » (“伤害和桎梏”着电影创作")
Et de continuer :
« On définit un film comme « positif » ou « négatif », et
c’est devenu le seul critère de jugement des censeurs, mais,
en même temps, on demande aux créateurs de faire des œuvres
capables de passer à la postérité. Comme si l’on pouvait
juger les grands classiques selon qu’ils sont « positifs »
ou « négatifs ». Le résultat, c’est que tout le monde, à
l’heure actuelle, préfère se cantonner en terrain neutre et
éviter les sujets contemporains, qui risquent être jugés
« négatifs ».
Contexte
Feng Xiaogang a
fait cette sortie remarquée dans l’un des forums les plus
publics qui soient, à la Conférence pour la réforme
culturelle tenue vendredi dernier, 26 août, dans le
cadre de la Conférence politique consultative du Peuple
chinois ou CCPPC (中国人民政治协商会议),
et alors que les dirigeants politiques multiplient les
déclarations sur le sujet : ainsi Li Changchun (李长春),
membre du
Comité permanent du Bureau politique du Comité central du
Parti,
a, depuis quelques mois, appelé urbi et orbi à la ‘réforme
du système culturel’, et Jia Qinglin (贾庆林),
président du Comité national de la
CCPPC, a incité ce même vendredi à « promouvoir la culture
socialiste et renforcer l'influence de la culture
chinoise ».
Selon
un communiqué de l’agence Xinhua, Jia Qinglin a affirmé
« que le renforcement de la culture socialiste était une
condition préalable pour la promotion de la compétitivité du
pays et la réalisation du renouveau national ».
Autrement dit, ce
dont il est question, c’est de faire de la culture un
élément clé du ‘soft power’ chinois et de développer
« l’industrie culturelle ». On se croirait revenu à des
dizaines d’années en arrière, en fait à toutes les périodes
de durcissement du régime qui se sont traduites par le
musellement des intellectuels.
Tristesse
Chen Daoming dans la
pièce |
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Le China
Daily faisait état, dans un article du 19 août,
d’une pièce de théâtre qui fait courir les foules à
Pékin en ce moment, d’abord parce qu’elle est
interprétée par un acteur très populaire, Chen
Daoming (陈道明),
mais aussi parce qu’elle traite de façon déguisée du
problème d’une censure devenue absurde, en faisant
rire de cette absurdité même.
C’est une
comédie, intitulée « Les tristesses de la comédie »
(《喜剧的忧伤》)
(1),
qui a pour personnage principal un auteur de
comédies, |
justement, qui
doit obtenir le feu vert, pour son dernier projet, d’un
militaire récemment revenu du front. Or ce censeur (2)
commence par lui dire que « les gens n’ont pas envie de rire
en temps de guerre », puis, dans la semaine qui suit, se
livre à une analyse serrée du scénario qu’il met en pièces
en demandant les révisions les plus délirantes, et les plus
hilarantes.
Une
réception qui a suivi la première de la pièce a bien
montré les tensions latentes dans le monde du
théâtre et du cinéma. Feng Xiaogang était là, avec
son épouse et collaboratrice, l’actrice Xu Fan (徐帆).
Il était tellement nerveux en sortant de la pièce,
dit-on, que le verre qu’il tenait lui a glissé des
mains et s’est brisé en mille morceaux en tombant
sur une table en verre ; Xu Fan a alors éclaté en
sanglots…
« La
comédie a tourné à la tragédie », a-t-il écrit plus
tard, tristement, sur son micro-blog. |
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Une scène de la pièce |
Note
(1) Pièce de
théâtre huaju adaptée d'une pièce japonaise et mise en scène
par le metteur en scène et réalisateur
Xu Ang
(徐昂).
(2) Censeur borgne
car, comme par un fait exprès, il a perdu un œil à la
guerre.
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