Une première :
un critique de cinéma traîné en justice pour des accusations
de plagiat
par Brigitte Duzan, 19 décembre 2015
Le film en cause est « Goodbye Mr. Loser » (《夏洛特烦恼》),
une comédie sortie le 30 septembre 2015 en Chine où
elle a engrangé plus de 225 millions de dollars de
recettes, et autant à l’étranger.
Coréalisé par deux jeunes réalisateurs qui ont
commencé par de la mise
Good Bye Mr. Loser
en scène de théâtre, Yan Fei (闫飞)
et Peng Damo (彭大魔),
le film a été annoncé comme étant inspiré par une histoire
publiée sur le forum internet Tianya en 2010, histoire qui a
été, avant le film, la source d’une pièce de théâtre éponyme
produite par la principale société de production du film,
Mahua Fun Age (开心麻花娱乐文化传媒有限公司).
Yan Fei
Cependant, l’écrivain Yang Wen (楊文),
qui écrit sur internet des critiques de cinéma sous
le nom de Wen Bai (文白),
a attaqué le film comme étant un plagiat d’une
comédie américaine de Francis Ford Coppola sortie en
1986, « Peggy Sue Got Married » ; publié sur
wechat, son article liste en détail les points
qui auraient été copiés.
Les réalisateurs et deux des sociétés
coproductrices, Fun Age et New Classics Media (新丽电影发行公司),
ont intenté un procès à Wen Bai pour atteinte à la
réputation des créateurs et diffamation du film. Ils
réclament des excuses publiques sur les principales
plateformes internet, et 2.2 millions de yuans de
dommages et intérêts (environ 310 000 €).
L’histoire de « Goodbye Mr. Loser » est celle d’un
musicien amateur sans emploi, le Xia Luo du titre (夏洛),
qui, s’étant
enivré lors du mariage de son amour d’enfance, Qiu Ya (秋雅),
lui déclare son amour et crée un scandale. Pour échapper à
sa femme, il s’enferme dans les toilettes, perd
connaissance, et se retrouve ado en 1997, mais en conservant
ses souvenirs d’adulte. Il recommence sa carrière, remporte
succès sur succès, et en particulier épouse Qiu Ya.
« Peggy Sue Got Married » est l’histoire d’une femme
en instance de divorce interprétée par Kathleen
Turner. Alors qu’elle vient juste de se séparer de
son mari, elle va à une réunion d’anciens élèves et
se retrouve face à son mari, qui était aussi un
camarade de classe. Elle perd connaissance, et se
réveille vingt ans plus tôt alors qu’elle avait
effectivement eu un malaise au même endroit, après
avoir donné son sang…
A part le malaise qui permet à chaque personnage de
se retrouver jeune, les deux scénarios ont quelques
autres points en commun, effectivement, dont le fait
que le personnage du mari était aussi un chanteur
dans le film américain. « Goodbye Mr. Loser »,
cependant, donne une bien plus grande part à la
musique ; c’est le chanteur le personnage principal.
Le scénario est faible et les deux réalisateurs sont
débutants au cinéma, mais le film pouvait compter
dès le départ sur une
Peng Damo
large base de fans, déjà constituée par la pièce de théâtre
éponyme qui avait eu un grand succès.
Goodbye Mr. Loser, trailer avec thème musical
Lost in Hong Kong
C’est ce qui a permis à « Goodbye Mr. Loser » de
tirer son épingle du jeu alors qu’il sortait la même
semaine que la nouvelle comédie de Xu Zheng (徐峥)
« Lost in Hong Kong » (港囧),
sur le modèle de
« Lost
in Thailand » (《泰囧》)
et avec une pléiade de stars.
Ce n’est pas la première fois que des films chinois
sont accusés de plagiat, cela n’a jamais empêché un
film d’avoir du succès et de continuer à en avoir.
Ce qui est nouveau, c’est que des sociétés de
production intentent pour cette raison un procès à
un critique, et un critique qui écrit sur internet.
Il se trouve que ce procès arrive juste au moment où
le président Xi Jinping, lors d’un discours prononcé
à Wuzhen (乌镇)
le 16 décembre, a justifié la censure d’internet au
nom de l’ordre et de la souveraineté nationale, et
ce deux jours après le jugement, lundi 14 décembre à
Pékin, de l’avocat des droits
de l’homme Pu Zhiqiang (浦志强)
pour… délit d’opinion sur weibo – plus précisément pour des
messages ayant raillé ou critiqué le Parti communiste.
La critique cinématographique était un domaine relativement
libre jusqu’ici. Mais les enjeux financiers sont
considérables, on l’a bien vu récemment lors de la
contestation des statistiques du
box-office. Le résultat du procès intenté
à Wen Bai dépasse donc largement le film lui-même ; il
posera toute la question de la liberté de critiquer des
films, comédies à succès ou autres.