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« Full River Red » de Zhang Yimou : le noble exemple de Yue Fei

par Brigitte Duzan, 6 février 2023

 

 

Full River Red

 

 

« Full River Red » (《满江红》) est le film de Zhang Yimou sorti en Chine pour les fêtes du Nouvel An, le 22 janvier 2023, en déclenchant une vive controverse sur son succès en salle qui a noyé toute discussion, voire polémique, sur son sujet lui-même [1]. C’est pourtant le plus intéressant.

 

La controverse

 

Le film a fait sensation pour les entrées annoncées et les recettes correspondantes, ce qui est aujourd’hui en Chine le critère essentiel de jugement d’un film.

 

Pour la semaine du Nouvel An 2023 – traditionnelle aubaine pour les producteurs et gérants de salles - les rapports officiels du box-office ont commencé par annoncer presque triomphalement une augmentation de 12 % par rapport à l’année 2022 – mais c’était une année catastrophique qui avait enregistré les pires recettes des onze années précédentes, la censure venant s’ajoutant aux ravages du covid.

 

 

Calligraphie du titre

 

 

Dans ces conditions, les résultats de cette semaine de fêtes paraissent d’autant plus formidables, quatre films chinois se distinguant par des chiffres de recettes inédits, soit par ordre décroissant :

1/ « Full River Red » (《满江红》) avec 385 millions de dollars pour la semaine,

2/ « The Wandering Earth 2 » (《流浪地球2), deuxième film réalisé par Frant Gwo (郭帆) d’après le roman de science-fiction éponyme de Liu Cixin (刘慈欣), avec 320 millions de dollars,

3/ « Guardian Code » (熊出没·伴我熊芯), un dessin animé pour enfants de la franchise Boonie Bears, avec 110 millions.

Et loin derrière, après « Avatar. La voie de l’eau » (阿凡达:水之道) en quatrième position :

5/ « Hidden Blade » (无名) de Cheng Er (程耳), avec pourtant une affiche prestigieuse.

On ne regrettera d’ailleurs pas tant le sort de ce film que celui du film d’animation « Deep Sea » (深海) de Tian Xiaopeng (田晓鹏), injustement relégué aux oubliettes par « Guardian Code ».

 

« Full River Red » a poursuivi sa progression statistique avec 541 millions de dollars de recettes sur onze jours d’exploitation [2]. Cet incroyable succès, même pour un film du Nouvel An, a motivé l’achat des droits de distribution par le géant hongkongais du secteur Edko, en l’occurrence Bill Kong (江志强), partenaire de longue date de Zhang Yimou mais également producteur de « Tigre et Dragon » (《卧虎藏龙》) et de « Lust. Caution » (《色, 戒》) d’Ang Lee (李安), et qui a sans doute vu dans « Full River Red » une occasion de  renouveler ces succès planétaires…

 

Cela semble un beau rêve. Les chiffres paraissent être sujets à caution, comme toute statistique en Chine, mais encore plus au cinéma où les scandales sont réguliers. Comme le notait le correspondant du Monde dans l’article déjà cité : « certains cinémas semblent avoir, sur leur site de réservation en ligne, programmé dix séances en une matinée alors qu’ils n’ont que deux salles [3]... les huit séances dites complètes [paraissent donc être] des séances fantômes, mais dont les entrées fictives vont être comptabilisées par les algorithmes indiquant le succès d’un film. »

 

Tout est bon pour créer un bouche-à-oreille incitant les spectateurs à aller voir un film dont tout le monde parle, conditionnant l’image du film non tant par ses qualités propres, mais par l’espèce de caution donnée par un succès en salle, dans une sorte de retournement de causalité qui tient de l’esbrouffe. On finit par ne plus parler que de la manipulation des chiffres, mais on parle du film, ce qui constitue déjà un véritable succès.

 

Il faut ajouter à ce phénomène les accusations de plagiat relayées par les médias : « certaines scènes seraient un pur plagiat d’un feuilleton diffusé en 2013 », selon Frédéric Lemaître. Mais le résultat est le même.

 

Finalement, on finit pas oublier ce que peut bien être le film. Comme disent les éditeurs quand ils demandent une fiche de lecture sur un roman : « de quoi ça parle ? »

 

Le film et son sujet

 

Le sujet est tellement flou, on s’en préoccupe tellement peu, qu’on en trouve juste quelques lignes au milieu des chiffres de recettes.

 

L’histoire du général Yue Fei et du premier ministre félon Qin Hui

 

En fait, comme le dit encore Frédéric Lemaître, il s’agit « de la trahison du général Yue Fei par le premier ministre Qin Hui » mais au 12e siècle et non au 11e. Vieille histoire que cette histoire de Yue Fei et Qin Hui qui se passe sous les Song du Sud, après le repli de la dynastie des Song à Lin’an (临安), c’est-à-dire Hangzhou.

 

Né en 1090, Qin Hui (秦桧) était premier ministre de l’empereur Gaozong (宋高宗), premier empereur des Song du Sud après l’invasion du nord de la Chine par les Jürchen de la dynastie des Jin [4]. Il est traditionnellement représenté comme un traître à la patrie pour avoir encouragé et aidé l’empereur Gaozong à pactiser avec les Jin, en le poussant à exécuter le général Yue Fei (岳飛/) qui défendait au contraire valeureusement une stratégie de reconquête.

 

 

Fresque historique

 

 

Ce sont deux symboles extrêmement célèbres que l’on retrouve très souvent dans l’histoire et la littérature chinoises et sont soutenus par une iconographie ignominieuse pour l’un et à la gloire de l’autre. Après son exécution, les restes de Yue Fei ont été enterrés en cachette par l’un des gardes de la prison près du lac de l’Ouest, à Hangzhou. Quand la famille lui en eut révélé le lieu, l’empereur Xiaozong des Song (宋孝宗) lui organisa des funérailles. En 1162, il l’a réhabilité à titre posthume et déclaré Wumu (武穆), martial et solennel. En 1179, enfin, Yue Fei a été proclamé Zhongwu (忠武), loyal et martial.

 

Particulièrement connue est la légende de son tatouage, celui de quatre caractères que la mère de Yue Fei lui aurait inscrit sur le dos pour lui rappeler son devoir : « servir le pays avec la plus extrême loyauté » (jìn zhōng bào guó 尽忠报国).

 

Le film

 

« Full River Red » commence quatre ans après la mort de Yue Fei. Qin Hui doit entamer des pourparlers avec l’État de Jin. Mais, la veille de ces pourparlers, l’envoyé de Jin est retrouvé mort à la résidence du premier ministre, et la lettre secrète dont il était porteur a disparu. Qin Hui charge un soldat et son commandant d’une enquête visant à trouver le meurtrier. Mais il semble s’agir d’une conspiration bien plus complexe que ce qu’on avait initialement pensé.

 

Le film n’en finit pas de ressasser les citations et les clins d’œil aux classiques de Zhang Yimou pour les nostalgiques des grands films du réalisateur. Il a été tourné dans une vieille demeure à cour carrée non loin de Taiyuan, dans le Shanxi, ce qui le rapproche du film de 1991 « Épouses et concubine » (《大红灯笼高高挂》) – auquel fait d’ailleurs penser l’affiche du film. Mais on en est loin. « Full River Red » renvoie plutôt au film de 2007 « La Cité interdite » (ou « Curse of the Golden Flower »《满城尽带黄金甲》) qui se voulait grande fresque historique avec une intrigue de palais inspirée d’une pièce de théâtre de Cao Yu (曹禺), mais surtout à « Hero » (《英雄》), wuxiapian sans wuxia plaçant le discours politique au centre de la fresque historique en glorifiant le sacrifice pour le bien public comme fondement de la nation.

 

 

Rappel de wuxia

 

 

En fait, la seule lecture des acteurs au générique [5] montre que « Full River Red » est destiné à un public de jeunes, celui qui constitue la première clientèle des cinémas chinois aujourd’hui.

 

Surtout, loin d’être une comédie de fin d’année du genre des hesuipian (贺岁片) habituels au moment des fêtes de fin d’année, ce n’est pas une comédie du tout, contrairement à la classification annoncée (悬疑、喜剧 c’est-à-dire comédie à suspense) : il se range en fait dans la catégorie des films patriotiques à lourde connotation idéologique qui fleurissent dans la Chine de Xi Jinping. Son message final a été particulièrement remarqué : invitant à la « récupération des territoires pour répondre à l’attente du peuple », il sonne de manière inquiétante dans le contexte de la tension actuelle avec Taiwan, en mettant la Chine actuelle en parallèle avec celle amputée de ses territoires du nord sous les Song du Sud.

 

L’un des premiers résultats du film aura été de renouveler les attaques, crachats et et injures contre les statues de Qin Hui et de son épouse non loin de la tombe de Yue Fei.

 

Full River Red, trailer

 


 


[1] Voir par exemple l’article de Frédéric Lemaître pour Le Monde daté 03.02.2023 qui fait état des accusations de statistiques frauduleuses d’entrées et même de plagiat, en évoquant rapidement une polémique sur le sujet du film, restée plus potentielle que réelle.

[2] D’après les chiffres cités par Patrick Frater dans son article du 3 février pour Variety. Deux jours plus tard, le 5 février, c’est-à-dire après le week-end, le chiffre était passé à 595 millions, contre 502 millions pour « The Wandering Earth 2 ».

[3] Ce qui est d’autant plus difficile que le film dure 2h40.

[4] Dynastie des Jin (金朝), ou dynastie des Jürchen, fondée en 1115 après une rébellion contre les Khitans de la dynastie Liao (辽朝) dans le nord de la Mandchourie. Après leur conquête du nord de la Chine, les Jürchen se sont sinisés et ont même construit des pans de Grande Muraille pour se protéger contre la menace des Mongols.

Au milieu du 12e siècle, la Chine était partagée entre Jin au nord et Song au sud.

[5] Shen Teng, Jackson Yee, Zhang Yi, Lei Jiayin  (沈腾 / 易烊千玺 / 张译 / 雷佳音).

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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