Dramaturge, scénariste, réalisateur, traducteur et
critique, Chen Xihe a débuté sacarrière au théâtre à
la fin des années 1930, à Shanghai, dans le sillage
des grands dramaturges et cinéastesqu’ont été
Huang Zuolin (黄佐临)
et
Shi Hui (石挥).
Il n’a jamais atteint leur renommée, mais a exercé
une influence non négligeable au cinéma dans les
années 1950, l’apogée de sa carrière étant le film
« Famille » (《家》)
qu’il a adapté en 1956 du roman éponyme de Ba Jin (巴金).
Chen Xihe jeune
Débuts au théâtre
Chen Xihe (陈西禾)
est né à Minhou, un district de la ville de Fuzhou, dans le
Fujian (福州市闽侯县).
Premiers pas : remarqué par Ba Jin
Après avoir terminé ses études à l’université Daxia
(大夏大学),
à Shanghai, en 1933, il devient journaliste et professeur au
Collège des Arts libéraux pour filles de l’université Aurora
(震旦女子文理学院),
toujours à Shanghai. En même temps, passionné par les arts
du théâtre, il lit, étudie et traduit des pièces étrangères,
anglaises et surtout françaises. Il publie également un
recueil de réflexions sur ses traductions (《翻译问题》).
En 1938, il débute sa carrière en devenant librettiste et
metteur en scène de la Société des arts du théâtre de
Shanghai (上海剧艺社).
Il écrit alors la pièce de théâtre parlé, « The Abyss » (Chenyuan《沉渊》),
dont le premier acte est publié dans la revue Wenxue
jilin (文学集林),
en décembre 1939. La totalité de la pièce est ensuite éditée
par les éditions de la compagnie Wenhua (文华生活出版社)
en 1940.
Chenyuan
est un drame en trois actes qui relate la sombre histoire
d’un industriel shanghaïen, fabricant de soieries, au bord
de la faillite. Sa femme estla fille de l’ancien
propriétaire de l’usine, qui s’est suicidé, et mène une vie
terne qui la rend à moitié hystérique. Son fils, névrosé,
souffre de dépression… Le drame se noue autour de la fille
qu’il a eue d’un précédent mariage, amoureuse d’un orphelin
qui est en fait le fils de l’ancien propriétaire…
L’atmosphère est lourde de chantages, extorsions de fonds,
séductions et trahisons, avec un dramatique retournement de
situation à la fin.
[1]
La pièce n’est pas vraiment réaliste. L’intrigue repose
beaucoup sur des coïncidences fortuites, en particulier des
conversations surprises par hasard, et souffre des excès
hystériques de l’épouse. Mais la complexité des situations
et le style général reflètent l’influence de Cao Yu (曹禺).
Chenyuan
a été représentée pour la première fois en août 1939 à
Shanghai et a ensuite été rééditée cinq fois. Elle ne semble
pas avoir eu un grand succès auprès du public, mais elle a
été louée par Ba Jin:
c’est le début d’une relation amicale entre le jeune
dramaturge et l’écrivain qui avait juste sept ans de plus
que lui mais était déjà célèbre.
Chen Xihe adapte alors au théâtre son roman « Printemps » (《春》),
deuxième volet de la « trilogie du torrent » (“激流三部曲”)
qui venait d’être publié l’année précédente. Il met en scène
la pièce à Chongqing en 1940, ainsi que d’autres.
Dans la mouvance de Huang Zuolin
Deux ans plus tard, Chen Xihe revient à Shanghai et entre
dans la troupe Kugan (苦干剧团),
créée en 1942 à Shanghai par un groupe de transfuges de la
Société des arts du théâtre, sous l’égide du dramaturge
Huang Zuolin (黄佐临).
Principale troupe de théâtre de Shanghai pendant
l’occupation japonaise, c’était un vivier de talents qui
regroupait les grands dramaturges et acteurs du moment, dont
Shi Hui (石挥).
Elle est dissoute en juin 1946. Commence alors l’aventure de
la Wenhua.
Du théâtre au cinéma
1948 : à la Wenhua
La compagnie cinématographique Wenhua (文华影业公司)
est créée en 1946 par Wu Xingzai (吴性栽),
avec tous les grands noms de la Kugan :
Huang Zuolin,
Shi
Hui,
Sang Hu,
Fei Mu,
etc … et même Cao Yu. C’est la plus importante compagnie de
Shanghai jusqu’à sa nationalisation.
Sisters Stand Up
Quand Chen Xihe y entre, en 1948, il se retrouve
dans une formidable ambiance créatrice. Sous l’un de
ses deux noms de plume, Wan Yue (万岳),
il écrit le scénario du film “Hearts Aflame” (《火葬》)
réalisé par Zhang Junxiang (张骏祥)
[ou Yuan Jun 袁俊].
Après l’avènement du régime communiste, il réalise
son premier film, « Stand
Up Sisters» (《姐姐妹妹站起来》),
qui sort en janvier 1951, avec
Shi Huidans
le rôle principal. L’histoire est celle d’une jeune
fille qui, venue chez une parente avec sa mère après
la mort de son père, est vendue à un réseau de
prostitution ; elle en sera sauvée à l’arrivée des
communistes au pouvoir.
« Stand
Up Sisters » fait partie des films dits “ de
reconstruction socialiste” des années 1950, en
hommage au travail du Parti après la Libération
[2],
ici la suppression de la prostitution. C’est une
œuvre de semi-fiction. L’une des actrices, Li
Lingyun (李凌云),
étaiten effet elle-même une ancienne prostituée ;
c’est elle qui interprète le rôle de la maquerelle.
Le film était basé sur une pièce que les femmes de
la maison close où elle travaillait avaient écrite
elles-mêmes, et représentée à Pékin ; Li Lingyun
avait réussi à donner tellement de vérité à son
personnage qu’un spectateur lui avait lancé une
pierre, et l’avait blessée au visage
[3].
Da Xiang, au début de
« Sisters Stand Up »
Stand Up Sisters :
sauvées par la Libération
Dans le film,
Shi Hui
interprète magistralement, avec un fort accent de
Pékin, un souteneur sans scrupule qui procure des
femmes à une maison close et sera châtié à la
Libération. La seconde partie est consacrée à la
rééducation des femmes, sous la férule d’une femme
cadre à casquette Mao et pantalons d’époque. Les
femmes sont regroupées dans un camp de rééducation
où on leur répète qu’elles ont été les victimes de
leurs ennemis de classe. Leur salut sera dans le
travail.
Le film
est sorti à Shanghai au tout début de 1951, avec une
présence massive dans les cinémas, et fut très bien
reçu par la critique. La Wenhua avait fait ce qu’il
fallait pour cela : le film comporte une scène de
lutte orchestrée par la femme cadre chargée de la
rééducation, et une scène où les prostituées
dénoncent les anciens propriétaires des maisons
closes et demandent leur exécution. Le film est
considéré en
Chine comme un
classique ; il est sorti en DVD en 2005
[4].
Le film « Stand Up Sisters »
En 1951, encore deux autres films sont réalisés à la
Wenhua : un réalisé par Shi
Huilui-même, « Platoon Commander Guan » (《关连长》),
et « A Window on America » (《美国之窗》)
qui sera le dernier effort de la compagnie pour tenter de se
concilier les bonnes grâces du pouvoir ; tourné pendant
l’hiver, à la fin de l’année, et sorti début 1952, c’est un
film anti-américain, en soutien à la guerre de Corée, dont
le scénario fut adapté par Huang
Zuolinà partir
d’un texte soviétique.
C’est un film étonnant, le seul film de l’histoire du cinéma
chinois tourné entièrement aux Etats-Unis avec des acteurs
chinois interprétant des rôles d’Américains, blancs et
noirs, et en particulier Shi
Hui, avec un faux nez, jouant le rôle d’un
capitaliste dont les affaires sont menacées par les troubles
liés à la guerre. C’est une comédie, coréalisée par
Shi Hui,Huang Zuolinet un troisième réalisateur moins connu, Ye Ming (叶明),
que l’on retrouvera coréalisateur de Chen Xihe en 1956…
Mais les dés sont jetés : fin 1952, la Wenhua disparaît avec
les derniers studios privés, intégrés dans le réseau des
studios d’Etat. Comme les autres de la compagnie, Chen Xihe
entre alors au studio de Shanghai (上海电影制片厂),
où est regroupé l’ensemble de la production
cinématographique de la ville.
1952 : au studio de Shanghai
En 1954, il réalise « Une représentante des
femmes » (《妇女代表》),
un film en noir et blanc, encore très marqué par le
théâtre, qui sort au tout début de 1954. En fait, le
film a été adapté d’une pièce de théâtre en un acte
écrite l’année précédente par Sun Yu (孙芋),
un auteur originaire du Dongbei, où se passe la
pièce.
La libération des
femmes des maisons closes des hutongs (aspect
documentaire)
Le film « Une représentante des femmes »
Sur le tournage de
Famille, avec l’acteur Wei Heling
Mais c’est en 1956 que Chen Xihe réalise le film qui
marque l’apogée de sa carrière :
« Famille »
(《家》),
adapté du roman éponyme de Ba Jin, et coréalisé avec
le jeune cinéaste Ye Ming.
Chronique d’un conflit entre
générations, entre tradition et désir de s’en
évader, dans une riche famille de Chengdu, au début
des années 1920, juste après le mouvement du 4 mai.
Très populaire auprès des jeunes Chinois lors de sa
publication en 1933, le roman a fait de Ba Jin
l’auteur le plus en vue de sa génération.
Même si les idées et sentiments de ses
personnages sont ambigus, il est généralement considéré
comme une défense des idées nouvelles contre la tradition,
dans une Chine encore marquée par les structures familiales
extrêmement hiérarchisées du système confucéen, où personne
n’avait d’autonomie ni de liberté, et les femmes tout
particulièrement.
C’est surtout contre
l’oppression des femmes dans la famille
traditionnelle que le roman s’élève, en dressant un
tableau très noir du sort qui est le leur : dans le
roman, les trois principaux personnages féminins
trouvent la mort. Ba Jin a expliqué que son histoire
est inspirée de sa propre famille et de ses
souvenirs personnels.
Le film reprend fidèlement
l’histoire telle qu’elle est contée par Ba Jin. Il
est réalisé la même année que
« Le
Sacrifice du Nouvel An » (《祝福》)
de
Sang Hu (桑弧),
également au studio de
Shanghai, et représente le même courant de pensée.
Mais Ba Jin a reconnu lui-même qu’il n’avait
peut-être pas rendu totalement sa pensée. Aussitôt
après la fin
Les deux réalisateurs
et les deux acteurs principaux
entourant Ba Jin lors
du tournage de Famille :
De g à droite assis : Zhang Duanfeng 张瑞芳,
Ba Jin 巴金, Sun Daolin
孙道临
Debout derrière : à g Ye Ming 叶明 et à dr Chen Xihe
陈西禾
du tournage, les acteurs
eux-mêmes ne se sont pas sentis entièrement satisfaits,
comme ils en ont témoigné. Mais Chen Xihe a dû se plier aux
exigences de la production, et couper certains épisodes du
roman, dont les plus émouvants.
Ye Ming a dit par la suite qu’il aurait
peut-être fallu faire un film en deux parties pour pouvoir
rendre parfaitement le roman. Le risque aurait été de tomber
dans un mélo de style télévisé. Tel qu’il est, le film de
Chen Xihe se présente comme un compromis, et il faut lui
reconnaître qu’il est tellement bien joué qu’il tient
parfaitement la route, sans excès d’émotion. Et c’est un
film qui continue à émouvoir ceux qui l’ont tourné quand ils
le regardent aujourd’hui.
Il n’a pas eu beaucoup de retentissement quand il est sorti.
Mais, après la Révolution Culturelle, il a été l’un des
premiers films à être à nouveau autorisé, et il a eu alors
un grand succès.
Recherches théoriques
L’histoire du Huangpu
En 1958, Chen Xihe écrit avec Ai Mingzhi (艾明之)
le scénario du film « L’histoire du Huangpu » (《黄浦江的故事》),
sur l’histoire des luttes ouvrières à Shanghai, au
début du 20ème siècle. Le film, en
couleurs, est réalisé par
Huang Zuolinet sort en 1959. C’est Wei Heling (魏鹤龄),
le patriarche de « Famille », qui y interprète le
rôle principal.
Mais, après 1960, Chen Xihe abandonne la caméra pour
se consacrer à la recherche sur la théorie du
cinéma. Il publie sa traduction de 1946 du livre
« Explications du système de Stanislavski » (《斯坦尼斯拉夫斯基体系解说》).
Il écrit des articles sur le langage
cinématographique (《电影语言的集中元素》),
l’utilisation du son (《谈电影中声音的运用》),
etc… Une grande partie de ses articles sont ensuite
regroupés dans l’ouvrage « L’image et le son au
cinéma » (《电影的画面和声音》).
Après la Révolution culturelle, il participe à l’édition
révisée de 1979 de l’encyclopédie Cihai (《辞海》),
comme rédacteur responsable des analyses de cinéma.
Après avoir été nommé directeur adjoint du centre de
recherche sur le cinéma de Shanghai, malade, il meurt à
l’âge de 71 ans, le 29 juin 1983.
[1]
Sur cette pièce, Voir : A Selective Guide to Chinese
Literature 1900-1949, vol. 4 the Drama, ed. by Bernd
Eberstein, Brill 1990, pp 182-183.
[2]
En 1950, le gouvernement a adopté un système de
quotas pour concrétiser les objectifs de production
en éliminant les films étrangers, et en allouant aux
studios des sujets en ligne avec les préoccupations
du Parti. Le ton des films devait être laudatif, et
les scénarios célébrer la victoire du bien sur le
mal…
[3]
L’histoire de Li Yiyun est plus complexe que le film
ne le laisse entendre : la maquerelle prétendait
qu’elle était sa fille, que toutes les autres filles
avaient été achetées mais pas elle, et Li Liyun a
passé quinze ans de sa vie à l’appeler maman. Une
autre prostituée dans le même cas refusa de se
laisser « rééduquer » et fut accusée d’avoir une
‘faible conscience » de classe.
[4]
En 1995, « Blush » (《红粉》)
de
Li Shaohong (李少红),
d’après une nouvelle de Su Tong (苏童),
a remis en cause le mythe de la reconversion réussie
des prostituées après l’avènement du régime
communiste. Après 1956, le ministère de l’Intérieur
déclara que le régime avait réussi à éliminer toutes
formes de prostitution, mendicité et délinquance. En
fait, le problème a ressurgi avec la politique de
libéralisation, et le Parti a laissé entendre que
certaines méthodes maoïstes seraient la meilleure
solution pour résoudre ces problèmes sociaux. D’où
l’intérêt pour le film. Les délinquants n’avaient
sans doute pas disparu, plutôt été déplacés vers les
campagnes, mais ils avaient disparu du discours
officiel.
D’ailleurs, quand des recherches furent faites en
2005 pour trouver des bonus pour le DVD, on tenta de
retrouver Li Yiyun, mais sans succès.