Accueil Actualités Réalisation
Scénario
Films Acteurs Photo, Montage
Musique
Repères historiques Ressources documentaires
 
     
     
 

Metteurs en scène

 
 
 
     
 

Edward Yang 楊德昌

Présentation

par Brigitte Duzan, 10 octobre 2014 

 

Avec Hou Hsiao-Hsien (侯孝贤), Edward Yang est l’un des réalisateurs les plus importants du Nouveau Cinéma taïwanais qui a émergé au début des années 1980.

 

Or, si l’on connaît relativement bien les films du premier, ce n’est pas le cas d’Edward Yang dont seul le dernier film, « Yi Yi » (《一一》), lui a valu une soudaine consécration : il a obtenu en 2000 le prix de la mise en scène au festival de Cannes. Ce n’est pourtant que le dernier opus d’une œuvre qui a marqué une ère nouvelle dans l’histoire du cinéma de Taiwan.

 

Ingénieur et scénariste

 

Edward Yang (杨德昌) est né en novembre 1947 à Shanghai, mais ses parents sont partis à Taiwan quand il avait un an ; il a donc grandi à Taipei. S’il aimait le cinéma, il ne s’y destinait pas et ce n’est qu’au bout d’un parcours sinueux qu’il y est arrivé.

 

Edward Yang

 

Ingénieur

 

En 1965, il termine ses études secondaires au lycée municipal Chien Kuo de Taipei (台北建国中学) et entre à  l’université nationale Chiao Tung (国立交通大学) (1) dont il sort en 1969 avec un diplôme d’ingénieur électronicien.

 

Il part alors continuer ses études aux Etats-Unis, à l’université de Floride d’abord, où il travaille au Centre de recherche en informatique et décroche en 1974 un master d’ingénieur informaticien. Passionné de cinéma depuis son enfance, il s’inscrit alors à la Film School de l’université de Californie du Sud à Los Angeles, mais décroche très vite, déçu par un enseignement qu’il trouve trop orienté vers le cinéma commercial.

 

Il pense un temps poursuivre des études d’architecture et s’inscrit à la Harvard Graduate School of Design. Mais il y renonce finalement pour entrer à l’Université de Washington à Seattle où il fait pendant sept ans de la recherche sur les microordinateurs et le développement de logiciels pour la défense.

 

Pendant cette période, il continue à s’intéresser au cinéma et découvre de nombreux films occidentaux, dont « Aguirre, la colère de Dieu » de Werner Herzog, et le cinéma d’Antonioni qui exercera une profonde et durable influence sur lui.

 

Scénariste

 

L’hiver de 1905

 

Edward Yang rentre à Taiwan en 1981. Le cinéma taïwanais traverse une profonde crise, mais la relève se prépare ; il va participer au mouvement, d’abord comme scénariste.

 

Il commence par écrire le scénario d’un film produit par Zhan Hongzhi (詹宏志) (2) et réalisé par Yu Wei-yen (余为彦), avec… Tsui Hark (徐克) dans le rôle principal : « L’hiver de 1905 » (1905年的冬天》). Le film évoque l’histoire de Li Shutong (李叔同), artiste chinois peu orthodoxe, peintre et musicien formé au Japon de 1905 à 1910, et premier professeur de peinture en

Chine à utiliser des modèles nus dans ses classes ; touché par la révélation, il s’est fait moine bouddhiste en 1917, devenant Maître Hong Yi (弘一), et dédiant le reste de son existence à la propagation de la doctrine bouddhiste, en ne pratiquant plus que la calligraphie.

 

Le scénario d’Edward Yang dépeint le personnage dans sa jeunesse, au moment où il va partir au Japon, en août 1905, après la mort de sa mère, en le replaçant dans son époque : celle, chaotique, de la guerre russo-japonaise de 1904-1905; il souligne avec sensibilité la dimension humaine de l’artiste, jeune intellectuel s’efforçant de poursuivre ses idéaux et de réaliser ses ambitions malgré le chaos politique ambiant. 

 

Du scénario à la mise en scène

 

Edward Yang travaille ensuite à la télévision, écrivant des scénarios pour la série « Onze femmes » (《十一个女人》) produite, en 1981 aussi, par Sylvia Chang (张艾嘉) ; il passe lui-même derrière la caméra pour réaliser l’épisode intitulé « Fuping » ou Lentille d’eau (浮萍).

 

Deux autres épisodes de la série – « Heureuses femmes célibataires » (快乐单身女郎) et « L’été dernier » (去年夏天) - sont réalisés par un jeune cinéaste encore inconnu, Ko I-chen (柯一正) : Edward Yang et lui vont être recrutés pour tourner deux des quatre courts métrages d’un film omnibus qui va marquer une nouvelle ère du cinéma taïwanais…

 

Le Nouveau Cinéma

 

En 1981, le très officiel Central Motion Picture Corporation ou CMPC (中央电影事业股份有限公司) décide de produire des films nouveaux pour reconquérir le public taïwanais et stopper la

 

Avec Sylvia Chang au début

des années 1980

désaffection dont souffre le cinéma de l’île. Les deux premiers sont des films omnibus dont le but est de permettre à des jeunes réalisateurs de débuter et de se faire connaître, en rompant avec le modèle dominant, à base de mélos, films de kung-fu, comédies romantiques et ghost stories, avec stars en têtes d’affiche pour attirer le chaland. 

 

1982 : Désirs

 

Le premier projet (3), achevé en 1982, est confié à deux jeunes écrivains / scénaristes, Hsiao Yeh (小野) et Wu Nien-jen (吴念真), qui garderont tous deux des liens étroits avec Edward Yang. Ils sélectionnent quatre jeunes réalisateurs inconnus auxquels ils donnent comme objectif commun de dépeindre l’évolution de la société et des mentalités à Taiwan des années 1950 à 1980 à travers quatre personnages à des âges différents : un écolier, une collégienne, un étudiant et un jeune couple.

 

Il en résulte un film omnibus de quatre courts métrages intitulé « In Our Time » (《光阴的故事》) (4), considéré comme l’un des événements précurseurs du Nouveau Cinéma taïwanais (台湾电影新浪潮), concrétisé l’année suivante avec « Growing Up » (小毕的故事) de Chen Kun-hou (陈坤厚). Growing up ou les difficultés de grandir et de passer à l’âge adulte dans le monde des années 1980 : telle est, justement, l’une des

 

In our Time

thématiques fondamentales de « In Our Time », comme du Nouveau Cinéma taïwanais dans son ensemble.  

 

Les quatre jeunes réalisateurs de In our Time

(de g. à dr.: Zhang Yi, Ko I-chen, Tao Te-chen et Edward Yang)

 

Edward Yang réalise le second des quatre courts métrages : « Désirs » (《指望》), traduit au pluriel mais qui pourrait aussi bien l’être au singulier puisque le film traite de la naissance du désir chez une jeune adolescente, Xiao Fang (小芬). Elle vit seule avec sa mère et sa sœur aînée ; dans cette maison où le père est absent, arrive un jour un jeune étudiant qui y loue une chambre et éveille les sens des deux sœurs ; quand Xiao Fang se décide à approcher le garçon, elle s’aperçoit qu’elle a été devancée par sa sœur. Le désir est aussitôt suivi de frustration.

 

Il n’y a pas de message politique, mais un message clair, encodé dans ce que dit l’enfant à qui Xiao Fang a appris à faire de la bicyclette : « Je voulais apprendre pour aller où bon me semblait, mais maintenant que j’ai appris, je ne sais pas où aller. » C’est l’un des thèmes que l’on retrouve dans les films d’Edward Yang comme dans ceux de ses contemporains : le manque de repères d’une génération de jeunes désorientés auxquels l’avenir semble sans issue, dans une société moderne où ils peinent à trouver leur place.

 

1983 : Un jour sur la plage

 

Avec « Désirs », Edward Yang a annoncé sa thématique ; dans « Ce jour-là, sur la plage » (《海滩的一天》), l’année suivante, c’est la recherche formelle qui prime ; le film préfigure ce qui sera l’une des caractéristiques récurrentes de ses scénarios : la fragmentation de la narration.

 

« Ce jour-là, sur la plage » se déroule avec en toile de fond l’énigme d’une disparition, celle d’un homme dont on ne saura pas s’il s’est suicidé, ou s’il est simplement parti avec l’argent volé à son entreprise. L’énigme est laissée entière parce que ce n’est pas l’essentiel. Le film est construit autour de la rencontre de deux amies qui ne se sont pas revues depuis treize ans. L’une, Jia-li, est une épouse piégée dans un mariage en train de s’effondrer. L’autre est l’ancienne petite amie de son frère ; elle est partie à l’étranger, a fait une carrière de pianiste semble-t-il réussie, et vient de rentrer à Taiwan. Pourtant elle est aussi insatisfaite que son amie.

 

Le film est une peinture de la société taïwanaise de l’époque

 

Ce jour-là, sur la plage

vue sous l’angle féminin, et fait un constat désenchanté de l’avenir qui est promis aux deux femmes,

 

Sylvia Chang dans Ce jour-là… (photo Christopher Doyle)

 

malgré des choix qui semblaient au départ librement consentis. C’est donc un aspect de la thématique générale des films d’Edward Yang, et du Nouveau Cinéma dans son ensemble. Mais, là encore, ce n’est pas l’essentiel : toute l’originalité du film tient à sa structure, construite en une suite de flash-backs qui brisent la linéarité narrative et ajoutent à la confusion des esprits.

 

Le film est porté par l’interprétation de Sylvia Chang dans le rôle de Jia-li, et sublimé par la photographie de

Christopher Doyle qui commençait là sa carrière et dont la photo a déjà les subtils cadrages, les jeux de transparence et de lumière dont il sera maître par la suite.

 

 

Début du film (noter le cadrage inhabituel de la séquence du générique

et le rôle de la musique comme lien entre les séquences)

 

« Ce jour-là, sur la plage » apparaît in fine comme un puzzle temporel, première approche de la déconstruction narrative opérée par Edward Yang dans toute son œuvre. Il va la poursuivre dans ses deux films suivants en travaillant non plus sur le temps mais sur l’espace de la narration : c’est l’éclatement des lieux qui devient la base du puzzle narratif, avec simultanéité d’actions parallèles et croisement d’histoires individuelles qui n’ont apparemment rien à voir les unes avec les autres.

 

1985 : Taipei Story

 

Sur l’un des premiers scénarios de Hou Hsiao-Hsien et Chu Tien-wen (朱天文), « Taipei Story » (《青梅竹马》) (5) met en scène la fragilité de deux êtres, condamnés dans un monde urbain agressif, en pleine mutation. Une jeune femme à la recherche de son avenir en voit la clef dans un ancien joueur de base-ball, Ah Long (阿隆) ; mais celui-ci, à cause de son indéfectible fidélité aux valeurs ancestrales, dilapide sa maigre fortune pour venir en aide à son père ; victime d’une agression, il mourra seul dans la rue, dans l’indifférence générale, comme si la loyauté, la solidarité et les valeurs humaines ne pouvaient être que des éléments de perdition dans le monde des années 1980 à Taiwan.

 

L’une fuit le passé auquel s’accroche l’autre, mais aucun ne trouve d’issue à sa quête existentielle. Les deux rôles principauxsont interprétés par la chanteuse Tsai Chin (蔡琴), que le réalisateur épousera après le film, et surtout par Hou Hsiao-Hsien dans le rôle de Long, consacrant les liens étroits

 

Taipei Story

entre les deux cinéastes et leurs œuvres. Wu Nien-ren et Ko I-chen interprètent des rôles secondaires, ainsi qu’Edward Yang lui-même.

 

On peut dire que « Taipei Story » est à tous points de vue une incarnation du Nouveau Cinéma. Mais c’est avec son film suivant qu’Edward Yang atteint l’un des sommets de sa filmographie.

  

1986 : The Terrorizers

 

« The Terrorizers»  (《恐怖分子》) est sans doute l’œuvre la plus complexe d’Edward Yang, couronnée d’un Léopard d’argent au festival de Locarno en 1986. Edward Yang a rédigé ce scénario avec Hsiao Yeh. Il y pousse à des extrêmes, mais parfaitement maîtrisés, l’art de la multi-narration éclatée développé dans les films précédents, la forme se prêtant parfaitement au fond, une réflexion sur l’aliénation et les dérives de la vie urbaine. On a parlé d’ « esthétique de la fragmentation » (6)

 

Dès la première séquence, le film s’engage dans son parcours en dents de scie, où un personnage en appelle un autre, recoupe un moment son trajet pour s’en séparer et repartir en rencontrer un autre. Un corps est allongé sur le bitume, entouré de flics sur lesquels tirent deux jeunes du haut d’un appartement ; un photographe capte la scène, assistant à l’évasion d’une jeune fille dont le copain est arrêté… Une femme, au même moment, s’éveille, quelque part ailleurs ; elle

 

The Terrorizers

est romancière, en panne d’inspiration ; quelques temps plus tard, elle recevra un coup de fil anonyme la persuadant de l’infidélité de son mari ; il vient de la jeune fille du début, celle qui s’est évadée…

 

Eclatement et recomposition

 

C’est ainsi qu’avance le film, par va et vient entre les personnages dont aucun n’est plus important que les autres, par prise de relais et bifurcation. La narration est aussi déglinguée que les personnages, comme le visage de la femme reconstitué par le photographe avec une myriade de petits carrés de photographies, dans une séquence désormais célèbre. On a comparé

« The Terrorizers » à Blow-Up, à Mulholland Drive en cherchant des analogies, des points d’ancrage. Aucune comparaison n’est satisfaisante.

 

Au-delà de cette fragmentation narrative, le film se distingue par une recherche formelle touchant l’image et sa composition. La ville apparaît comme un immense réseau de cubes et de cellules, un quadrillage de rectangles, de verre et de béton, qui décline visuellement le thème de l’éclatement. Derrière cette géométrie des formes, Edward Yang joue sur l’illusion du réel : un réel insaisissable par l’œil comme par l’esprit, qui pourrait bien être le fruit, tout simplement, de l’imagination de la romancière tramant toute cette histoire… Le film atteint là une dimension fantastique qui rappelle par certains côtés les jeux de miroir du « 2046 » de Wong Kar-wai.

 

A la suite de ce film, à la fin des années 1980, le cinéma taïwanais traverse à nouveau une crise, en raison de la diminution des activités de la CMPC, son plus puissant producteur et distributeur à l’époque. En 1989, pour produire ses films, Edward Yang crée alors sa propre structure de production qu’il appelle tout simplement « La société cinématographique d’Edward Yang » (杨德昌电影公司”).

 

Il est alors professeur dans le département d’art dramatique de l’Institut national des Arts, Il va utiliser cette position pour former les quelque quatre-vingts acteurs de son film suivant.

 

Les années 1990 

 

1991 : A BrighterSummer Day

 

Pour ce film, « A Brighter Summer Day » (《牯岭街少年杀人事件》), Edward Yang est parti d’un fait divers qui l’a frappé dans sa jeunesse, alors qu’il avait tout juste treize ans: l’assassinat à Taipei, le 15 juin 1961, de la petite amie d’un chef de gang par un fils de fonctionnaire de quatorze ans, condamné à mort, puis gracié en raison de la médiatisation de l’affaire ; c’était un premier cas de meurtre par un mineur sous le régime nationaliste, et un cas avéré de délinquance juvénile, ou paraissant tel.

 

C’est justement là qu’intervient le génie d’Edward Yang qui va en faire une peinture originale, en revisitant l’histoire de Taiwan depuis 1949 : l’histoire de milliers de Chinois obligés de fuir de chez eux, et élevant leurs enfants dans une atmosphère militariste, et une ambiance de malaise et d’incertitude quant à l’avenir. Les enfants virent dans les produits américains déversés dans l’île la seule promesse de liberté qui leur était

 

A Brighter Summer Day

offerte, et formèrent des gangs pour lutter contre les bandes indigènes, et se donner l’illusion d’une identité et un sentiment de sécurité.

 

Ces gangs sont un thème récurrent chez Edward Yang comme chez ses contemporains. Ils forment la colonne vertébrale du scénario de « A Brighter Summer Day », en l’occurrence le gang « du petit parc » (小公园帮) contre le gang local 217 (“217眷村帮). Mais la tonalité du film est différente selon les versions. La version originale fait quelque 230 minutes, réduite à trois heures pour le festival de Tokyo où le film a remporté le Prix spécial du jury en 1992. Dans ce montage, c’est la relation entre Xiao Si’r (小四儿) et sa petite amie Ming (小明) qui domine la peinture sociale, un peu à la manière de West Side Story. Dans la version de 127 minutes montée pour les besoins de la distribution, l’accent est mis en revanche sur l’histoire : la peinture d’un moment de crise nationale à travers les vies des jeunes des deux bandes et de leur entourage.

 

La chanson d’Elvis Presley, évocation de l’époque

 

Edward Yang semble avoir renoncé à son éclatement narratif habituel pour un récit plus linéaire. Mais il a pris le parti de la froideur et de la distanciation. Sa caméra filme de loin, sans gros plans ni émotion, il n’y a pas de héros ; même Xiao Si’r est un témoin passif, poussé au désespoir par ses échecs scolaires et ses déceptions sentimentales. Edward Yang ne travaille pas sur les visages, mais plutôt sur les objets, et leur signification profonde, et sur un

réseau de symboles qui renvoient au sentiment d’aliénation de ses personnages : objets venus d’ailleurs et d’identités confuses, tel ce roman russe pris pour un roman de samouraï.

 

Dans « The Terrorizers », Edward Yang jouait sur l’impossible ligne de partage entre l’imaginaire et la réalité, ici il se place au point de rupture entre la mémoire et la reconstitution historique. Il raconte son pays, et en reconstitue l’histoire récente à partir d’un fait divers sanglant, mais c’est une histoire qui comporte aussi bien des éléments de la sienne, noyés dans une pénombre d’où émergent quelques traits de lumière, comme des îles apparaissant dans la brume.

 

La plupart des interprètes sont non professionnels, mais le film marque les débuts de Chang Chen (张震) qui joue aux côtés de son père : il avait quinze ans. Le film a été restauré en 2009 par la World Cinema Foundation fondée en 2007 par Martin Scorsese.

 

1994 : A Confucian Confusion

 

Présenté en compétition officielle au festival de Cannes en 1994, « A Confucian Confusion » (《独立时代》) est une comédie qui avait à l’origine été écrite pour le théâtre.

 

Edward Yang ironise ici sur la « culture » taïwanaise des années 1990, à travers une série de portraits détonants sur fond de paysage urbain aux couleurs de néons : Molly, chef d’une « entreprise culturelle », son fiancé richissime, sa sœur animatrice de talk-shows télévisés, et le mari de cette

 

A Confucian Confusion

dernière, romancier qui a imaginé dans son dernier livre un Confucius réincarné revenant dans le monde moderne et découvrant avec horreur ce qu’on a fait de son enseignement.

 

Le titre chinois, dulishidai, semble suggérer que la page est tournée : Taiwan est entré dans l’ère de l’indépendance, indépendance de la mère patrie, et peut-être aussi de ses modèles américains de la décennie précédente. Taiwan est devenu un carrefour de cultures.

 

C’est un film aussi réussi que les précédents d’Edward Yang, mais dans un genre où on ne l’attendait pas. C’est pourtant sous cet aspect que l’œuvre du réalisateur a connu un début de reconnaissance internationale.

 

1995 : Mahjong

 

« Mahjong » (《麻将》)  poursuit dans la même veine, satirique et décalée, mais cette fois la satire emprunte un regard extérieur : l’île est devenue un eldorado pour les étrangers, et en particulier les Anglo-Saxons… incarnés ici par Nick Erickson.

 

Mahjong

 

 

Extrait

 

Son discours enthousiaste est typique de l’époque. Mais la réalité locale vue par Edward Yang est bien plus sordide : « il y a deux types de gens, les escrocs et les crétins » dit Red Fish, un magouilleur dont le père ruiné est en fuite après avoir fait faillite. Il est le chef d’une bande de quatre jeunes gigolos, dont Hong Kong, interprété par Chang Chen. C’est dans ce nid de rats que débarque la jeune Marthe (Virginie Ledoyen) initialement à la poursuite de l’Anglais mais séduite par Hong Kong… 

 

« Mahjong » a quelque chose de l’hystérie affairiste qu’épingle Edward Yang. C’est rapide, mordant, déjanté, mais la greffe des étrangers ne prend pas. C’est plus un cri de colère que les films réfléchis et peaufinés qui restent la marque d’Edward Yang.

 

« Mahjong » a été présenté au 46ème festival de Berlin, où il a obtenu une mention honorable.

 

Yi Yi et après

 

2000 : Yi Yi

 

Ce n’est malheureusement qu’avec « Yi Yi » (《一一》) qu’Edward Yang accède à la notoriété internationale : le film est en compétition internationale au festival de Cannes qui décerne au réalisateur le prix de la mise en scène.

 

Yi Yi

 

A Cannes en 2000 avec l’actrice Kelly Lee et

le jeune interprète de Yi Yi, Jonathan Chang

 

Le film est un concentré de la vie à Taipei, dépeinte à travers celle d’une famille vue par trois de ses membres : le père, interprété par Wu Nien-ren, son jeune fils Yan Yang, interprété par le pétillant Jonathan Chang, et sa fille adolescente Ting Ting, jouée par Kelly Lee.

 

Le film commence par un mariage et se termine par un enterrement, encadrant un pan de vie ordinaire d’une famille bourgeoise à Taipei, avec les problèmes habituels de chacun : ceux du père dans son entreprise d’informatique, au moment où ses partenaires tentent – inévitablement - une entente avec un mogul 

japonais du jeu vidéo, et que débarque un de ses amours de jeunesse ; ceux de Yi Yi à l’école et

en marge du monde des adultes, et les problèmes sentimentaux de sa sœur qui en a l’âge.

 

Edward Yang sort des sentiers battus grâce à ses personnages secondaires, bien plus atypiques : la mère de famille, en crise, qui s’est retirée dans un monastère bouddhiste, sa propre mère qui est dans le coma, etc… le film est finalement une satire sociale subtile et réussie, et abordable pour tout public.

 

 

Avec Jackie Chan sur leur projet de dessin animé de wuxia en 2002

 

Mais, si « Yi Yi » a valu à Edward Yang la consécration internationale, il a aussi contribué à l’oubli relatif du reste de son œuvre. Quand il est mort, le 29 juin 2007, des suites d’un long combat contre un cancer, il était connu presque exclusivement pour « Yi Yi ». On découvrira son œuvre par la suite grâce à des rétrospectives, celle de la Cinémathèque française, par exemple, en décembre 2010 (7). 

 

Edward Yang dessinateur

 

Cette rétrospective comportait entre autres des dessins d’archives qui montraient Edward Yang sous un jour peu connu : dessinateur.

 

The Wind, projet d’affiche

 

The Wind, dessin préparatoire

 

The Wind, une scène réalisée

 

Edward Yang en personnage

de bande dessinée

 

Au cours des dernières années avant sa mort, il a travaillé avec Jackie Chan sur un projet de dessin animé de wuxia: « The Wind » (《追风》). En juillet 2002, avec sa seconde épouse, la pianiste Peng Kaili (彭铠立), il a même créé une société pour le produire : la société Kaijiade technologie du divertissement (铠甲娱乐科技公司).

 

Seulement dix minutes ont pu être réalisées : elles sont superbes. Ce sont dix minutes qui font d’autant plus amèrement regretter la disparition si précoce du réalisateur.

 

 

 

le film d'animation d'Edward Yang

 

 

Notes

(1) Université Chiao Tung ou Université des communications.

(2) Egalement transcrit Jan Hung-tze. Il restera proche d’Edward Yang, dont il produira « Une belle journée d’été », et jouera un rôle important dans le Nouveau Cinéma, côté

production. C’est lui qui sera, entre autres, le producteur exécutif du « Maître de marionnettes » de Hou Hsiao-Hsien.

(3) Le second film collectif est « L’homme-sandwich » (《儿子的大玩偶》), dont Hou Hsiao-Hsien a signé la première partie, qui donne son titre au film.

(4) Ce film charnière est sorti en DVD chez Spectrum Films en septembre 2014, en même temps que « The Terrorizers ».

(5) Le titre est d’une ironie amère, évoquant le paradis

perdu de l’enfance et de l’innocence : 青梅竹马 qīngméizhúmǎ, prunes vertes et chevaux de bambou, est une expression désignant la période bénie où les enfants, garçons et filles, grandissent et jouent innocemment ensemble.

(6) Profil d’une œuvre, par Michel Maxime Egger, Positif, no 375-76, mai 1992, p. 61-64.

 

Avec Hou Hsiao-Hsien en 2007

(7) A cette occasion, la Cinémathèque a constitué un dossier comportant articles, revue de presse, photos et vidéos que l’on peut consulter en ligne :

www.cineressources.net/recherche_t_r.php?pk=13259&textfield=Edward+Yang&rech_type=E&rech_

mode=contient&pageF=1&pageP=1&type=PNP

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Qui sommes-nous ? - Objectifs et mode d’emploi - Contactez-nous - Liens

 

© ChineseMovies.com.fr. Tous droits réservés.

Conception et réalisation : ZHANG Xiaoqiu