par Brigitte
Duzan, 26 février 2013,
actualisé 22 août 2018
Jiang Wen
s’est d’abord fait connaître comme acteur avant de
passer à la mise en scène, en 1994. Depuis le succès
sans précédent de « Let the Bullets Fly », il est
devenu un réalisateur fétiche tant du public que des
producteurs.
Acteur
d’abord
Né le 5
janvier 1963 à Tangshan (Hebei), Jiang Wen (姜文)arrive à
l’âge de six ans à Pékin où il a grandi, en pleine
Révolution culturelle. Ce sera la toile de fond de
son premier film, « In
the Heat of the Sun »
ou, en français,
« Des jours éblouissants »(《阳光灿烂的日子》).
En 1980, à
l’âge de 17 ans, il entre à l'Académie centrale
d'Art dramatique de Pékin ; quand il en sort, en
1984, il commence une carrière d’acteur dans la
troupe du Théâtre de la Jeunesse.
Il est alors
remarqué par le réalisateur
Xie Jin (谢晋)
L’année suivante, il rencontre le
réalisateur Jacques Dorfmann et joue dans « Le
Palanquin des Larmes ». Cette même année
1987, il interprète
aux côtés de
Gong Li (巩俐)
l’un des deux rôles principaux
dans «Le Sorgho
rouge » (《红高粱》)
de
Zhang Yimou, adapté d’un roman de
Mo Yan
[1].
Le
rôle lui vaut un début de notoriété.
Mais c’est
en 1993 que sa carrière d’acteur prend un nouveau
tournant, avec son interprétation du rôle de
l’immigrant Wang Qiming (王起明)
dans
la série télévisée
« Un Pékinois à
New York » (《北京人在纽约》),
d’après un bestseller publié en 1991. Formidable
succès en Chine, le rôle fait de
Jiang Wen l’un des acteurs chinois les plus populaires
auprès du grand public.
Puis
scénariste et réalisateur
Premier
succès
En 1994, il
passe à la réalisation et tourne son premier film,
« Des jours éblouissants /In
the heat of thesun» (《阳光灿烂的日子》)
dont le scénario s'inspire partiellement d'un roman
de Wang Shuo (王朔).
Grand succès en Chine,
le film présente une vision poétique inhabituelle de
la Révolution culturelle : alors que les écoles
ferment et que les parents sont emportés dans le
tourbillon politique, les enfants, livrés à
eux-mêmes, vivent cette période tourmentée comme des
grandes vacances.
Son jeune
acteur et alter ego Xia Yu (夏雨) remporte le prix du meilleur acteur à la Biennale de Venise ; le film
décrochera par ailleurs six Golden Horse Awards à
Taiwan. C’est un succès inattendu que les
critiques ont qualifié de « victoire dès le
déploiement du drapeau » (旗开得胜
qíkāidéshèng),
c’est-à-dire sans même livrer combat.
In the Heat of the Sun
Interdiction
Les Démons à ma porte
Jiang Wen réalise ensuite « Les
Démons à ma Porte »(《鬼子来了》).
Ce drame, situé pendant la guerre sino-japonaise,
au début des années 1940,
raconte l'histoire d'un soldat japonais blessé et de
son interprète retenus prisonniers par des
villageois chinois au cours du dernier hiver de la
Seconde Guerre mondiale ; ils les traitent
correctement pendant un temps, puis décident de les
échanger contre des céréales auprès des autorités
japonaises.
Tourné dans un superbe noir et blanc,
le film remporta un grand succès à l'étranger : il
obtint le Grand Prix du Jury au festival de Cannes
en 2000. Mais il déclencha la colère des autorités
chinoises et nippones. En Chine en particulier, il
fut considéré comme
une satire noire et corrosive de la société chinoise
et
valut au réalisateur une interdiction de tourner en
Chine pendant six ans.
La position officielle fut très nette : "Ce film
…a été montré dans un festival à l'étranger [Cannes]
sans approbation préalable, ce qui est une violation
flagrante de la réglementation." Mais les
raisons véritables des censeurs n’étaient pas là :
"On entend à plusieurs reprises de la musique
militaire japonaise pendant le film. Cela symbolise
la puissance de l'armée japonaise et constitue un
grave affront au peuple chinois."
Plus généralement, l’avis officiel du comité de
censure reprochait au film de montrer trop de
Chinois se comportant de
Jiang Wen avec Anthony
Wong dans Le Soleil se lève aussi
façon amicale avec les Japonais "Cela crée l'impression
que les civils chinois ne détestaient pas les envahisseurs
japonais et qu'ils n'ont pas résisté."
Bref, il fut demandé à Jiang Wen de réviser
certaines scènes de son film. Il n’accepta pas et le
film est resté dans les tiroirs, ne sortant en Chine
qu’en version piratée. « Je voulais montrer, a-t-il
dit, comment les gens réagissent devant un danger
extrême, comment Chinois et Japonais ont réagi et
comment les gens peuvent perdre toute humanité au
milieu d'une guerre.»
Le film est toujours interdit, alors qu’il a été
projeté en salles au Japon !
Incompréhension
En 2006, sa période d’interdiction terminée, Jiang
Wen revient au cinéma avec un film superbe, mais
malheureusement trop complexe pour être apprécié du
grand public ; nombre de critiques, même, ont tordu
la bouche :
« Le
Soleil se lève aussi » (
《太阳照常升起》)
s’est soldé par un échec commercial.
Programmé à Paris
dans le cadre du festival du cinéma en France, il n’a pas
non plus bénéficié d’une présentation qui lui rende justice.
Les fans se sont précipités voir l’acteur et ont oublié le
film. Il reste à découvrir. L’immense succès du film suivant
l’a en outre relégué dans l’ombre.
Une trilogie
formidable
Let the
Bullets Fly : immense succès commercial
Jiang Wen
a en effet mis ensuite tous les atouts de son côté
pour le film sorti en décembre 2010 en Chine
continentale : « Let the
Bullets Fly » (《让子弹飞》),
combinaison de comédie satirique et de film
historique, interprété par Jiang Wen lui-même, Chow
Yun-fat,
Ge You, et Carina Lau dans les
rôles principaux, outre une pléiade d’acteurs
célèbres et populaires dans les rôles secondaires.
La ligne
narrative du scénario, adapté d’un roman de
l’écrivain sichuanais Ma Shitu (马识途),
est d’une complexité défiant la synthèse ; ce qui en
fait l’intérêt, c’est, d’une part, la construction
de l’intrigue, fondée sur le caractère des
principaux personnages, et non sur l’action en soi,
et, d’autre part, la qualité du texte et des
dialogues, qui abondent en phrases à double sens et
jeux de mots.
L’histoire
se passe en 1919 dans l’ouest du Sichuan. Le train
conduisant à son nouveau poste le gouverneur
Let the Bullets Fly
A la une de Bazaar
pour la sortie de
« Let the Bullets Fly
»
Ma Bangde (马邦德),
interprété par Ge You (葛优),
Tang, un escroc professionnel qui lui sert de conseiller,
joué par
Feng Xiaogang, et l’épouse de ce dernier
(interprétée par Carina Lau), est attaqué par le bandit
local Zhang Muzhi (张牧之),
surnommé Zhang le vérolé (张麻子)
- Jiang Wen lui-même.
Tang est
tué avec les gardes du corps. Pour éviter d’être
trucidé à son tour, Ma Bangde se fait passer pour
Tang et propose à Zhang Muzhi de se faire passer
pour Ma Bangde ; il l’aidera à mettre la main sur
les richesses de la ville. Mais, quand ils arrivent
à destination, il découvre que la petite ville est
sous la coupe du trafiquant d’opium Huang Silang (黄四郎),
un névrosé paranoïaque interprété par Chow Yun-fat …
Commence un jeu hilarant, mais dangereux, de chat et
de souris où le chat se fait passer pour la souris
et vice versa…
Suscitant
rumeurs et commentaires sur les sens cachés
attribuables à certains des dialogues et réparties,
« Let
the Bullets Fly » est devenu un véritable film culte.
Accumulant les records au box office et les prix dans les
grands festivals de cinéma en Chine, à Hong Kong et à
Taiwan, c’est le plus gros succès commercial de l’histoire
du cinéma chinois.
Surfant sur la
vague, Jiang Wen a réalisé aussitôt après un autre film
reprenant des ingrédients similaires et un titre rappelant
le premier. Mais l’accueil n’a pas été le même.
Gone with
the Bullets : succès moindre
Sorti le 18
décembre 2014 sur les écrans chinois, « Gone with
the Bullets » (《一步之遥》)
a été parmi les films en compétition internationale
au 65ème Festival de Berlin en février
2015. Jiang Wen reprend le rôle principal avec
Ge
You à ses côtés, et le film se veut aussi déjanté
que le précédent.
Le scénario
est inspiré d’un fait divers authentique qui a fait
scandale en son temps et suscité une vague
d’articles, de romans, de pièces de théâtre et même
un film, en 1921: le premier docu-fiction de
l’histoire du cinéma chinois,
« Yan
Ruisheng » (《阎瑞生》),
réalisé par
Ren Pengnian (任彭年).
Il s’agit de l’histoire du meurtre d’une prostituée
par un jeune dandy, employé de banque, dans la
Shanghai du début des années 1920.
Jiang Wen interprète le jeune dandy Ma Zouri (马走日)
qui, avec son ami policier interprété par
Ge You,
conçoit un plan
Gone with the Bullets
pour extorquer de l’argent au fils d’un chef de guerre
local. Mais, quand il se réveille à côté du cadavre d’une
prostituée (interprétée par Shu Qi),
il prend la fuite, avec le policier sur les talons…
Le scénario a été
aussi travaillé que « Let the Bullets Fly » ; Jiang Wen
s’est associé huit coscénaristes, dont l’écrivain Wang Shuo
(王朔).
Mais le film a rencontré quelques problèmes avec la censure
qui semblent en avoir quelque peu brouillé le sens. En tout
cas, il a eu des critiques mitigées, et son succès
commercial n’a pas été celui de « Let the Bullets Fly ».
Bien que Jiang Wen se soit déclaré surpris par toutes les
allusions cachées qu’on a pu lire dans son film, il
semblerait que les autorités chinoises n’aient pas apprécié
le buzz qu’il a suscité et que le réalisateur ne bénéficie
plus du soutien officiel dont il a pu se prévaloir ces
dernières années.
Il a
annoncé en avril 2015 qu’il préparait un wuxia pian
pour marquer ses vingt ans de carrière de metteur en scène…
Sorti
en Chine le 13 juillet 2018, le film boucle brillamment la
trilogie informelle qu’il forme avec les deux précédents :
unité de ton et de style.
Hidden
Man : le
wuxia selon Jiang Wen
Affiche de Hidden Man
pour la sortie en
Chine
Initialement intitulé
« The Hidden Warrior » (《侠隐》), le film est sorti sous le double titre « Hidden Man » (xié bù yā zhèng《邪不压正》). L’histoire se
passe en 1936 à Pékin où un jeune spécialiste d’arts
martiaux tente d’élucider un meurtre.
S’il reprend le style rapide, voire elliptique, et
le ton humoristique des deux films précédents,
« Let
the Bullets Fly » (《让子弹飞》)
et « Gone with the Bullets » (《一步之遥》),
il les complète aussi en termes de période
historique et de lieu, le premier se passant dans le
Sichuan à la fin des années 1910 et le second au
début des années 1920 à Shanghai.
Le
casting n’est pas en reste : aux côtés de Zhou
Yun (周韵),
figure récurrente chez Jiang Wen depuis 2006, on trouve en
particulier
Liao Fan (廖凡), nouvel acteur à la mode qui crève l’écran.
Après
sa sortie sur les écrans chinois le 13 juillet, le film sort
en première mondiale au festival de Toronto début septembre
2018, dans la section Galas.