Artiste et cinéaste, Qiu Jiongjiong s’est longtemps
partagé entre la peinture et le cinéma documentaire,
avant de passer à la fiction, le tout de manière
originale, hors normes, tant par ses sujets que par
la manière dont il les traite.
Études artistiques
Il est né en 1977 à Leshan (乐山市)
dans le Sichuan. Son grand-père était un célèbre
acteur d’opéra
du Sichuanqui l’a éveillé à la
peinture dès l’âge de deux ans, et a commencé à lui
apprendre l’opéra alors qu’il n’en avait encore que
trois. À l’âge de 18 ans, Qiu Jiongjiong a quitté
l’école pour poursuivre des études artistiques.
Il est
allé plus tard à Pékin où il a exposé ses œuvres
dans différentes galeries, dont le Ullens Centre for
Contemporary Art. Il vit maintenant à Shenzhen avec
sa femme et il est représenté par la Star Gallery de
Shanghai
[1].
Qiu Jiongjiong
Du documentaire expérimental…
Autoportrait
Il a commencé à réaliser des documentaires
indépendants vers le milieu des années 2000 en les
finançant avec l’argent gagné grâce à la vente de
ses peintures. Il filme comme il peint, des
portraits originaux, intimes et pleins d’humour,
d’individus pris dans des contextes politiques qui
les dépassent.
Ses trois premiers films ont été présentés lors des
5ème, 7ème et 8ème
éditions du festival du cinéma indépendant de Nankin
et tous trois ont été primés. Son premier
documentaire est sorti en 2007 ; en noir et
blanc, il a pour sujet un grand restaurant. Son deuxième
film – intitulé en anglais « Ode à la joie »
(《彩排记》),
et en chinois littéralement Répétitions - est un
hommage à son grand-père.
Le quatrième film de Qiu Jiongjiong, Gu Nainai
(《姑奶奶》),
sorti en 2010, est un documentaire étonnant, encore
en noir et blanc, sur le célèbre créateur de mode,
et de costumes pour le cinéma, Fan Qihui (樊其辉) :
gay, il travaillait dans son atelier dans la
journée, et la nuit se transformait en drag queen
(et chanteur) car il aimait porter les robes qu’il
dessinait. C’est lui, par exemple, qui a créé les
costumes du film de
Feng Xiaogang (冯小刚)
« A
World Without Thieves » (《天下无贼》).
Fan Qihui a lui-même créé sa légende grâce à ce
film. Il s’est suicidé fin janvier 2013.
Fan Qihui, jour et
nuit
Gu Nainai, prologue
En 2012, « My Mother’s Rhapsody » (《萱堂闲话录》)
est un documentaire sur un fils de 60 ans qui vit avec sa
vieille mère de 80 ans ; tous deux tentent de préserver leur
personnalité propre, et ils racontent leur vie avec des
détails assez épiques.
My Mother’s Rhapsody
Mr. Zhang Believes
Qiu
Jiongjiong a passé ensuite
plusieurs années à concevoir le film suivant, sorti en
2015 : « Mr. Zhang Believes » (《痴》)
dont le titre chinois signifie complètement fou, fou à
lier ; le caractère du titre est l’un des deux du prénom du
personnage principal, mais s’applique aussi bien au film.
Il marque une nouvelle étape dans la filmographie de Qiu
Jiongjiong : il est à la fois histoire orale et théâtre
documentaire, mais histoire populaire totalement à
l’encontre de l’histoire officielle. Il est adapté d’un
mémoire de 2017 interdit en Chine, intitulé « Vie et mort
dans le Goulag chinois » (《拉古格轶事》)
sur le modèle de « L’archipel du Goulag » de
Soljenitsyne;
l’auteur, Zhang Xianchi (张先痴),
né en 1934, était le fils d’un officier du Guomingdang ;
après s’être rallié à l’Armée de Libération pour défendre la
cause du communisme, il a ensuite été persécuté lors de la
chasse aux sorcières de la campagne anti-droitière en 1957
et a passé vingt-trois ans en prison.
Le film a été tourné en couleurs, mais il est sorti dans un
noir et blanc surréaliste. L’histoire est contée par Zhang
Xianchi à la première personne, comme un récit de la
révolution dévorant ses propres enfants, mais tout a été
magistralement stylisé par Qiu Jiongjiong, les couleurs
désaturées, le son, le montage en contrepoint formant une
sorte de pièce de théâtre d’ombre émergeant d’une sorte de
rideau de fumée.
Le
film a été tourné à Leshan, avec des moyens très
réduits, dans une tente construite sur un parking en
guise de studio, avec des amis, en lumière naturelle
et sans autorisation du Bureau du cinéma. Le
résultat est un film expérimental de toute beauté,
un film sur l’absurdité de l’histoire maoïste, sur
la mémoire et le refus d’oublier
[2].
Il est sorti en première mondiale au festival de
Locarno.
… à la fiction
Son premier long métrage de fiction, « A New Old
Play » (《椒麻堂会》),
a été sélectionné en compétition internationale au
festival de Locarno 2021.
C’est un retour au monde du théâtre, sur un mode
fictionnel qui est aussi autobiographique :
l’acteur qui jouait les rôles de « clown » (chou
丑)
dans une troupe de théâtre meurt et arrive dans
l’au-delà ; il revit alors une dernière fois les
souvenirs de sa vie avant d’être admis à se
réincarner.
A New Old Play
Ce
sont cinquante ans de théâtre et de luttes sur fond d’un pan
d’histoire de la Chine du 20e siècle,
une histoire tumultueuse et
surréaliste.