Né en 1955 à Nankin, Xu Geng est un réalisateur et
scénariste chinois peu connu hors de Chine, mais
célèbre chez lui : il a réalisé plus d’une quinzaine
films entre 1989 et 2019, et une douzaine de séries
télévisées très populaires.
Premiers films dans les années 1990
En 1987, il remporte un premier succès : le prix
Feitian pour le scénario et la réalisation (飞天奖优秀编剧奖、优秀单本剧一等奖)
de la pièce télévisée « La mort de Qiubai » (《秋白之死》).
Deux ans plus tard, il est scénariste et réalisateur
d’un premier film, « In Their Teens » (《豆蔻年华》)
[1],
qui décroche le prix du meilleur film pour enfants
décerné par l’Administration de la radio, du cinéma,
de la télévision.
Xu Geng
La Montre magique,
1990
En 1990, il poursuit avec un deuxième film pour
enfants, « La Montre magique » (《魔表》) :
l’histoire d’un enfant que ses copains chahutent à
l’école parce qu’il est le plus jeune ; une montre
magique lui permet par hasard de devenir adulte,
mais, alors qu’il essaie de rentrer chez lui, ses
parents le prennent pour un cambrioleur ; il veut
redevenir enfant, mais ce n’est pas aussi simple…
Le film suivant, « Le vieux village dans la tempête
» (《风雨故园》),
est adapté d’une histoire d’enfance du célèbre
écrivain Lu Xun : celle de son grand-père arrêté
pour avoir fraudé aux examens impériaux. C’est un
autre film pour enfants, tourné au Studio du film
pour enfants et sorti en février 1992. La même
année, Xu Geng tourne un autre film pour la
jeunesse, sur un scénario de l’écrivaine et
scénariste Wang Liping (王丽萍) :
« Témoignage de jeunesse » (《青春作证》)
avec l’acteur Li Yapeng (李亚鹏)
dans l’un de ses premiers rôles.
En 1994, Xu Geng réalise « Travailler pour sa femme » (《给太太打工》),
avec Sun Xing (孙兴),
Xu Fan (徐帆),
Zhang Jiayi (张嘉益)
[2].
Xu Fan (aujourd’hui épouse de
Feng Xiaogang) interprète le rôle d’une
femme, Lin Qian (林茜),
chef d’une fabrique de jouets où son mari, Su Yang (苏洋),
est designer. Mais ils ont signé un accord stipulant qu’ils
ne doivent pas révéler dans l’entreprise le fait qu’ils sont
mariés. Or, Su Yang fait la connaissance d’un homme
d’affaires rentré de l’étranger et lui offre, comme il fait
souvent, de lui servir d’intermédiaire et de l’introduire
auprès de la jeune fille qu’il aimait étudiant. Or celle-ci
n’est autre que Lin Qian…
Travailler pour sa
femme, 1994
En 1996, « The Red Hairpin » (《红发卡》)
a été primé dans la catégorie des films pour enfants
au festival du Coq d’or. Alors que la jeune Yeye se
prépare à fêter son 15ème anniversaire,
son père est arrêté pour un présumé délit
économique. Mais, pour ne pas faire un choc à Yeye,
on lui dit que son père est parti de manière urgente
en voyage d’affaire aux Etats-Unis, en lui laissant
une barrette rouge en cadeau d’anniversaire. Petit à
petit, sa meilleure amie et tout le monde se liguent
pour préserver le mensonge, y compris un étudiant
américain qui écrit des lettres pour son père. Yeye
finit par apprendre la vérité, mais prétend ne pas
savoir, en continuant à vivre son illusion.
Succès en 1999
C’est alors que Xu Geng réalise le film qui l’a fait
connaître, y compris à l’étranger : « Thatched
Memories » (Cao
Fangzi《草房子》)
[3],
adapté du roman très connu de
The Red Hairpin, 1996
Cao Wenxuan (曹文轩)
[4].
Sorti en Chine en 1999,
le film est assez caractéristique du regard
La chaumière, le livre
de Cao Wenxuan
nostalgique et
poétique posé, dans la Chine de la fin des années
1990, sur l’enfance et le passé à la campagne, alors
que la croissance est en train de bouleverser le
pays.
Fidèle en tous points au récit de Cao Wenxuan et à son atmosphère, Xu
Geng dépeint la vie dans une école de campagne au
début des années 1960, à travers les souvenirs qu’en
a gardés Sangsang (桑桑),
qui était le fils du directeur de l’école. Il évoque
plusieurs camarades, dont l’un, surnommé « Grue
chauve » (秃鹤) parce qu’il était né chauve et était très grand. Vu
avec le recul, le film garde un caractère de
témoignage, d’exercice de mémoire pour préserver les
images du passé, mais aussi leur revers ; chronique
de l’enfance juste avant la Révolution culturelle,
c’est aussi comme « un petit livre rouge d’un
paradis
loin d’être tout rose » comme l’a bien dit Laurence
Berger quand le film est sorti en France, en mai
2006
[5].
Après un film sur le travail d’un comité de quartier, puis
un autre, tourné au studio de Shanghai, et tout aussi
édifiant, sur la vie d’un chirurgien à l’hôpital, Xu Geng
réalise un de ses meilleurs films, sorti en décembre 2003 :
« The Law of Romance » (《警察有约》)
[littéralement : Le flic a rendez-vous], une comédie sur un
scénario de l’écrivaine Feng Hua (冯华),
auteure de romans policiers
[6].
The Law of Romance,
2003
L’histoire se passe dans un poste de police d’un hutong de
Pékin : le jeune policier Zhao Liu’an (赵六安)
étant toujours célibataire, tout le monde tente de le
marier, à commencer par ses cinq sœurs. Il passe le plus
clair de son temps à rencontrer des jeunes femmes dans des
cafés, mais aucune ne correspond à l’image de la femme en
rouge de ses rêves. Or une nouvelle recrue du poste de
police ressemble à cette femme…
C’est le meilleur film de Xu Geng.
2004-2012 : séries télévisées
En 2004, il réalise pour la télévision un remake du célèbre
film de 1963 « Le petit soldat
Zhang Ga » (Xiao Bing Zhang Ga
《小兵张嘎》),
initialement adapté d’un roman de Xu Guangyao (徐光耀)
inspiré d’une histoire vraie.
La série, en vingt épisodes, est diffusée en juillet 2004.
Elle est suivie en 2005 d’un film d’animation reprenant la
même histoire.
Pendant huit ans, Xu Geng travaille ensuite surtout pour la
télévision, hormis deux films, sortis en 2005 et 2008.
En 2005, « True
Water Without Fragrance » (《真水无香》)
a été l’un des films promus par les autorités du
cinéma pour la commémoration du 85ème
anniversaire de la fondation du Parti. Le film passe
en revue les affaires traitées au cours de sa
carrière par le juge Song Yushui (宋鱼水)
qui joue son propre rôle.
En juin 2008, « Breaking the Ice » (《破冰》)
sort au festival de Shanghai. Le film relate les
hauts faits d’athlètes chinois de patinage de
vitesse, avec bien sûr histoire d’amour intégrée.
L’un et l’autre film sont représentatifs des films
suivants de Xu Geng, que ce soit à la télévision ou
au cinéma, des films que l’on pourrait dire « à
usage interne », qui définissent les tendances
idéologiques du moment bien plus qu’un style
cinématographique, ce qui tend à uniformiser les
réalisations
The Art of Ice, 2012
de Xu Geng en leur donnant une thématique édifiante et une
esthétique télévisée.
Après 2012
En 2012, Xu Geng réalise un film sur l’ancien secrétaire du
Parti du village de Huaxi, dans le Jiangsu, Wu Renbao (吴仁宝),
né en 1928, qui s’est consacré pendant 35 ans au
développement de son village. Le film en fait une figure
emblématique des cadres ruraux. Wu Renbao est mort l’année
suivante d’un cancer et a été décoré à titre posthume de la
médaille des pionniers de la réforme (改革先锋奖章).
Age of Glory, 2015
Xu Geng tourne ensuite une série télévisée en 34
épisodes « Manshan bat les diables » (《满山打鬼子》),
les diables étant les « diables japonais » car
l’histoire se passe dans une petite ville du
nord-est de la Chine pendant l’occupation japonaise,
dans les années 1930. Manshan est un enfant qui
lutte contre l’envahisseur et semble inspiré du
petit soldat Zhang Ga.
Retour au cinéma avec « Age of Glory » (《钢铁,是这样炼成的》)
sorti en octobre 2015. Le titre chinois signifie
« L’acier, c’est ainsi qu’on le fait », qui évoque
le célèbre film de Marc Donskoi « Comment l’acier
fut trempé » d’après le roman de Nikolai Ostrovski.
Cet « âge de gloire », c’est l’époque héroïque de la
croissance de la production d’acier chinoise grâce à
la politique de réforme, dans les années 1980-1990.
Le film est présenté comme un « biopic industriel »,
qui raconte la création et le développement de la
plus
importante entreprise sidérurgique privée en Chine, par un
pionnier de la sidérurgie chinoise, Song Guangrong (宋光荣).
Sorti en mai 2018, « You’ll
Never Walk Alone » (《破门》)
rappelle par son titre chinois le film de 2008 dont
il semble être le pendant : une histoire d’enfants
passionnés par le foot qui leur permet de canaliser
leur énergie, jusqu’à ce qu’un tremblement de terre
vienne bouleverser leur existence. Le film est suivi
en décembre de la même année par un film pour enfant
« Sister Lin Fell from the Sky » (《天上掉下个琳妹妹》),
où l’on retrouve, comme en lien, l’acteur Du Yuan (杜源) qui interprétait le rôle du directeur d’école dans
« Souvenirs d’enfance » vingt ans plus tôt.
En 2019, « My Prairie, My Horse » (《奔腾岁月》)
est un film sur un jockey, et une autre histoire de
passion sportive, cette fois doublée de l’amour des
chevaux et de la prairie mongole.
Le parcours de Xu Geng est intéressant non tant pour
le cinéma en lui-même, que pour ce qu’il révèle en
filigrane
You’ll Never Walk
Alone, 2018
de l’emprise croissante de l’idéologie sur la production
cinématographique chinoise, et surtout à partir de 2012, ce
qui coïncide avec l’arrivée au pouvoir de l’actuel président
de la République populaire.
L’œuvre de Xu Geng connaît son apogée en 2003 avec « The Law of Romance », à la fin de ce qui reste un âge d’or du cinéma
chinois, les années 1980 et 1990.