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Xu Ruotao 徐若涛

Présentation

par Brigitte Duzan, 30 octobre 2015, actualisé 30 septembre 2022

 

 

Xu Ruotao

 

 

Xu Ruotao est un réalisateur atypique, remarqué en 2009 pour son film « Rumination » (《反刍》). Il a poursuivi en 2013  avec un autre film inclassable, entre documentaire et fiction onirique, « Yumen » (玉门), coréalisé avec J.P. Sniadecki et Huang Xiang (黄香).

 

Les deux films révèlent un regard particulier, qui tient d’abord à sa formation de peintre, dans les marges de la Chine des années 1990. Il fait partie de ces cinéastes chinois dont les réalisations dans le domaine cinématographique sont indissociables de leurs recherches sur l’image dans divers domaines, peinture, photographie et vidéo.

 

Peintre d’abord

 

Influence de l’avant-garde

 

Xu Ruotao (徐若涛) est né en 1968 à Shenyang, dans le Liaoning (辽宁沈阳). Après avoir terminé ses études secondaires en 1987, il est entré à l’Institut des Beaux-arts Lu Xun (鲁迅美术学院) en 1988. Mais il a raconté dans une interview [1] que son intérêt pour la peinture s’était éveillé bien plus tôt, grâce à son père…

 

Celui-ci était en effet professeur de collège, et avait la charge d’un petit musée qu’hébergeait l’établissement. Il était ainsi abonné à diverses revues d’art très influentes, comme « Le journal des beaux-arts de Chine » (《中国美术报》) ou « Beaux-arts » (《美术》). Le jeune Xu Ruotao a donc connu très tôt les peintres d’avant-garde comme Gu Wenda (谷文达), Huang Yongping (黄永砯) ou  Wang Guangyi (王广义), la génération d’artistes chinois nés dans les années 1950 qui ont commencé à faire parler d’eux dans la seconde moitié des années 1980 – et dont beaucoup ont dû s’exiler à l’étranger ensuite.

 

Mais son père recevait aussi des revues littéraires, où il était question de Ma Yuan (马原),  Ge Fei (格非) et autres écrivains également d’avant-garde, influents à l’époque. Xu Ruotao se sentait tout particulièrement proche de Ma Yuan, natif lui aussi du Liaoning où il avait fait ses études jusqu’en 1983 ; il est même allé à l’Association des écrivains pour tenter de le voir, mais Ma Yuan était déjà parti au Tibet.

 

Grandi dans ce climat artistique bouillonnant typique de la seconde moitié des années 1980 en Chine, Xu Ruotao ne pouvait guère s’intéresser à l’enseignement très classique de l’Institut Lu Xun. Au début de 1989, étape déterminante dans son parcours, il va à Pékin voir la fameuse exposition de peinture restée dans les annales pour avoir immortalisé « la Nouvelle Vague de 85 » (85新潮”).

 

En 1990, il participe à l’Institut à une exposition qui est fermée quelques heures après son ouverture. Il en est quitte pour un entretien et une semonce, sans lendemain. Mais, en 1991, il décide d’arrêter ses études.

 

Du Yuanmingyuan à Songzhuang

 

Après avoir quitté l’Institut Lu Xun, il tourne en rond quelque temps sans trop savoir que faire, puis, en 1992, part à Pékin, au village d’artistes du Yuanmingyuan (圆明园), près des ruines de l’ancien Palais d’été. Il arrive en même temps que des jeunes venus de tous les coins du pays chercher un espace de liberté pour créer hors des contraintes du système officiel ; mais il est parmi les premiers.

 

Installés dans des maisons abandonnées, menant une vie de bohême, ces artistes font vite parler d’eux, attirant journalistes, hommes d’affaires et diplomates étrangers qui viennent leur acheter leurs œuvres pour quelques dizaines de yuans. Xu Ruotao se rappelle avoir vendu son premier tableau en 1993 et garde les meilleurs souvenirs des quelque quatre années passées là. Il était alors très facile de vendre des peintures : il devait y avoir au maximum cinq galeries à Pékin, et le « village » de Yuanmingyuan était une destination qui fleurait l’exotisme.

 

Mais les artistes sont vite considérés comme des trublions par les autorités et ils sont évacués de force début 1995. Il se souvient de la peur… il a été arrêté, et incarcéré une demi-journée avant d’être relâché. Comme beaucoup d’autres, il va alors s’installer à Songzhuang, à l’est de Pékin.

 

Mysticisme en images

 

Pendant toute la période du Yuanminyuan, c’est-à-dire en gros la première moitié des années 1990, il écrit aussi beaucoup. Mais ses amis se moquent de lui, disant qu’ils n’y comprennent rien, que ça a l’air d’être écrit par un malade mental. Ces écrits, en fait, comme ses peintures, relèvent de la même attitude dans la vie : un profond mysticisme. En ce sens, il se sentait très proche d’Yves Klein et de Joseph Beuys.

 

En 1997, il revient à Shenyang à l’invitation d’un ami qui y avait une galerie : c’est sa première exposition personnelle. Mais, à partir de 1996, il est entré dans une nouvelle phase créative.

 

Vidéos, installations et retour à la peinture

 

Vidéos et art conceptuel

 

A l’époque, beaucoup d’artistes considéraient que la peinture était un genre obsolète, un genre mort (“绘画死亡”). Il était impossible d’exposer. Alors, avec deux amis, en 1998, il organise une exposition qu’ils appellent « Bigoterie » (《偏执》). C’est l’une des trois grandes expositions qui ont été organisées à l’époque à Pékin, avec celle de Leng Lin (冷林) intitulée « C’est moi » (《是我》) et une autre à l’ambassade d’Allemagne. Ses œuvres ont alors un côté dadaïste.

 

De 1998 date une œuvre symbolique : « Le chien des beaux-arts » (“美术狗”). C’est l’expression de sa colère, colère rentrée devant la place laissée à l’art dans la société telle qu’il la voit évoluer. Mais c’est une colère abstraite, une attitude philosophique qu’il va conserver.

 

En 1999, il crée une vidéo intitulée « Notes en fumant » (《吸烟手记》) qui lui a été inspirée par des sourds-muets qu’il a vus dans la rue discuter entre eux par le langage des signes. Sur l’écran est projetée l’image des deux hommes en train de parler ainsi, en langage des signes, on ne sait pas ce qu’ils se racontent. Puis l’écran se met à brûler… Cela donne une impression à la fois poétique et surréelle.

 

En 2001, la vidéo « Mice-Team Circulation » (《老鼠会轮回》), toujours dans un esprit frisant l’absurde, marque le début d’une période de maturation, qui est aussi une période de tension dans sa vie.

 

Hostile

 

En 2002-2004, Xu Ruotao travaille deux ans à l’agence Chine nouvelle (新华社). Ce qu’il aimait, dit-il a posteriori, ce sont les réunions, et les discussions sur les projets de rédaction. Il y trouve un immense plaisir, les trouve surréalistes et cela ne fait que nourrir un peu plus son sens de l’absurde. Mais il aime le travail, qui ne le cloître pas dans un bureau.

 

En 2004, à l’occasion de la grande exposition qui a lieu à l’espace 798, à Dashanzi, il va interviewer le peintre Wang Mai (王迈) qui lui conseille d’arrêter de travailler et de réfléchir sur ce qu’il veut faire. Il suit ses conseils, démissionne et commence une période d’intense activité qui se traduit par l’émergence de peintures d’un style personnel traduisant plus que jamais un regard critique sur le monde moderne, et cette colère qui ne l’a pas quitté.

 

 

« Chacun est un raté » 《每个人都是失败者》 2004

 

 

Ainsi, en 2006, « Yo, Earth » est caractéristique de ce nouveau style. Xu Ruotao a pris une photo sur internet (l’image d’un internaute), l’a transférée sur Photoshop, et a griffonné dessus des traits rapides qui semblent rageurs. Puis il a scanné le résultat sur une toile et a entrepris de peindre sur le tout.

 

Il réalise une série de « peintures numériques » sur la base de ce procédé qu’il reprend ensuite dans les années suivantes dans d’autres séries, Histoire, Noires, Rouges, etc… C’est à la fois très homogène au niveau du style, et très varié par la trame initiale qui transparaît sous la masse de traits qui tiennent du pseudo-graffiti et du gribouillage d’enfant.

 

Ces peintures font l’objet d’une grande exposition en 2011, sous le titre ambivalent de « Hostile » (《敌视》) : attitude d’un artiste – soulignée par le sous-titre (徐若涛的态度) – qui affirme son individualité face à un monde qu’il ressent comme une adversité.

 

C’est pendant cette même période qu’il conçoit son premier film, « Rumination » (《反刍》), achevé en 2009.

 

De la peinture au cinéma

 

Séquences animées

 

Xu Ruotao explore d’abord l’animation par ordinateur d’images séquentielles, dans la vidéo de 2008 « Beijing Changping Qiliqu Asylum » (《北京昌平七里渠收容所》). Il s’agit d’un abri qui a fait partie du réseau d’abris temporaires utilisés en Chine dès le début des années 1950 pour accueillir les personnes sans domicile (les liumang流氓), toujours suspects potentiels.

 

L’abri de Changping Qiliqu a été utilisé comme centre de détention dans les années 1990, en particulier, pour y incarcérer des artistes récalcitrants du Yuanmingyuan, dont Xu Ruotao. Avec ses images d’un aspect froid et sans âme, la vidéo a donc une tonalité subversive latente, et toujours la même vision d’un monde hostile.

 

Rumination

 

Premier film de Xu Ruotao, entre abstraction surréaliste et fiction narrative, « Rumination » a une forme qui tient de la même esthétique et une structure complexe qui incite à la réflexion, et d’abord pour comprendre. Evocation de la période de la Révolution culturelle, le film est radicalement différent de ceux qui traitent du sujet, en le faisant généralement du point de vue des victimes, dans un but le plus souvent cathartique.

 

 

Rumination

 

 

L’histoire concerne un professeur, un couple, un vagabond et un groupe de Gardes rouges, vus par les yeux d’un enfant, pendant la période de la Révolution culturelle. Mais, réalise-t-on au bout d’un certain temps, l’histoire non seulement n’est pas linéaire, mais elle est bâtie selon une double chronologie.

 

Structurés en séries de séquences (comme ses séries de tableaux), les événements procèdent par ordre chronologique inversé (de 1976 à 1966) : on voit le jeune narrateur rajeunir peu à peu. Mais Xu Ruotao brouille les pistes en indiquant pour chaque période non l’année des événements dont il est question, mais une autre année qui est son miroir dans le temps, en quelque sorte, avec pour pivot l’année 1971, la seule où coïncident les dates et les faits de la narration, et la seule qui soit illustrée par des images d’archives : c’est l’année du mystérieux accident d’avion qui a coûté la vie à Lin Biao (林彪), accusé de complot contre Mao.

 

Tout est fait pour masquer la chronologie et rendre difficile la perception du temps, ne serait-ce que la constance de paysages sous des ciels menaçants, d’usines abandonnées et de personnages non identifiés errant sans but apparent, en volant des poulets et battant les passants… Rien ne semble changer, le temps semble arrêté, dans un sens ou dans l’autre.

 

Selon Xu Ruotao, c’est la seule manière de représenter l’absurdité de la Révolution culturelle, qui défie les procédés narratifs usuels.

 

Esthétique de la ligne brisée

 

Après « Rumination », Xu Ruotao a réalisé une vidéo de 15 minutes intitulée « Building Archaeology » (《建筑考》). D’une structure également complexe, elle est éclatée entre trois espaces différents qui se répondent et mettent en perspective leurs histoires, sur un arrière-plan politique : un studio d’artiste, un hôpital abandonné où étaient traités des malades du Sida, et une cellule de prison. Il s’agit, suggère le titre, de réfléchir sur l’archéologie des lieux.

 

 

Building Archaeology

 

 

Mais aucune réflexion, chez Xu Ruotao, n’est linéaire , elle participe plutôt de la ligne brisée. C’est ce que montre brillamment sa vidéo suivante, de 2012, intitulée, justement, « Ligne brisée » (《折线》), qui apparaît comme un exercice de style. Coréalisée avec le photographe et chef opérateur Xue Li (薛利), « Ligne brisée » a aussi bénéficié du « soutien technique » de deux autres cinéastes : Cong Feng (丛峰) et Huang Xiang (黄香), ce dernier tout spécialement pour les vidéoclips de la rivière Chaobai (潮白河录像资料), comme l’indique le générique.

 

 

Ligne brisée

 

 

Yumen

 

C’est de l’archéologie des lieux, et de l’esprit qui les habite, dont il est également question dans « Yumen » (玉门), coréalisé en 2013 avec JP Sniadecki et Huang Xiang.

 

 

 Yumen

 

 

On a dit de « Yumen » qu’il était un « psycho-collage d’âmes errantes » [2] à la recherche de leurs âmes sœurs et de leur histoire collective perdue. Yumen est une ville abandonnée du nord du Gansu, qui fut en d’autres temps un site d’extraction pétrolière. Il n’y a plus de pétrole, plus de mineurs, et la ville est menacée par la progression du désert. Dans un paysage de fin du monde, les derniers habitants restés sur les lieux errent comme des zombies à la recherche de leur passé, ou d’un contact qui leur rende le sens d’une identité partagée.

 

On retrouve dans le film le sens des ruines du passé qui anime les vidéos antérieures de Xu Ruotao, une sorte d’archéologie de la nostalgie. Il n’y a pas ici de structure complexe, mais un jeu sur l’image ; le film est bâti sur la force de l’impact visuel.

 

 

Yumen Trailer

 

 


 

[1] Cette longue interview, réalisée fin mai 2007, est sur son blog : http://blog.artintern.net/article/8496

[2] Selon le commentaire du festival de Turin où le film a été présenté, en 2013.

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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