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« The Widowed Witch » : un premier film réussi, de Cai Chengjie

par Brigitte Duzan, 7 mars 2019

 

Ce premier film de Cai Chengjie (蔡成杰) a connu plusieurs avatars : un premier montage de 140 minutes présenté en juillet 2017 sous le titre « Shaman » (《小寡妇成仙记》) au festival FIRST de Xining où le film a obtenu les deux prix du meilleur réalisateur et du meilleur film de fiction ; et un autre montage, d’un peu moins de deux heures pour les besoins de l’exploitation en salle, sorti en Chine un an plus tard sous le titre « The Widowed Witch » (《北方一片苍茫》).

C’est cette version qui a été présentée à Paris au Festival du cinéma d’auteur chinois en mars 2019. Film très original, il donne envie de voir le premier montage de 140 minutes.
 
Une histoire de sorcière et de superstitions
 
Wang Erhao (王二好) est trois fois veuve, ce qui en Chine est une tare : elle porte carrément malheur à ses maris. Le dernier avait

 

The Widowed Witch (affiche pour la sortie en Chine)

une fabrique (illégale bien sûr) de feux d’artifice. Elle a explosé, tuant le mari et épargnant Erhao de justesse. Recueillie inconsciente par sa belle-famille, elle est une proie facile pour son beau-frère qui la viole allègrement. Sur quoi, elle plie bagage et part avec le petit frère muet de son défunt mari, en récupérant au passage une petite camionnette d’un malandrin qui avait emprunté de l’argent à son mari.

 

Affiche du premier montage, Shaman

 

Erhao commence alors un porte-à-porte dans la campagne glacée – on est en plein hiver dans le nord de la Chine – pour tenter de trouver quelqu’un parmi ses proches qui puisse l’aider. Le périple nous vaut quelques scènes pleines d’humour. Mais le ton tourne presque au surréalisme quand Erhao est « reconnue » comme ayant des pouvoirs surnaturels : elle guérit un ami de son ex-mari qui s’est bloqué le cou en lui assénant un magistrale claque ; elle survit au coup de feu d’une femme qui l’accuse d’avoir couché avec son mari – elle lui a elle-même donné l’arme, qui n’était pas chargée…
 
Le bouche-à-oreille fonctionnant à la vitesse d’un cheval au galop, tout le monde se dispute pour l’accueillir – en songeant aux avantages de l’héberger. Elle récupère le travestissement d’un shaman qui l’a précédée, et se prend au jeu en profitant des superstitions des villageois. Mais, peu à peu, ses « pouvoirs » l’entraînent dans des zones

dangereuses. Une histoire de mine d’or qui s’avère être du vulgaire métal doré lui coûte sa réputation. La vie est dure pour les shamans, aujourd’hui en Chine, surtout quand ce sont des veuves.

 
Un ton et un style originaux

 

L’histoire est déjà intéressante ; c’est une idée originale, inspirée au réalisateur (et scénariste du film) par son expérience personnelle et les souvenirs de son enfance dans un village du nord du Hebei, où il est revenu tourner. Le film a en outre une touche très personnelle, entre comédie loufoque et satire surréaliste : c’est la manière dont il est filmé qui fait tout son intérêt.
 
De la couleur au noir et blanc

 

Le film commence par une séquence dont on peine à saisir immédiatement le sens, mais qui annonce l’originalité de ce qui va suivre. Une femme parcourt une forêt enneigée en suivant un homme auquel elle raconte l’histoire de son petit frère mort par sa faute ; puis elle s’arrête devant un feu pour se réchauffer tandis que l’homme continue son chemin ; un shaman arrive alors en brandissant un tambourin, elle s’enfuit mais tombe évanouie…

 

Erhao devenue Shaman


C’est en fait une séquence onirique dont on saisit le sens ensuite, en apprenant l’explosion de la fabrique et la mort du mari de la bouche de la famille qui veille Erhao inconsciente. Les couleurs de la première séquence, celles du rêve, font place au noir et blanc, comme si la réalité était tellement terne qu’elle ne pouvait être représentée en couleur. Le film est comme conditionné par le froid et la neige qui forment le cadre du récit.
 
Satire surréaliste mais pleine de chaleur humaine

 

Miroirs brisés

 

« The Widowed Witch » est une sorte de road movie dans un périmètre restreint : un road movie presque par définition, mais non par essence, cependant, car le road movie a une finalité, ici il est fortuit et nécessaire, et sert juste de prétexte à Cai Chengjie pour dresser un tableau décapant de la réalité rurale, dans ce coin de terre qui semble oublié des dieux. Etant loin de tout, les gens ont conservé leurs coutumes et leurs mentalités d’un autre âge, comme si Mao n’était jamais passé par là pour éradiquer les vieilleries et les superstitions.


Vu les mentalités, tout devient irréel – ou surréel, et il devient normal de voir apparaître des fantômes au détour du chemin, quitte à en faire des alliés shamaniques. Cai Shengjie joue aussi subtilement des symboles, et des miroirs en particulier, comme réfractant une réalité morcelée. Les miroirs ont aussi une fonction magique dans le taoïsme, comme révélateurs des esprits invisibles autrement : ici ils sont brisés, comme la réalité, mais aussi comme les pouvoirs des shamans.

 

La satire, cependant, est aussi empreinte de chaleur humaine : Erhao utilise ses « pouvoirs » pour tenter de faire évoluer les mentalités, en particulier en ce qui concerne le traitement des vieillards et celui des petites filles. Cela nous vaut des séquences hilarantes dans un cas, touchantes dans l’autre, quand, revenue chercher deux petites filles martyrisées par leur père qui veut un fils, elle réalise que les deux enfants ont été vendues… trop de bouches à nourrir, dit le père.

 

Fin de partie

 
On a l’impression d’un socle de traditions inébranlables, gelées dans le froid hivernal sans qu’aucun printemps ne soit en vue. Malgré ses séquences humoristiques, Cai Chengjie ne semble pas particulièrement optimiste. La seule chose qui fait évoluer les mentalités, finalement, c’est la ville. Mais c’est aussi la mort des villages comme c’est la mort des shamans. Les deux paraissent indissociables.
 
Mention spéciale pour l’interprétation, la photo et la musique

 

Tableau de la campagne enneigée

 

Le film a été tourné en neuf jours, au moment de la fête du Nouvel An chinois. La plupart des acteurs sont non professionnels : presque plus personne ne vivant au village, ils sont venus sur le tournage pendant leurs vacances du Nouvel An et sont ensuite repartis en ville travailler, comme le réalisateur et son équipe.

 

L’actrice qui interprète le rôle d’Erhao – Tian Tian (田天) - est, elle, professionnelle. Elle est née en septembre 1990 à Jinan, dans le Shandong (山东济南), et elle est sortie en

2010 de l’Institut du cinéma de Pékin, avec un diplôme d’interprétation. C’est son premier grand rôle.

 

Outre la musique, de Jin Weihua (靳玮晔), la photographie, aussi, est originale, signée Jiao Feng (焦峰), également producteur du film. Elle est particulièrement travaillée, avec des plans de paysage composés comme des tableaux, mais aussi une manière spécifique de ne pas révéler le personnage principal d’un plan, avec une utilisation particulière de la vapeur ou de la fumée pour partiellement cacher un visage et lui conférer une dimension spectrale ou mystérieuse.
 
L’atmosphère et le style du film rappellent par certains côtés « The Coffin in the Mountain » (《心迷宫》) de Xin Yukun (忻钰坤) présenté au festival FIRST de Xining en juillet 2014. Xin Yukun avait alors résumé ainsi son propos :

        “荒诞就像是现实的呻吟,告诉你痛在哪里”
         L’absurdité semble être le gémissement de la

         réalité. Je vais te dire où ça fait mal.

 

Jiao Feng


Cai Chengjie pourrait tenir le même discours. Il a annoncé qu’il allait continuer à sonder la réalité et ses gémissements.

 

Trailer

 

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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