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« Fish Park » : vivre dans les ruines urbaines comme un poisson dans son aquarium

par Brigitte Duzan, 28 janvier 2020

 

Premier long métrage du réalisateur Chai Xiaoyu (柴小雨), « Fish Park » (鱼乐园) est sorti en première mondiale au festival FIRST de Xining en juillet 2018. Y étant été remarqué, il a ensuite été sélectionné pour la 3ème édition du Festival de cinéma chinois d’auteur, à Paris, en janvier-février 2020.

 

Cinéaste chinois atypique, formé non sur les bancs de l’Institut du cinéma de Pékin mais sur le tas, au hasard de tournages divers, documentaires et publicitaires, Chai Xiaoyu fait partie d’une génération sans numéro ni étiquette, qui filme sans budget en bousculant les formes et les règles, pour s’exprimer. Mais il ne fait pas des films pour une élite de happy few festivaliers ; il destine ses films au regard du public, quitte à devoir faire des compromis, car, s’il est le premier spectateur et critique de ce qu’il fait, il considère que son film ne se fait que sous le regard des spectateurs, idée qui était déjà celle de Bresson.

 

Entre deux documentaires, il a écrit le scénario

 

Fish Park

d’un road movie, mais, faute d’un budget adéquat pour le tourner, il en a pris le tiers qu’il a développé et réalisé avec une équipe d’amis et de proches. « Fish Park » a donc la fraîcheur de l’instantané, une certaine qualité documentaire et autobiographique, mais plus de profondeur qu’il n’y paraît.

 

Un road movie réduit à une errance dans les gravats de Pékin

 

Chai Xiaoyu présentant son film à Hangzhou

 

Zhang Xiaoyu (章小鱼), avec le yu de poisson et non le yu de pluie comme dans le prénom du réalisateur (小雨), est un jeune qui partage son temps entre de longues déambulations arrosées au soda à l’orange dans le hutong en voie de démolition où il habite et les soins prodigués à ses poissons, la seule chose qu’il possède et à laquelle il tient.

 

Il n’a pas connu ses parents et a été élevé par un grand-père, et un oncle qui s’occupe des chantiers de démolition du quartier et lui assure un petit boulot. Un ancien camarade de classe vient rompre sa solitude en s’installant quelques jours chez lui en compagnie de Yanyan, l’amie avec laquelle il vit et qui veut reprendre des leçons de violon. Le copain en profite pour renouer avec une ancienne amie, et Yanyan se rapproche de Xiaoyu. Mais il reste distant, le mariage ne l’intéresse pas. Il lui suffit de coucher avec les

 

Les poissons d’abord

amies de son oncle qui se succèdent régulièrement.  

 

Il est en fait très attiré par une jeune originale qui tient une petite boutique dans le hutong démoli et refuse les propositions de relogement. Elle est la seule à rester dans le quartier et a l’air de s’en réjouir. Finalement, c’est l’oncle qui l’emportera…. Xiaoyu reste avec ses poissons et ses déambulations, mais sans plus de boutique où acheter ses sodas à l’orange.

 

Trailer

 

L’absurdité de l’existence dans une ville en démolition

 

Une ville de miroirs brisés

 

Chai Xiaoyu a su rendre l’atmosphère désenchantée de l’existence d’une certaine catégorie de jeunes à Pékin. Ce sont des jeunes sans carrière ni guère d’avenir, qui rappellent ceux des histoires de Wang Shuo (王朔) [1], trente ans auparavant. C’est un film où beaucoup de jeunes de Pékin se reconnaissent, un film populaire auprès d’eux, comme l’a souligné Diao Yinan (刁亦男) qui était président du jury du festival de Xining qui a décerné à « Fish Park » le prix du meilleur premier film.

 

On est loin de l’état d’esprit des jeunes branchés shootés aux dernières technologies et accros aux modes venues du Japon et de Corée qui peuplent les salles de cinéma en 3D de la capitale [2]. Xiaoyu est de ces jeunes qui ont grandi loin de leurs parents, ou sans parents, élevés par leurs grands-parents, et même dans son cas par un oncle. Il lui en reste un manque d’affection, une incapacité à aimer, à s’attacher à quelqu’un. Il est essentiellement passif. Sa solitude lui convient, comme une sorte de sécurité, il n’a pas le désir de se battre pour quoi que ce soit.

 

Ce qui prime, c’est l’absurdité de la ville autour de lui, ce hutong familier réduit à quelques murs de maisons abandonnées sur les chantiers de démolition de son oncle. C’est en fait la démolition qui est le thème principal, c’est elle qui détermine le vide affectif qui entoure les personnages, qui entraîne un manque de sécurité. Dans ce no man’s land ne subsiste que des miroirs vides, comme les mémoires privées de souvenirs, les souvenirs qui, justement, étaient liés à ces murs démolis. Tout sentiment semble

 

Xiaoyu et son oncle

avoir disparu aussi, comme le montre le visage lisse de Yanyan, qui se verrait bien épouser Xiaoyu : à défaut d’amour elle aurait au moins un hukou pour pouvoir rester à Pékin…  

 

La boutique « clou » (la seule qui reste)

 

« Fish Park » montre les dégâts causés par une urbanisation rapide qui coupe les jeunes de leurs racines et de toute attache sentimentale, les laissant dans un état de vide affectif et un environnement absurde.  C’est l’expérience vécue par le réalisateur qui finit par perdre tout souvenir de la ville telle qu’elle était dans son enfance, et par se sentir étranger dans la ville, parce qu’il ne reconnaît rien. Et là, Pékin sert de symbole ; la situation est la même partout, avec le même sentiment d’instabilité fondamentale.

 

Mais le film n’est pas triste pour autant : l’oncle suffit à lui seul à apporter une dose d’humour décalé qui fait office de chaleur humaine. « Fish Park » est déconcertant, mais on en sort un sourire au coin des lèvres…

 

Un petit budget pour un film entre amis

 

Le film a été fait avec des bouts de ficelle, ce qui semble être plus ou moins la marque des meilleurs premiers films qui sont sortis récemment en Chine. Chai Xiaoyu a tourné « Fish Park » avec une équipe d’une dizaine d’amis qui ne lui ont demandé aucune rétribution, des amis qu’il a conservés des dix années qu’il a passées à travailler dans le cinéma. Il a commencé le film avec 200 000 yuans que lui a donnés un ami et a continué avec son propre argent.

 

Et dans les ruines, un chat

 

Il a mis un an à écrire le scénario, en ajoutant au premier tiers du road movie initial les détails concernant les liens familiaux et autres personnages. Le tournage a été réalisé très vite, en un mois et demi. Mais il a fallu refaire certaines séquences, donc finalement, en ajoutant une année de préparation et de postproduction, la réalisation a duré trois ans au total.

 

Bien reçu dans les festivals où il a été présenté, « Fish Park » reste un premier film encore imparfait, un peu en demi-teinte, pas assez fort, selon Chai Xiaoyu lui-même : il va faire mieux pour le prochain.

 


 

[1] Wang Shuo, l’auteur des histoires de hooligans des années 1980, voir :

http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Wang_Shuo.htm

[2] Voir l’article de Sheng Yun paru dans la London Review of Books le 10 octobre 2019 : China’s Millenials (“millennials” étant définis comme les jeunes ayant grandi dans la Chine de l’après 1989, comme Xiaoyu qui a trente ans, mais dans une autre sphère, quasiment) :
https://www.lrb.co.uk/the-paper/v41/n19/sheng-yun/china-s-millennials?fbclid=IwAR39cQ2V-

hEDrvI4j-y6AnFRHW0p5Vx2dMSp9Xc3es-1t58LJBHa8A8XCqg

 

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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