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« Ilo Ilo » : un premier film bien fait, bien interprété, mais sans grande surprise

par Brigitte Duzan, 3 septembre 2013 

 

Premier long métrage du jeune réalisateur singapourien Anthony Chen (陈哲艺), « Ilo Ilo » (《爸妈不在家》) arrive sur les écrans français nimbé de l’aura conférée par la Caméra d’or décernée à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, et du buzz médiatique savamment généré autour de sa sortie.

 

C’est en fait une lourde charge pour un premier film certes sympathique et bien fait, mais qui reste en deçà de l’attente ainsi suscitée.

 

Un film autobiographique

 

C’est au retour de ses études cinématographiques à la National Film and Television School à Londres qu’Anthony Chen a commencé à songer à son premier long métrage, après une série de courts métrages qui lui avaient permis de faire ses premiers pas de réalisateur. Ce sont alors des bribes de souvenirs d’enfance qui lui sont spontanément venus à l’esprit.

 

L’affiche de Cannes

 

Souvenirs d’enfance

 

Né à Singapour en 1984 dans une famille de la classe moyenne, il a donc grandi dans les années 1980 et 1990, période du formidable boom économique singapourien qui a fait de la Cité-Etat l’un des dragons asiatiques les plus prospères ; mais le pays a donc d’autant plus souffert de la crise économique qui a frappé l’Asie du Sud-Est en 1997-1998. C’est cette crise qui constitue le cadre du film, alors qu’Anthony Chen avait treize ou quatorze ans.

 

Anthony Chen recevant la Caméra d’or

à Cannes en mai 2013, avec Agnès Varda

 

Quant à l’argument central du scénario, il vient d’un souvenir très particulier : Anthony Chen a eu pendant huit ans une nounou philippine qui s’appelait Teresa, mais que tout le monde dans la famille appelait Auntie Terry. Quand il a eu douze ans, elle est repartie aux Philippines, et la séparation a été très douloureuse. Il l’a longtemps pleurée, et c’est de ce sentiment de perte affective qu’il est parti pour construire son film.

 

« Ilo Ilo » est en fait l’histoire d’un premier amour, premier amour d’un enfant pour sa nounou (1).

 

Scénario bien construit

 

« Ilo Ilo » part donc de l’arrivée de la nounou et s’achève avec son départ. Entre les deux, le film raconte la lente évolution de ses rapports avec l’enfant, sur fond de tension familiale causée par la crise économique et aggravée par le comportement du rejeton, unique et indiscipliné.

 

L’une des inventions du scénario, par rapport au passé réel du réalisateur, est en effet le caractère turbulent et rebelle du gamin, dont les frasques entraînent régulièrement des problèmes à l’école. Ce comportement apporte un élément nécessaire de confrontation initiale avec la jeune femme qui débarque soudain dans son existence et dont la mission est justement de canaliser ses débordements, les parents travaillant toute la journée et ne pouvant le surveiller. C’est d’ailleurs le sens du titre chinois du film : papa et maman ne sont pas à la maison.

 

L’enfant (Jia Ler)

 

En l’absence des parents, Terry reprend peu à peu l’enfant en main, après une période difficile où celui-ci tente de s’en débarrasser par tous les moyens. Quand elle finit par l’amadouer, elle substitue en fait l’amour de l’enfant à celui de son propre bébé qu’elle a laissé aux Philippines à la charge de sa sœur, et l’enfant s’attache à elle en la substituant à sa propre mère, comme toutes les nounous de la terre.

 

La nounou et l’enfant 1

 

C’est un lien d’affection profonde qui se tisse ainsi peu à peu entre les deux personnages, tandis que la crise économique qui sévit par ailleurs est évoquée à travers les répercussions qu’elle entraîne dans la vie des parents. Leur situation financière est in fine fragilisée non seulement par le licenciement du père mais aussi par sa désastreuse tentative de s’en sortir en jouant en Bourse.

 

La famille n’a plus les moyens de payer la nounou. Le film est ainsi logiquement

amené à sa conclusion : le déchirement de la séparation, pour l’enfant surtout.

 

Un film d’un grand réalisme

 

Anthony Chen a porté une extrême attention à la reconstitution de l’atmosphère de l’époque à Singapour, jusque dans les moindres détails (2). Le film dégage donc un sentiment de vrai, d’authenticité, et cette impression dominante est renforcée par le choix et le jeu des acteurs.

 

Reconstitution des années 1990 à Singapour

 

Le réalisateur est connu pour son souci du détail juste. Il a mis trois ans à préparer « Ilo Ilo ». Le seul choix de l’appartement où se déroule la quasi-totalité du film a pris énormément de temps et d’énergie, mobilisant une petite équipe de jeunes de la même école que lui. Car, s’il ne s’est guère écoulé qu’une quinzaine d’années depuis l’époque du film, ce sont quinze années de croissance accélérée, et de changement tout aussi accéléré de la ville et des conditions de vie locales.

 

La nounou et l’enfant 2

 

Ses jeunes assistants sont allés visiter quelque cinq cents appartements dans tout Singapour avant de trouver ce qui correspondait le mieux aux critères du réalisateur, basés sur ses souvenirs d’enfance : un appartement de cinq pièces, à un second ou troisième étage, avec des carrelages unis et incolores au sol ; il fallait aussi des grilles très particulières sur les portes – leur image est récurrente dans le film, elles sont pratiquement un élément de datation à elles seules.

 

Terry téléphonant chez elle

 

Tous les éléments de décoration sont étudiés, le mobilier, la cuisine, les téléphones, les vêtements, les coupes de cheveux… La voiture familiale, aussi, est une sorte de fossile ambulant ; d’ailleurs elle finit à la casse dans le film.

 

Particulièrement réussie, aussi, est la reconstitution des rapports sociaux et des fêtes familiales, dans la population d’origine chinoise dont la langue est un savoureux mélange de chinois (très spécial) et d’anglais, ce singlish qui a encore évolué

depuis lors. On sent les coutumes chinoises préservées un peu comme la vieille voiture…

 

Excellente interprétation

 

Le choix des acteurs était évidemment crucial pour donner au film la justesse de ton recherchée. Là aussi la recherche a été longue. Si les personnages des parents sont interprétés par des acteurs connus à Singapour - l’actrice d’origine malaise Yeo Yann Yann dans le rôle de la mère et le vétéran de la télévision Chen Tianwen dans celui du père, il n’en est pas de même pour les deux personnages principaux.

 

L’actrice philippine Angeli Bayani a été choisie après un long processus d’audition, mais c’est surtout le choix de l’enfant qui a demandé beaucoup de temps. Anthony Chen et son équipe ont visité 20 écoles, et, sur quelque huit mille écoliers, en ont sélectionné deux mille, dont cent cinquante ont été gardés après audition. Ces select few ont encore suivi cent heures d’ateliers avant que le réalisateur fasse enfin son choix : Jia Ler, douze ans.

 

Les quatre acteurs ont ensuite travaillé ensemble pendant quelque temps avant de

 

Dîner familial, l’enfant absorbé par son

 tamagotchi, le père par ses soucis

créer un ersatz de liens familiaux et une familiarité avec l’appartement. Le résultat donne donc un sentiment d’extrême justesse. Même la séance de coups de cannes infligée à l’enfant à l’école est vraie, nous dit-on (sans qu’on soit cependant persuadé que c’était vraiment nécessaire). Et même la grossesse de la mère est vraie, le scénario ayant été révisé pour intégrer celle de l’actrice.

 

C’est cependant surtout la symbiose entre la nounou et l’enfant qui est parfaitement rendue, et très réaliste dans les mille détails de la vie quotidienne.

 

Un film trop lisse

 

Malgré toutes ses qualités, le film reste un bel objet un peu trop lisse, c’est-à-dire sans surprise.  Les premières séquences du film plantent bien le décor et l’ambiance, et le film suit ensuite presque sans à-coups sa progression annoncée et prévisible vers sa conclusion finale.

 

Le réalisateur avec les acteurs d’Ilo Ilo à Cannes

(de g. à d. Yeo Yann Yann, Koh Jia Ler et Chen Tianwen)

 

Il faut rendre grâce à Anthony Chen de ne pas avoir forcé sur les éléments dramatiques de son scénario, et en particulier la progressive ruine du père, de licenciement en petits boulots et perte en Bourse. La crise économique est une menace qui frappe tout le monde et terrorise les gens partout. Mais elle reste menace latente.

 

De même, les difficultés familiales personnelles de la nounou ne sont traitées qu’en arrière-plan, évoquées au travers de quelques indices échappés de deux conversations téléphoniques, dans le bruit

de la rue, car il n’est pas question de téléphoner aux Philippines sur le téléphone familial.

 

Et si la famille doit renvoyer la nounou chez elle, c’est, logiquement, parce qu’elle ne peut plus la payer. Il n’entre aucun sentiment dans la décision. Seul l’enfant en souffre. Les autres ont une situation déjà bien assez difficile à gérer.

 

Au total, cependant, la somme des détails perfectionnistes à l’excès, des évocations larvées et des situations modérément tendues finissent par enlever toute aspérité au film. On sent que le réalisateur nous entraîne dans une voie balisée qui tend forcément vers la larme finale, sans surprise, comme dans un bon mélo chinois.

 

Ce qui surprend beaucoup plus, c’est l’accueil dithyrambique qui a été réservé au film à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, relayé par une campagne publicitaire très active… de quoi susciter des attentes excessives dont le film ne peut que souffrir.

 

Bande annonce

 

 

Note 

(1) Ilo Ilo est le nom d’une province de l’île de Panay, aux Philippines. La nounou d’Anthony Chen en était originaire. Une campagne a été menée par la presse et la télévision singapouriennes pour la retrouver. Cela a pris quinze jours. Elle est devenue une célébrité, avec les interprètes du film.

(2) Le film a cependant été tourné avec un budget très raisonnable : 500 000 dollars, dont 200 000 apportés par l’alma mater singapourienne du réalisateur, l’école de cinéma de la Ngee Ann Polytechnic.

 


 

DVD
Un DVD produit par Epicentre Films est sorti en avril 2014. Outre le film, il contient le making of (22’), une bio-filmographie du réalisateur, une galerie de photos, des entretiens croisés entre le réalisateur et son directeur de la photo, Benoït Soler (15’) et, en bonus, un de ses courts métrages, « Ah Ma » (2007, 15’).
 

 

 

 

 

 
 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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