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« Uniforme » de Diao Yinan

par Brigitte Duzan, 12 septembre 2011

 

« Uniforme » (《制服》) est le premier film réalisé par Diao Yinan (刁亦男).

 

Filmé en septembre 2002 dans une petite ville de la province natale du réalisateur, le Shaanxi, en numérique, avec un budget minimal, il a obtenu à sa sortie, l’année suivante, le prix Tigre et Dragon au festival international de Vancouver, puis, en 2004, la mention spéciale du prix Netpac au festival international de Rotterdam.

 

Jia Zhangke (贾樟柯) et Yu Lik-wai (余力为) ont été conseillers artistiques de Diao Yinan pour ce film. Yu Lik-wai (余力为) est le collaborateur de longue date de Jia Zhangke dont il a été le chef opérateur de « Xiao Wu » (《小武》) jusqu’à « 24 City » (《二十四城》), mais est aussi lui-même réalisateur. Ensemble, ainsi qu’avec le monteur Chow Keung, ils ont créé en 2003, justement, la société de production

 

Affiche du film « Uniforme » (《制服》)

XStream. Chow Keung lui aussi a participé au film, tout comme un autre ami du groupe, le producteur Li Kit Ming.

 

Diao Yinan a ainsi été l’un des premiers jeunes réalisateurs chinois promus par Jia Zhanke et son équipe ; c’est un gage de qualité, et le résultat est effectivement un premier film original et personnel. Le scénario d’abord, mais c’était la spécialité de Diao Yinan jusque là.

 

Un scénario original, inspiré de faits réels

 

Comme dans les meilleurs films de suspense, il suffit d’une faille dans le quotidien pour que les choses prennent un tour inattendu, voire inquiétant. Le personnage principal s’engouffre dans la faille imaginée par Diao Yinan, jusqu’à s’y trouver pris au piège, comme dans une souricière.

 

Le personnage en question est un jeune garçon d’une vingtaine d’années, Wang Xiaojian (王小建), qui travaille dans la boutique de tailleur familiale. Son père est un ouvrier d’usine dont le salaire contribuait en grande partie à faire vivre la famille ; malade, maintenant, non seulement il n’apporte plus de paie, mais il représente une charge. De plus, les usines d’Etat de la ville sont affectées par des grèves répétées des ouvriers qui souffrent des réformes économiques. Xiaojian a été limogé et, quand il tente de se faire embaucher dans une autre usine, il est  attaqué par des hooligans.

 

Xiaojian en policier

 

Sans l’espoir de pouvoir faire des études, la voie de l’usine bouchée, il ne voit guère où pourrait être son avenir. Même la jolie vendeuse de DVD (piratés), Shasha (莎莎), ne lui prête aucune attention car il n’a pas d’argent, pas de statut social. Il n’existe pas à ses yeux.

 

Dans cet univers sombre et sans issue arrive soudain l’inattendu. Comme un policier n’est pas venu récupérer l’uniforme qu’il avait laissé à la boutique,

Wang Xiaojian est chargé de le lui rapporter. Il apprend alors que ce policier a eu un accident : blessé, il est en arrêt maladie. Sur le chemin du retour, Xiaojian est surpris par une forte averse ; réfugié dans un tunnel d’accès au métro, il enlève sa chemise mouillée et enfile l’uniforme. Il se sent un autre homme, et, à partir de ce moment-là, tel l’âne vêtu de la peau du lion, il use et abuse de l’autorité que lui confère l’uniforme.

 

Il commence par rançonner les malheureux conducteurs de bus et automobilistes, et il y gagne non seulement de l’argent, mais en plus une sorte d’ivresse du pouvoir. Gagnant en assurance, il se donne comme objectif de gagner l’argent nécessaire pour faire soigner son père, et pour gagner les faveurs de la petite vendeuse de vidéos. Ils commencent à sortir ensemble le soir, et Xiaojian découvre qu’il n’est pas le seul à mener une double vie : pour

 

L’argent (mal) gagné

tenter de se faire une place au soleil, elle fait partie d’un réseau de prostitution de luxe.

 

Finalement, alors qu’il est sur le point d’avoir l’argent qu’il lui faut pour payer l’hospitalisation de son père, et s’apprête à arrêter son jeu dangereux, il est dénoncé par un automobiliste, et à deux doigts de se faire prendre. Il s’échappe in extremis, mais la fin est ouverte : il s’est enfui en laissant Shasha l’attendre…

 

Diao Yinan a raconté que ce scénario lui a été inspiré d’un fait réel : une histoire arrivée à l’un de ces amis, un personnage plutôt timide, silencieux et renfermé, qui a brusquement été animé par cette histoire, une histoire peut-être pas très morale, mais qui a eu pour effet de lui donner le sentiment d’exister, et d’exister aux yeux des autres.

 

Un premier film qui augure bien de la suite

 

Diao Yinan a préparé le film pendant deux bonnes années, cherchant de tous côtés l’argent nécessaire pour le financer. Mais il est toujours difficile de trouver quelqu’un pour s’engager sur une première œuvre. Finalement il a tourné avec des bouts de ficelle, quelques fonds avancés par des amis, et le tournage lui-même n’a duré qu’un mois.

 

Xiaojian tentant d’amadouer Shasha

 

Il est certain que le film, tourné rapidement, en numérique, se ressent des contraintes financières auxquelles Diao Yinan a dû faire face. Il ne peut guère élaborer les différentes pistes qu’il suggère. Le rôle de la petite amie, en particulier, est peu développé, et le personnage n’a guère de consistance, même s’il offre quelques détails ironiques.

 

Diao Yinan filme avec économie, dans un style très simple, avec de longs plans et

une caméra fixe. Mais il arrive cependant à capter la vie quotidienne de façon très vivante, peut-être parce que, justement, la caméra numérique le met au plus près de cette réalité. La dérive progressive de son personnage est très bien rendue, et l’on se sent gagner par l’inquiétude suscitée par l’espèce de frénésie qui gagne le jeune Xiaojian : on se dit que cela ne peut que mal se terminer.

 

Il faut être reconnaissant à Diao Yinan de ne pas avoir conclu de la sorte et d’avoir laisser planer l’ambiguïté, même si le film s’achève de manière un peu abrupte, sans beaucoup de profondeur, donnant juste l’impression que, de toute façon, la vie continue…

 

Le message du film, cependant, fait son chemin, il est dans ce double jeu permanent auquel se livrent les deux protagonistes, dans ces rôles de substitution qu’ils endossent pour se donner l’impression d’exister, et donner aux autres l’impression qu’ils existent. Diao Yinan dépeint une société où les attributs du pouvoir sont la condition de l’accès à un autre niveau d’existence, ou tout simplement condition de l’existence sociale tout court, où l’argent, finalement, n’en est qu’un aspect.

 

Xiaojian et Shasha

 

Mais le pouvoir étant fondé sur les apparences, tout le monde joue un rôle, dans la mesure de ses possibilités. Le plus grave, le plus inquiétant, c’est que cette société oblige l’individu à vivre pour autrui, ou plutôt aux yeux d’autrui, et non pour lui-même. Il n’y a pas de valorisation personnelle. Et la face que donne l’uniforme n’est qu’une façade.

 

Le film reflète lui-même par une double esthétique la double face de ses personnages, un style réaliste pour la peinture de la vie au quotidien, et un style plus épuré pour la partie fictionnelle, en particulier, pour les scènes intimes entre Xiaojian et Shasha, dans des teintes vertes qui rappellent la griffe

Yu Lik-wai. C’est peut-être cela qui est le moins bien maîtrisé, et qui le sera parfaitement dans le film suivant, « Train de nuit »


 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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