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« The Winter » : la douceur au milieu des frimas, un chef-d’œuvre paisible de Li Han-hsiang

par Brigitte Duzan, 19 janvier 2016

 

« The Winter » (《冬暖》) est un wenyipian (文艺片) réalisé par Li Han-hsiang (李翰祥) à Taiwan en 1969. Produit par sa compagnie, la Guolian (国联影业有限公司), il est à replacer dans la vogue des films de « healthy realism » à Taiwan, qui commence avec « The Oyster Girl » de Li Hsing (李行) en 1964.

 

Adapté d’une nouvelle de la romancière taïwanaise Luo Lan (罗兰), c’est un film étonnant dans la filmographie de Li Han-hsiang, qui montre son infatigable versatilité, et le talent consommé avec lequel il savait se mouler dans quelque genre cinématographique que ce soit pour en tirer un chef d’œuvre.

 

Un wenyipian d’un « réalisme sain »

 

Un wenyipian…

 

Le wenyipian est un genre qui, comme le terme l’indique, met l’accent sur « les lettres et les arts » (文艺), c’est-à-dire la valeur littéraire et la qualité artistique pour définir un film.

 

The Winter

 

Le wenyipian est souvent assimilé au mélodrame ; il en a les principales caractéristiques pour ce qui concerne les grandes lignes du scénario, essentiellement fondées sur des histoires d’amour et de relations familiales, avec la morale qui leur est liée. Mais l’essence du wenyipian, comme du mélodrame, tient dans la peinture des sentiments et des émotions, avec une forte tendance au lyrisme.

 

Le mélodrame, cependant, a une connotation populaire, impliquant une tendance au sentimentalisme facile propre à émouvoir les foules, que n’a pas le wenyipian, plus recherché, de par ses sources littéraires et sa réalisation. Le terme de wenyipian est en outre souvent préféré à mélodrame pour être typiquement chinois. En ce sens, il peut être considéré comme un sous-genre du mélodrame, avec une origine dans le wenmingxi (ou « drame civilisé » 文明戏) et des liens avec la littérature populaire des « canards mandarins et papillons » (鴛鴦蝴蝶派) [1].

 

Le terme s’impose particulièrement dans le cas du film de Li Han-hsiang : il replonge en effet d’une part dans les sources mêmes du genre, le cinéma des années 1920 et 1930 à Shanghai, et, d’autre part, est adapté d’une nouvelle taïwanaise qui a elle-même les caractéristiques d’un roman populaire chinois.

 

… adapté d’une nouvelle taïwanaise…

 

Luo Lan

 

L’auteur, Luo Lan (罗兰), est née en 1919 dans le Hebei et décédée à Taipei le 29 août 2015.  Elle a émigré à Taiwan en 1948, a commencé à écrire en 1953, mais n’a publié qu’à partir de 1963, à l’âge de 44 ans.

 

Elle a d’abord publié des essais, puis des nouvelles, dont l’une a été primée en 1994. Sa notoriété tient d’abord à sa fonction de présentatrice à la radio pendant trente ans, d’où découle le style de ses essais, dont les plus célèbres ont été édités en cinq volumes, de juillet 1963 à novembre 1987, sous le titre « Luo Lan Xiao Yu » ou « Les bavardages de Luo Lan » (《罗兰小语》).

 

Elle a par ailleurs publié cinq recueils de nouvelles, quatre de février 1965 à mars 1973, plus un recueil global en 1998 sous

le titre « Les nouvelles courtes de Luo Lan » (《罗兰短篇小说集》)

 

Li Han-hsiang a expliqué qu’il avait été attiré par la simplicité de l’histoire de « L’hiver » (《冬暖》), dont il a conservé le titre, comme les grandes lignes de la narration. Histoire simple, mais touchante, mettant l’accent sur les joies profondes de l’existence, trouvées dans la chaleur d’une vie partagée, la chaleur humaine qui est la référence du titre : la chaleur (au sein) de l’hiver.

 

Le récit était aussi parfaitement adapté au genre du « réalisme sain » développé à Taiwan au milieu des années 1960 dans le cadre duquel le film est à replacer, tout autant que dans celui des mélodrames du cinéma de Shanghai des années 1930.

 

dans le style du « réalisme sain »

 

Ce « réalisme sain » est un genre promu vers 1963 par le directeur de la Central Motion Picture Corporation  (CMPC) qui était alors la principale compagnie cinématographique à Taiwan, et organe gouvernemental chargé d’illustrer les grands axes politiques. 

 

Il s’agissait de dresser des tableaux de la société taïwanaise dans un esprit réaliste, en mettant l’accent sur ses côtés chaleureux, sans forcer la peinture des aspects les plus noirs ou sordides, d’où le terme de « sain » (健康写实主义).

 

C’est Li Hsing (李行) qui a réalisé les deux premiers films du genre, produits par la CMPC : « The Oyster Girl » (《蚵女》) et « The Beautiful Duckling » (《养鸭人家》), sortis tous deux en 1964 à quelques mois d’intervalle. Les deux films ont rencontré un grand succès, ouvrant le marché du sud-est asiatique aux films en mandarin faits à Taiwan.

 

Les caractéristiques essentielles de ces films sont définies selon des critères qui soulignent les contradictions impliquées par le terme :

1) Pour renforcer l’aspect réaliste, ils sont tournés en partie sur le lieu de l’action, en partie en studio ;

2) Mais ils ont pour sujet des relations idéalisées, plutôt que des situations authentiques, et leur peinture de la vie des gens du peuple s’éloigne souvent de la réalité ;

3) En particulier, comme les mélodrames classiques, la plupart de ces films ont des fins heureuses, en contradiction avec le sort commun, dans la vie réelle, des personnages dépeints. 

 

Li Hsing a réalisé un troisième film du même genre en 1967, « The Road » (《路》), mais qui a, lui, été un échec. Li Han-hsiang a repris le flambeau, à un moment où le genre était passé de mode. Mais, tout en se pliant aux contraintes énoncées, il a réussi à faire de son film ce que beaucoup de critiques considèrent comme son chef-d’œuvre.

 

Un film d’une apparente simplicité

 

Cadre narratif emprunté à la nouvelle

 

Célibataire d’une grande gentillesse, le « vieux Wu » (老吴) travaille dur toute la journée dans son petit restaurant de mantou (馒头) qui est son gagne-pain quotidien. Sans vouloir se l’avouer, et encore moins le lui avouer, il est timidement amoureux de sa jeune voisine Ah Jin (阿金), qui le défend contre tous ceux qui le malmènent.

 

Mais elle est rappelée chez elle pour se marier, dans le cadred’un mariage arrangé par sa famille. Wu est désespéré. Mais le sort

 

Wu et Ah Jin

s’acharne encore sur lui, son petit commerce étant fermé par les autorités qui démolissent le pâté de  

 

Les voisins

 

maisons. Devenu vendeur ambulant, il peine à joindre les deux bouts, jusqu’à ce qu’il tombe un jour par hasard sur Jin, veuve depuis peu et mère d’un petit garçon. 

 

Pour pouvoir aller travailler, elle lui confie le bébé. Une nuit d’hiver, le vieux célibataire finit par lui déclarer ses sentiments, et le film s’achève sur une note apaisée et chaleureuse.

 

 

Effort particulier pour renforcer le réalisme

 

Li Han-hsiang s’est tout particulièrement attaché à renforcer le réalisme du film parsa mise en scène et ses décors, tout étant étudié pour accentuer la simplicité du récit. Les scènes de rue, d’abord, plongent le spectateur dans la vie d’un quartier populaire, animé et bruyant.

 

Quant aux décors, les intérieurs en bois sont d’un grand naturel ; dans leur apparence authentique, ils sont un élément supplémentaire qui concourt à la chaleur des relations entre les deux personnages, telles que le suggère la mise en scène. Le critique Darrell Davies a parlé de « monumentale stylisation de la vie quotidienne » [2].

 

Tous les éléments du film sont étudiés dans les moindres détails, le choix des acteurs, bien sûr, mais aussi la photo et la musique.

 

Réunis

 

Les acteurs

 

Wu et l’enfant

 

Le film est remarquable par la symbiose entre les deux principaux interprètes, peu connus à l’époque, et par leur parfaite adaptation à leur rôle. L’acteur Tien Ye (田野) qui joue le rôle du « vieux Wu » a le profil du personnage : effacé et sans prétention ni ambition, mais foncièrement bon.

 

Quant à l’actrice Kuei Ya-lei (归亚蕾) dans le rôle de Ah Jin, elle venait de commencer sa carrière. Née en 1941 à Changsha, dans le Hunan, et arrivée avec sa famille à Taiwan en 1949, elle est sortie en 1964 de l’Université nationale des Arts de Taiwan (section théâtre). Elle a alors été sélectionnée pour interpréter le rôle principal dans le film de Wang Yin (王引) adapté du roman de Chiung Yao (琼瑶) : « Misty Rain » (《烟雨蒙蒙》), sorti en 1965.

 

 

Ce rôle lui a valu le prix de la meilleure actrice au 4ème festival du Golden Horse en 1966. Elle a alors été engagée par la Guolian pour tourner dans « The Winter ». Son rôle de Ah Jin est donc son second grand rôle au cinéma. Par la suite, à partir de 1970, elle devient actrice indépendante. Elle est célèbre en particulier pour ses rôles dans les films de Ang Lee (李安) : « The Wedding Banquet » ou « Garçon d’honneur » (《喜宴》) en 1993 et « Eat Drink Man Woman » ou « Salé Sucré » (《饮食男女》) en 1994.

 

Le petit étal de Lao Wu

 

Elle est revenue récemment sur le devant de la scène, par exemple en 2015 dans la comédie « Twenty Once Again » (重返20) de Leste Chen (陈正道) où elle interprète la veuve et grand-mère Shen Mengjun (沈梦君).

 

La musique

 

Réalisme des décors

 

La musique est signée Chi Hsiang-tang (綦湘棠), compositeur né en 1911 qui a commencé à écrire de la musique de film pour le film musical de 1956 de Yan Jun (严俊) « Golden Phoenix » (《金凤》) [3]. Il a ensuite continué à écrire pour les productions de la Motion Pictures & General Investment (MP&GI).

 

C’est lui qui a écrit la musique des films de Li Han-hsiang « Rear Door » (《后门》) et « Enchanting Shadow » (《倩女幽魂》), produitsen 1960 par la Shaw Brothers.

 

C’est lui et Yao Min (姚敏) qui ont établi le style de musique et de chansons de la plupart des films en mandarin des années 1950-1960, réalisés selon le principe que chaque film doit avoir sa chanson.

 

Il a émigréen 1973 au Canada où il est décédé en 2007.

 

Une réussite artistique, mais un four financier

 

Fidèle à lui-même, Li Han-hsiang a insisté sur la qualité et l’intégrité artistiques dans la

 

La douceur de vivre (après l’hiver)

réalisation de « The Winter » et c’est ce qui en fait la réussite finale, même s’il a fallu du temps pour qu’elle soit reconnue comme telle.

 

L’actrice Kuei Ya-lei en 1965, au moment

du tournage de « Misty Rain »

 

Mais il a dépensé beaucoup d’argent pour l’obtenir. Cette exigence artistique entraîna un dépassement budgétaire et un retard dans la production, le tout contribuant finalement à augmenter encore son endettement et ses sérieux problèmes financiers, commencés en 1965 avec le coût exorbitant de la production de « Beauty of Beauties » (《西施》).

 

 

Le film (sous-titré chinois/anglais)

 

 


 


[2] Dans son ouvrage « Taiwan Film Directors : a Treasure Island », Columbia University Press 2005, p. 45.

[3] En collaboration, pour la musique particulièrement réussie, de ce film, avec Tian Ming’en (田鸣恩) et Yao Min (姚敏).



Présentation pour le CDCC à l’Institut Confucius de l’université Paris Diderot, 21 janvier 2016.

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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