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« Have a Nice Day », l’animation selon Liu Jian : infiniment réjouissant

par Brigitte Duzan, 10 juin 2018, actualisé 14 décembre 2018

 

Deuxième film de Liu Jian (刘健), « Have a Nice Day » (《好极了》) a été présenté en février 2017 à la 67ème Berlinale, et il a été le premier film d’animation à figurer dans la sélection de ce festival.

 

Le film était ensuite au programme du festival d’Annecy, mais les autorités chinoises ont alors fait pression sur les organisateurs pour qu’ils retirent le film de leur programme, celui-ci n’ayant pas reçu le visa de sortie désormais nécessaire pour qu’un film chinois puisse être projeté lors d’un festival à l’étranger ; les organisateurs ont résisté, jusqu’à ce que les producteurs eux-mêmes le leur demandent.

 

Le 30 mai, ils annonçaient sur le site web du festival qu’ils étaient très déçus des pressions officielles qui les avaient empêchés de présenter « ce film remarquable » et qu’ils espéraient que les spectateurs internationaux auraient bientôt la possibilité de le voir. Ce qui était en cause n’était évidemment pas l’humour décapant souligné par le festival de Berlin dans son synopsis [1], mais bien l’image plus que sombre de la société chinoise que reflète le film.

 

Depuis lors, « Have a Nice Day » a été présenté en octobre 2017 au festival de La Roche-sur-Yon où il a été couronné du Grand prix du jury. La plupart des grands critiques qui l’ont vu à Berlin s’en sont déclarés enthousiastes. Il sort le 20 juin en France, annoncé comme « le Pulp Fiction de l’animation chinoise », et c’est infiniment réjouissant, à plus d’un titre : parce que c’est du grand art, parce qu’on croyait bien ne jamais le voir sur nos écrans, et parce que c’est un superbe pied de nez aux ineptes blockbusters dont voudrait nous abreuver l’« industrie du cinéma chinois ».

 

Un polar pop, l’humour en plus

 

« Have a Nice Day » est un polar déjanté, avec des mafieux dans tous les coins, des gens qui rêvent d’un avenir radieux, mais qui ont besoin d’argent pour ça, et de l’argent, il y en a plein un sac qu’a fauché un jeune garçon nommé Xiao Zhang, mais qui ne va pas l’emporter au paradis parce qu’il a toute la ville sur le dos, mafieux et aspirants mafieux… y compris, bien sûr, le mafieux initial auquel il a fauché le sac.

 

Il avait de bonnes raisons, Xiao Zhang, pour faucher ce sac : sa petite amie a eu le visage amoché par un mafieux de la chirurgie esthétique, alors il veut l’emmener en Corée où les opérations sont moins risquées. Un rêve comme un autre, mais on a sans doute trop voulu les faire rêver, les personnages de Liu Jian semblent en avoir assez. Eveillés, ils se retrouvent impuissants face à la réalité, l’impasse de la réalité.

 

On dirait que la ville chinoise est un repaire de truands, une société de paumés où prime le désenchantement au réveil du grand rêve. On

 

Affiche de la 67ème Berlinale

 

Le Pulp Fiction de l’animation chinoise

 

Titre initial : Da Shijie 《大世界》

ne sait pas de quelle ville il s’agit, on nous dit que c’est une ville « du sud », pourquoi pas, les gangs et la mafia, c’est bien connu, en Chine, sont dans le sud. On croit quand même reconnaître un pont qui ressemble comme un petit frère à celui de Nankin. Et Nankin, c’est la ville de Liu Jian. Il est en filigrane derrière son histoire, son humour affleure à chaque page du scénario, à chaque séquence, dans les dialogues caustiques, les petits détails qui font tilt. On se prend à rire comme les personnages de Yue Minjun (岳敏君), qui rient de la folie du monde, jusque devant le peloton d’exécution : sourires nerveux, fous rires grinçants.   

 

Scène initiale

 

Liu Jian procède d’ailleurs comme lui : par détournement, de classiques et de clichés. Le rêve se matérialise dans des beaux billets tout rouges, qui deviennent malédiction. La ville est un décor de façades minables et de rues désertes hormis les quelques voitures des mafieux en goguette. On entend l’orage gronder pendant tout le film, et la menace se résout dans une pluie torrentielle à la

fin, pour laver le sang de la chaussée, dirait-on, comme sur une certaine place une nuit de juin…  

  

La séquence la plus formidable est un condensé psychédélique de style pop’art détournant les affiches de propagande de la période maoïste, et en particulier de la Révolution culturelle. La séquence vient à brûle-pourpoint pour illustrer le rêve d’un aspirant artiste et de sa copine – l’un cheveux longs bien sûr et l’autre cheveux courts teintés bleu, image de la modernité alternative.

 

Paysage urbain

   

La séquence de Shangri La

 

Délicieusement incongrue, la séquence brode sur le thème du rêve utopique de Shangri La, dans un style qui rappelle celui de Wang Guangyi (王广义), sacré « roi de la pop politique ». Avec Liu Jian, on est toujours en bonne compagnie. L’utopie est une immense rigolade entre copains.

 

 

On comprend que les autorités chinoises n’aient pas aimé. Ce qui leur manque le plus, c’est l’humour, justement.  

 

Un style unique

 

Liu Jian part du réel, et de superbes dessins au trait fin, qu’il anime ensuite de façon très simple, mais tout en soignant ce qui contribue à souligner l’image off screen, y compris les voix et la musique, les citations, aussi, telle celle du « Résurrection » de Tolstoï qui ouvre le film : « Le printemps était malgré tout le printemps, même dans cette ville ». Ce qui importe ici, bien sûr, c’est le « malgré tout » …

 

Film d’animation pénétré par le réel

 

Faire pur et simple, dit-il  

 

Hiératisme des personnages (1ère séquence)

 

 

La méthode d’animation de Liu Jian part d’un graphisme inspiré du quotidien : il utilise une banque de photographies et choisit soigneusement ses arrière-plans pour chaque séquence. « Have a Nice Day » est un film d’animation, sans cesse pénétré par le réel. « Le film raconte une histoire urbaine. Le paysage culturel des faubourgs et leurs habitants sont la principale source d’inspiration de mon travail, » a-t-il dit[2].

 

Liu Jian opère seul, en travaillant chaque plan image par image, et en réduisant les mouvements des personnages au minimum ; il va à l’essentiel, tant pour le dessin que pour la couleur. Mais ce style minimaliste donne aussi une certaine distance

vis-à-vis de l’image, et, en même temps, une force étonnante à celle-ci, quelque chose de hiératique. « Mon style est de faire pur et simple, » dit-il.

 

Le film est d’autant plus ancré dans le réel que la bande-son, implicitement, le recrée aussi ; le film n’est pas aussi simple que l’annonce Liu Jian. Si l’on est attentif, on entendra par exemple, à un moment, un extrait du discours de Donald Trump à la radio, le soir de sa victoire aux élections, venant en contrepoint d’une discussion pleine d’humour sur l’économie à l’heure de la globalisation, et Mark Zuckerberg…

 

L’art de Liu Jian est un art du portrait en mouvement, un concentré de poésie, de philosophie et d’émotion, sur fond d’humour, qui inclut les voix, inénarrables.

 

Les voix

(par ordre d’entrée en scène, pourrait-on dire)

 

Finesse du dessin

 

Yang Siming 杨思明          Oncle Liu 刘叔
Cao Kou
曹寇                  Yeux jaunes “黄眼”

Ma Xiaofeng 马晓峰          Skinny “瘦皮”
Zhu Changlong
朱昌龙       Xiao Zhang 小张
Cao Kai
 曹恺                    Lao Zhao 老赵
Zheng Yi
郑懿                    Deuxième sœur 二姐

 

Citons Cao Kou (曹寇), par exemple : il est de Nankin, lui aussi, écrivain à l’humour tout aussi atypique qui a prêté sa voix « par amitié » [3].

 

Deux autres voix sont celles des musiciens Zhu Hong (朱虹) et Wang Da (王达) qui interprètent la chanson du générique final, dont la musique est de Wang Da.

 

 

Du dessin à l’animation

 

 

La musique

 

La musique, comme la bande-son dans son ensemble, contribue à l’atmosphère. Elle est du groupe de musique électronique new-yorkais The Shanghai Restoration Project fondé en 2006 par Dave Liang, rejoint par Sun Yunfan en 2011. Initialement inspirée des groupes de jazz shanghaïens des années 1930 (d’où le nom), leur musique est un mix de jazz, hip-hop, folk et autres, mêlant instruments traditionnels et occidentaux, en collaboration avec divers artistes et chanteurs [4]

 

Thèmes musicaux

 

J’aime Shangi-la / Wo ai Xianggelila  / 我爱香格里拉
Paroles Liu Jian
刘健 / Musique Wang Da 王达

Chanson interprétée par Zhu Hong 朱虹 et Wang Da 王达

 

I Love Shangri La (extrait du film) http://v.yinyuetai.com/video/h5/3128194

 

Mes années ’80 / Wo de bashi niandai / 我的八十年代
Paroles et musique de Pang Kuan
庞宽
Interprétée par Zhang Qian
张茜
Chanson finale, avec le générique

 

LaboRATory 
Ecrit par Dave Liang
Interprété par The Shanghai Restoration Project

 

Dark Horse 

Ecrit par Dave Liang et Hooshere Bezdikian

Interprété par The Shanghai Restoration Project et Hooshere Bezdikian

Dark Horse

  

Have a Nice Day 

 

Bande annonce

 

Clip

 


 

A lire en complément

 

Un article de Wang Yiman, paru le 14 décembre 2018 sur le site de l’ACAS (Association for Chinese Animation Studies) : The Animation that Deconstructs Itself—Liu Jian’s Piercing I and Have a Nice Day

 

Dans cet article, l’auteure analyse les deux films d’animation de Liu Jian en rappelant la définition qu’en donne l’artiste lui-même : « des films d’animation d’une seule personne » (一个人的动画电影). Son analyse porte surtout sur le second, « Have a Nice Day » (《好极了》). Elle oppose l’enthousiasme général des critiques étrangers pour l’esthétique minimaliste et la narration absurdiste du film, à la réception plus réservée des critiques chinois, et en particulier des spécialistes de l’animation, les critiques concernant d’une part le style peu sophistiqué de l’animation, trahissant un budget peu élevé (ce qu’ils appellent « l’effet animation PowerPoint »), et par ailleurs des dialogues dits en dialecte de Nankin, volontairement sur un ton de tous les jours ; mais c’est justement ce que voulait Liu Jian : un effet non professionnel…

http://acas.ust.hk/2018/12/14/the-animation-that-deconstructs-itself-liu-jians-piercing-i-and-

have-a-nice-day/

 

 


 


[1] “The film’s inscrutable, laconic humour holds up a magnifying glass to attitudes to life and social conditions. Humankind’s constant greed meets a deeply insecure country in transition…  The signs and symbols of capitalism impose themselves everywhere, but most people are excluded from the life these signs promise.”

(L’humour impénétrable et laconique du film agit comme une loupe pour amplifier les attitudes envers la vie et les conditions sociales. L’avidité constante de l’homme se heurte à un pays en transition qui manque profondément d’assurance. Les signes et les symboles du capitalisme s’imposent partout d’eux-mêmes, mais la plupart des gens sont exclus de la vie que ces signes promettent)

[2] Propos recueillis par la société Rouge Distribution.

[3] Propos échangés par mail. Voir ses nouvelles : « Continue de creuser au bout, c’est l’Amérique », tr. Brigitte Duzan, Gallimard/Bleu de Chine 2015.
Sur l’écrivain :
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Cao_Kou.htm

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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