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« Left behind children » de Liu Junyi : les éclopés de la croissance

par Brigitte Duzan, 14 mai 2008, révisé 06 février 2012

 

« Left behind children » (《留守孩子》) a été tourné en 2006 par un réalisateur chinois peu connu du public occidental, Liu Junyi (刘君一).

 

De très belles séquences

 

Le film traite d’un problème social qui a pris aujourd’hui des proportions dramatiques en Chine : 留守孩子 liúshǒu háizi, ce sont les enfants laissés au village, « laissés derrière » (1), au soin des grands parents ou de parents plus éloignés, par les paysans qui quittent leur famille pour aller chercher du travail en ville. Ce n’est pas un documentaire, mais le film a été tourné dans un village du Hubei touché par ce véritable exode

 

Left behind children

rural, avec la population locale, et en particulier les enfants. Il décrit leur vie, leur sentiment d’abandon, leurs réactions de tristesse ou de révolte et les conséquences dévastatrices du départ des parents pour eux comme pour le village.

 

Le scénario suit les pas d’un groupe d’enfants dont l’aîné a dix ans. Wang Xiaofu vit avec sa grand-mère qui a aussi la charge de ses deux petites sœurs : âgée, elle a du mal à faire face à la situation et Xiaofu lui dérobe de temps en temps de l’argent pour aller au village avec l’un de ses camarades jouer au "café internet" local. Une mine d’or, ce café : c’est le lieu de prédilection de tous ces enfants privés d’autorité parentale. Il s’appelle glorieusement « le bar internet de l’illusion » (梦幻网吧 mènghuàn wǎngbā), un nom qui a des relents de fumerie d’opium. Il faut y laisser un dépôt initial de dix yuans, mais les places sont prises d’assaut, et il faut se démener pour en obtenir une. Xiaofu et son camarade finissent par se battre avec l’un des enfants, et échouent au poste de police local.

 

Liu Junyi sur le tournage

 

Le jeune policier qui les reçoit est beau comme les soldats de l’Armée populaire de libération sur les affiches de propagande des années 1950, l’uniforme en moins. Ce n’est pas la première fois qu’on lui amène les enfants, il les réprimande, et les renvoie chez eux. Sur quoi les gamins essaient de récupérer l’argent qu’ils ont laissé en caution au patron du café internet ; mais celui-ci les jette dehors en refusant de le leur rendre. Furieux, ils attendent la tombée de la nuit, et, avec le renfort de deux autres copains, l’attendent à un coin de rue et le rouent de coups. Le blessé va illico déposer plainte au poste de police en demandant 30 000 yuans de

dommages et intérêts. A ce stade, ce n’est plus une simple affaire de disputes entre gamins, c’est toute la communauté qui est concernée : qui va bien pouvoir payer ?

 

La solution au problème immédiat est trouvée par la jeune institutrice de la classe de Xiaofu - qui rappelle beaucoup celle du film de Zhang Yimou « Pas un de moins » (《一个都不能少》): le café ne respectait pas une nouvelle loi qui interdit aux écoliers la fréquentation de ce genre d’endroit. Exit le plaignant, mais reste le problème épineux : que faire pour que ces enfants ne deviennent pas de véritables délinquants ? Alerté, le secrétaire local du Parti décide de faire revenir les parents et leur propose que l’un des deux au moins reste au village pour s’occuper des enfants. Mais le cas du père de Xiaofu est typique : il revient seul, sa femme est partie avec un autre homme, et, en plus, il a perdu son emploi pour revenir au village : de toute évidence, la solution officielle n’est guère réaliste.

 

En outre, le retour de son père et la nouvelle de la disparition de sa mère ont traumatisé Xiaofu qui n’a plus dès lors qu’une idée en tête : partir la chercher. Il réussit à réunir une petite bande d’une dizaine de gamins qui rassemblent tout l’argent qu’ils peuvent trouver pour louer un camion et partir « au Guangdong » comme ils seraient partis au village à côté pour tenter de rejoindre leurs parents respectifs. Leur disparition met évidemment le village en émoi, et accélère les efforts pour tenter de trouver une solution au problème qu’ils posent. L’issue finale sera trouvée par le jeune policier, avec l’aide de la jeune institutrice… et du secrétaire du Parti : la création d’une « maison » pour ces enfants… et le film se termine sur une image des gamins en rangs deux par deux, partant au pas de course sur un chemin verdoyant en chantant que l’avenir est radieux.

 

Le film comporte des séquences très réussies, et de superbes images. Liu Junyi a tourné dans son village natal, dans le district de Xiangfan, dans le nord du Hubei (1), d’abord pour des raisons budgétaires, mais cela donne beaucoup de réalisme aux situations et aux personnages. Il a conservé le dialecte local, les personnes âgées sont plus vraies que nature, et les enfants sont tous excellents, même les plus petits, Xiaofu en particulier. L’une des séquences restera certainement un morceau d’anthologie.

 

L’institutrice

 

Elle se passe à l’école, la jeune institutrice a donné un devoir aux enfants : vous écrivez une lettre à vos parents. Le résultat est dramatique : chacun des enfants a écrit un texte pitoyable où il exprime sa solitude et sa tristesse et se met à pleurer à chaudes larmes en le lisant, en appelant « papa, maman ». Seul Xiaofu, arrivé sur ces entrefaites avec ses trois copains du poste de police, n’a rien préparé mais exprime alors tout à trac son ressentiment à l’égard de ceux dont il se sent abandonné :

“爸爸妈妈,你们知道吗,我恨你们,你们一走就是两年,一回来把我打一顿,走时候扔点钱。我学习不好的时候你们在哪?我生病的时候你们在哪?有人欺负我的时候你们在哪?有人打我的时候...我恨你们寄回来的钱,你们出去挣钱,把我变成孤儿、野种,[..]有爹妈没爹妈一个样..。爸,妈,我跟没人管的仙人掌一样,混身长满刺, 长的难看,扎人!”

« Papa, maman, faut que vous sachiez, je vous déteste, cela fait deux ans que vous êtes partis, quand vous êtes revenus, vous m’avez battu, le reste du temps vous m’avez filé de l’argent. Quand j’ai eu de mauvais résultats à l’école, où est-ce que vous étiez ? Quand j’ai été malade, où est-ce que vous étiez ? Quand on m’a malmené, où est-ce que vous étiez ? Et quand on m’a battu… ? Je déteste l’argent que vous m’envoyez, vous êtes partis pour en gagner, et m’avez laissé seul, orphelin et bâtard, ...avoir des parents ou ne pas en avoir, pour moi, c’est pareil... Pa, ma, je suis comme un cactus sauvage dont personne ne s’occupe, plein de piquants sur tout le corps ; en grandissant, je suis devenu laid, et je pique ! »

 

A l’institutrice sidérée, il répond qu’elle a demandé qu’ils disent ce qu’ils avaient sur le cœur, il l’a fait « avec ses tripes ». Il est le seul à ne pas pleurer.

 

Une situation véridique, bien documentée

 

Les 4 "rebelles"

 

C’est là le gros défaut du film : certains effets sont tellement appuyés qu’ils en perdent de leur force, et les bons sentiments déployés par les autorités paraissent souvent excessifs. Pourtant, la situation décrite est avérée. La presse chinoise s’en est fait l’écho depuis quelques années (en général autour du 1er juin, « jour des enfants »). En 2004, le Quotidien du Peuple a ainsi rapporté l’histoire d’une petite fille de onze ans laissée à la garde d’un oncle, en août

1999, dans le district de Suizhou, dans le centre du Hubei. Elle a été violée par un proche et les parents ne l’ont appris que deux ans plus tard, en rentrant au village ; ils sont repartis quelques mois plus tard gagner de l’argent pour payer un procès…

 

Les accidents, aussi, sont nombreux. Ainsi, en 2007, le Quotidien du Peuple a rapporté l’histoire d’une petite fille d’un village du Guangdong, Lin Wenrong, surnommée ‘l’enfant fantôme’ après avoir été gravement brûlée dans un incendie qu’elle avait elle-même provoqué en se faisant cuire de la nourriture – elle avait alors six ans. Mais c’est le désert affectif qu’ont à subir ces enfants qui est le plus douloureux.

 

La réalité est plus forte que toute fiction. Les chiffres sont éloquents : il y aurait entre 100 et 150 millions de travailleurs migrants ou « mingong » dans les villes chinoises, et entre 10 et 20 millions de ces enfants laissés au village. Cela reflète l’appauvrissement de la population rurale dans certaines provinces, et le désir forcené de s’en sortir, de gagner de l’argent pour sortir de la misère et, justement, assurer un meilleur avenir aux enfants.

 

C’est la première fois dans l’histoire chinoise qu’une migration de cette ampleur n’est due ni à la guerre ni à la révolution. Il s’ensuit des traumatismes profonds chez les enfants, laissés aux soins de personnes âgées qui les font souvent travailler à la maison ou dans les champs en les maltraitant, et dont le seul lien affectif est réduit à une communication téléphonique de temps en temps. Leurs réactions vont de l’abattement à la révolte, et, en ce sens, le film de Liu Junyi est très bien documenté : une étude réalisée dans six villages de la province de l’Anhui en 2005 a montré que 60 % de ces enfants avaient des problèmes psychologiques et que 30 % éprouvaient du ressentiment, voire de la haine envers leurs parents…

 

Même la solution finale du film reflète l’actualité et la réalité. Depuis plusieurs années, divers projets ont vu le jour. Ainsi, un système de « mères suppléantes » a été mis

 

L’une des petites filles

en place dans la province du Hubei depuis 2004. Des maisons du genre de celle décrite dans le film ont été construites, par exemple, dans le district de Qingshen, au Sichuan ; au début de l’année scolaire, une enquête est réalisée pour déterminer les enfants à prendre en charge.

 

Dans ce district, 40 % des enfants de moins de seize ans sont des « 留守孩子 » ; dans le Jiangxi, ce sont les deux tiers des enfants des écoles primaires qui sont « laissés derrière » ; un projet de « maison et campus d’amour familial » y a vu le jour. Tout cela a abouti, en mai 2007, au lancement par la Fédération nationale des femmes chinoises d’un programme national baptisé “Share the Blue Sky”, parrainé par les ministères de l’éducation et de la justice et une douzaine d’agences gouvernementales, dans le cadre, bien sûr et toujours, de la construction « d’une société harmonieuse ». Le film colle donc bien à la réalité, il est dommage qu’il donne, surtout dans les images finales, l’impression d’un film de propagande quelque peu suranné (2).

 

Mais un film qui élude le fond du problème

 

Que le gouvernement et les autorités locales soient conscients du problème et tentent d’y apporter quelques solutions, c’est certain. Mais les aspects fondamentaux du problème ne sont pas abordés. Ce n’est tout de même pas par total manque de responsabilité ou par légèreté répréhensible que ces parents laissent leurs enfants derrière eux pour aller travailler pendant des années dans des conditions le plus souvent très dures. S’ils font cela, c’est qu’ils n’ont pas le choix.

 

Au bord de l’eau

 

D’abord, ils sont poussé par des raisons économiques : pour prendre, encore une fois, l’exemple du Hubei, un article rapportait en 2004 le cas d’un couple de paysans allé vivre à Wuhan, la capitale ; les frais annuels de scolarisation de leur fils se sont alors élevés à  3 000 yuans (sur un budget total de 10 000 yuans pour la famille) ; c’était trois fois ce qu’il payaient pour l’école du village. Dans ces conditions, les parents ne peuvent guère économiser et le moindre problème, de santé en particulier, devient dramatique.

 

Le problème essentiel, cependant, pour les « mingong », tient à la législation : ayant un « hukou » les domiciliant dans leur village, ils ne peuvent pas se faire enregistrer comme résidents urbains, ils n’ont donc aucune sécurité juridique, et leurs enfants ne peuvent être inscrits dans les écoles proches de leur travail, sauf à payer des sommes exorbitantes. Encore récemment, fin 2011, des écoles privées pour enfants de mingong ont été fermées à Pékin.

 

Le film fait penser à un court récit de Ba Jin (巴金), intitulé « Un tireur de pousse » (《一个车夫》). Un soir, l’auteur prend un pousse pour aller se promener dans un parc, à Pékin. Une fois assis, il se rend compte que son conducteur est un enfant d’une quinzaine d’années. Etonné, il lui demande comment il en est arrivé à faire si jeune un tel métier. Il apprend alors, par bribes, que le père de l’enfant a chassé sa mère, vendu sa sœur, puis est parti avec l’argent. « Et il ne revient jamais te voir ? » demande Ba Jin. « Non, dit l’enfant sèchement, et il fait bien ; si je le rencontrais, je le tuerais ». Comment imaginer, à deux pas du mien, pense Ba Jin, un tel monde sans famille, sans amour, sans chaleur, où les êtres sont endurcis par le fouet et la haine ? »

 

Le texte date de 1933. Les choses ont changé bien sûr, mais la haine exprimée par le jeune tireur de pousse n’est pas tellement loin de celle de Xiaofu…

 

Notes :

(1) Le terme 留守 liúshǒu s’appliquait autrefois aux hauts fonctionnaires qui agissaient au nom de l’empereur pendant que celui-ci s’absentait de la capitale, et aux soldats laissés en garnison dans certaines zones récemment conquises, ou certaines zones frontalières, pour gérer les problèmes locaux – et en particulier assurer la protection de ces territoires - pendant que le reste de l’armée partait ailleurs -  d’où le sens actuel de « rester en arrière » ou « être laissé en arrière ».

(2) Le film de Liu Junyi a tendance à flatter le « marché des larmes ». En comparaison, un court documentaire primé par l’UNICEF en 2007, intitulé « Children Left Behind » (留守儿童》), a choisi une approche plus distanciée, mais qui laisse quand même la place à l’émotion :

 

 

Première partie

 

 

Deuxième partie

                                                                                                      

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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