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« Old Dog » : film sur la réalité du monde tibétain moderne, mais film universel

par Brigitte Duzan, 09 novembre 2012

 

Lauréat du Golden Digital Award au 35ème festival international de cinéma de Hong Kong, en avril 2011, le troisième long métrage du réalisateur Pema Tseden (万玛才旦), « Old Dog » (《老狗》), a depuis lors fait le tour des festivals internationaux où il a été plusieurs fois primé, le dernier prix qui lui a été décerné datant de juin 2012, au festival de Brooklyn.

 

Il a été découvert en France au festival de La Rochelle, en juillet 2012, dans le cadre d’une rétrospective complète de ses films. L’affluence massive lors de la séance de projection a bien montré l’intérêt suscité par le film, tout comme la rencontre qui l’avait précédée, organisée par le festival entre le public et le réalisateur.

 

Une histoire riche en symboles

 

Une histoire simple au départ

 

La première séquence de « Old Dog » (《老狗》) nous montre un solide Tibétain,

 

Old Dog

vêtements traditionnels et cheveux sur les épaules, pétaradant sur une vieille moto, un mastiff noir au poil hirsute trottant, en laisse, à ses côtés. L’homme s’appelle Gonpo ; il vient à la ville apporter du beurre de dri (1) à des amis et des parents, dont un beau-frère agent de police, et en profite pour vendre le chien, pour lequel un marchand lui donne ce que l’on devine être une jolie somme.

 

La ville a l’apparence d’une ville frontière en train d’émerger d’un sol boueux : la caméra parcourt, sans s’arrêter ni détailler, des immeubles en construction, quelques boutiques déjà délabrées devant lesquelles des enfants jouent avec des chèvres, plus attirées par le spectacle d’une bouteille en plastique emportée par le vent… Mais le paysage que parcourt Gonpo a un aspect tout aussi morne et plat, vu au ras du sol, sans les brillantes perspectives sur des montagnes imposantes auxquelles nous ont habitués les films sur le Tibet.

 

Le décor est posé, et la vente initiale du chien, qui semble cohérente dans le contexte de pauvreté ambiant, est le facteur perturbateur qui va déclencher une crise familiale et personnelle, emblématique à plusieurs niveaux.

 

Mais une histoire emblématique

 

Pema Tseden présentant Old Dog

au festival de Seattle, mai 2012

 

Le premier symbole est le chien lui-même. Ce n’est pas le chien de Gonpo, mais celui de son père, dont il est le fidèle compagnon depuis 17 ans. Ces mastiffs sont des chiens de berger qui font partie de la culture des nomades des hauts plateaux tibétains : ce sont des gardiens de troupeaux, et non des objets d’échange que l’on peut vendre à loisir.

 

Or la grande mode des nouveaux riches chinois est d’en acquérir, à n’importe quel prix, comme animaux de compagnie et symboles de statut social. Cette mode a créé un marché alimenté, de gré ou de force, par toute une mafia qui va jusqu’à voler les chiens pour les revendre. Dans ces conditions, plutôt que de se faire voler leur chien, beaucoup de Tibétains préfèrent le vendre tant qu’il l’ont encore, en en tirant un bon prix.

 

Il y a donc là une image emblématique des pressions dramatiques exercées par la société marchande, et le « grand

frère » chinois, sur une culture menacée par les changements de modes de vie induits par une modernité agressive venue de l’extérieur. C’est ce que le vieil homme n’est pas prêt à accepter, entraînant, dans la séquence conclusive du film, une conclusion dramatique (que l’on se gardera bien de divulguer) qui est un acte plus désespéré que vengeur, et d’autant plus désespéré qu’il semble en contradiction avec les principes mêmes de la culture tibétaine. Il n’y a pas d’issue, semble dire le réalisateur, dans cette lutte inégale, et à agression agression et demie.

 

A cela s’ajoute, comme symbole complémentaire, le fait que Gonpo est stérile. Le vieux père est ainsi privé de descendance, comme, semble insinuer le réalisateur, la culture tibétaine ancestrale qui se meurt doucement. Non seulement Gonpo ne peut avoir d’enfants, mais il est prêt à vendre le chien familial …

 

Pierre de touche d’une esthétique très personnelle

 

L’ambiance particulière du film, désolée et sans aménité, est construite à partir de mouvements lents, presque parcimonieux, de la caméra, combinés à une bande son agressive. Tout est filmé de loin, faisant du spectateur un témoin, mais à distance. Les plans sont en outre très longs, volontairement prolongés au-delà de la logique immédiate. Pema Tseden a expliqué qu’il voulait laisser au spectateur le temps de la réflexion, et la possibilité d’une interprétation personnelle.

 

Affiche choisie pour la sortie du film à UCLA

 

Pema Tseden (2) a une manière bien à lui de laisser la caméra continuer à tourner devant un paysage qui a été vidé de ses personnages, humains ou animaux, et où seuls perdurent les bruits. Des bruits qui confinent à la cacophonie en milieu urbain, dans cette petite ville sans charme ni chaleur humaine, qui semble surgir par hasard de la boue du chemin : moteur de la moto, bêlements des chèvres, hurlement du vent, mais aussi musique pop égrenée par un poste de radio sur un chantier ; on entend aussi, à peine audible, le chant de l’épopée tibétaine de Gésar (3)…  

 

Le vieil homme et son chien

 

Ce bruit de la ville semble même se répercuter jusque dans la modeste maison de la famille de Gonpo et son père, dans le calme de la prairie, où le poste de télévision familial retransmet une interminable publicité dans le plus pur mandarin de la chaîne de télévision centrale chinoise, allusion à l’intrusion d’une altérité culturelle sous forme de modernité.

 

Le soir amène un moment de paix, et une brève séquence réflexive, filmée dans l’entrebâillement de la porte, derrière le vieux père assis sur le seuil. Mais ce calme est bientôt rompu par le vol du chien et le bruit d’un moteur qui s’éloigne… Le bruit est décidément l’élément perturbateur, emblématique d’une civilisation qui ne reconnaît pas  la qualité du silence qui était celle de la vie autrefois, vie des nomades et vie des moines.

 

L’élément sonore est à nouveau l’élément primordial à la fin du film, quand la caméra se détourne du geste ultime du vieil homme et que ne restent plus pour le suggérer que le son de ce qui se passe dès lors hors cadre, mais sans qu’on puisse l’ignorer. Après un temps mort, la caméra repart en suivant le vieil homme qui s’éloigne lentement en montant la pente devant lui, comme s’il allait à la rencontre du ciel ; on entend le bruit de sa respiration qui diminue, diminue, jusqu’à s’effacer totalement…

 

Le fils et le chien

  

Film sur la réalité du monde tibétain d’aujourd’hui, « Old Dog » dépasse cette seule problématique et amène  aussi à réfléchir sur celle du monde moderne en général, et le nôtre en particulier. Il y a quelque chose d’universel dans « Old Dog ». Et c’est sans doute ce qui crée cette empathie particulière avec tous les publics auxquels il est donné de le voir.

 

 

Notes

(1) Ce qu’on appelle communément beurre de yak, mais, le yak étant le mâle, me précise la tibétologue Françoise Robin, c’est une expression erronée.

(2) Secondé par ses alter ego Sonthar Gyal, son directeur de la photo , et Duktar Tserang, son directeur du son, qui collaborent tous deux avec lui depuis son premier film.

(3) L’épopée de Gésar est la plus grande épopée orale au monde, et constitue l’un des fondements de la tradition littéraire et religieuse tibétaine. Ce n’est donc pas un choix anodin de la faire entendre dans le contexte particulier de cette séquence, mais sans lui permettre d’être totalement audible…

  

 

 Bande annonce

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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