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« L’eunuque impérial Li Lianying » : le dernier eunuque chinois, conté par Tian Zhuangzhuang

par Brigitte Duzan, 4 octobre 2011, actualisé 28 janvier 2017

 

« L’eunuque impérial Li Lianying » (大太监李莲英) est un film atypique de Tian Zhuangzhuang (田壮壮), tourné aux lendemains des événements de Tian’anmen, à un moment où le réalisateur désirait rentrer en grâce auprès du Studio de Pékin qui l’employait, et des autorités en général.

 

Il est cependant atypique des productions cinématographiques chinoises en temps de crise politique et de resserrement des conditions de censure : on évite alors en effet les sujets d’actualité pour se retrancher dans des scénarios dont les histoires se passent invariablement dans un passé impérial plus ou moins précis. Ils sont théoriquement apolitiques, mais n’excluent cependant pas les allusions voilées et symboliques.

 

Le film de Tian Zhuangzhuang est à replacer dans ce contexte pour en souligner les différences.

 

L’eunuque impérial Li Lianying

 

L’histoire de Li Lianying

 

Li Lianying âgé d’après un document d’archive

 

Né en 1848, Li Lianying (李连英) est le dernier de la lignée des grands eunuques impériaux qui ont exercé le pouvoir à la tête de l’Etat à diverses périodes de l’empire chinois, en profitant le plus souvent de la faiblesse de l’empereur régnant et des divisions de la cour.

 

Li Lianying, quant à lui, est entré au service de la cour impériale à l’âge de six ans, et a débuté ses fonctions sous le règne de l’impératrice douairière Cixi (慈禧太后), exerçant un pouvoir croissant surtout à partir de 1869 ; devenu le principal serviteur et conseiller de l’impératrice, il a passé cinquante ans de sa vie à son service, au milieu des intrigues de la cour, accédant au titre d‘eunuque en chef’ (总管太监) jusqu’à sa déposition, en 1908.

 

Toutes les affaires de la cour en étaient venues à passer par lui : comme il contrôlait en particulier l’accès aux audiences de l’impératrice, il contrôlait aussi le flux d’informations et de requêtes qui lui parvenait. Mais c’est un personnage très controversé dont on ne sait en fait pas grand-chose. En effet, les grands eunuques des dynasties précédentes ont laissé des mémoires, et ont des biographies dans les histoires officielles de la dynastie.

 

Jiang Wen au début du film : eunuque au service de l’impératrice

 

Li Lianying prenant soin de Guangxu

 

Pour Li Lianying, il n’y a rien de cela, et les informations le concernant sont fragmentaires et dispersées. Le premier travail de Tian Zhuangzhuang et de son scénariste Guo Tianxiang (郭天翔) a donc été de faire des recherches sur le personnage dans les archives, en particulier celles de la Cité impériale où le film a été tourné. Ils n’ont pas retenu la version courante qui fait de Li Lianying un eunuque aussi corrompu que ses prédécesseurs, réussissant à accumuler une fortune grâce à son influence auprès de l’impératrice et aux pots de vin qu’il se faisait verser.

  

Le Lianying qu’ils présentent est au contraire un eunuque au moins apparemment effacé, torturé par ses origines et son statut inférieur et méprisé à la cour de par sa qualité même d’eunuque, et servant l’impératrice avec une obéissance quasi servile. Mais ce qu’ils montrent, c’est qu’il n’avait pas le choix, face à une impératrice exerçant un pouvoir absolu et dictatorial. Surtout Tian Zhuangzhuang et Guo Tianxiang en font un personnage humain, profondément attaché à l’impératrice, bien plus qu’à son fils qu’il avait pourtant élevé, et lui vouant une vénération sans bornes.

 

Un eunuque humain

 

Le film de Tian Zhuangzhuang

 

Des personnages humains au-delà des clichés

 

La danse des eunuques

 

C’est donc un personnage différent des eunuques de l’histoire officielle et des films habituels sur cette période de l’histoire chinoise. Les autorités voulaient sans doute, après 1989, un film moral dénonçant les excès commis sous la dernière dynastie impériale, le premier et le dernier empereur étant des figures symboliques, ainsi que l’impératrice Cixi.

 

Tian Zhuangzhuang avait donc peu de marge de manœuvre. Le film montre bien l’impératrice prélevant sur le budget de la marine pour alimenter sa cassette personnelle et faisant froidement jeter dans le puits destiné à cet effet la concubine de Guangxu coupable d’avoir enfreint les ordres de l’impératrice qui avait condamné son fils à l’isolement après 1898, détails qui figurent aussi dans le film de Zhu Shilin (朱石麟) « L’histoire secrète de la cour des Qing » (《清宫秘史》).

 

Mais, de même que le personnage de Li Lianying, celui de l’impératrice est dépeint sous des jours bien plus humains que dans les biopics chinois usuels. Ce caractère apparaît nettement dans la séquence où l’impératrice, ayant été obligée de fuir son palais pendant la révolte des Boxers, doit se réfugier dans l’humble maison de gens du peuple et discute librement avec une vieille paysanne et sa fille. C’est cependant une scène quelque peu forcée, qui manque du réalisme de celle du film de Zhu Shilin où l’impératrice entend sans les voir les gens qui parlent de la cour dans une pièce

 

Li Lianying coiffant l’impératrice

voisine. Dans le film de Tian Zhuangzhuang, c’est l’eunuque qui est vilipendé, et même les eunuques dans leur ensemble.   

 

La mort de Cixi

 

Le film de Tian Zhuangzhuang n’évite pas quelques poncifs et scènes quelque peu forcées (comme la séquence du mariage de Li Lianying, qui n’est d’ailleurs pas historiquement avéré). Mais Tian Zhuangzhuang a dépassé les clichés du genre, et innové dans la représentation d’un tel sujet, ajoutant même une pointe d’humour par moments, comme dans la scène du ballet des eunuques. La qualité de sa mise en scène, cependant, est renforcée par celle de l’interprétation et de la photo.

 

Interprètes et photographie

 

Tian Zhuangzhuang a choisi des acteurs de premier plan : Jiang Wen (姜文), d’abord, dans le rôle de Li Lianying [1], l’actrice Liu Xiaoqing (刘晓庆) dans celui de l’impératrice douairière, Xu Fan (徐帆) dans celui de la concubine Zhen et Zhu Xu (朱旭) dans celui du prince Chun, pour ne citer que ces quatre-là, mais surtout les deux premiers.

 

Il faut souligner que le choix des deux premiers n’était pas anodin. Comme souvent quand il s’agit d’acteurs connus, le choix est guidé par l’image qu’ont les acteurs. Or Jiang Wen et Liu Xiaoqing venaient d’interpréter les rôles principaux dans le « Village Hibiscus » (《芙蓉镇》) de Xie Jin (谢晋), sorti en 1986 ; dans le film de Tian Zhuangzhuang, ils semblent irradier la chaleur humaine du film précédent, et ils renforcent le lien affectif très spécial qui existe entre l’impératrice et son eunuque dans le scénario, qui culmine dans la superbe scène de la mort de Cixi, l’une des plus belles du film, et qui lui donne in fine tout son sens.

 

La mise en scène est aussi valorisée par le travail sur la photo de Zhao Fei (赵非), grand directeur de la photo de la cinquième génération, et en particulier de Zhang Yimou pour « Epouses et concubines » (《大红灯笼高高挂》), l’année précédente.

 

Le film a été tourné dans la Cité interdite, où les possibilités d’éclairage sont limitées par les règlements de sécurité. La lumière est donc souvent naturelle, éclairant le personnage principal, mais laissant dans l’ombre le reste de la pièce et les autres personnages – comme c’est d’ailleurs souvent le cas, aussi, dans « Epouses et concubines » [2].

 

Zhao Fei

 

Au-delà de ses limitations, ou en raison même de ses limitations, le film reste donc un témoin intéressant de ce qu’un réalisateur atypique pouvait faire en Chine au début des années 1990.

 

Le film (non sous-titré)

 


 


[1] Il semble même que ce soit lui qui ait suggéré le sujet du film au réalisateur. Il a fait du rôle de l’eunuque un formidable rôle de composition.

[2] Cette utilisation de la lumière naturelle rappelle le traité de Tanizaki « L’éloge de l’ombre » qui traite de la culture japonaise, mais peut aussi bien s’appliquer au cinéma chinois, entre autres. C’est aussi un trait de beaucoup de films de Hou Hsiao-hsien.

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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