L’histoire se situe à la fin de 1999 ; une épidémie
mystérieuse, millénariste, préfigurant le SARS, a
amené le gouvernement à mettre des quartiers entiers
de Taipei en quarantaine ; les habitants vivent en
reclus dans une ville fantomatique noyée sous des
trombes d’eau. L’atmosphère est aussi pesante que
chez Camus.
Lee
vit dans un appartement situé au-dessus de celui de
Yang ; un plombier appelé à cause d’une fuite laisse
dans le plancher de l’un et le plafond de l’autre un
trou évidemment chargé de symbole qui, en
s’agrandissant peu à peu,
The Hole, l’affiche
chinoise
devient l’obsession des deux personnages, qui
s’observent sans sembler pouvoir communiquer.
Tsai a
expliqué que, pour la première fois, il était parti
d’un scénario totalement écrit, mais que, lorsqu’il
avait trouvé l’immeuble du tournage, le lieu
lui-même a dicté sa propre histoire et a
pratiquement imposé le style.
Plans séquences et musique années 60
Comme
dans les films précédents, « The Hole » procède par
succession de plans séquences comme autant de
morceaux de puzzles à assembler. En même temps,
malgré la reprise de ses thèmes de prédilection, le
réalisateur a évolué ici vers un style différent,
plus léger, plus humoristique. L’action étant
limitée à un lieu unique en soi déprimant, il
fallait rompre l’étouffement qui s’en dégageait.
La
bande son n’est plus seulement peuplée des bruits
urbains, elle intègre de somptueux
The Hole, superbe
affiche officielle du festival de Cannes
The Hole
numéros musicaux, pastiches qui renvoient à des
chansons de la grande star du cinéma musical de Hong
Kong des années 1960, la « Mambo Girl » (《曼波女郎》)
Grace Chang, ou Ge Lan (葛兰).
Ces
numéros pourraient sembler incongrus par leur kitsch
désuet s’ils n’étaient porteurs d’une signification
profonde : empreints d’une indicible nostalgie, ils
aident à lutter contre le sentiment d’oppression
que dégage l’environnement, mais deviennent surtout
un mode d’expression.
Les scènes parodiques de comédie musicale, qui
annoncent
« La
saveur de la pastèque » (《天边一朵云》),
sept ans plus tard, véhiculent en fait des
sentiments inexprimés, comme s’il fallait retourner
à cette musique du passé pour retrouver la
possibilité d’exprimer une affectivité niée par la
vie urbaine moderne.
Extraits de
séquences musicales sur des chansons de Grace Chang :
Ballet 2
“我要你的爱”,
je veux que tu m’aimes…
O
Calypso
Et fragile
note d’espoir
Le film se
termine cependant par une note d’espoir, même si elle reste
ambiguë, comme toujours chez Tsai Ming-liang qui voulait que
le spectateur lui-même participe à la création, suivant en
cela Robert Bresson qui disait qu’un film se crée peu à peu
sous le regard du spectateur.
Dans
l’avant-dernière (très) longue séquence, Lee Kang-sheng,
tout à fait en haut de l’image, se penche et passe le bras à
travers le trou ; en dessous, Yang Kuei-mei remarque la main
qui se tend vers elle, finit par l’attraper et se fait
hisser, vers ce qu’on peut penser être une existence
désormais commune.
Grace Chang
Lee Kang-sheng devant
le trou
L’affiche
chinoise, superbe, traduit exactement l’atmosphère complexe
du film sans doute le plus original, jusque là, de Tsai
Ming-liang, entre déliquescence urbaine, nostalgie,
voyeurisme, et humour.
Le film était
en compétition au festival de Cannes en 1998, et a obtenu le
prix FIPRESCI « pour sa combinaison audacieuse d’un ton
réaliste et d’une vision apocalyptique, de joie et de
désespoir…. »
Dernière séquence
L’univers de
Tsai Ming-liang est
désormais esquissé dans ses grands traits, la fresque peut
continuer, en revenant sur un aspect ou un autre, et sur le
passé qui en détient les clés…