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« C’est arrivé à Liubao » : la révolution et la guerre avant tout !

par Brigitte Duzan, 25 février 2019

 

« C’est arrivé à Liubao » (《柳堡的故事》) est le deuxième film de la réalisatrice Wang Ping (王萍), grande figure du cinéma chinois de la période 1955-1965.

 

Datant de 1957, juste avant le Grand Bond en avant, « C’est arrivé à Liubao » fait partie des grands films de cette période exaltant la ferveur révolutionnaire et l’élan patriotique par-dessus toute autre considération, et en particulier les sentiments d’amour, jugés petits-bourgeois et réactionnaires. Il est pourtant plus romantique que la plupart des autres.

 

Une histoire type

 

L’histoire se passe en 1944, mais elle est contée en flashback, à partir de 1949.

 

Guerre et lutte des classes

 

Elle se passe dans le petit village de Liubao (柳堡), littéralement « le village fortifié des

 

C’est arrivé à Liubao

peupliers », pendant la guerre de résistance contre le Japon. Un jour de 1944, au printemps, arrive au village une compagnie de la Nouvelle Quatrième Armée (新四军) [1] qui entreprend d’aider les villageois à réparer les dommages causés par la guerre. Parmi les soldats est le jeune Li Jin (李进) qui tombe amoureux de la jolie Tian Xueying (田学英) dite Ermeizi (二妹子), la deuxième sœur. Mais cet embryon d’amour est désapprouvé par le chef de la compagnie qui craint que ces sentiments ne nuisent à la combattivité et à l’esprit de discipline de la troupe. Li Jin reconnaît son erreur.  

 

Tao Yuling dans le rôle d’Ermeizi

 

Cependant, alerté par Ermeizi qui lui raconte son histoire, il vole à sa défense pour la protéger contre les visées du propriétaire Liu Huzi (刘胡子), qui exploite les paysans, convoite Ermeizi et projette de l’enlever. Il a déjà un lourd passé puisqu’il a déjà causé la mort de la sœur aînée d’Ermeizi, mais ses plans échouent. Cependant, Li Jin est désormais partagé entre ses sentiments envers la jeune fille et son devoir de soldat.

 

La guerre, cependant, les sépare bien vite : Li Jin repart avec sa troupe. L’histoire, à l’origine,

s’arrêtait là. Mais le co-scénariste et assistant réalisateur Huang Zongjiang (黄宗江) [2] a ajouté un dénouement heureux typique du mélodrame chinois. Après la fin de la guerre, cinq ans plus tard, Li Jin promu commandant de la compagnie revient au village et retrouve Ermeizi qui l’attendait… et qui est devenue cadre du Parti. Rien ne s’oppose plus à leur union.

 

Réalisation classique

 

Le film est en noir et blanc, comme une gravure ancienne. Il commence par un superbe travelling montrant le paysage de lacs et de rivières : le Jiangsu. Paysage traversé par une troupe de soldats qui suit une digue le long d’un canal… Les soldats arrivent dans un village de chaumières, au bord de la rivière, et près d’une noria. Ils « apprivoisent » un enfant terrifié, Xiao Niu (小牛), comme si c’était leur petit frère – Xiao Niu qui est à replacer dans la longue lignée des enfants soldats des films de la période maoïste, Zhang Ga en tête [3]. Puis les soldats prennent part aux travaux du village, en chantant.

 

Liao Youliang dans le rôle de Li Jin

(avec à g. son camarade Xiao Ma)

 

Les chants sont vifs et pleins d’entrain, comme ceux des films de l’époque célébrant la vie des champs, et la collectivisation des terres. Il y en a deux : « Jours ensoleillés à foison » (《九九艳阳天》) et « Le soleil levant est un peu rouge » (《太阳出来红一点》). La musique est de Gao Ruxing (高如星), un musicien originaire du Shanxi célèbre pour ses musiques de films, mais surtout pour le chant « Jours ensoleillés à foison », qu’il a écrit à 24 ans et qui est toujours populaire :

 

Jours ensoleillés

 

Li Jin jouant avec Xiao Niu

 

Cette première partie du film donne ainsi l’image typique de l’Armée révolutionnaire fraternisant gaiement avec les villageois. Quant au traître, il est tout aussi typique : tapi derrière un mur pour observer les soldats. Malgré tout, le film dégage une impression de naturel et de chaleur. Il faut saluer en particulier l’interprétation de Liao Youliang (廖有梁) dans le rôle de Li Jin et de Tao Yuling (陶玉玲) dans celui de Ermeizi.

 

C’est une histoire d’amour pur, dont la fin souriante ne masque pas le thème du sacrifice individuel sur l’autel de la défense de la patrie

et de la révolution. Le film a été tourné au Studio du 1er août (八一电影制片厂), c’est-à-dire le studio de l’Armée de Libération dont Wang Ping était réalisatrice attitrée. A l’époque, il n’y avait pas d’histoire d’amour de ce genre au cinéma, et, bien que très édulcorée, elle a attiré les foules : le film a eu un immense succès. Mais il a été retiré des écrans deux ans plus tard… 

 

Une figure de femme des années 1950/65

 

Ermeizi est l’une de ces jeunes paysannes que le nouveau régime a « libérées ». Mais cette libération n’a guère changé leur statut dans la société : le foyer reste l’unité sociale fondamentale, la seule différence résidant dans le fait qu’il ne s’agit plus de famille élargie, mais de famille mononucléaire, ici même très réduite puisque la mère a disparu, de même que la sœur aînée. Au sein de cette famille, les responsabilités et les tâches de la femme n’ont pas changé.

 

Ermeizi et Xiao Niu

  

Le traître de propriétaire

 

En même temps, dans la plupart des œuvres littéraires comme dans les films, la « libération » s’est accompagnée d’une masculinisation des héroïnes ; mais, parmi celles-ci, la jeune paysanne est celle dont l’image a gardé toute sa vitalité. Ermeizi a même conservé sa fémininité et son pouvoir séducteur ; elle est objet de désir, et en ce sens une menace pour la discipline du bataillon. A la fin du film, devenue cadre du Parti, elle a acquis l’image neutre suffisamment dénuée de charme féminin pour pouvoir prétendre à un rang égal à celui de Li Jin. La femme sous Mao a accédé à l’égalité

avec les hommes au prix de ce qui fait d’elle, justement, une femme.

 

Trois ans plus tard, dans « Le détachement féminin rouge » (《红色娘子军》) réalisé par Xie Jin (谢晋) et sorti en 1961, la jeune Wu Qionghua (吴琼花) est passée de paysanne exploitée à soldate, au service du pays sous la direction éclairée du représentant du Parti Hong Changqing (洪常青). En treillis et casquette militaire, elle a éliminé toute trace de féminité ; il n’est plus question d’amour, mais de camaraderie, sous les armes et pour la Révolution – plus question d’identité féminine non plus, elle a cédé le pas à la lutte des classes.

 

Ermeizi donnant sa ceinture pour remplacer le lacet cassé de Xiao Ma (tout geste prend valeur symbolique)

 

Ermeizi fait presque figure de survivante de l’ancien régime. Pas étonnant que le film ait été retiré des salles deux ans après sa sortie. Mais c’est aussi ce qui en fait le charme pour nous aujourd’hui.

 

Adaptation littéraire

Le chant « Le soleil est un peu rouge »

 

« C’est arrivé à Liubao » est un scénario coécrit par Gao Songjiang et Hu Shiyan (胡石言), qui était un écrivain militaire, instructeur d’une troupe culturelle de la Nouvelle Quatrième Armée et auteur de plusieurs recueils de nouvelles, dont un recueil éponyme comportant la nouvelle dont est adapté le film.

 

Il s’agit d’une nouvelle dite « moyenne » (中篇小说) en quatre parties, écrite à la première personne [4]. L’histoire est précisément datée de 1944 et le film en reprend la ligne narrative, mais la nouvelle met bien plus l’accent sur la

lutte des villageois contre le propriétaire foncier. La fin est totalement différente : le bataillon a quitté le village et s’en est éloigné. Un mois plus tard, le narrateur lit dans le journal local que la région du bourg de Liubao a gagné sa lutte pour la diminution des loyers des terres. Le propriétaire a été condamné à la prison. La nouvelle réjouit tout le monde, y compris Li Jin qui ne semble pas être attristé.

 

我想他大概决心丢开了。J’ai pensé qu’il avait sans doute décidé de laisser tomber cette histoire.

 

En un sens, c’est beaucoup plus logique, dans le contexte de l’époque. Mais l’ajout du dénouement heureux du film en fait un mélodrame dans la plus belle tradition.

 

Le film (non sous-titré)

 

[Recherches effectuées pour la présentation du film lors de la séance du 31 janvier 2019 du cycle De l’écrit à l’écran de l’Institut Confucius de l’université Paris Diderot]

 

 


 


[1] La Nouvelle Quatrième Armée est une unité de l’Armée révolutionnaire établie le 25 décembre 1937 par les forces communistes. A partir de 1938, cette armée et la Huitième Armée de route sont les deux principales forces armées communistes, la Nouvelle Quatrième Armée étant active au sud du Yangtse, donc, comme ici, dans le Jiangsu.

[2] Venu du théâtre parlé huaju (话剧), il a été l’un des grands scénaristes de la période ; il était le beau-frère du grand acteur Zhao Dan (赵丹).

[3] Le personnage principal du film réalisé par Cui Wei (崔嵬) en 1963 : « Zhang Ga le petit soldat » (小兵张嘎).

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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