Accueil Actualités Réalisation
Scénario
Films Acteurs Photo, Montage
Musique
Repères historiques Ressources documentaires
 
     
     
 

Films

 
 
 
     
 

« White Deer Plain » de Wang Quan’an,

faible adaptation du roman de Chen Zhongshi

par Brigitte Duzan, 17 avril 2023 

 

 

Affiche pour la sortie du film en Chine

 

 

« White Deer Plain » (《白鹿原》) est le film écrit et réalisé par Wang Quan’an (王全安) après « Apart Together » (《团圆》), Ours d’argent du meilleur scénario à la Berlinale en 2010. « White Deer Plain » a été terminé en novembre 2011 et a été en compétition officielle à la Berlinale en  février 2012 ; le directeur de la photographie Lutz Reitemeier y a remporté l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique. Le film n’est sorti en Chine qu’en septembre 2012, après de sérieuses coupes.

 

Adaptation du roman de Chen Zhongshi

 

Adaptation

 

Le film est adapté, ou inspiré, du roman de Chen Zhongshi (陈忠实) « La plaine du Cerf blanc » (Bailuyuan《白鹿原》), achevé en 1992, mais publié en totalité seulement en juin 1993 et couronné du prix Mao Dun en 1997, après corrections et amendements. Il s’agit d’une longue saga historique, une épopée paysanne qui a la particularité d’être l’histoire, sur plusieurs générations, de deux familles d’un village du Shaanxi, les Bái (blanc ) et les Lù (cerf 鹿), d’où le titre chinois : la plaine des Bai et des Lu, ou plaine du Cerf blanc, animal légendaire qui a aussi sa part dans l’histoire [1].

 

 

Chen Zhongshi et Wang Quan’an

 

 

Chacun des deux clans l’emporte à tour de rôle ; les femmes s’émancipent peu à peu, mais, comme dans l’histoire traditionnelle des beautés diaboliques qui faisaient tomber jusqu’aux empereurs, une concubine en fuite déclenche en arrivant au village une chaîne tumultueuse d’événements tragiques, tout en restant dans le roman un drame parmi d’autres. L’histoire se déroule en effet au long des turbulentes années de la première moitié du 20e siècle (de 1911 à 1949), au gré des exactions de bandits et de factions armées, des épisodes de sécheresse, de famine et d’épidémies, sur fond d’essor progressif du communisme.

 

Scénario

 

Le village des Bai et des Lu se situe dans le Shaanxi, sur le plateau de lœss au sud-est de Xi’an. Le film, comme le roman, commence en 1911 : la nouvelle parvient au village que l’empereur a été renversé et qu’une République a été instaurée. C’est un choc. Et le début d’un chaos qui ne fait qu’empirer de jour en jour.

 

 

La stèle du « village de la justice et de la droiture »

 

 

Un an plus tard, les villageois se révoltent contre une nouvelle taxe sur le blé imposée par le gouvernement révolutionnaire. Plusieurs sont arrêtés. Bai Xiaowen (白孝文), fils du chef du clan des Bai, Bai Jiaxuan (白嘉轩), devient frère juré de Heiwa (黑娃), fils aîné de Lu San (鹿三), le loyal serviteur de Bai Jiaxuan. Dix ans plus tard, le mariage de Bai Xiaowen est arrangé en même temps que celui de Lu Zhaopeng (鹿兆鹏), fils aîné de Lu Zilin (鹿子霖), chef du clan des Lu, pour resserrer les liens entre les deux clans rivaux. Mais Lu Zhaopeng se rebelle et s’enfuit.

 

Par ailleurs, Heiwa quitte lui aussi le village pour aller s’embaucher comme saisonnier pour faire la moisson dans une grande propriété un peu plus loin. Tian Xiao’e (田小娥), la concubine du riche propriétaire, jette son dévolu sur  Heiwa et le séduit. Mais ils sont découverts une nuit et expulsés. Revenu au village avec Xiao’e, Heiwa demandent à Bai Jiaxuan l’autorisation de se marier au temple familial et d’avoir ainsi leurs noms inscrits dans les registres. Mais Bai Jiaxuan refuse car Tian Xiao’e est une étrangère et qui plus est une concubine en fuite. Bai Xiaowen aide son frère juré Heiwa à s’installer avec Tian Xiao’e dans un yaodong [2] abandonné, à l’extérieur du village.

 

 

Les deux chefs de clan, Bai Jiaxuan à g.

 

 

Pendant ce temps, Lu Zhaopeng a rejoint le Parti communiste ; il revient au village et fonde la première école primaire de la plaine en essayant de faire l’éducation politique de Heiwa. Quand arrivent des soldats d’un seigneur de la guerre pour réquisitionner le blé, les deux compères entraînent les villageois à résister et à le brûler. C’est leur première action d’éclat.

 

En 1926, Lu Zhaopeng contribue à la création de l’Union des paysans dans le village, avec Heiwa à sa tête. Il mène l’assaut contre le temple ancestral qui est détruit. La violence se déchaîne. Les communistes sont pourchassés. Lu Zhaopeng et Heiwa prennent la fuite. Comme Heiwa semble ne jamais devoir revenir, Tian Xiao’e se tourne vers Bai Xiaowen devenu chef de clan à la suite de son père et le séduit, au grand dam de son père quand il le découvre. Les rivalités s’exacerbent. La situation du village empire d’année en année.

 

Difficultés d’adaptation

 

Le roman n’a cessé d’être source de controverses. Les juges du prix Mao Dun ont demandé à l’écrivain de réviser le roman en plusieurs endroits pour qu’il puisse être sélectionné car ils trouvaient qu’il donnait une image faussée de la révolution chinoise et qu’il comportait des descriptions sexuelles trop explicites. Ce n’est que qu’en 2015, peu avant la mort de l’auteur, que le manuscrit initial a été publié.

 

 

Bai Jiaoxuan refusant que Heiwa et Xiao’e se marient dans le temple des ancêtres

 

 

Après l’attribution du prix, le roman a été adapté en roman illustré en 2002, au théâtre en 2005 et en ballet en 2011. Plusieurs grands réalisateurs, dont Zhang Yimou (张艺谋), Chen Kaige (陈凯歌) et Wu Tianming (吴天明), ont projeté de l’adapter au cinéma, mais ont renoncé devant l’ampleur des problèmes que posait l’adaptation d’un récit extrêmement complexe, sur des sujets sensibles dont le traitement subtil mais peu orthodoxe ont valu au roman de multiples critiques et controverses.

 

Outre les scènes de sexe qui sont finalement secondaires, les critiques des censeurs portaient sur deux points essentiels : la manière dont sont dépeints les communistes dans l’histoire, de manière guère plus valeureuse que les nationalistes, et l’accent mis sur l’importance des valeurs confucéennes comme principe fondamental garantissant l’harmonie dans les relations humaines en permettant d’éviter les conflits. L’un des personnages principaux du roman, Bai Jiaxuan, est un confucianiste à l’ancienne qui défend les valeurs ancestrales, et c’est justement quand celles-ci sont balayées par les révolutionnaires que la voie est ouverte au chaos, à la violence et à la misère, culminant avec l’invasion japonaise.

 

 

Les deux familles devant le temple des ancêtres

 

 

Wang Quan’an l’a finalement emporté et a réussi à faire passer les divers obstacles de la censure à son scénario, mais c’est au prix de simplifications et de coupes drastiques dans l’histoire qui lui enlèvent une grande partie de son intérêt.

 

Un film exsangue

 

Dans ces conditions, le film souffre des défauts fondamentaux du scénario, que les acteurs ne font qu’accentuer.

 

Révisions et coupes

 

1. Le défaut essentiel du film vient du fait que, pour satisfaire la censure, Wang Quan’an a dû « rectifier » des éléments du roman, et en particulier la peinture initiale des jeunes communistes comme des fauteurs de trouble semant la pagaille dans le village. Dans l’ensemble, jusqu’à la période de la guerre civile suivant la défaite japonaise, les communistes n’ont pas une image plus reluisante que leurs rivaux nationalistes.

 

 

La révolte paysanne menée par Heiwa

 

 

Le personnage de Bai Ling (白灵), la fille de Bai Jiaxuan, passée dans les rangs communistes après avoir un temps penché pour les nationalistes, était particulièrement sensible, surtout que son engagement, patriotique autant que politique, est dans le roman fortement conditionné par ses sentiments à l’égard de son amour d’enfance devenu ennemi. En outre, elle meurt au cours d’une campagne de lutte par une frange extrémiste du Parti contre des espions supposés, et elle est exécutée dans des conditions particulièrement atroces. La solution pour éviter ce personnage complexe et gênant a été de le supprimer, en totalité.

 

2. Plus essentielle encore est l’importance donnée au confucianisme dans le roman, qui était inacceptable par les censeurs. Wang Quan’an a tranché là encore en supprimant carrément le superbe personnage de maître Zhu qui est central dans le roman. C’est lui le modèle et le pilier moral de tout le village, à commencer par Bai Jiaxuan. La description de sa mort et des hommages spontanés qui lui sont alors rendus sont l’un des grands moments de la fin du roman.

 

 

La destruction du temple des ancêtres

 

 

3. A disparu également dans le film tout ce qui concerne les légendes et croyances ancestrales nourries de superstitions qui forment la base de la culture du village et qui déterminent les mentalités tout autant que le respect des ancêtres prôné par le confucianisme.

 

4. Enfin, pour éviter les problèmes posés par la fin du roman, le film – dans sa version finale – s’arrête en 1938, avec l’attaque du village par des avions japonais, ce qui, justement, n’arrive pas dans le roman car la guerre est « ailleurs ».

 

 

Heiwa et Xiao’e

 

 

Le montage initial faisait 220 minutes. Pour le présenter à la Berlinale, Wang Quan’an l’a réduit à 188 minutes, en coupant essentiellement des séquences après 1938. Le montage qui est sorti sur les écrans chinois a été réduit à 154 minutes: le film s’arrête en 1938 et la plupart des « scènes de sexe » ont été supprimées (celles qui restent étant réduites à peau de chagrin, dans l’obscurité propice du yaodong). Dans ces conditions, le film ainsi sabré donne une importance démesurée au personnage de Tian Xiao’e qui occupe le centre de l’action dans toute la dernière heure, au détriment des autres personnages.

 

Ces défauts sont en outre accentués par les acteurs, à l’exception du principal, et ne peuvent malheureusement être compensés par la beauté des images et des séquences musicales.

 

Acteurs

 

Le film repose presque entièrement sur l’autorité naturelle de Zhang Fengyi ( 张丰毅), dans le rôle de Bai Jiaxuan, l’acteur qui interprétait Duan Xiaolou (段小楼) en 1993 dans « Adieu ma concubine » (《霸王别姬》) de Chen Kaige, ou encore Cao Cao (曹操) dans « Red Cliff » (赤壁) de John Woo (吴宇森) – grand film épique dont la première partie est sortie en Chine en 2008 et qui est apparemment le genre de film que Wang Quan’an avait en tête.

 

 

Xiao’e avec Bai Xiaowen dans la cour du yaodong

 

 

Le reste des acteurs est sans éclat particulier, dans des rôles peu différenciés :

- Duan Yihong (段奕宏) dans le rôle de Heiwa,

- Wu Gang (吴刚) dans celui de Lu Zilin,

- Liu Wei (刘威) dans celui de Lu San.

À contre-emploi dans le rôle de Lu Zhaopeng, Guo Tao (郭涛) ne peut donner toute la mesure de son talent [3], et, dans le rôle de Bai Xiaowen, on ne reconnaît guère l’acteur Cheng Taisheng (成太生) qui sera l’excellent interprète du rôle de Liu Qing dans le biopic de Tian Bo (田波) en 2021.

 

 

Guo Tao dans le rôle de Lu Zhaopeng

 

 

Cependant, le plus gros problème vient du choix de Zhang Yuqi (张雨绮)pour interpréter le rôle de Tian Xiao’e, sans qu’on sache trop, bien sûr, si la faute vient de l’actrice, du scénario ou du réalisateur, ou des trois et à quel degré. Il faut dire que Wang Quan’an s’était heurté à plusieurs refus pour un rôle qui s’annonçait sulfureux selon les critères chinois, et que quelqu’un comme Tang Wei (汤唯), par exemple, pressentie pour le rôle, n’avait guère envie de renouveler l’expérience cuisante de « Lust. Caution » (《色,). Wang Quan’an s’est donc « rabattu », en quelque sorte, sur Zhang Yuqi qui venait d’interpréter le rôle de madame Mei au début du film « The Butcher, the Chef and the Swordsman » (《刀见笑》) de Wu Ershan (乌尔善), en 2010. Il se trouve que Wang Quan’an l’a épousée en 2011 (avant de divorcer en 2015). On a parlé d’erreur de casting, ce qui est peut-être injuste. Mais c’est une « erreur » qui plombe la dernière heure du film où le personnage est devenu central.

 

 

Bai Jiaxuan à la fin du film

 

 

Photo et musique

 

Ce qu’il faut louer, c’est le travail sur la photo et la musique, la première signée du collaborateur de Wang Quan’an depuis quasiment ses débuts, Lutz Reitemeier, dont la « contribution artistique » a été primée à juste titre à la Berlinale.

 

 

Photographie : la moisson

 

 

Mais ce sont les séquences musicales qui sont encore le plus réussi du film. Filmées sur la scène (reconstituée) du vieux théâtre du village, elles incarnent à elles seules l’esprit du roman en ressuscitant la tradition musicale du plateau de lœss. Les traditions ancestrales dépeintes par Chen Zhongshi dans son roman, que le film a gommées, sont en quelque sorte synthétisées dans la musique. Elle est signée du grand compositeur Zhao Jiping (赵季平) qui représente lui-même toute une tradition puisque c’est lui qui a composé la musique des grands films de la 5ème génération, à commencer par « La Terre jaune » (《黄土地》) puis « Le Sorgho rouge » (《红高粱》).

 

 

Autre paysage

 

 

La musique est peut-être ce qui reste du projet initial de Wang Quan’an et qui fait regretter que l’on ne puisse en avoir qu’une idée aussi partielle.

 

 

Séquence musicale sur la scène du vieux théâtre du village

 

 

White Deer Plain, le film avec sous-titres chinois [4]

 

Note : en avril 2017 est sortie une série télévisée en 77 épisodes de 40 minutes adaptée du roman. Si l’on excepte la conformité de la série avec l’esthétique télévisuelle, les personnages sont dans l’ensemble mieux campés que dans le film de Wang Quan’an. Ainsi, face à un Bai Jiaxuan incarné par Zhang Jiayi (张嘉益), autre natif de Xi’an, le personnage de Xiancao (仙草), la septième épouse de Bai Jiaxuan, est très bien interprété par l’actrice Qin Hailu (秦海璐).

 

白鹿原 | White Deer 01TV版】2017, 1er episode (sous-titres chinois)

 

 


[1] Voir Bailuyuan III : images et symboles

[2] Habitation troglodyte typique du plateau de lœss.

[3] D’après les réactions sur douban, les spectateurs ont eu tendance à rire en le voyant car il est surtout un acteur comique. Mais il est né à Xi’an… et il jouait déjà dans le film de 2009 de Wang Quan’an « La tisseuse » (《纺织姑娘》).

[4] Dans une version encore réduite, à 137 minutes. On a une idée de l’ampleur des coupes en parcourant les photos sur douban.

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Qui sommes-nous ? - Objectifs et mode d’emploi - Contactez-nous - Liens

 

© ChineseMovies.com.fr. Tous droits réservés.

Conception et réalisation : ZHANG Xiaoqiu