Avec ce décalage de dix ans, il apparaît d’autant
plus comme un maillon significatif dans l’œuvre du
réalisateur. Il est en effet construit sur une
thématique qui parcourt toute son œuvre : les
problèmes de relations entre parents et enfants, et
en particulier la figure du père vis-à-vis du fils.
En quête du fils
Lin Quanhai(林权海)
est capitaine d’un bateau au long cours. Au retour
d’un voyage en mer, il apprend que Lin Bo (林波),
son fils de 25 ans, est mort, abattu par la police
six mois auparavant, après avoir pris en otage une
jeune femme dans un supermarché. Il part aussitôt
enquêter sur sa mort, pour tenter de comprendre ce
qui s’est passé. Cela fait quinze ans qu’il n’a pas
vu son fils : il l’a abandonné alors que l’enfant
avait dix ans. Il ne se souvient même plus de son
visage, et n’a aucune idée de ce qu’il était devenu.
Il tente de revoir son ancienne épouse, l’ami de son
fils, sa petite amie, les témoins, tout le monde lui
ferme la porte au nez en lui faisant comprendre
qu’ils le tiennent en grande partie responsable de
la fin tragique de son fils. Seul son vieil ami Lao
Jin est content de le revoir ; c’est le père du
meilleur ami de Lin Bo, et lui aussi a des problèmes
relationnels avec son fils, Xiao Hao (小昊),
une tête brûlée, rebelle et sans égards pour son
père, qui refuse de parler à Lin Quanhai.
Chongqing Blues,
affiche chinoise
Affiche du festival de
Cannes
Wang Xueqi/ Lin
Quanhai dans la ville
Peu à peu, cependant, celui-ci réussit à amorcer le
dialogue avec les principaux témoins du drame : la
petite amie, la doctoresse prise en otage ; son
ancienne épouse finit même par accepter de l’emmener
voir non la sépulture, mais le lieu où elle a
dispersé les cendres de Lin Bo : au bord du fleuve,
car son rêve était de rejoindre son père en mer, et
le fleuve l’y conduira… C’est la scène où Wang
Xiaoshuai laisse enfin percer l’émotion, qui reste
cependant contenue : le film
est d’une infinie tristesse, mais sans expression superflue
des sentiments.
Un père absent
Au cours de ses pérégrinations d’une personne à
l’autre, Lin Quanhai découvre à quel point son
absence a pesé sur son fils, au point qu’il était
maladivement accroché à son ami Xiao Hao et qu’il
n’a pas supporté la défection de sa petite amie. Le
père absent avait créé un tel vide dans son
existence qu’il était viscéralement attaché aux peu
d’amis qu’il avait autour de lui.
Lin Bo lors de la
prise d’otage
Lin Quanhai avec la
petite amie de Lin Bo
Le film complexifie cependant quelque peu le
tableau : Lao Jin est bien là, lui, mais son fils ne
le supporte pas. Il suffit cependant qu’il ait une
attaque et soit hospitalisé pour que son fils
réalise qu’il déteste peut-être son père, mais que
celui-ci lui est indispensable. Le film est donc
plus profond qu’on ne l’aurait pensé : la figure du
père y devient l’un des éléments clés de la
personnalité d’un enfant, qui se définit en regard
de lui, même s’il le méprise ou le déteste, et même
si le père est excessivement autoritaire.
Le thème père//fils qui sous-tend le fil narratif de
« Chongqing Blues » est omniprésent dans l’œuvre de
Wang Xiaoshuai. On le retrouve dans
« Shanghai
Dreams »
(traité au féminin) en 2005, dans
« 11
Flowers »
en 2011, mais on le retrouve surtout dans le dernier
film,
« So
Long, My Son » (《地久天长》),
en 2019, et là avec une thématique inversée.
Chacun muré dans sa
solitude et sous le poids du passé
D’excellents acteurs, dont Chongqing
Un trio d’acteurs qui se distingue
Lin Bo s’imaginant
capitaine au long cours
Tourné en 2010,
« Chongqing Blues » a bénéficié d’une superbe
galerie d’acteurs, dont, d’abord, crevant l’écran
par sa présence douloureuse, presque mutique :
Wang Xueqi
(王学圻)
dans le rôle du père. Le fils est interprété par un
Qin Hao (秦昊)
encore débutant, mais qui venait de se faire
remarquer l’année précédente dans
« Nuits
d’ivresse printanière » (《春风沉醉的晚上》)
de
Lou Ye (娄烨).
Très juste également dans le rôle en demi-teinte de
la doctoresse Zhuqing (竹青,),
Fan Bingbing (范冰冰)
montre qu’elle pouvait donner de la profondeur à un
second rôle.
Ding Jiali
丁嘉丽
Li Yuying
李育英,
première épouse de Quanhai, mère de Lin Bo
Wang Kuirong
王奎荣
Lao Jin
老金,
vieil ami de Lin Quanhai
Qin Hao 秦昊 Xiao
Hao
小昊,
le fils de Lao Jin et ami de Lin Bo
Fan Bingbing
范冰冰
Zhuqing
竹青,
la doctoresse, otage de Lin Bo
Li Fei’er 李菲儿
Xiaowen
小雯,
la petite amie de Lin Bo
Zi Yi 子义
Lin Bo
林波,
le fils
Chongqing
C’est à Chongqing qu’a été tourné le film, et il en
est un tableau en contre-plongée. Wang Xiaoshuai a
utilisé le voile de brume qui couvre quasiment
toujours la ville pour en faire l’image symbolique
de l’atmosphère du film, le ciel nimbé de son voilé
bleuté étant à l’image des sentiments des
personnages.
Seule image restant de
lui : une photo floue
Dernière entrevue :
avec le policier qui a tué Lin Bo,
sur fond de ville dans
la brume
Le film est aussi
une histoire de la vie à Chongqing, de cette sorte
de jungle urbaine des années 1990-2000. C’est une
ville vue de l’intérieur, un film conçu en images
bien plus qu’en dialogues, et dont les images
laissent une marque profonde et durable.
L’une des rares vues
de la ville : le poids de la brume comme du passé
Le titre
Quant au titre, il est à double sens :
Rìzhào Chóngqìng
(日照重庆)
signifie ‘soleil sur Chongqing’, ou plutôt ‘lumière sur
Chongqing’ (au sens de faire la lumière sur…). Mais
Rìzhào
est également un port important
au sud-est du Shandong, à environ 170 km au sud-ouest de
Qingdao, avec une belle plage. C’est là que vit le
demi-frère de Lin Bo, que celui-ci est à deux doigts de
kidnapper pour que son père n’ait d’autre sujet d’attention
que lui.
Bande annonce
Le film n’est pas parfait, il a ses défauts et ses zones
d’ombre, mais tel qu’il est il permet de mesurer la genèse
d’une œuvre, le chemin parcouru de « Chongqing Blues » à
« So
Long My Son ».