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« Beijing Bicycle » de Wang Xiaoshuai : l’initiation dans la douleur d’un nouveau citadin

par Brigitte Duzan, 19 septembre 2011

 

« Beijing Bicycle » (《十七岁的单车》) a été la révélation de la 51ème Berlinale, en février 2001 : le film y a été couronné de l’Ours d’argent, tandis que le prix du meilleur jeune acteur était décerné aux deux acteurs principaux, Cui Lin (崔林) et Li Bin (李滨) dont c’étaient les premiers rôles au cinéma (1). Il est sorti en France deux mois plus tard.

 

Il a été coproduit par l’une des plus importantes représentantes de la production taiwanaise : Peggy Chiao (焦雄屏), créatrice en 1997 de la société Arc Light Films qui a financé le film en partenariat avec la société française Pyramide Productions. « Beijing Bicycle » a fait partie d’un projet en trois parties intitulé « Contes de trois cités », qui devaient être Pékin, Hong Kong et Taipei (2).

 

« Beijing Bicycle » est aujourd’hui un classique et une œuvre de référence, mais ses thèmes sont toujours aussi actuels.

 

Affiche du film « Beijing bicycle »

 

 

Bande annonce du film « Beijing Bicycle »

 

Un "Voleur de bicyclette" dans la Chine urbaine de l’an 2000

 

Quand le film est sorti, en 2001, la première chose qui a frappé les critiques, c’est la similarité avec le film de Vittorio de Sica qui a marqué l’âge d’or du néo-réalisme italien en 1948 : « Le voleur de bicyclette ».  Mais la comparaison s’arrête au thème de départ du scénario (3).

 

Peggy Chiao (焦雄屏)

 

Le film italien se passe à Rome dans l’immédiat après-guerre, dans le contexte de misère sociale de la fin des années 40 ; le film de Wang Xiaoshuai (王小帅) se situe en revanche dans le cadre de la Chine en plein essor du début du second millénaire, un pays qui affiche des taux de développement économique record, mais où la croissance accélérée se fait en grande partie aux dépens d’une frange marginalisée de la population.

 

« Beijing Bicycle » dépeint les déboires d’un jeune garçon de dix-sept ans, Xiao Gui (小贵), qui, frais émoulu de sa campagne, tente de se faire une place dans l’univers de la ville. Comme son lointain ancêtre italien, il trouve un petit boulot qui nécessite une bicyclette, mais lui comme coursier, l’engin étant fourni par la société qui l’emploie et agit comme prêteur : l’argent correspondant à l’achat du vélo est prélevé chaque mois sur son salaire.

 

Comme le colleur d’affiches italien, Xiao Gui se fait voler sa bicyclette, ce qui était courant. Mais, pour le jeune Gui, c’est une catastrophe. Il part donc en quête du vélo, et finit par le trouver, mais l’analogie avec le film italien s’arrête là.

 

Le vélo est désormais entre les mains d’un garçon du même âge, Xiao Jian (小坚). Mais celui-ci est un lycéen d’une famille aisée pour lequel le vélo n’a pas la même signification : pour Xiao Gui, c’est un outil de promotion sociale, pour lui c’est un objet valorisant, quelque chose qui lui donne de la face auprès de ses camarades, et qui lui permet en particulier d’accompagner une autre lycéenne qu’il tente de conquérir sur le chemin de l’école.

 

Le problème est qu’il l’a acheté au marché noir, le vélo, vraisemblablement au véritable voleur, et qu’il a été jusqu’à voler de l’argent à son père pour l’acquérir. Il n’est donc pas prêt à s’en séparer. Après de multiples courses poursuites et échanges de coups, les deux garçons arrivent finalement à un compromis : chacun utilisera le vélo un jour sur deux…  arrangement qui tiendra un temps jusqu’à ce que les événements se compliquent avec l’intervention d’un gang de jeunes, évidemment à vélo ; Xiao Gui s’en sort, mais son vélo est en miettes.

 

Le vélo comme symbole social

 

Un film qui pose des problèmes de fond

 

Wang Xiaoshuai dépeint une ville en flux, en transition entre passé et modernité : le contraste entre l’ancien et le nouveau est visuellement souligné par l’alternance des quartiers où passe le jeune Gui pendant ses pérégrinations à vélo pour livrer ses paquets et missives : alternance de larges avenues modernes et de quartiers anciens de hutongs. Le film est ainsi bâti sur des oppositions multiples qui sont à l’image de celles de la Chine : opposition entre ville et campagne, entre ancien et nouveau, opposition aussi entre générations, entre patron et employés, entre membres d’un gang et ceux qui n’en sont pas.

 

Dans ce cadre, le vélo est le fil conducteur qui assure l’unité du scénario et le lien entre les séquences. Quel que soit l’âge, quelle que soit l’origine sociale, le vélo représente pour tout le monde un instrument de promotion sociale, mais revêt dans chaque cas particulier une symbolique différente : outil de travail et d’intégration, accessoire de drague, signe extérieur de richesse ou d’appartenance à une bande.

 

Sous cette unité structurelle sont tendus des fils thématiques qui en enrichissent la trame, en approfondissant l’analyse de certains aspects sociaux et en déroulant des drames parallèles mis en évidence par le regard des deux principaux protagonistes, mais surtout de Xiao Gui et de son meilleur copain. Le mini drame le plus intéressant est celui qui se déroule sous leurs yeux dans une maison proche : il observent une jeune femme qui semble posséder une impressionnante garde-robe qu’elle exhibe à plaisir, mais ne semble pas heureuse pour autant. Ils découvrent alors qu’elle n’est qu’une employée qui revêt les robes de sa patronne pendant que celle-ci est absente : drame de la solitude et de la frustration, critique évidente de la nature trompeuse des images comme des biens matériels.

 

Lutte autour du vélo

 

Pékin apparaît dans ce film comme une ville où tout le monde est plus ou moins victime : victime du développement chaotique, de la perte de repères et de valeurs, des violences des gangs, de l’essor des inégalités à tous niveaux. Wang Xiaoshuai brosse une galerie de portraits très variés, mais tous marqués par

un certain pessimisme lié au contexte urbain : un coursier venu de la campagne qui découvre les injustices des villes, des bandes de jeunes voyous qui cultivent la violence, un élève qui ne croit plus aux promesses que son père ne tient jamais, une jeune domestique qui s’invente une vie bourgeoise pour oublier son quotidien…

 

Finalement, pour avoir du travail à Pékin, condition d’intégration, il faut accepter des sacrifices, accepter de suer sang et eau, il faut également, si l’on ne fait pas partie des privilégiés, savoir surmonter obstacles et injustices, mensonges et violences. La recherche de la bicyclette volée prend ainsi la forme d’une initiation dans la douleur.

 

C’est donc un film sombre, mais qui n’est pas totalement pessimiste. Des courses poursuites ponctuées d’éclats de rire viennent désamorcer les scènes pesantes, et Wang Xiaoshuai se fait un plaisir de distiller à tour de rôle le désespoir, la joie et l’humiliation.

 

Rien n’est tranché, et la fin est ouverte. « Beijing Bicycle » n’est pas un film accusateur ou dénonciateur, c’est le film d’un réalisateur en proie au doute et qui se pose des questions tout en nous les posant. L’impression qui en reste, finalement, est un éloge de l’obstination, de la volonté indéracinable de s’en sortir, dans les pires situations. Obstination qui est aussi celle du metteur en scène luttant pour réaliser son œuvre en dépit de tous les obstacles.

 

Et finalement, dix ans plus tard, rien n’a véritablement changé…

 

Notes

(1) Les deux principaux rôles féminins sont interprétés par deux actrices connues : Zhou Xun (周迅), l’actrice principale de « Suzhou River », et Gao Yuanyuan (高圆圆) dans le rôle de la petite amie de Xiao Jian. On retrouve cette dernière dans deux films ultérieurs de Wang Xiaoshuai, dans lesquels sa présence tisse une sorte de continuité filmographique dans l’œuvre du réalisateur.

(2) « Beijing Bicycle » est le premier film de la série, mais les deux autres films sont finalement de la nouvelle vague taiwanaise : « Betelnut Beauty » (《愛你愛我》)  de Lin Cheng-sheng, également sorti en 2001, et « Blue Gate Crossing » (《蓝色大门》)  de Yee Chin-yen (易智言) sorti en 2002.

(3) Le titre original est au pluriel : Ladri di biciclette. Antonio Ricci trouve un travail de colleur d'affiches, mais à la condition qu’il possède un vélo. Alors qu’il a vendu ce qu’il possède pour en acheter un, on le lui vole. Parti à la recherche du voleur, il retrouve un homme encore plus pauvre que lui. Il lui laisse donc son vélo et s'en va à son tour en dérober un…

 


 

« Beijing Bicycle » dans l’histoire du cinéma chinois

 

« Beijing Bicycle » a été interdit de diffusion en Chine pour avoir été présenté à un film étranger sans autorisation, et Wang Xiaoshuai interdit de tournage pendant un an.

 

L’interdiction a été levée en 2005, et se replace dans un contexte de libéralisation et d’ouverture qui a alors donné un sursaut d’espoir aux réalisateurs.

 

La levée de l’interdit qui pesait sur « Beijing Bicycle » peut être considérée comme un événement de portée historique dans l’histoire du cinéma chinois. C’est le premier film ‘underground’ à avoir été autorisé après la réforme, promulguée le 1er décembre 2003, des procédures de contrôle de l’organisme étatique de supervision du cinéma, de la télévision et de la radio, le SARFT.

 

La réforme semble minime. Elle portait sur une phrase :

« Les équipes de réalisation cinématographique sont encouragées à participer aux festivals et manifestations de cinéma à l’étranger. Le film devra pour cela obtenir une ‘autorisation de projection publique’ et être enregistré auprès du SARFT... »

Le changement portait sur « être enregistré » - auparavant le règlement stipulait qu’il devait être « approuvé ».

 

En clair, un réalisateur n’avait plus qu’à soumettre au SARFT un résumé du scénario en mille caractères et ce résumé serait enregistré. Ce n’est qu’une fois le tournage et le montage terminés que le film devrait obtenir l’autorisation de diffusion publique, après passage par le bureau de la censure. Il y avait donc une libéralisation des étapes de réalisation du film. Seule la diffusion publique continuait à être soumise à censure.

 

Le 13 novembre 2003, le bureau du cinéma, organe interne du SARFT en charge du cinéma, donna une conférence de presse à laquelle participèrent les deux réalisateurs considérés comme représentatifs du cinéma indépendant, Jia Zhangke et Wang Xiaoshuai. La conférence marquait un changement d’attitude des autorités : le cinéma indépendant était encouragé comme constituant le sang neuf de l’industrie cinématographique chinoise, et non plus comme un élément perturbateur dont la créativité devait être étouffée à la source.

 

Jia Zhangke s’est montré optimiste, déclarant qu’il voyait dans cette attitude nouvelle des autorités un respect pour les réalisateurs indépendants et la reconnaissance de la valeur de la créativité en matière de cinéma. C’est alors qu’il a tourné « The World », son premier film à obtenir l’autorisation de diffusion dans des cinémas chinois.

 

Wang Xiaoshuai se montra plus réservé, voyant dans les faiblesses du réseau de salles une limitation des possibilités de diffusion pour des films comme les siens et dans les conditions mêmes de la censure finale un obstacle majeur, appelant de ses vœux un système de classification des films qui n’a toujours pas vu le jour. La situation ne s’est guère améliorée et on peut louer sa clairvoyance.

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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