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« Le village Hibiscus » : le mélodrame politique selon Xie Jin

par Brigitte Duzan, 17 novembre 2016, actualisé 28 janvier 2022

 

« Le village Hibiscus » (《芙蓉镇》) fait partie des grands films réalisés par Xie Jin (谢晋) dans les années 1980, et c’est certainement le meilleur de ceux-ci.

 

Il est souvent considéré comme formant le dernier volet d’une trilogie avec les deux grands films du début de la période, « La légende du mont Tianyun » (《天云山传奇》), en 1980, et « Le gardien de chevaux » (《牧马人》), en 1982, trilogie représentative du style propre au Xie Jin de cette époque : le mélodrame politique.

 

Dans ces films, Xie Jin se fait le témoin et critique des politiques désastreuses de la période maoïste, dont lui-même avait été victime. Avec « Le village Hibiscus » il va un pas plus loin, pour soutenir la politique économique mise en œuvre par Deng Xiaoping, tout en mettant en garde contre un retour aux erreurs du passé.

 

Le village Hibiscus, affiche célèbre,

avec Jiang Wen et Liu Xiaoqing

 

Comme la plupart des films de Xie Jin, « Le village Hibiscus » est adapté d’une œuvre littéraire, en l’occurrence un roman éponyme de Gu Hua (古华) qui avait été parmi les six lauréats du premier prix Mao Dun, en 1982 [1]. 

 

Un scénario fidèle au roman

 

Adaptation d’un roman de Gu Hua

 

Xie Jin a souvent souligné que, lorsqu’il adaptait un roman, c’est parce qu’il aimait l’œuvre et son auteur, et qu’il tentait de lui rester le plus fidèle possible [2]. Il avait trouvé dans les récits de Gu Hua, et en particulier dans ce roman, la même critique de la politique anti-droitière et des excès de la période de la Révolution culturelle qu’il avait lui-même dénoncés dans ses deux films du début des années 1980, « La légende des monts Tianyun » et « Le gardien de chevaux ».

 

Comme Xie Jin, Gu Hua avait lui-même souffert des excès dont il rend compte dans son œuvre, mais sa critique concerne essentiellement les politiques aberrantes pratiquées à la campagne, où il est resté quatorze ans à cultiver des orangers. Xie Jin insistait toujours sur l’importance de l’expérience vécue pour assurer l’authenticité d’un film, Gu Hua écrivait de même sur ce qu’il avait lui-même observé et subi, ou sur des faits réels arrivés autour de lui.

 

L’histoire du « Village Hibiscus » est celle d’un jeune couple stigmatisé pour avoir trop bien réussi, au prix d’un labeur acharné, réussite se traduisant par des résultats ostensibles attirant la jalousie de certains et la vindicte des représentants locaux du Parti, à un moment où l’idéologie dénonçait tout ce qui aurait pu représenter un semblant de retour au capitalisme honni.

 

Dans ses notes sur le film, Xie Jin a dit :

 

« Le village Hibiscus » est une tragédie, une tragédie unique qui ne s’est passée qu’en Chine, et nulle part ailleurs. Pourquoi ? C’est la première question que nous devons nous poser…

Cette tragédie mêle réalisme et symbolisme ; elle comporte des éléments comiques et des touches d’absurdités, mais le rire qu’ils suscitent est tragique. C’est le genre de rire qui devrait nous amener à une profonde réflexion.

C’est une tragédie lyrique visant à glorifier la nature humaine et sa beauté, et la lutte pour la survie… »

 

Le roman a été adapté par Xie Jin et A Cheng (阿城) : le scénario est bien construit et très vivant.

 

La Révolution culturelle au village

 

L’histoire se déroule en trois temps, et trois mouvements politiques distincts : 1963 et le mouvement d’"éducation socialiste" contre la corruption et les « tendances capitalistes » dans l’économie (ou mouvement des "quatre nettoyages" 四清运动) – c’est une tentative de reprise en main du pouvoir par Mao après la relative libéralisation ayant suivi le désastre du Grand Bond en avant [3] ; 1966 et le début de la Révolution culturelle ; 1978 et l’ouverture, accompagnée des débuts de libéralisation de l’économie.

 

1963

 

Hu Yuyin (胡玉音) est une jeune villageoise, vive et jolie, que l’on surnomme « Hibiscus » (芙蓉姐). Elle prend donc tout de suite valeur emblématique : le film se présente dès le départ comme l’histoire de Yuyin, représentant l’histoire du bourg, et de la campagne chinoise dans son ensemble.

 

Elle est mariée avec Li Guigui (桂桂) avec lequel elle tient un petit restaurant de tofu au riz, leur spécialité ; ils travaillent dur tous les deux, en économisant, si bien qu’ils arrivent peu à peu à se construire une maison neuve. On est là dans le cadre de la brève libéralisation de 1961-1962. Hu Yuyin est populaire dans le bourg, et a le soutien du membre du Parti Li Mangeng (黎满庚), un de ses anciens prétendants, et du directeur du silo de grains, Gu Yanshan (谷燕山).

 

Mais sa réussite attire l’attention, et les jalousies. Quand est lancé le mouvement des « quatre nettoyages », arrive dans le bourg une équipe chargée d’enquêter et de « rectifier » : la secrétaire Li Guoxiang (李国香), célibataire, accompagnée d’un ivrogne invétéré, Wang Qiushe (王秋赦), ancien paysan pauvre qui a fini par perdre les terres reçues lors de la Réforme agraire.

 

Au cours d’une séance publique, Hu Yuyin est dénoncée comme « nouvelle paysanne riche » et membre des « cinq catégories noires », pour s’être enrichie illégalement en collusion avec le directeur du silo. Ses biens – restaurant et maison – sont confisqués, et son mari est tué.

 

1966

 

Yuyin est reléguée au rang de balayeur de rues, comme Qin Shutian (秦书田), un excentrique que l’on a surnommé "Qin le fou" (秦癫子), et qui est en fait un ancien cadre du Bureau de la Culture du district, condamné comme droitier. Qin Shutian aide Yuyin à supporter sa nouvelle condition, ils tombent amoureux, et Yuyin se retrouve enceinte.

 

Leur liaison leur attire les foudres de Li Guoxiang, qui a elle-même une liaison secrète avec Wang Qiushe. Qin Shutian est envoyé dans un camp "de réforme par le travail"… Yuyin a un malaise, accouche prématurément dans des conditions difficiles, mais elle est sauvée, avec le bébé, par une équipe médicale de l’armée. Elle appelle son bébé Jun () – c’est-à-dire armée.

 

1978

 

Deng Xiaoping a lancé la politique d’ouverture et développement. Yuyin reprend son petit restaurant, Shutian est réhabilité et rentre chez lui. A la fin du film, Li Guoxiang a toujours un poste officiel, et elle est toujours célibataire. Quant à Wang Qiushe, il est devenu fou et court les rues en battant du gong et en annonçant le prochain mouvement politique…

  

Un film aussi réaliste que symbolique

 

Réalisme des images et des personnages

 

Produit par le studio de Shanghai, « Le village Hibiscus » frappe d’abord par un grand réalisme, dès la séquence introductive, avec Yuyan préparant son tofu pour la consommation de la journée, dans un très beau clair-obscur.

 

Le film a été tourné dans un bourg du Hunan qui correspond à la description faite

 

Le village des Wang devenu Furongzhen

par Gu Hua dans le roman. Il s’appelait initialement « village des Wang » (王村) – après le film, il a été rebaptisé « Furongzhen » (芙蓉镇). L’identification est donc devenue parfaite.

 

Furongzhen

 

La caméra capte parfaitement la beauté du paysage, la brume du matin, l’atmosphère des rues, de l’intérieur des maisons. On a beaucoup comparé le roman de Gu Hua à « La ville frontalière » (《边城》) de Shen Congwen (沈从文) [4], mais les images du film rappellent aussi celles de l’adaptation de Xiaoxiao (萧萧) par Xie Fei (谢飞) [5].

 

Cependant, le réalisme, le sentiment d’authenticité qui se dégagent du film de Xie Jin tiennent aussi beaucoup aux acteurs : les

deux actrices principales, Liu Xiaoqing (刘晓庆) dans le rôle de Yuyin, et Xu Songzi (徐松子) dans celui de la secrétaire Li Guoxiang, ont toutes deux été récompensées par un prix d’interprétation féminine au festival des Cent Fleurs. Si c’était le premier grand rôle de Xu Songzi, ce n’était pas le cas de Liu Xiaoqing. Après son interprétation de l’impératrice Cixi dans deux films de Li Han-hsiang (李翰祥)

en 1983, elle revenait là vers le type de rôles qu’elle avait interprétés au début de la décennie, et en particulier celui de la septième sœur dans le « Xu Mao et ses filles » (《许茂和他的女儿们》) réalisé au studio de Pékin.

 

Le film, cependant, doit aussi beaucoup à l’interprétation de Jiang Wen (姜文), d’autant plus remarquable qu’il n’avait alors que dix-huit ans. Il avait été remarqué par Xie Jin alors qu’il commençait sa carrière dans la troupe du Théâtre de la Jeunesse de Chine (中国青年艺术剧院) où il était entré en 1984. C’est son premier rôle au cinéma. Il sera récompensé, avec les deux actrices, du prix d’interprétation masculine au festival des Cent Fleurs.

   

Xie Jin en tournage avec Liu Xiaoqing

 

Principaux rôles :

Hu Yuyin (Hibiscus) 胡玉音 (芙蓉姐)          Li Xiaoqing 刘晓庆

Li Guigui 李桂桂 (le mari de Yuyin)           Liu Linian 刘利年

Li Mangeng 黎满庚                                Zhang Guangbei 张光北

Gu Yanshan 谷燕山                                Zheng Zaishi 郑在石

Li Guoxiang 李国香                                Xu Songzi 徐松子

Wang Qiushe 王秋赦                              Zhu Shibin 祝士彬

Qin Shutian 秦书田 Qin le fou (秦癫子)     Jiang Wen 姜文

 

Derrière le réalisme, cependant, se profile toute une symbolique qui donne sa profondeur au film.  Dans ses notes sur le film, Xie Jin lui-même a dit :

 

« En adaptant le roman de Gu Hua, nous n’avons pas pu utiliser son mode narratif, mais avons dû recourir à la place aux plans, images et moyens figuratifs d’exprimer les sentiments subjectifs des personnages, afin d’influer sur la vision des spectateurs. Les bruits du gong, de la meule, du suona, les pleurs du bébé, tout a une signification symbolique. »

 

Derrière le réalisme, le symbolisme

 

Le tofu, tout chaud

 

En 1980, « La Légende du Mont Tianyun » soulignait les excès passés du Parti en traitant de la question délicate des « droitiers » à la fin des années 1970, ce qui, en un sens, préparait la voie aux nouvelles orientations de Deng Xiaoping. Le thème du « Village Hibiscus » reprend là où s’est arrêté ce film, en prenant l’économie pour thème central, pour montrer le gâchis entraîné par les aberrations de la politique économique de la période maoïste, en particulier dans le monde rural, ce qui est le sujet favori de Gu Hua.

 

1. Polarisation des personnages féminins

 

Le personnage féminin de Li Yuyin est l’incarnation du thème, et le fait d’avoir choisi une femme permet de développer autour de son personnage une double symbolique : à la fois symbole de maternité et symbole de productivité, en ligne avec la nouvelle idéologie mettant l’accent sur le développement économique.

 

Dénoncée pour s’être enrichie et victime des campagnes politiques, elle est privée de son double rôle « naturel » dans le domaine à la fois de la production et de la reproduction. Mais il y a polarisation du personnage féminin : la figure maternelle de Yuyin est opposée à la secrétaire Li Guoxiang qui, elle, reste célibataire, et dépeinte en termes négatifs comme étant matériellement et physiologiquement improductive.

 

La réunion des cinq catégories noires

 

2. Symboles politiques

 

La secrétaire Li Guoxiang et son adjoint

 

Les images du film sont ensuite bâties sur une série de symboles qui renvoient à la politique, le plus évident étant celui de l’opposition gauche-droite, qui apparaît nettement dans les séquences finales.

 

D’abord, quand, après l’arrestation de Shutian, Yuyin s’effondre, elle est alors sauvée par les médecins et infirmières de l’armée qui sauvent aussi le bébé prématuré. Par gratitude, elle nomme le bébé du nom de l’armée. Le contexte évoqué dans cette séquence est

l’intervention de l’armée qui a mis un terme au règne de la Bande des quatre après la mort de Mao.

 

Lorsque, par la suite, Shutian est réhabilité, en rentrant chez lui, il rencontre la secrétaire Li sur le ferry et discute avec elle. Il est à sa droite, sauf à un moment où il lui fait une remarque sarcastique sur son attitude à son égard ; elle lui répond alors que c’est elle qui a signé sa réhabilitation, à quoi il rétorque qu’elle ne pouvait pas faire autrement. Là il est à sa gauche. Après cela, la caméra tourne à 180°, et les deux personnages reprennent leur position initiale, avec Qin Shutian à droite.

 

La position à droite a donc ici une valeur positive, mais le changement au cours de la

 

Scène entre Li Guoxiang et Wang Qiushe,

avec sur le mur, derrière, des photos de

l’opéra modèle « La prise de la Montagne du Tigre »

séquence suggère que rien n’est gagné, que la ligne maoïste a encore ses partisans au sein du Parti et que la lutte continue. Le danger est indiqué encore plus clairement dans les dernières séquences.

 

Le bonheur malgré tout

 

Les affaires familiales retrouvent leur prospérité, et l’on voit alors l’ancien gauchiste Wang devenu fou passer en frappant sur son gong pour annoncer une nouvelle campagne politique. Shutian conseille à Yuyin de lui offrir un bol de leur spécialité de tofu, tout en disant aux clients alentour qu’il n’est peut-être pas si fou qu’il en a l’air, et qu’il n’a peut-être pas tort, qu’il faut être vigilant. A la fin de la séquence, on voit le fou s’éloigner en zigzagant de droite à gauche, puis disparaître au bout de la ruelle, qui est à gauche de l’écran….

 

On a là une symbolique très forte des risques de retour aux aberrations du passé, d’autant plus vives que, depuis la publication du roman de Gu Hua, il y a eu la campagne de 1983 contre la pollution spirituelle (清除精神污染) ; l’atmosphère reste tendue.

 

3. Symbolique d’un idéal confucéen

 

Au-delà de l’objectif de développement économique qui se substitue aux luttes politiques, le film propose in fine un idéal de famille confucéenne centrée sur le père, malgré le rôle économique qui revient à Yuyin.

 

Après la scène du ferry, les retrouvailles émouvantes de Shutian avec Yuyin se terminent par un plan où Shutian occupe la position centrale, avec Yuyinà sa droite et le bébé Jun à sa gauche. Comme si la Chine ne pouvait renaître que sur ces solides fondations.

 

Gu Yanshan offre un cadeau à Yuyin et Shutian pour leur mariage

 

Yuyin, cependant, a une fonction (re)productive, mais elle n’a pas l’autorité. La secrétaire Li, elle,

 

La scène sur le ferry, entre Shutian libéré et la secrétaire Li

 

conserve un poste officiel, mais elle est toujours célibataire : la politique continue d’être stérile. On a ainsi l’impression de voir se profiler l’évolution du système socio-politique chinois : un système fondé sur le slogan « enrichissez-vous » permettant à chacun de détenir une part du pouvoir économique, mais laissant en contrepartie l’exercice du pouvoir sans partage au Parti. Finalement, le socialisme en Chine est de type patriarcal.

 

Cette symbolique est propre à Xie Jin ; elle n’apparaît pas dans le roman qui reste centré sur la dénonciation des injustices et abus commis au nom de l’idéologie. « Le village Hibiscus » est un modèle de « mélodrame politique » tel que l’a défini Ma Ning, un mélodrame qui renégocie les relations entre modernisation et tradition et étudie l’évolution des rapports de pouvoir dans ce contexte.

 

Et après…

 

Le film a été a passé la censure sans problème. Il a été très bien accueilli et a remporté nombre de récompenses au festival des Cent Fleurs, et à celui du Coq d’or en 1987, dont le prix du meilleur film. Il a également été primé au festival de Karlovy Vary.

 

Cependant, il a été interdit de projection publique pendant longtemps, sans qu’aucune raison ne soit donnée [6]. Il a fallu l’intervention de diverses personnes, pour que l’interdiction finisse par être

 

Wang Qiushe devenu fou, annonçant une nouvelle campagne

levée. Depuis la fin des années 1990, il passe même à la télévision.

 

Le village Hibiscus (non sous-titré)

 


 


[2] Voir en particulier son interview par Michael Berry, dans : Speaking in Images, Interviews with Contemporary Chinese Filmmakers, Columbia University Press 2004, pp. 21-49.

[3] On présente en général le mouvement comme une purge de la bureaucratie, on le voit ici dans son application au niveau rural, dans une petite bourgade, où il apparaît d’autant plus absurde. C’est l’échec de ce mouvement qui a conduit Mao à envisager des mesures plus draconiennes : la Révolution culturelle.

[5] Film datant de la même année 1986, qui est différent quant au contenu, mais semblable au niveau de l’image :

www.chinese-shortstories.com/Adaptations%20cinematographiques_ShenCongwen_Xiaoxiao.htm

[6] Une raison évoquée par Xie Jin dans son interview avec Michael Berry a trait au départ de Gu Hua pour le Canada, et les livres qu’il a publiés là (Speaking in Images, op. cité, p.40). Mais c’était deux ans après l’achèvement du film.

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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