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« The Chinese Mayor » ou l’arbitraire au pouvoir

par Brigitte Duzan, 9 janvier 2016

 

 

The Chinese Mayor – destruction

 

 

« The Chinese Mayor » (《大同》) est un documentaire fascinant de Zhou Hao (周浩), primé au festival Sundance, aux Etats-Unis, où il est sorti en première mondiale le 28 janvier 2015 et couronné meilleur documentaire au 52ème festival du Golden Horse, à Taipei, en novembre de la même année. Mais si le film est fascinant, c’est que le personnage dont il suit les pas ne l’est pas moins et qu’il soulève une foule de questions.

 

Geng Yanbo

 

Si le titre anglais tend vers l’abstrait, le titre chinois précise, lui, de qui il s’agit : du maire de la grande cité minière du Shanxi, Datong, et plus précisément de celui qui en fut maire de 2007 à 2012 : Geng Yanbo (耿彦波). C’est un superbe portrait humain, mais c’est aussi, comme le souligne justement le titre anglais, un portrait qui se veut symbolique, et réussit à l’être, malgré la spécificité du sujet et le côté hors norme du personnage.

 

Un maire atypique

 

Zhou Hao a filmé Geng Yanbo au quotidien, dans la ville [1], et la qualité de son documentaire tient en grande partie au regard neutre qu’il porte sur un personnage des plus controversés, en tentant de saisir l’homme derrière le maire, avec son idéalisme, sa foi dans l’avenir, sa volonté de faire bouger les choses et son infatigable activisme qui aurait été qualifié de révolutionnaire en d’autres temps.

 

La culture contre le charbon

 

Geng Yanbo aurait pu rester un cadre local ordinaire. Né en 1958, dans le district de Heshun (和顺县) dans la préfecture de Jingzhong (晋中), au centre du Shanxi, il est membre du Parti depuis 1981, c’est-à-dire avant la fin de ses études à l’université du Shanxi, en 1985. Il a ensuite suivi un parcours banal, gravissant peu à peu les échelons de l’administration locale en occupant divers postes

 

Et reconstruction

à Jinzhong, puis à Taiyuan, avant de devenir maire de Datong en 2007.

 

Datong, une ville de gravats

 

Mais, ce que montre le documentaire, c’est un personnage habité par une vision et un idéal : celui de changer l’image de la ville de Datong, capitale du charbon qui est l’une des plus polluées, et polluantes, de Chine, en lui faisant retrouver sa splendeur d’antan : capitale de la brillante dynastie des Wei au 3ème siècle, et capitale secondaire de nombre de dynasties par la suite, centre culturel et religieux qui a conservé de prestigieux témoignages de son passé, dont les grottes de Yungang (云冈石窟) et ses sculptures datant des 5ème et 6ème siècles.

 

Or, par un clin d’œil ironique du sort, les grottes se trouvent, à la sortie de Datong, juste en face de l’entrée de la plus grande mine de charbon de la province, avec une cité entière de logements ouvriers. L’idée du maire est très simple : supprimer l’hégémonie du charbon dans Datong, nettoyer la ville et en faire, d’abord, un centre touristique, en mettant en valeur son patrimoine culturel et celui de la région alentour.

 

D’où un vaste projet qui tient du

 

On dirait un film d’Antonioni, dit l’homme

volontarisme maoïste teinté de mégalomanie : détruire l’ancien pour construire le nouveau (破旧立新). Vu de l’extérieur, on est sidéré par la démesure du projet, mais Zhou Hao le montre porté par la foi, littéralement.

 

Changer envers et contre tout

 

Un maire idéaliste

 

C’est un projet démesuré, qui consiste, en effet, à raser les vieux quartiers de la ville, pour reconstruire les anciens remparts ainsi que des quartiers modernes tout neufs – ce qui a valu au maire le surnom de Geng le démolisseur : Geng Chaichai (拆拆). Mais, après tout, c’est ce qui se fait un peu partout en Chine, à Pékin, Shanghai et jusqu’à Urumqi.

 

Mais il faut pour cela déloger les habitants qui, n’ayant pas de titres de propriété, sont le plus souvent jetés à la rue sans

autre forme de procès, avec une maigre compensation. Le maire est donc soumis à des pressions considérables, et des protestations de tous côtés. Il lui faut une forte dose d’idéalisme et de charisme pour réussir à avancer dans ces conditions. C’est ce que montre le documentaire.

 

Un regard neutre mais symbiotique

 

Pile et face

 

Zhou Hao a filmé Geng Yanbo à la fin de son mandat, à l’apogée, donc, de la mise en œuvre de son projet, et il en montre les aspects contradictoires.

 

Il écoute le maire, dans son grand bureau, exposer sa gigantesque ambition pour la ville, puis parcourt celle-ci jonchée de gravats, au pied de murailles neuves, comme un véritable délire. Il montre aussi le maire visitant les chantiers, comme un parcours du combattant, en butte aux protestations des malheureux boutés hors

 

Affrontant les protestataires

de chez eux, mais affrontant les critiques, assuré d’œuvrer pour le bien public.

 

Et répondant aux requêtes

 

Le documentaire, cependant, prend toute sa force et sa signification dans les séquences conclusives, quand le maire, finalement, doit quitter ses fonctions, envoyé ailleurs par une décision « d’en haut » tout aussi arbitraire que ses propres décisions et directives en tant que maire. On le voit alors pleurer sur son projet inabouti auquel il s’était voué corps et âme, comme devaient pleurer autrefois les valeureux ministres de l’empereur envoyés à l’autre bout du territoire pour satisfaire quelque cabale de cour.

 

Le plus émouvant est de voir la caméra suivre les manifestations de rue en sa faveur, montrant que, finalement, il avait réussi à susciter une mobilisation dans la ville en faveur de son idée, que les habitants avaient fini par y croire, et à rêver eux aussi d’un autre avenir que le charbon pour leur ville.

 

Reste une cité qui continue d’être minière, mais dévastée et endettée, où les sacrifices consentis par les uns et les autres auront été en vain.

 

Regrets de partir sans avoir terminé

 

Portrait symbolique, tableau emblématique

 

Manifestations de soutien après son départ

 

« The Chinese Mayor » forme une sorte de diptyque avec le documentaire de 2009 sur le secrétaire du Parti Guo Yongchang [2]. Zhou Hao y examine un autre aspect de la gestion des affaires locales en Chine. Mais Guo Yongchang n’était qu’un rouage dans l’immense machine administrative, un personnage suffisamment ordinaire pour devenir symbolique de sa fonction.

 

Avec son panache, son idéalisme triomphant, son aura charismatique, avec ses défauts et ses faibles aussi, Geng

Yanbo est différent. Pourtant, les deux documentaires sont traités avec une approche semblable : en collant au plus près possible de la réalité sous ses multiples facettes, en restant le plus neutre possible, et surtout en évitant les clichés faciles.

 

Finalement, et en particulier grâce à sa conclusion, qui renverse décisivement l’opinion que l’on aurait pu se faire du personnage et de son projet, le documentaire atteint une dimension humaine qui laisse profondément songeur.

 

Poursuivant la réflexion où s’était arrêté «The Transition Period », il pose implicitement la question de l’efficacité ultime, en termes humains autant qu’économiques, d’un processus décisionnaire fondé sur l’arbitraire d’un 

 

Maire Geng, reviens !

pouvoir sans contre-pouvoirs, avec une dose d’absurde dans un système opaque qui ne permet pas une gestion efficace à long terme et ne certifie pas non plus le bien-fondé économique des décisions prises ; le résultat est, comme dans le cas de Datong, un système de yo-yo où les décisions sont annulées quand elles s’avèrent trop dangereuses, le danger étant souvent, d’ailleurs, mesuré en fonction des intérêts concurrents menacés.

 

Trailer

 

Et Datong ?

  

Dernière image, et conclusion

 

Le vaste projet urbain de Geng Yanbo est au point mort. Il faut dire que sa gestion s’était soldée par quelques améliorations dans la ville ; on y a noté une nette diminution de la pollution de l’air pendant ses cinq ans de mandat : d’après les statistiques du ministère de l’environnement, Datong est passée du 115ème rang des villes les plus polluées de Chine (sur 117) en 2005 à la 47ème place sur 120 en 2012 [3].

 

Il faut dire aussi que la reconstruction des vieux quartiers du centre-ville tient de la mode chinoise du pastiche, avec recréation de vieux quartiers Tang, flambant neuf comme les remparts, qui n’ont que très peu à voir avec la Datong historique. Une Datong historique dont il n’existe plus rien, et qu’on ne peut donc « préserver », comme ce qui se pratique plus au sud, à Pingyao (平遥). Le projet a fait l’objet d’une investigation après de violents heurts avec des habitants menacés d’éviction en mai 2011. Ce qui a sans doute été le plus contesté, c’est le projet de construction d’un complexe touristique à Yungang, avec temples, lac artificiel et avenue y menant bordée de colonnes et statues… et boutiques de cadeaux.

 

 

Datong, un centre-ville dévasté

 

 

Mais c’est aussi l’avenir du charbon à Datong que contestait le projet de Geng Yanbo. Force est de constater, malgré les déclarations répétées du gouvernement, que sa primauté dans le pays n’est toujours pas remise en cause, faute d’alternative.

 

A la fin de 2015, en raison du ralentissement de l’activité économique, les groupes Datong Coal et Shenhua cherchent maintenant à développer leurs exportations pour compenser la diminution de leurs ventes de charbon en Chine. Polluante, l’industrie du charbon est en crise [4], mais la solution qui se profile n’est pas celle que l’on aurait pu imaginer : la politique du gouvernement pour lutter contre la pollution est plutôt de transférer les centrales polluantes vers l’intérieur...

 

Reconstruction des murailles

 

La politique du maire Geng semble donc avoir été en conflit avec la politique du gouvernement. Mais ce sont quand même surtout les conflits provoqués localement par les travaux dans la ville qui semblent avoir justifié son transfert ailleurs. Toujours au nom de l’harmonie nationale.

 

Et Geng Yanbo ?

 

Un projet en panne

 

Gen Yanbo est aujourd’hui maire de Taiyuan, à deux pas de Datong… ce qui est aussi une manière bien chinoise de gérer les conflits. Mais il poursuit à Taiyuan la politique de destruction menée à Datong, avec les mêmes résultats : une ville en chaos. Ce qui semblait au départ une vision mégalomaniaque pourrait être, finalement, une obsession paranoïaque…. Zhou Hao devrait tourner une suite à son documentaire.

 


 

[1] Avec une telle liberté, que le festival Sundance a décerné à Zhou Hao le prix « de la meilleur accessibilité » [à son sujet]. Mais c’était déjà le cas pour les autres documentaires du réalisateur.

[2] « The Transition Period » (《书记》).

[3] Ce qui tient peut-être tout simplement au fait que la pollution a augmenté plus vite ailleurs.

[4] Son déficit d’image est aggravé, en outre, par le fait qu’elle est l’un des principales cibles de la campagne anti-corruption du président Xi Jinping, avec pour résultat que personne ne veut plus y travaillercar c’est trop risqué.

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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