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Les voix féminines dans le cinéma chinois, de Nora à Carmen.

Conférence donnée à l’ENS le 28 mars 2025

dans le cadre du séminaire Visages de la Chine 2024-2025

par Brigitte Duzan, 30 mars 2025

 

Introduction

 

Cette réflexion sur le cinéma chinois au féminin [1], en lien avec la littérature, est née d’une double idée. L’idée de départ est inspirée d’une réflexion du grand photographe Cartier-Bresson qui, visitant un musée, aurait dit : « Quand je vois un tableau, j’ai toujours envie de le retourner pour voir ce qu’il y a derrière. » Étudier le cinéma fait par les femmes est une manière de « regarder ce qu’il y a derrière ».

 

L’autre idée est empruntée à Jean-Loup Passek, l’un des organisateurs de la grande rétrospective de cinéma chinois qui a eu lieu pendant l’hiver 1983-1984 au Centre Pompidou [2]. Peu de temps auparavant, il avait organisé un hommage au réalisateur Xie Tieli (谢铁骊) pour le festival des Trois-Continents à Nantes. On ne connaissait guère à l’époque que son film de 1963 « Février, printemps précoce » (《早春二月》), considéré comme un chef-d’œuvre de cette période. Pour préparer son hommage, Jean-Loup Passek s’est donc plongé dans l’œuvre de Xie Tieli, et a découvert des films totalement différents, d’une grande diversité, et il a titré son introduction au programme du festival : « Xie Tieli ou le baromètre de l’histoire ».

 

Le cinéma chinois au féminin, c’est aussi cela : un baromètre de l’histoire, l’histoire du cinéma chinois, mais aussi de la société toute entière, soumise à l’emprise d’un discours politique et idéologique fluctuant avec le temps. Étudier le cinéma au féminin, c’est rechercher les traces qu’ont laissées les femmes plus spécialement en tant que créatrices, donc comme scénaristes, réalisatrices, voire productrices. Traces au sens de Derrida, c’est-à-dire obligeant à revenir aux origines pour pouvoir les définir et mieux les cerner.

 

Cette approche du cinéma par la marge, la marge féminine, permet de revisiter l’histoire du cinéma chinois en en faisant ressortir les faces cachées. Ce qui, comme toute écriture ou tout regard en marge, permet de mieux comprendre le centre, en l’occurrence la face émergée du cinéma chinois. Car on ne voit bien qu’avec la distance comme l’a si bien dit Su Shi dans son poème « Écrit sur le mur de Xilin » (《题西林壁》), écrit alors que le poète passait par le mont Lu pour rejoindre une petite ville du Henan après avoir été une nouvelle fois rétrogradé - extrêmement concis, le poème exprime les incertitudes de la connaissance humaine qui varie selon les perspectives, une vue extérieure et distanciée permettant seule de saisir la vérité des choses, leur « vrai visage » :

 

横看成岭侧成峰,远近高低各不同。
不识庐山真面目,只缘身在此山中

À l’ horizontale c’est une chaîne, à la verticale un sommet,

Il est haut ou bas selon qu’on en est loin ou  près,

Du mont Lu on ne peut voir le vrai visage si l’on est au milieu.

 

Ainsi le cinéma fait par les femmes offre une vision de la Chine vue des marges féminines et, en constatant le peu de voix féminines qui émergent, comme en littérature, mais bien plus encore, montre à quel point des pans entiers de la société chinoise disparaissent derrière le discours dominant. Ce travail de recherche en marge est important pour mieux apprécier les films, aujourd’hui, en les contextualisant. Et avec les films la société, et la politique qui la gouverne.

 

Le cinéma chinois, plus que tout autre sans doute, est lié à l’histoire, en l’occurrence celle du XXe siècle, avec ses drames, ses ruptures, mais finalement, surtout, sa terrible continuité. Et c’est de là, de cette origine-là, qu’il faut partir. Dans un cadre historique dont on a fait une histoire de générations, imparfaite mais pratique.

 

Cadre historique : une histoire de générations

 

Ces générations, on en distingue six, à partir de la cinquième en procédant à reculons, en flash-back en quelque sorte. Et il faut bien dire que cette périodisation correspond assez bien à l’histoire, même si les fameuses générations se chevauchent allègrement à partir des années 1980, et si la notion même se perd dans les sables individualistes de la modernité dans le présent millénaire.

 

Première génération 第一代 : années 1910 et 1920

Les pionniers

 

C’est la génération du cinéma muet, dont émergent deux pionniers : d’une part Zhang Shichuan (张石川) et son inséparable comparse Zheng Zhengqiu (郑正秋), fondateurs de la compagnie Mingxing, et d’autre part Li Minwei (黎民伟) et la compagnie Minxin, fondée d’abord à Hong Kong, puis rapatriée à Shanghai.

 

Deuxième génération 第二代 : années 1930 et 1940

Le cinéma de gauche

 

Génération marquée

-   d’une part par le passage progressif au parlant : premier film « sonorisé » sorti en 1931 : « La Chanteuse Pivoine rouge » (《歌女红牡丹》) de Zhang Shichuan sur un scénario du dramaturge Hong Shen (洪深).

-   d’autre part par la montée du cinéma dit « de gauche », avec en particulier, en août 1930, la fondation de la Lianhua  (联华影业公司) par Li Minwei et Luo Mingyou (罗明佑). Fondation qui marque un tournant bien plus que le passage au parlant qui ne sera que très progressif, tournant vers un cinéma humaniste, humanisme utopique en lien avec le théâtre dont sont issus les réalisateurs et scénaristes, et novateur aussi sur le plan technique. C’est un premier âge d’or du cinéma chinois.

 

Âge d’or qui s’achève brutalement avec l’entrée en guerre du Japon en 1937 et la destruction des studios de Shanghai. Les cinéastes abandonnent Shanghai pour l’intérieur et le cinéma pour le théâtre, théâtre de guerre, sur le front.

 

La fin de la guerre, en 1945, voit une brève effervescence cinématographique, avec une série de films superbes, dont le chef-d’œuvre intemporel qu’est le « Printemps dans une petite ville » (《小城之春》), du « réalisateur-poète » Fei Mu (费穆). Film sorti en septembre 1948, après la libération de Shanghai en mai, donc incompris et  relégué aux oubliettes dans le climat euphorique de la ville. Il marque l’apogée de toute une époque.

 

Troisième génération 第三代 : 1949-1966

       Les années Mao

 

Mao Zedong considère le cinéma comme un outil d’éducation des masses, selon un principe clairement énoncé dès le forum de Yan’an, en mai 1942. Cette troisième génération se devait donc être révolutionnaire. Le cinéma lui aussi est planifié, jusque dans l’écriture des scénarios. Et doit se conformer à la vulgate communiste, sur fond de lutte des classes, d’où la campagne contre « La vie de Wu Xun » (《武训传》), en 1951, qui brise la carrière de Sun Yu (孙瑜).

 

Campagne parallèle à la Réforme agraire, et suivie d’une série d’autres, jusqu’au Grand Bond en avant, en 1958. Ce qui n’empêche pas l’émergence de grands réalisateurs, et le cinéma de prospérer, jusques et y compris au début du Grand Bond en avant.

 

Il connaît même un autre bref âge d’or juste après, en 1961-1965, avec des films emblématiques de cette période et cette génération : « Le Détachement féminin rouge » (《红色娘子军》) de Xie Jin (谢晋) en 1961 ou « Février, printemps précoce » (《早春二月》) de Xie Tieli (谢铁骊) en 1963. Mais c’est encore un film qui marque l’apogée de la période en annonçant la Révolution culturelle : « Sœurs de scène » (《舞台姐妹》) de Xie Jin aussi.

 

La Révolution culturelle marque évidemment une rupture, mais pas totale car les studios de Shanghai rouvrent dès 1971 et même les films de fiction reprennent dès 1974, avec des films qui assurent une transition, dont « Chunmiao » (《春苗》) de Xie Jin ainsi que « Haixia » (《海霞》) sur un scénario et à l’initiative de Xie Tieli, tous deux sortis en 1975. « Haixia » qui aura encouru les foudres de la Bande des Quatre, mais aura été soutenu par Mao et approuvé par le Comité central.

 

Quatrième génération 第四代 : à partir de 1979

       La génération sacrifiée

 

La Révolution culturelle a brutalement coupé l’herbe sous les pieds de la génération des jeunes cinéastes en herbe qui avaient juste terminé leurs études quand elle a commencé et n’ont pu passer derrière la caméra que dix ans plus tard. On a parlé de « Printemps tardif » en paraphrasant le titre du film de Xie Tieli.

 

Leur premier soin a été de « moderniser le langage cinématographique », comme le titrait l’article historique publié par Zhang Nuanxin (张暖忻) en 1979 – Zhang Nuanxin qui était l’assistante de Xie Jin lors du tournage de « Chunmiao », comme un passage de relais, et dont le film  « Sha’ou » (« La Mouette ») ou « The Drive to Win » (《沙鸥》), sorti en 1981, apparaît comme le manifeste de cette génération.

 

Mais c’est là que les choses commencent à se brouiller car l’émergence de ces cinéastes derrière la caméra coïncide avec celle de la « cinquième génération », si bien qu’ils ont longtemps été négligés et qu’il faudra longtemps pour que soit redécouverte la beauté de leurs films, sortis dans les années 1980 et 1990 comme des parents pauvres – du moins vu d’Occident car leurs films étaient alors bien plus connus, et appréciés, par le public chinois que ceux de la cinquième génération qui faisaient les délices des critiques des festivals étrangers.

 

Encore aujourd’hui, beaucoup sont inconnus : doublement sacrifiés. 

 

Cinquième génération 第五代 : la promotion de 1982 et ses lendemains

Volonté de rupture et économie de marché

 

Avec cette génération s’affirme dès l’abord une volonté de rupture radicale avec le passé, rupture déclinée en termes d’innovations esthétiques autant que thématiques et narratives - thématiques rurales et historiques déclinées en termes épiques chargés de symbolique. Avec pour modèles emblématiques « One and Eight » (《一个和八个》) et « La Terre jaune » (《黄土地》), consacrant Cheng Kaige et Zhang Yimou comme chefs de file.

 

Mais c’est une génération qui subit elle-même une rupture, en 1989, avec une reprise au début des années 1990 dans des conditions totalement différentes : la course à la croissance orientée vers l’économie de marché, déclinée en termes de grosses productions commerciales dans le domaine cinématographique, dans un contexte de baisse dramatique du public.

 

Sixième génération 第六代 : à partir de 1990

             La génération urbaine

 

C’est une « génération urbaine » portée par la vague des caméras numériques qui leur permettent de s’affranchir des studios d’Etat. C’est la génération du cinéma dit « indépendant », qui revendique une autre manière de filmer, proche du documentaire qui fait aussi une entrée fracassante sur la scène cinématographique, pour filmer le quotidien. Le mouvement est lancé par  Zhang Yuan (张元) en 1991.

 

Mais avec eux le concept de génération s’effrite et ne se perpétue que par habitude et analogie. Ce qui prime bien plus, dans l’évolution du cinéma, ce sont les circonstances historiques : la brève ouverture suivant l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001, suivie d’un retour aux contrôles étatiques à partir de la préparation des Jeux olympiques de Pékin, en 2008, et bien plus encore après l’accession au pouvoir de Xi Jinping en 2012.

 

            Et aujourd’hui : hétérotopies

 

Il est vrai que ce n’est qu’avec le recul que l’on peut apprécier les points de convergence permettant de définir une « génération », mais il est vraisemblable qu’il n’y aura jamais de « septième génération ». On va plutôt vers des hétérotopies au sens foucaldien du terme : des « espaces autres ». Pour que septième génération il puisse y avoir, il faudrait une rupture historique, politique, un événement marquant, que l’on n’imagine pas pour l’instant.

 

Ce qui frappe, de manière générale, dans cette histoire, au-delà de la continuité du processus de ruptures historiques, subies ou revendiquées, déterminant des styles et thématiques constamment renouvelés, au moins apparemment, c’est l’absence de femmes, sauf comme actrices, absence qui est en outre parfaitement acceptée comme naturelle, mais dont on se rend compte qu’elle est délibérée.

 

Cette absence est particulièrement sensible dans les deux premières générations. Une critique cinématographique a pu dire qu’elles avaient été « effacées »… Ce qui, en soi, pourrait relever de l’anodin, mais représente en fait un trait spécifique de l’encadrement du cinéma, et de la culture en général, dans le contexte socio-politique chinois.

  

Le cinéma vu des marges féminines

 

I. Années 1920-1940

Première et deuxième générations

 

On ne trouve que très peu de noms de réalisatrices, et même de scénaristes, pendant toute cette période, et en particulier celle des années 1920-1930, considérée comme un premier âge d’or du cinéma chinois. « Women were all but excluded from the first two “generations” of Chinese filmmaking. » a écrit Liu Qing, rédactrice du Wenhui bao de Shanghai.[3] Ajoutant que l’une des rares exceptions est l’actrice et scénariste Ai Xia. Mais justement, si elle est souvent citée, c’est pour le parfum de scandale qu’elle a laissé après son suicide, non pour ses qualités, et pas seulement d’actrice.

 

La première raison, factuelle, de cet effacement tient au fait qu’à l’origine le cinéma chinois est un cinéma de dramaturges, et qu’il n’y avait très peu de femmes parmi eux.

 

§  Cinéma et théâtre

 

1/ Le cinéma chinois est né du huaju (话剧), ou théâtre parlé.

Or il n’y a pas de dramaturges femmes dans les années 1920-1930, ou du moins on n’en parle pas, pas plus que dans le passé. Il y a déjà très peu de noms d’auteures qui émergent de deux mille ans d’histoire littéraire, depuis les Han. Même si l’on ne considère que les quelque 600 ans qui couvrent la période Yuan-Ming-Qing, on ne trouve que neuf femmes dûment répertoriées, pour des raisons évidentes : les écrivaines ne pouvaient pas dépasser la sphère privée, sauf soutien d’un mari, d’un père ou d’un frère, et le domaine où elles se sont illustrées dans ces conditions est essentiellement celui de la poésie car c’était le genre noble des lettrés. Le théâtre, en revanche, était déprécié, et le domaine exclusif des hommes.

 

Il n’y a guère qu’une femme qui se soit illustrée dans le genre et encore, et seulement 400 ans après l’âge d’or du théâtre, sous les Yuan[4] : Liang Yisu (梁夷素), répertoriée parmi les « femmes de talent » (才女) des bords du lac de l’Ouest, à Hangzhou, centre de création littéraire et artistique féminine depuis les Ming, autour des salons et sociétés littéraires de l’élite lettrée[5], mais surtout des sociétés de poésie. Liang Yisu est mentionnée dans ce contexte comme « auteure de qu » (曲家), le qu désignant les suites d’airs chantés à l’origine du théâtre chanté du Nord ou beiqu (北曲), origine lui-même du théâtre des Yuan ou Yuan zaju (元杂剧). Mais il reste difficile de trouver son nom mentionné. En fait elle était aussi connue sous le nom de Liang Mengzhao (梁孟昭)[6], et c’est sous ce nom que l’on trouve des poèmes et des bribes de biographie : poète, peintre et calligraphe, auteure de pièces de théâtre xiqu (戏曲作家), active vers 1560-1640, c’est-à-dire la fin des Ming.

 

Mais, si Ann Birrell mentionne son nom dans « The Columbia History of Chinese Literature »[7], c’est juste pour dire que, quand Liang Yisu a écrit ses pièces dans le genre du théâtre yuan, trois siècles après son âge d’or, quand c’était passé de mode. On connaît surtout ses poèmes et ses peintures. Et d’ailleurs comme toutes les femmes de l’époque impériale, et en particulier sous les Ming, si elle n’a pas été complètement oubliée, c’est qu’elle était mariée à un lettré issu d’une illustre famille de lettrés. Sa pièce la plus souvent mentionnée est « La pierre à encre du mal d’amour » (《相思砚》) qui commence, en introduction, par un rappel très classique de la légende du Bouvier et de la Tisserande (牛郎织女传说). La pièce fait très discrètement l’apologie du mariage libre. Elle a été louée ainsi que son auteure par l’écrivaine des Qing Wang Duanshu (王端淑)[8].

 

2/ Le huaju est né au début du 20e siècle sous l’influence de l’Occident et du théâtre shinpa (新派) du Japon.

 

Ses premiers balbutiements ont en effet eu lieu à Tokyo, en 1907, dans les cercles d’étudiants chinois qui mettent en scène « La Dame aux camélias » d’Alexandre Dumas fils. Le texte de Dumas avait été « traduit » en 1899 par Lin Shu (林纾) sous le titre « Histoire transmise à la postérité de la Dame aux camélias de Paris » (《巴黎茶花女遺事》), en élaguant le texte et en modérant l’expression des élans amoureux.

 

Pendant l’automne et l’hiver 1906, la région du fleuve Yangzi et celle du fleuve Huai en Chine subirent de graves inondations. Les étudiants chinois de Tokyo décident d’organiser une collecte de fond pour venir en aide aux sinistrés. C’est ainsi que, fin 1906, Li Shutong (李叔同) et son ami Zeng Xiaogu (曾孝谷) fondent la société théâtrale Chunliu (春柳社). En février 1907, ils mettent en scène deux scènes de la pièce adaptée par Dumas de son roman. La représentation a lieu en avril, après deux mois de répétitions. La mise en scène était totalement nouvelle, de style occidental, sans musique et avec des décors réalistes, mais Marguerite était encore interprétée comme un rôle travesti par Li Shutong lui-même, conformément aux règles du théâtre chinois, aussi bien que japonais où régnaient encore les onnagata. Li Shutong récidivera en interprétant le rôle d’Emily Shelby dans l’adaptation de « La Case de l’oncle Tom » en juin 1907.

 

 

 

Li Shutong et Zeng Xiaogu dans « La Dame aux camélias » (Tokyo, 1907)

 

Cette mise en scène de « La Dame aux camélias » fut redonnée ensuite à Shanghai, d’avril 1914 à septembre 1915, par la troupe du Théâtre Chunliu revenue en Chine. Le texte était cosigné, avec Zeng Xiaogu, du dramaturge Ouyang Yuqian (欧阳予倩) qui sera l’un des premiers grands scénaristes du cinéma chinois des années 1920 à 1940, avec les deux autres grands dramaturges Tian Han (田汉) et Hong Shen (洪深). Le spectacle eut très peu de succès, le public demandait du divertissement, des spectacles ludiques. Les premiers films chinois sont d’ailleurs des comédies.

 

Le développement du huaju s’est poursuivi, dans un deuxième temps, dans les années 1920, dans le contexte du mouvement du 4 mai et de la Nouvelle culture, à partir de la publication en 1918 d’un numéro spécial de la revue Nouvelle Jeunesse (Xin Qingnian《新青年》) consacré à Ibsen, suivie de la publication en 1919 d’une pièce en un acte de Hu Shi (胡适) « Le Grand événement d’une vie » (Zhongzhen dashi《终身大事》), pièce inspirée de « La maison de poupée » que Hu Shi avait présentée aux lecteurs chinois dans le numéro spécial de la revue[9].  

 

À partir des années 1920, Nora devient le grand thème de libération de la femme, mais avec des réserves, telles celles, bien connues, de Lu Xun, exprimées dans une conférence donnée en 1923 à l’Université normale de Pékin, devant un parterre d’étudiantes récemment « sorties de chez elles » : « Qu’arrivera-t-il à Nora une fois partie de chez elle ? » (娜拉走后 怎样?). Et de répondre, convaincu de l’impossibilité économique d’une existence de femme indépendante : « Soit elle meurt de faim, soit elle se prostitue, soit elle rentre chez elle ».

 

Nora est devenue un cliché récurrent en littérature, comme en est témoin, par exemple, la nouvelle de Lao She (老舍) « Croissant de lune » (Yue ya’r《月牙儿》)[10] qui scelle le caractère inéluctable de la prostitution pour toute femme seule dans la Chine des années 1920 et 1930, et bien au-delà. De nombreuses pièces de ces années-là sont inspirées du personnage d’Ibsen, pour en faire une image de la femme piégée dans la société « féodale » patriarcale, dont une par l’une des rares dramaturges féminines de l’époque : Bai Wei (白薇)[11]. Figure tragique, véritable Nora qui est en elle-même symbole de la condition de la femme dans ces années 1920-1930.

 

Parallèlement, l’image de Nora est devenue une figure tout aussi récurrente au cinéma, comme un sort, voire un défi, jeté à toutes les femmes cherchant dans une carrière d’actrice la solution au problème économique posé par leur désir de vivre leur vie en dehors du schéma patriarcal traditionnel.

 

1928 marque une année charnière dans l’évolution du huaju : les grands dramaturges du moment se réunirent à Shanghai pour commémorer le centième anniversaire de la naissance d’Ibsen. C’est à cette occasion que Hong Shen (洪深) proposa d’adopter officiellement le nom de huaju (ou théâtre parlé) à la place de celui couramment utilisé de « théâtre nouveau » inspiré du shinpa japonais. Cette initiative unanimement applaudie ouvrait la voie à de nouveaux développements du genre, et en particulier, dans les années 1930, à l’essor du théâtre de gauche avec des retombées sur le cinéma. Essor du théâtre qui est aussi celui des actrices.

 

3.  Année 1929 : innovation dans l’interprétation.

 

Cette innovation de première importance est également une initiative de Hong Shen : pour sa mise en scène de la pièce de 1919 de Hu Shi « « Le Grand événement d’une vie » (《终身大事》), c’est une actrice qui, pour la première fois, interprète le rôle féminin aux côtés d’un acteur. La pièce étant relativement courte, elle était accompagnée pour le même spectacle d’une mise en scène de l’autre pièce inspirée de la « Maison de poupée » d’Ibsen : « La mégère » (《泼妇》) d’Ouyang Yuqian. Mais pour cette pièce, le metteur en scène, Ying Yunwei (应云卫)[12], avait choisi de faire interpréter, selon la tradition, le rôle féminin par un homme. Le résultat est que la pièce de Hu Shi remporta un grand succès tant le jeu de l’actrice semblait naturel et plein de charme comparé au jeu compassé de l’acteur dans l’autre pièce[13].

 

Étonnamment, le cinéma avait déjà franchi le pas, depuis seize ans. Et ce grâce à celui qui est considéré comme le père fondateur du cinéma national (“国片之父”), Li Minwei (黎民伟). Avec son frère, et associé à un homme d’affaires Américain, il fonde en 1913, à Hong Kong, la compagnie cinématographique Huamei (华美影片公司) c’est-à-dire compagnie sino-américaine, qui produit le premier film de Li Minwei : « Zhuangzi met son épouse à l’épreuve » (《庄子试妻》), adapté d’un opéra cantonais.  Dans le scénario, Zhuangzi décide de tester la fidélité de son épouse. Il feint d’être mort et simule son enterrement, sur quoi sa femme, sans plus attendre, prend un amant, dédaignant même d’aller se recueillir sur la tombe du défunt. Mais l’amant n’est autre que Zhuangzi déguisé. Se rendant compte de sa bévue, la femme se suicide pour échapper à l’opprobre.

 

C’est le premier film de fiction du cinéma chinois, avec « Un couple infortuné » (Nan fu Nan qi《难夫难妻》), réalisé la même année par Zhang Shichuan (张石川), à la compagnie Xinmin (新民影片公司) à Shanghai. L’une des novations du « Zhuangzi » de Li Minwei (outre le tournage en extérieur et les effets spéciaux) tient à son interprétation : c’est le frère de Li Minwei, Li Beihai (黎北海), qui interprète Zhuangzi, et Li Minwei tient le rôle de sa femme, comme le voulait encore la tradition qui interdisait aux femmes de monter sur scène pour jouer aux côtés des acteurs. Mais justement, le rôle de la servante de la femme de Zhuangzi est interprété par la première épouse de Li Minwei, Yan Shanshan (严姗姗), ainsi devenue la première actrice du cinéma chinois.

 

Li Minwei récidive en 1925, avec un film produit par sa nouvelle compagnie de production, la Minxin (民新影片公司) fondée cette fois avec ses deux frères. Le film, « Rouge » (Yānzhī《胭脂》), réalisé avec son frère Li Beihai, est adapté d’un conte éponyme du Liaozhai. Li Minwei et son frère interprètent les deux rôles masculins et c’est la deuxième épouse de Li Minwei, Lin Chuchu (林楚楚), qui joue le rôle de Yanzhi, une jeune femme convoitée par un homme qui fait emprisonner son fiancé pour tenter de la faire céder.

 

 

 

Yanzhi (Li Minwei et Lin Chuchu)

 

Le film a été réalisé à Hong Kong. Mais en 1926, une grève paralyse l’économie de la colonie britannique, la plupart des cinéastes reviennent à Shanghai, dont Li Minwei. À Shanghai, il crée une nouvelle société, la Shanghai Minxin (上海民新公司), avec un associé du nom de Li Yingsheng (李应生). Le studio tourne avec pour actrices les deux épouses de Li Minwei, Yan Shanshan et Lin Chuchu, et la fille de Li Yingsheng, Li Dandan (李旦旦). La Minxin fonctionne donc comme une troupe de théâtre, avec toute la famille, Li Minwei, ses deux frères et leurs femmes, y compris les enfants, même tout petits. Réfugié au Guangxi pendant la guerre, Li Minwei fondera un centre culturel pour faire vivre toute sa famille ; il mettra en scène une pièce de théâtre, « Koxinga » (《郑成功》) où il fera jouer Lin Chuchu et son fils, Li Keng (黎铿).

 

À la Minxin, par ailleurs, pour le scénario et la réalisation, Li Minwei fait appel à des personnalités du théâtre comme Ouyang Yuqian (欧阳予倩) et Hou Yao (侯曜), qui formeront ensuite l’ossature de la compagnie Lianhua (联华影业公司), fondée en 1929 avec Luo Mingyou (罗明佑), la Lianhua qui produira les grands films dits « de gauche » des années 1930.

 

 

 

Li Minwei, ses deux femmes et leurs enfants à Hong Kong

黎民伟(后排右一)与严珊珊、林楚楚(前排右三、左四)

Li Minwei à dr., Yan Shanshan 3e à dr., Lin Chuchu 4e à g.

 

Pendant longtemps, cependant, les actrices sont véritablement des Noras sorties de chez elles… et même souvent de la maison close. Comme le personnage de Wang Fengzhen (王凤珍) dans le docufiction – ou metafilm - de 1931 « An Amorous History of the Silver Screen » (Yinmu yanshi《银幕艳史》) réalisé par Cheng Bugao (程步高) à la Mingxing[14]. Wang Fengzhen finit par devenir la concubine d’un riche dandy qui la poursuit jusqu’au studio. Mais le personnage est interprété dans le film par l’actrice Xuan Jinglin (宣景琳) devenue ensuite la star de la Mingxing, qui avait elle-même été rachetée par Zhang Shichuan de la maison close où elle travaillait.

 

§  Cinéma et star-system

 

Le cinéma, dès ses débuts, a ainsi instauré un star-system qui met en exergue les femmes comme actrices, surtout avec le développement du parlant, à partir de 1931 : le premier film « sonore », sorti en décembre 1930, est « La Chanteuse Pivoine rouge » (《歌女红牡丹》) réalisé en collaboration avec Pathé par Zhang Shichuan (张石川), sur un scénario du dramaturge Hong Shen, avec Hu Die (胡蝶) dans le rôle principal. Mais il faudra encore plusieurs années pour que les studios et les cinémas soient équipés pour pouvoir passer entièrement au parlant. Les grands films des années 1930 sont encore en grande partie muets.

 

Cependant, pendant ces années 1920-1930 qui sont considérées comme le premier « âge d’or » du cinéma chinois, les seules femmes qui émergent de l’histoire sont les actrices[15], et ce d’autant plus si elles sont en ligne de mire comme objets de scandale. Ce début de star-system porte l’actrice aux nues, mais cause aussi souvent sa perte. Et quand les actrices sortent de ce rôle assigné, leur travail est rarement reconnu.

 

1. Un premier exemple en est Yin Mingzhu (殷明珠), connue comme actrice dans les films de Dan Duyu (但杜宇) qu’elle a épousé en 1926, et comme première actrice à avoir interprété un rôle principal dans un film chinois. Ce film, c’est « Le Serment de la mer » (《海誓》), sorti en 1922.  Yin Mingzhu y interprète le rôle d’une jeune paysanne, Fuzhu (福珠), c’est-à-dire la perle du bonheur. Elle tombe amoureuse d’un artiste sans le sou auquel elle jure fidélité, mais, peu de temps plus tard, est attirée par un riche cousin qu’elle accepte d’épouser. Le jour des noces, elle s’enfuit, revient vers son premier amour pour se faire pardonner, mais, rejetée, tente de se suicider en se jetant à la mer. Elle est sauvée in extremis par l’artiste.  

 

Si le film accuse maintes faiblesses, la critique, en revanche, fut unanime à louer l’interprétation de Yin Mingzhu, désormais assimilée à la Perle du film – film qui, en outre, tranchait sur les comédies à la mode. Mais sa mère, furieuse, lui interdit de recommencer. Yin Mingzhu disparut donc des écrans pendant trois ans. Pendant ce temps, les actrices de la Mingxing de Zhang Shichuan (张石川) contribuèrent à élever le statut des actrices. Sa mère ne fait donc plus obstacle à sa carrière quand, en 1925, elle revient jouer dans un film de Dan Duyu. Leur plus grand succès commercial est « The Spiders’ Cave » (Pan si dong《盘丝洞》), adapté de deux épisodes du grand classique « Le voyage en Occident » (Xiyouji 《西遊記》), où Yin Mingzhu interprète le premier des sept « esprits araignées » ayant capturé le moine Xuanzang.

 

L’année suivante, cependant, la compagnie de Dan Duyu se retrouve au bord de la faillite après l’échec d’un film dans lequel Yin Mingzhu n’avait pas pu jouer car elle était enceinte. Elle apporta ses propres économies pour renflouer la société, qui fut absorbée dans la Lianhua en 1931. Dan Duyu tourna trois films l’année suivante, toujours avec Yin Mingzhu dans le rôle principal, dont « La beauté des mers du Sud » (《南海美人》). Mais ce film sort en 1934, au moment de l’avènement du parlant. Yin Mingzhu disparaît ensuite du cinéma. Comme la plupart des autres actrices du muet, elle n’a pas pu se reconvertir dans des films où il fallait parler mandarin.

 

2. Un cas tragique est celui d’Ai Xia (艾霞), dont le principal titre de gloire est d’avoir été la première actrice chinoise à se suicider, inspirant en outre un film inspiré de son histoire dont le rôle principal était interprété par une actrice qui s’est elle-même suicidée peu de temps après la sortie du film.

 

Pourtant, après avoir fui un mariage arrangé, Ai Xia était entrée dans la société théâtrale de Chine du Sud fondée en 1928 par Tian Han (田汉), le grand dramaturge qui va ensuite être l’une des chevilles ouvrières du cinéma de gauche. Elle entre à la Mingxing et joue dans trois films représentatifs de ce cinéma, dont, en 1932, « Les vers à soie du printemps » (《春蚕》) adapté de la nouvelle éponyme  de Mao Dun (茅盾) par l’autre grand dramaturge de gauche, Xia Yan (夏衍). En même temps, cependant, Ai Xia écrit aussi des scénarios. Mais le seul qui ait été porté à l’écran est celui du film réalisé par Li Pingqian (李萍倩) en 1933 : « Une femme moderne » (Xiandai yi nüxing《现代一女性》), dans lequel elle interprétait également le rôle principal.

 

Ce rôle est celui de Putao (葡萄) [Raisin] qui travaille dans une société immobilière et dont la vie prend un tour nouveau quand elle rencontre un journaliste nommé Yu Leng (余冷). Il est marié, mais ils sont heureux, jusqu’à ce que les choses se compliquent : Putao est limogée pour avoir refusé de coucher avec son patron, mais finit par le faire pour gagner l’argent dont Yu Leng a besoin pour faire soigner son enfant malade. Quand il se fait à son tour limoger, elle va même voler son patron, qui porte plainte. Elle est envoyée en prison et rencontre là une femme condamnée pour son engagement politique qui lui donne des leçons d’idéal révolutionnaire. Putao sort transformée de prison.

 

Ai Xia devient l’emblème de la « femme moderne » et fait la couverture des magazines féminins. Mais elle était aussi une féministe engagée, surnommée « Chat sauvage » (Yemao 野猫) qui écrivait des articles dans les journaux. Dans l’un de ces articles, « 1933 – Mon espoir » (1933我的希望》) publié le 1er mai 1933 dans le mensuel de la Mingxing (《明星月报》), elle voyait l’avenir plein de promesses.

 

Cependant, un drame avait éclaté sur le tournage du film « Une femme moderne » : la rumeur avait couru qu’elle avait une affaire avec Li Pingqian, avec photos les montrant bras dessus bras dessous. Le réalisateur avait mis brutalement fin à leur relation et l’avait laissée seule affronter l’opinion publique. Le 15 février 1934, elle se suicide en avalant une overdose d’opium.

 

 

 

Ai Xia et Li Pingqian en 1933

 

Son histoire a suscité quelques questions, quelques articles, dont un de Xia Yan faisant finalement de son suicide l’issue fatale pour « une femme faible, épuisée par les tourments de la vie ». On aurait pu en rester là si, deux ans plus tard, un autre réalisateur, Cai Chusheng (蔡楚生), n’avait conçu un film inspiré de ce drame : « Femme(s) nouvelle(s) » (《新女性》) sorti le 3 février 1935, avec la grande actrice Ruan Lingyu (阮铃玉) dans le rôle principal. Ce film-là montrait que, dans une société patriarcale, où prévaut en outre le goût du scandale, la femme est toujours condamnée au sort inéluctable de Nora si elle essaie de sortir de chez elle : la prostitution ou la mort comme l’a dit Lu Xun.

 

Or Ruan Lingyu, à son tour, s’est suicidée peu après la sortie du film, à peu près dans les mêmes circonstances. Il faut noter cependant que, dans ce film de Cai Chusheng, il n’est pas question de cinéma, mais d’écriture, et d’écriture romanesque. L’accent est mis au départ sur l’espoir que pourrait être l’écriture pour la femme « sortie de chez elle », en s’inspirant du personnage d’Ai Xia qui avait été surnommée « écrivaine star » (zuojia mingxing 作家明星). Mais c’est un espoir illusoire car toute publication doit pouvoir dégager un petit parfum de scandale pour attirer un éditeur : comme Nora, l’écrivaine du film est toujours condamnée par son incapacité même à atteindre une quelconque indépendance économique ; son roman n’attire un éditeur que quand il voit sa photo. L’écrivaine doit rester dans la sphère privée, comme depuis l’aube des temps en Chine, sauf à devenir sujet de scandale, et donc d’opprobre, comme les actrices[16].

 

Et pourtant, il suffit de creuser un peu pour voir apparaître des scénaristes, et même une réalisatrice, presque totalement expurgées de l’histoire, on ne connaît que très peu de choses d’elles.

 

§  Dramaturges et scénaristes

 

1. Avant la fondation de la République populaire en 1949, la seule réalisatrice présentée comme telle dans l’histoire officielle est Xie Caizhen (谢采真) dont on ne connaît presque rien de la vie, pas même sa date de naissance ni celle de sa mort. Elle a commencé comme actrice en 1924, dans la Société du théâtre d’ombres de Shanghai (上海影戏公司) fondée par le réalisateur Dan Duyu (但杜宇). C’est ensuite dans une éphémère société de production, la Société cinématographique de Nanxing (南星影片公司), qu’elle réalise son premier et unique film, en 1925 : « Les pleurs d’un orphelin » (Guchu beisheng《孤雏悲声》). C’est aussi le seul film produit par la Nanxing.

 

Xie Caizhen l’a non seulement réalisé, mais elle en a aussi écrit le scénario (bien qu’il soit parfois attribué à un certain Lu Zutong (卢祖同), inconnu par ailleurs) et elle en interprète le rôle principal : c’est une triste histoire de conflit familial entre deux frères dont le père est mort, en laissant une usine et un héritage que convoite leur belle-mère. Le film a remporté un grand succès à Shanghai en décembre 1925 : il est resté une semaine à l’affiche alors que la durée moyenne d’exploitation d’un film, à l’époque, était de trois à cinq jours. Mais, l’article du Shenbao (《申报》) qui fait un rapport détaillé de l’accueil du public après la première ne mentionne le nom de Xie Caizhen que pour en louer l’interprétation, sans mentionner qu’elle en est la scénariste et la réalisatrice.

 

Elle disparaît corps et âme en 1926 : on ne sait pas ce qu’elle est devenue[17]. Son film a disparu lui aussi, on ne sait même pas si son nom figurait au générique comme réalisatrice.

 

2. Pu Shunqing (濮舜卿), en revanche, est dûment répertoriée comme la « première scénariste » de l’histoire du cinéma chinois, c’est-à-dire la première dont le nom ait figuré au générique d’un film : « Les marionnettes de Cupidon » (《爱神的玩偶》). Coréalisé en 1925 par Hou Yao (侯曜) et Mei Xuechou (梅雪俦), au studio de la Grande Muraille (长城画片公司) dont Mei Xuechou était un cofondateur, le film est resté dans l’histoire du cinéma chinois comme le premier film en Chine dont l’histoire soit contée du point de vue d’une narratrice, et dont la scénariste soit répertoriée.

 

Mais si Pu Shunqing n’a pas disparu comme les autres, c’est sans doute qu’elle était dramaturge, et épouse du dramaturge Hou Yao devenu ensuite réalisateur. Avant d’écrire des scénarios, elle était connue pour ses pièces féministes, dans l’esprit du mouvement du 4 mai, la première étant une pièce en trois actes, « Le Paradis sur terre » (《人间的乐园》), réécriture de la Genèse introduisant un personnage féminin supplémentaire, nommé Sagesse, qui incite Eve à manger la pomme et à se construire un paradis sur terre, d’où Dieu disparaît à la fin de la pièce car plus personne ne croit en lui.

 

Son premier scénario était une adaptation d’une de ses pièces ; réalisé en 1924, le film est intitulé « Une femme abandonnée » (《弃妇》) et apparaît comme précurseur des films des années 1930 sur la « femme nouvelle ». Le scénario conte l’histoire d’une jeune femme désavouée par la famille de son mari parce qu’elle veut poursuivre une carrière professionnelle, et qui lutte contre les forces de la tradition pour tenter de réaliser ses ambitions. Dans la pièce, la servante se sacrifiait pour sa maîtresse. La fin du film ouvre sur une note un peu plus optimiste : la servante – interprétée par Pu Shunqing – survit à sa maîtresse – incarnée par une star de l’époque, Wang Hanlun (王汉伦) ; c’est elle qui promet désormais de poursuivre la quête émancipatrice laissée inachevée.

 

« Les marionnettes de Cupidon », tourné l’année suivante, est un mélodrame assez traditionnel : la belle-mère et la cousine d’une jeune femme, Ming Guoying (明国英), veulent la marier pour récupérer son héritage. Pour leur échapper, elle part à Hangzhou enseigner dans une petite école. Elle y rencontre Renjun (人俊) qui tombe amoureux d’elle, mais finit par être enfermée dans un asile de fous[18] où elle se retrouve avec deux femmes que leurs peines d’amour ont rendues folles. Renjun parvient à se glisser dans l’asile pour lui proposer de s’enfuir avec lui, « dans une société nouvelle » où construire une existence différente … Cependant, Guoying se distingue des héroïnes habituelles de ce genre de mélodrame : elle refuse non seulement le mariage arrangé par sa belle-mère, mais aussi de s’enfuir avec l’homme qui l’aime. Ce qu’elle veut, c’est rester libre et indépendante. Elle accepte finalement l’aide de Renjun mais seulement pour sortir de l’asile, la suite de leur relation reste incertaine. En ce sens, Guoying apparaît comme terriblement moderne, actuelle même.

 

Quant à Pu Shunqing, si elle est bien reconnue comme scénariste, en revanche, son travail de monteuse et d’assistante réalisatrice a été complètement effacé. Or, après son mariage avec Hou Yao à la fin de 1926, ils sont tous deux entrés à la compagnie Minxin (民新影片公司) de Li Minwei (黎民伟) à Shanghai, et elle est devenue l’assistante de Hou Yao, d’abord pour le montage du film « Le dieu de la paix » (《和平之神》) en 1926. Puis, en 1927, elle est son assistante réalisatrice pour «  « La Rose de Pushui » (《西厢记》), un film muet miraculeusement préservé dont le scénario est inspiré de « L’histoire de Yingying » (《莺莺传》), un chuanqi des Tang à l’origine du Xixiangji (《西厢记》) ou « Récit du pavillon de l’Ouest » dont le film a gardé le titre chinois.

 

C’est un film novateur dans bien des domaines mais qui reste un divertissement, de même que le film suivant, réalisé la même année : une satire des mariages arrangés ridiculisant le Roi des entremetteurs, lui-même malheureux en mariage. La montée des tensions politiques entraîne ensuite une orientation de Pu Shunqing et de son mari vers des sujets patriotiques et nationalistes, mais en gardant une tonalité féministe. Dont « Mulan s’engage dans l’armée » (《木兰从军》), un film patriotique dont le tournage a duré deux ans, en tournant dans cinq provinces différentes, avec l’aide d’un seigneur de la guerre du Nord qui a fourni des soldats et des chevaux comme figurants. En même temps, l’histoire de Mulan exaltait les valeurs guerrières des femmes comme Mulan.

 

 

 

Tournage de « Mulan s’engage dans l’armée », 1928
L’équipe de la Minxin, au centre (assis) Pu Shunqing et You Hao

Et à g. (assis) le producteur Li Minwei et l’actrice Lin Chuchu

 

Malheureusement le film est sorti après celui sur le même sujet réalisé par Li Pingqian (李萍倩) et produit par la compagnie rivale Tianyi (天一影片公司). Désastre financier pour la Minxin, absorbée dans la Lianhua en 1930, ce qui signa en même temps la fin de la carrière cinématographique de Pu Shunqing. Elle est ensuite devenue avocate, à Tianjin. Après avoir été « première scénariste », elle est devenue « première avocate du nord de la Chine » (律师华北第一人). Après la défaite du Japon, en 1946, elle s’est engagée dans la défense des droits de la femme, mettant en pratique les idées exprimées symboliquement dans ses premiers scénarios.  Mais, encore une fois, on perd ensuite ses traces… 

 

3. C’est un peu la même chose pour Hu Ping (胡萍), actrice de théâtre, puis du muet à partir de 1931, scénariste membre de la Ligue des dramaturges de gauche et critique cinématographique jusqu’en 1937. Elle est répertoriée dans l’histoire officielle du cinéma chinois comme actrice, et comme scénariste d’un unique film aujourd’hui perdu : « A Tragic Tale About My Sister » (《姊妹的悲剧》) produit à la Lianhua … C’est un mélodrame assez classique dont le scénario a été publié dans le journal de la Lianhua en 1933. L’histoire est celle d’une jeune paysanne dont le père et le frère aîné meurent, victimes des sévices infligés par le propriétaire foncier. Avec son plus jeune frère, elle part à Shanghai travailler dans une usine, mais son frère est emprisonné à la suite d’une grève. Yu Ying elle-même est limogée, et finit pour vivre à s’engager comme danseuse. Elle se lie avec un jeune homme riche, mais découvre qu’il veut en fait la donner au propriétaire, dont il est le fils. Cherchant à se venger, elle tente de le tuer un soir qu’il est ivre, mais elle est arrêtée et jugée pour tentative de meurtre.

 

Ce scénario fait écho à celui des « Vers à soie du printemps » (《春蚕》) adapté par Xia Yan (夏衍) de la novella éponyme de Mao Dun (茅盾) et réalisé par Cheng Bugao (程步高) également en 1933. Mais, comme c’est le seul scénario de Hu Ping, on a émis des doutes sur sa signature, et on l’a même attribué à l’homme avec lequel elle vivait à l’époque car elle n’a écrit aucun autre scénario après leur rupture. Elle n’est pourtant pas seule à n’avoir écrit qu’un scénario. En outre, elle avait espéré réaliser le film elle-même, mais sa proposition fut rejetée par la Lianhua qui désigna un acteur du studio pour le réaliser, Wang Jiting (王吉亭). Après quoi Hu Ping démissionna et quitta la Lianhua pour rejoindre une autre compagnie où elle continua sa carrière d’actrice, du parlant. Parallèlement, elle a écrit des articles sur le cinéma, en ligne avec les idées du cinéma de gauche et du cinéma de défense nationale. Cependant, on perd sa trace après le début de la guerre. Les rumeurs les plus diverses ont couru sur son compte, mais, comme les précédentes, on ne sait pas ce qu’elle est devenue.

 

Ces années 1920-1930 sont donc un premier âge d’or du cinéma chinois, mais c’est un cinéma essentiellement masculin, créé et façonné par des dramaturges venus du théâtre parlé. Les femmes n’y ont leur place que comme actrices ; celles qui ont tenté d’être scénaristes, voire plus, réalisatrices ou productrices, ont rencontré des obstacles sans fin et ont fini par disparaître de l’histoire du cinéma, sauf comme actrices.

 

Cet effacement est lié à la priorité quasi absolue donnée au cinéma de gauche. Il en est un autre cas, encore plus drastique et sidérant : celui de Chen Bo’er (陈波儿). Et cet effacement-là reflète la lutte du pouvoir contre toute tentative de mouvement féministe, que l’on retrouve encore aujourd’hui dans le cinéma de Chine continentale.

 

§  Le cas de Chen Bo’er

 

Née en 1907 dans une famille traditionnelle du Guangdong, Chen Bo’er a été la première grande réalisatrice de la Chine nouvelle. Sa mort prématurée, d’une insuffisance cardiaque à l’âge de 44 ans, en 1951, a brisé sa carrière dans l’œuf. Mais elle lui a aussi évité les inévitables persécutions qu’elle aurait eu à subir, ne serait-ce que pour son féminisme militant. Elle avait disparu de l’histoire du cinéma chinois et n’a commencé à être remise à l’honneur que très récemment. Et disparu n’est pas un euphémisme : « Chen Bo’er’s history is emblematic of the erasure of the socialist feminist cultural front », dit textuellement l’historienne Wang Zheng au début d’un chapitre consacré à Chen Bo’er dans un ouvrage plus général intitulé « Finding Women in the State »[19].

 

Chen Bo’er a bien sûr commencé comme actrice, en 1934, dans un nouveau studio, le studio Diantong (电通影片公司) qui représentait le nec plus ultra du cinéma à l’époque, pour la technique du son : le film où joue Chen Bo’er, « Les malheurs de la jeunesse » (Taoli jie桃李劫》), est le premier film chinois « sonore », sonorisé par un procédé entièrement chinois, conçu par quatre ingénieurs formés aux États-Unis, cofondateurs du studio. L’histoire elle-même est représentative de l’époque, critique de la corruption ambiante : un jeune homme est d’une telle honnêteté qu’il préfère démissionner ; quand son épouse, interprétée par Chen Bo’er, est victime d’un accident, il vole à l’usine les salaires qui lui sont dus pour la faire soigner, mais sa femme meurt, et il est condamné à mort. Gros succès, en particulier parce que le film comportait un thème musical qui fut bientôt sur toutes les lèvres. Ce qui attira l’attention du Guomingdang qui fit fermer le studio.

 

Mais Chen Bo’er était devenue célèbre, et surtout elle avait joué aux côtés d’un acteur qui venait lui-même d’entrer dans le studio et qui devint ensuite l’un des plus grands réalisateurs chinois et avec lequel elle va continuer à travailler : Yuan Muzhi (袁牧之). En 1936, ils participent tous deux, avec d’autres anciens de la Diantong, à la fondation du studio 2 de la Mingxing. En même temps, Chen Bo’er écrit, des articles féministes dans l’esprit du 4 mai, mais en outre mène des actions sur le terrain, organisant une « Troupe de réconfort des femmes et des enfants » avec laquelle elle part jouer sur le front anti-japonais. Actions qu’elle développe après l’entrée en guerre, en juillet 1937, avec Yuan Muzhi, en créant une « troupe de théâtre de salut national de Shanghai » avec laquelle ils suivent l’armée. Au passage, elle entre au Parti communiste dans le bureau de la 8ème Armée de route à Nankin.

 

En 1938, ils jouent tous les deux dans le film anti-japonais « 800 héros » (《八百壮士》) tourné à Wuhan. Adapté d’une pièce de théâtre, le film dépeint la défense de l’entrepôt de Sihang (四行仓库), fin octobre 1937, dans les derniers moments de la résistance de Shanghai contre l’attaque japonaise. Chen Bo’er y interprète le rôle de l’héroïne Yang Huimin (杨惠敏) qui traverse la rivière à la nage afin d’apporter un drapeau pour le hisser sur le toit de l’entrepôt[20].  

 

C’est le dernier film qu’ils tournent, ils partent ensuite à Yan’an. Yuan Muzhi y fonde en août 1938 l’« équipe cinématographique de Yan’an » (“延安电影团”), avec du matériel glané ici et là, dont une caméra donnée par Joris Ivens. Chen Bo’er, pour sa part, joue dans la « Trilogie de Yan’an » (《延安三部曲》), pièce écrite par Yuan Muzhi pour dépeindre la vie dans les bases révolutionnaires. Puis elle prend la tête du « groupe d’enquête sur les femmes et les enfants du nord de la Chine » (率战地妇女儿童考察团) et se déplace par monts et par vaux en passant derrière les lignes ennemies pour aider les associations de secours mutuel mises en place dans les régions rurales reculées, allant jusqu’à apprendre au paysannes à lire et à chanter. Elle écrit des rapports sur son travail. 

 

En mai 1942, elle assiste au Forum de Yan’an sur la littérature et les arts (延安文艺座谈会), et une photo la montre au premier rang, à côté d’une artiste, entre Mao et Zhu De.

 

 

 

Le Forum de Yan’an, Chen Bo’er au premier rang (au milieu, avec la veste noire)

 

Après sa publication en 1943, le discours de Mao suscite une réflexion intense et entraîne l’écriture de divers programmes artistiques.  Dans ce contexte, début 1944, Yao Zhongming (姚仲明), qui était alors le directeur du département n° 4 de l’École du Parti à Yan’an, écrit une pièce de théâtre en quatre actes intitulée « Camarade, tu as pris la mauvaise voie » (《同志,你走錯了路!) qu’il donne à Chen Bo’er pour la réviser et dont elle écrit la version définitive. Tous deux sont récompensés pour cette pièce du titre de « Travailleur modèle » et félicités par Zhou Enlai en personne. Chen Bo’er écrit et met en scène plusieurs autres pièces et réalise en outre un documentaire historique : « La défense de Yan’an ».

 

Après la fin de la guerre, en 1945, le Parti reprend le Studio japonais du Manchukuo qui devient le Studio du nord-est (东北电影制片厂) officiellement fondé le 1er octobre 1946 à Changchun. Chen Bo’er y était arrivée en août et Yuan Muzhi l’y avait rejoint. Il est nommé directeur du Studio, et Chen Bo’er secrétaire de la branche du Parti et directrice du département artistique.

 

Cela faisait des années qu’ils travaillaient ensemble mais Chen Bo’er était mariée et elle était restée fidèle à son mari bien que celui-ci se soit remarié. A Changchun, cependant, Yuan Muzhi reçoit une lettre d’un ami lui annonçant la mort de son mari (information qui s’avèrera fausse par la suite). Ils se marient enfin à Harbin en 1947 et se consacrent à l’organisation du studio. Chen Bo’er en particulier participe au développement du cinéma d’animation en reprenant les techniques de poupées animées qui étaient l’une des spécificités du studio du Manchukuo dont les cinéastes japonais restèrent en Chine jusqu’en 1953. Elle réalise le premier film chinois de poupées animées : « Le rêve de l’empereur » (《皇帝梦》), qui dénonce, en quatre parties, la corruption du Guomingdang à la solde de l’impérialisme américain. Au générique se lit le nom de « Fang Ming » (“方明”), nom chinois que Chen Bo’er avait donné à Mochinaga, le spécialiste japonais de l’animation de poupées qui assura la direction artistique du film. C’est cette ébauche de studio d’animation qui sera ensuite transférée à Shanghai quand sera formé le Studio d’art de Shanghai, sous l’égide de Te Wei, des frères Wan et autres.

 

D’août 1948 à juin 1949, l’équipe du Studio tourne six films de fiction dont « Le pont » (《桥》), premier film de fiction de la Chine nouvelle, réalisé par Wang Bin (王滨).

 

Le 1er octobre 1949, Chen Bo’er est à la tribune de la place Tian’anmen pour voir se lever le drapeau rouge sur la place. En mars 1949, Yuan Muzhi fonde le Bureau central de contrôle du cinéma (中央电影事业管理局) dont il  devient directeur, poste qu’il conserve après la fondation de la République, quand le Bureau est rattaché au ministère de la Culture et devient le Bureau du cinéma. Chen Bo’er devient en même temps directrice de la Division des arts. En 1950, elle conduit un programme planifié de réalisation de 26 films. En juillet, le Bureau du cinéma fonde une école de cinéma qui est l’ébauche de l’Institut du cinéma de Pékin et dont la section artistique est confiée à Chen Bo’er. La cérémonie d’inauguration a lieu en septembre.

 

Cependant, elle avait une maladie de cœur. En 1951, lors de son passage au studio de Shanghai, elle est victime d’un arrêt cardiaque et meurt à l’hôpital le 9 novembre, à l’âge de 44 ans. À sa mort, les hommages pleuvent, Deng Yingchao (邓颖超), l’épouse de Zhou Enlai, écrit une lettre émouvante : « En hommage à la mémoire de la camarade Chen Bo’er » (《悼念陈波儿同志》). Tous deux s’occupent de sa mère.

 

On reste impressionné par tout ce qu’elle a réalisé, et pourtant elle a disparu pendant longtemps de l’histoire du cinéma chinois. Elle a été effacée de « L’histoire du développement du cinéma chinois » (中国电影发展史) éditée sous la direction de Cheng Jihua (程季华), publiée en 1963 puis rééditée au début des années 1980, et qui reste aujourd’hui encore la référence de base.

 

Pour les années 1920-1930 a été supprimé tout ce qui n’était pas cinéma de gauche. Comme l’a expliqué en particulier Paul G. Pickowicz faisant état de ses recherches[21] : “En raison du contrôle des archives, il est extrêmement difficile de contester l’interprétation conventionnelle [du cinéma des années 1920 et 1930] parce que les autorités chinoises contrôlent pratiquement toutes les archives et qu’elles ont depuis longtemps tendance à ne permettre d’accéder qu’aux seuls films qui sont conformes à la vulgate officielle. » Il parlait de ses recherches sur le mélodrame au cinéma, mais cela vaut aussi, et peut-être encore plus, pour les cinéastes femmes.

 

Il faudra attendre 2017 et l’ouvrage de Wang Zheng « Finding Women in the State » pour que l’on trouve un chapitre qui soit consacré à Chen Bo’er, et explique en même temps les circonstances et les raisons de son effacement, emblématique du traitement réservé aux autres.

 

Wang Zheng met l’accent sur son action en faveur de l’émancipation des femmes, dans l’esprit du 4 mai, en le  replaçant dans le contexte des luttes idéologiques du pouvoir, à commencer par Yan’an. Un pouvoir masculin, dont même Ding Ling (丁玲) a fait les frais à Yan’an[22]. À partir de 1950, même la Ligue des femmes est plusieurs fois attaquée et ne réussit à survivre que grâce aux liens personnels de ses dirigeantes, dont Deng Yingchao, l’épouse de Zhou Enlai, et à leur intelligence dans le choix de leurs stratégies.

 

Les attaques les plus sévères, cependant, viennent en 1957, au moment de la campagne contre les droitiers où tout soupçon de critique du pouvoir en parlant de « restes de féodalisme » pouvait valoir condamnation, et pire encore en 1958 au moment du lancement du Grand Bond en avant : la femme était désormais considérée comme libérée, grâce à l’action résolue du Parti, la Ligue des femmes était donc considérée comme inutile, et le féminisme sans objet et proscrit. Or c’est alors que la fameuse histoire du cinéma chinois a été conçue et préparée. Elle reflète donc les lignes idéologiques du moment en donnant priorité absolue au cinéma de gauche dans les années 1930, puis en effaçant les femmes trop remuantes ayant contesté le pouvoir patriarcal du Parti en œuvrant derrière les lignes.

 

Pourtant, l’arrivée de Mao au pouvoir en 1949 était accompagné d’une volonté affichée de « libération » de la femme, et d’abord avec la loi sur le mariage, l’une des premières lois du nouveau régime, promulguée le 1er mai 1950. Libération s’entendant comme libération de l’oppression dont la femme avait été victime dans la société « féodale ». « Libération des restes de féodalisme » va rester longtemps le mot d’ordre de la Ligue des femmes.

 

Logiquement, on voit apparaître de grandes réalisatrices dans ce contexte, mais soumises aux aléas de l’histoire et des mouvements politiques qui se succèdent.

  

II.  Années 1950-1966 // 1980-1990 

Troisième et quatrième générations

 

On a ici, déjà, une première difficulté à établir une claire démarcation entre générations, sinon pour les débuts : la troisième étant celle émergeant dès les lendemains de la fondation de la République populaire, la quatrième suivant sur ses traces, mais stoppée net par la Révolution culturelle et ne pouvant véritablement réaliser de films qu’après la mort de Mao.

 

§  Troisième génération

 

La première et la plus célèbre des réalisatrices de la Chine populaire est Wang Ping (王萍), au studio du 1er août (le studio de l’Armée populaire). Mais, outre les pionnières du cinéma d’animation, il faut ajouter trois autres réalisatrices dont on ne parle quasiment pas[23] : Wu Guoying (吴国英) pionnière du documentaire, Yan Bili (颜碧丽) et Dong Kena (董克娜) qui forment la transition avec la quatrième génération.   

 

1. Wang Ping (王萍), née à Nankin en 1916, fait ses études à l’École normale et commence à enseigner en 1934. En même temps, elle entre à la Ligue des dramaturges de gauche (翼戏剧联盟南京分盟) et commence à jouer dans la troupe de théâtre associée à la Ligue à Nankin, en prenant le nom de scène de Wang Ping. Mais, en 1935, elle se fait renvoyer de l’école à cause de son interprétation du rôle de Nora dans « La maison de poupées » ; le Bureau de l’éducation de Nankin lui interdit d’enseigner dans la ville. Elle est alors engagée par la société de production du Nord-ouest, pour jouer dans une pièce du dramaturge de gauche Song Zhide (宋之的) décrivant les luttes dans la région minière. Le tournage est arrêté sur ordre du seigneur de la guerre Yan Xishan (阎锡山) qui avait repris le contrôle du Shanxi au début des années 1930 et entrepris des réformes sociales et militaires pour contrecarrer le développement du communisme dans la province. Wang Ping épouse ensuite Song Zhide.

 

Après juillet 1937, début officiel de la guerre contre le Japon, elle parcourt le pays comme ses collègues pour jouer dans des pièces révolutionnaires. En 1945, elle rencontre Mao Zedong et Zhou Enlai à Chongqing. Tandis que Song Zhide s’enrôle dans la Quatrième armée pour participer aux combats dans le Dongbei, Wang Ping reste à Shanghai et joue dans plusieurs grands films, mais dans des rôles secondaires. En 1949, elle passe au studio du Nord-est repris au Manchukuo et en 1950 devient membre du Bureau du cinéma au ministère de la Culture.

 

En 1952 enfin, elle rejoint lors de sa fondation le studio de l’armée, le studio du 1er août (八一电影制片厂), mais là en tant que réalisatrice, devenant selon ses biographies officielles la « première réalisatrice formée par la Chine nouvelle » (新中国培养的第一位女导演). Elle réalise une douzaine de films avant la Révolution culturelle, dont ses premiers succès, « L’histoire du village de Liubao » (《柳堡的故事》), en 1957, et « L’Orient est rouge » (《东方红》), sorti en 1965. Ce sont bien sûr des œuvres à la gloire de la Révolution et du régime, mais au-delà de la thématique et de l’imagerie officielles, une importance essentielle est donnée aux sujets féminins, avec une note d’héroïsme et de sacrifice des sentiments personnels. Le sujet politique prime en effet sur la femme et sa vie intime, dans la plus pure idéologie révolutionnaire, mais avec des nuances personnelles.

 

Ainsi, « Les sentinelles sous les néons » (《霓虹灯下的哨兵》), en 1964, est l’histoire d’un officier qui, en arrivant à Shanghai, se trouve confronté à la séduction urbaine, c’est-à-dire les femmes bien plus que le matérialisme. Le message est celui martelé par Mao depuis septembre 1962 : « N’oublions pas la lutte des classes ». Mais le récit est centré autour de la femme de l’officier, une femme traditionnelle représentant les valeurs conventionnelles, soumises aux contradictions les plus diverses, villes/campagnes, ancien/moderne, etc...

 

Dans ce contexte, « Le Village des acacias » (《槐树庄》) est un véritable chef-d’œuvre. Sorti en 1962, au moment de la lente remontée de Mao après le désastre du Grand Bond en avant, il est adapté d’une pièce de théâtre écrite par Hu Ke (胡可) en 1959. Elle a pour thème principal les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre, de 1947 à 1957, la réforme agraire, puis la collectivisation, dans un petit village du nord de la Chine.

 

Le film évite les caricatures habituelles, même le personnage du propriétaire déchu reste humain ; il est surtout construit autour du personnage de la « tante Guo » (郭大娘), traité de manière à la fois réaliste et romantique, comme une Mère qui se sacrifie à la cause, tout en restant proche du peuple et en ayant elle-même perdu son fils sur le front. Figure de mère à la Gorki que l’on retrouve dans d’autres films chinois, de 1949 à 1956, mais qui est ici campée tout en finesse par une actrice venue du théâtre, Hu Peng (胡朋), qui avait fait ses débuts à Yan’an, était entrée au studio du Nord-Est en 1949 et avait joué en 1950 dans « La Fille aux cheveux blancs » (《白毛女》). Elle était spécialiste de ces rôles qui lui avaient valu le surnom de « mère héroïque » (“英雄母亲”), mais la tante Guo est le plus beau de tous. Hu Peng ressemblait par ailleurs à Wang Ping, et elle avait épousé le dramaturge Hu Ke à Yan’an en 1945. Il y a une véritable symbiose entre l’actrice et son rôle, entre l’actrice et la réalisatrice, partageant la même histoire, ce qui donne au film une profonde authenticité.

 

2. Wu Guoying (吴国英) née en novembre 1921, est une pionnière du documentaire, mais, contrairement à Wang Ping, on ne trouve d’elle que des traces fugitives dans l’histoire du cinéma.

 

Elle rejoint Yan’an en 1938 en même temps que Chen Bo’er (陈波儿). En 1945, elle entre dans l’Équipe cinématographique de Yan’an (延安电影团) et part avec l’équipe à Xingshan (兴山) où, le 1er octobre 1946, est fondé le Studio du Nord-Est (东北电影制片厂) qui sera transféré à Changchun en 1949, sous la direction de Yuan Muzhi (袁牧之) et Chen Bo’er (陈波儿). Au Studio du Nord-Est, elle travaille comme directrice adjointe de l’équipe des films d’actualités, première priorité du studio. Le 1er mai 1947, elle termine le montage du documentaire « Nord-Est Démocratique » (《民主东北》) qui est envoyé en juillet au Festival de la jeunesse de Prague. C’est le premier documentaire sur la guerre « de libération » réalisé en Chine et projeté hors de Chine.

 

En avril 1949, Wu Guoying est transférée au Studio de Pékin comme directrice adjointe du département des films d’actualités. Elle monte deux films : « L’entrée à Beiping » (《北平入城式》) sur la cérémonie solennelle le 3 février 1949 à la porte Qianmen célébrant l’entrée de l’armée de Libération dans la capitale le mois précédent et « La libération de Taiyuan » (《解放太原》).

 

En 1953, elle est nommée, à sa création, rédactrice en chef adjointe du Studio central des films documentaires (中央新闻纪录电影制片厂). Elle écrit et réalise « Vive la paix » (《和平万岁》), premier prix du festival de la jeunesse de Roumanie en 1953, puis deuxième prix dans la catégorie des documentaires longs métrages du ministère chinois de la Culture pour la période 1949-1955 : documentaire sur les conférences de paix régionales en Asie et dans le Pacifique en mars et octobre 1952 au moment de l’échec des négociations en vue de l’armistice en Corée.

 

En 1955, Wu Guoying est admise à l’Institut du cinéma de Pékin pour étudier la mise en scène. Elle y reste ensuite pour enseigner. En 1975, dans le cadre de la réorganisation de l’Institut, elle est nommée codirectrice du département de mise en scène, puis en 1978 directrice du département de littérature (文学系). En 1978, elle coorganise les procédures de sélection des candidats à l’Institut du cinéma de Pékin et se rend pour cela au centre de Xi’an. Elle est mentionnée à cette occasion par Ni Zhen dans ses « Mémoires de l’Institut du cinéma de Pékin »[24], et en passant, dans l’intitulé d’une illustration du film « L’entrée à Beiping » dans l’ouvrage « A Companion to Chinese Cinema » de Zhang Yingjin (p. 167).

 

3. En marge, il faut également mentionner ici les réalisatrices effacées de l’âge d’or du cinéma d’animation : Tang Cheng (唐澄) et Lin Wenxiao (林文肖). La première ayant été, en particulier, l’assistante de Wan Laiming (万籁鸣) pour la conception et la réalisation du grand film d’animation des Studios d’art de Shanghai au début des années 1960 : « Le Roi des Singes bouleverse le Palais céleste » (《大闹天宫》), en deux parties sorties séparément en 1961 et 1964, et ensemble en 1965. On remarque le nom de la deuxième, en autres, au générique du très beau film d’animation de 1979 adapté d’un épisode de « L’Investiture des dieux » (Fanshen Yanyi 《封神演义》) : « Nezha conquers the Dragon King » (哪吒闹海).

 

§  Transition

 

1. Yan Bili (颜碧丽), née en 1928, est surtout connue pour avoir coréalisé avec Xie Jin (谢晋) l’un des classiques tournés au Studio de Shanghai en 1975.

 

Après ses études, en 1942, elle est partie à Shanghai où elle a travaillé comme ouvreuse dans un cinéma, occasion pour elle de regarder de nombreux films, en rêvant de devenir actrice. Elle commence par des rôles secondaires au théâtre, puis tourne dans une dizaine de films produits à Hong Kong en 1947-1949 (par des réalisateurs de Shanghai). En 1949, elle intègre le Studio de Shanghai comme script. Puis, entre 1955 et 1959, elle est assistante réalisatrice sur le tournage de six films. De 1963 à 1965, elle enseigne la mise en scène au Studio de Shanghai tout en étant assistante réalisatrice de deux films, mais ce n’est qu’en 1965 qu’elle est promue réalisatrice. Elle n’a le temps de tourner qu’un film pour enfants avant la Révolution culturelle.

 

Ce n’est donc qu’à la toute fin de la Révolution culturelle, en 1975, qu’elle peut revenir derrière la caméra, pour coréaliser avec Xie Jin (谢晋) le film devenu le grand classique de cette période : « Chunmiao » (《春苗》), avec l’actrice Li Xiuming (李秀明) dans le rôle d’une jeune paysanne qui, en 1965, réussit à devenir « médecin aux pieds nus ». Elle coréalise encore un autre film, avec le grand dramaturge et réalisateur Huang Zuolin (黄佐临) : « L’homme qui a perdu la mémoire » (《失去记忆的人》), sur un scénario typique de l’époque (Le secrétaire du Comité du Parti d’une usine d’équipement pétrochimique, voulant lancer des projets expérimentaux pour réaliser au plus vite « les quatre modernisations », est attaqué par des suppôts de la Bande des Quatre et envoyé à l’hôpital pour amnésie, sur quoi il évite de justesse une lobotomie.).

 

Finalement ce n’est qu’en 1980 qu’elle peut réaliser son premier film,  « What is Love ? » (《爱情啊,你姓什么?》), sur un scénario qui s’inscrit dans un courant littéraire axé sur la peinture des sentiments typique de la période d’ouverture du printemps 1980, où s’inscrivent entre autres les nouvelles de Wang Anyi (王安忆). Le film est original pour montrer la foule des touristes revenus à Suzhou et sur les bords du lac Taihu, et les histoires d’amour entre eux.  Elle n’a le temps d’en réaliser qu’un deuxième, en 1982, « La romance d’un calligraphe » (《笔中情》), dans un style classique, d’une esthétique raffinée rappelant les films du début des années 1960, les films d’opéra en particulier. C’est un film étonnant, resté inconnu. Yan Bili est décédée prématurément quelques années plus tard, à l’âge de 58 ans.

 

2. Dong Kena (董克娜), née en décembre 1930, est une réalisatrice aussi originale que prolifique dont la carrière a suivi un schéma analogue à celui de Yan Bili : en un peu plus de trente ans, à partir de 1957, elle a réalisé une vingtaine de films mais surtout à partir de 1980. Elle représente donc en fait une transition avec la quatrième génération. Mais elle est d’autant plus intéressante que ses films constituent une galerie de personnages féminins aux caractères très affirmés, et finement dépeints.

 

Elle aussi a commencé comme actrice. Mais, un accident chirurgical lui ayant abîmé les cordes vocales, elle entre à l’École du cinéma de Pékin (le futur Institut) pour étudier la réalisation. Elle intègre le studio de Changchun en 1957, puis est transférée au studio de Pékin en 1960, comme assistante de réalisation.

 

Elle réalise son premier film en 1961, « Une herbe sur le mont Kunlun » (《昆仑山上一棵草》), adapté d’une nouvelle de Wang Zongyuan (王宗元) intitulée « La belle-sœur Hui » (Hui Sao《惠嫂》) parue en 1960 : une jeune géologue de Shanghai, Wanli, envoyée sur le haut plateau du Qinghai faire de la prospection minière a du mal à supporter l’altitude et le climat ; elle est réconfortée par la belle-sœur Hui, une femme venue des années plus tôt sur le plateau avec son mari ; après une première réaction de rejet, elle a fini par s’adapter et a créé une auberge pour les chauffeurs de camion. C’est un très beau film dont le noir et blanc est parfaitement adapté au sujet, et le premier des grands portraits féminins de Dong Kena.

 

Elle coréalise encore trois films de commande, mais ce n’est qu’après la Révolution culturelle qu’elle peut vraiment commencer à réaliser des films seule, et qui s’inscrivent eux aussi dans le contexte du renouveau littéraire du début des années 1980, aussi bien que dans celui des grands mélodrames réalisés par Xie Jin (谢晋) ou Xie Fei (谢飞). Mais ce sont chaque fois de mémorables portraits de femmes, adaptés de nouvelles.

 

Le premier de ces portraits féminins, dans « La seconde poignée de mains » (《第二次握手》), en 1980, est celui d’une physicienne qui trouve son bonheur dans la recherche. On est dans une période de renouveau des thèmes de libération de la femme. Mais il est significatif que les rôles principaux du film sont joués par deux grands interprètes de films emblématiques de la fin des années 1950 et du début des années 1960 :  l’actrice Xie Fang (谢芳), interprète à la fois de Lin Daojing (林道静) dans « Le Chant de la jeunesse » (《青春之歌》) en 1959 et de Tao Lan (陶岚) dans « Février, printemps précoce » (《早春二月》) en 1963, et  l’acteur Kang Tai (康泰) qui jouait aux côtés de Xie Fang dans « Le Chant de la jeunesse ».  « Février, printemps précoce », de Xie Tieli, est l’un des films attaqués à la veille de la Révolution culturelle, en l’occurrence pour son contenu « petit-bourgeois » et son excès de sentimentalisme, mais resté un modèle esthétique revendiqué par la quatrième génération.

 

Les films suivants de Dong Kena, de 1982 à 1988, sont des histoires typiques de la période d’ouverture, dont, en 1985, « L’auberge des femmes » (《相思女子客店》) et, en 1988, « Les femmes du village de Huangtupo » (《黄土坡的婆姨们》), films qui reflètent l’actualité, et en particulier le deuxième qui s’inscrit dans le contexte de la mise en place de la culture par contrat (承包) : c’est un film étonnamment moderne qui préfigure les films sur l’exode rural. Dans le village, les hommes partent travailler ailleurs, restent les femmes, les enfants, les malades et les vieillards. Le paysan Le Datong (乐大同) a confié les 5 000 yuans qu’il a gagnés à sa femme Chang Lüye (常绿叶) pour construire une nouvelle maison. Mais elle persuade ses beaux-parents d’acheter à la place un petit tracteur. Avec les autres femmes du village, elle forme une mini-coopérative pour pratiquer une agriculture moderne avec l’aide d’un technicien. Le mari, furieux, veut revendre le tracteur, mais les femmes font une moisson record. Le problème est que la grange a une fuite…

 

En 1990, « Le rêve envolé » (《失去的梦》) est encore plus d’actualité. Il est inspiré d’un fait divers : dans une ville du nord, une femme a tué son fils. La mère d’un de ses camarades mène l’enquête. Cette femme, Li Mengqiu (李梦秋), était une paysanne venue travailler en ville qui adorait son fils et se tuait à la tâche pour qu’il puisse réussir dans ses études et changer de condition sociale. Mais le fils n’a pas eu de bons résultats et l’a caché à sa mère. Celle-ci, furieuse, l’a battu à mort.

 

Les films suivants, en 1991 et 1992, sont des portraits de femmes modernes, professionnelles dans un monde urbain qui est déjà (presque) celui d’aujourd’hui. Tous ces personnages féminins ont valu à la réalisatrice plus d’un millier de lettres de spectatrices la félicitant d’avoir créé des femmes dans lesquelles elles se reconnaissaient et dont elles se sentaient proches émotionnellement. Comparées aux héroïnes « révolutionnaires » de Wang Ping (王萍), les femmes des films de Dong Kena sont plus modernes, bien que le village de Huangtupo ne soit pas tellement différent, au fond, du « Village des acacias » ; la différence est dans les mentalités. Les femmes chez Dong Kena  ont une conscience féminine qui les marquent comme femmes « modernes », en prise sur leur temps : ses films permettent de mesurer les changements sociaux intervenus en Chine à travers l’évolution des mentalités féminines durant toute la période des années 1960 jusqu’au début des années 1990 – et ce de manière bien plus réaliste que les films de la cinquième génération qui sont concomitants.

 

Dong Kena est décédée en 2016 à Pékin, à l’âge de 86 ans. Ses films sont pour la plupart à (re)découvrir.

 

§  Quatrième génération

 

Après la Révolution culturelle, en 1978, s’amorce une période de renouveau cinématographique où les réalisatrices ont un espace d’expression et de création, même s’il est limité. Elles sont nées dans les années 1940 et ont fait leurs études dans les années 1950 et 1960. C’est une génération sacrifiée, d’abord parce que ces cinéastes ont dû attendre la fin de la Révolution culturelle pour pouvoir réaliser des films, mais surtout parce qu’ils vont être balayés par l’arrivée de la cinquième génération, celle qui entre à l’Institut du cinéma de Pékin en 1978 et va en sortir en 1982. Dans les années 1980, un certain nombre de femmes de cette génération  réussissent malgré tout à émerger, et une douzaine vont gagner des prix dans des festivals internationaux, ce qui est sans précédent dans l’histoire du cinéma chinois.

 

Leurs films dressent des portraits de femmes, ou ont pour thème la vie des femmes, voire des jeunes étudiantes, comme « Le dortoir des étudiantes » (《女大学生宿舍》) de Shi Shujun (史蜀君) en 1983 ou « La fille en rouge » (《红衣少女》) de Lu Xiaoya (陆小雅) en 1985. Beaucoup de ces films sont adaptés d’œuvres littéraires.

 

1. C’est le cas en particulier de ceux de Wang Haowei (王好为), réalisatrice prolifique qui a elle aussi commencé en 1975, au studio de Shanghai, aux côtés de Xie Tieli. À partir de 1979, elle réalise une série de films qui sont autant de tableaux de la vie des femmes entre campagne et ville et sont très souvent adaptés d’œuvre littéraires : œuvre contemporaine pour le film adapté de la nouvelle de Tie Ning (铁凝) « O Neige parfumée » (《哦,香雪》) sorti à la fin de 1989 en Chine et en première mondiale au festival de Berlin en février 1991, ou œuvre classique comme le film adapté en 1992 de la nouvelle « Divorce » (《离婚》) de Lao She (老舍).

 

Ce film, en particulier, est original dans le contexte de l’époque, et tout aussi ironique que l’était la nouvelle de Lao She en 1933. La nouvelle raconte l’histoire de Lao Li, un petit intellectuel venu travailler à Pékin qui rêve d’une vie « poétique ». Il fait venir sa femme et ses deux enfants, mais sa femme, qui n’a pas fait d’études, ne s’habitue pas à la vie en ville et Lao Li devient la risée de ses collègues. Il est frustré et attiré par la bru de son propriétaire, mais celui-ci a des problèmes de son côté ; deux de ses collègues qui voulaient divorcer finissent par abandonner. Finalement Lao Li démissionne de son poste à Pékin et revient au village avec femme et enfants.

 

2. Parmi les grandes adaptations littéraires des années 1980 figure « The Savage Land » (《原野》) adapté en 1981 de la pièce célèbre de huaju « La plaine sauvage » (《原野》) du grand dramaturge Cao Yu (曹禺) – dernier volet de sa trilogie, après « L’Orage » (《雷雨》) et « Le Lever du soleil » (《日出》). C’est le premier long métrage de Ling Zi (凌子), la réalisatrice sans doute la plus méconnue de cette période. Un talent gâché par la censure dont elle a été victime, tout simplement parce qu’elle était la fille du maréchal Ye Jianying (叶剑英1897-1986), l’un des dix grands maréchaux de la République populaire ; ce fut l’un des leaders militaires derrière le plan qui permit d’écarter la Bande des Quatre après la mort de Mao, en 1976[25], mais il apporta ensuite son soutien aux réformistes comme Zhao Ziyang (赵紫阳). Ling Zi s’était en outre mariée avec un pianiste qui fut arrêté et emprisonné au début de la Révolution culturelle comme contre-révolutionnaire.

 

Bref, « The Savage Land » fut présenté à la Mostra de Venise, mais interdit pendant sept ans en Chine, non tant pour le film que pour les antécédents familiaux de la réalisatrice. Ses films suivants, dont un adapté d’une nouvelle de 1981 de Han Shaogong (韩少功), subirent peu ou prou le même sort absurde, avec des explications contradictoires. Elle finit par plier bagages et partir à Hong Kong après la mort de son père en 1986. Elle est revenue à Pékin pour s’absorber dans la promotion des études confucéennes et défendre le souvenir de son père… Un talent gâché dans l’œuf, et pas seulement par la Révolution culturelle.

 

De cette période émergent deux grandes réalisatrices qui ont marqué le renouveau du cinéma chinois, en dehors de la cinquième génération : Zhang Nuanxin (张暖忻) et Huang Shuqin (黄蜀芹).

 

3. Zhang Nuanxin (张暖忻), née en octobre 1940, est sortie en 1962 de l’Institut du cinéma de Pékin où elle est restée enseigner. Elle a été de ceux et celles qui ont commencé leur carrière au studio de Shanghai en 1975, dans son cas comme assistante de Xie Jin (谢晋) sur le tournage de « Chunmiao » (《春苗》). En 1978 elle reprend ses cours à l’Institut du cinéma de Pékin. Mais, si elle a apporté une contribution déterminante au cinéma chinois, à l’époque, c’est surtout pour son travail théorique : elle publie une série d’articles à partir du début de 1979, dont l’un appelle à se libérer de « la béquille du théâtre », et l’autre, fondamental, cosigné avec son mari Li Tuo : « De la modernisation du langage cinématographique » (《谈电影语言的现代化》), appelant à rattraper le retard accumulé et à dépasser des formes obsolètes. Zhang Nuanxin avait appris le français pendant la Révolution culturelle, et ses modèles étaient la Nouvelle Vague française et le néo-réalisme italien. L’accent est mis sur l’expression subjective des sentiments intérieurs honnis par la vulgate maoïste.

 

Zhang Nuanxin réalise son premier film aussitôt après, en 1981 : Sha’ou ou « The Drive to Win » (《沙鸥》). Plus que l’histoire (bien que tranchant sur la rhétorique du héros), c’est l’esthétique et le style qui comptent ici : filmé avec des acteurs non professionnels, en extérieur, avec les sons naturels (il a obtenu le prix du Coq d’or pour le son), construit en flash-backs récurrents, le film a un côté documentaire/néo-réaliste qui tranche sur le réalisme révolutionnaire de la période maoïste. Mais c’est quasiment un film expérimental. Le film qui contribua bien plus à la popularité de la réalisatrice est son film suivant, sorti en 1985 : « L’ode à la jeunesse » ou « Sacrificed Youth » (《青春祭》). Adaptée d’une nouvelle de la « littérature des cicatrices », l’histoire est celle d’une jeune Pékinoise timide et peu communicative envoyée, pendant la Révolution culturelle, dans un petit village de l’ethnie dai, près du Laos. Elle s’y ouvre peu à peu à la vie, en découvrant la beauté de la nature, et la chaleur humaine des habitants.

 

Le film a par certains côtés, et sous un angle féminin, des accents qui rappellent le « Gardien de chevaux » (Mumaren《牧马人》) de Xie Jin (谢晋), adapté d’une nouvelle de Zhang Xianliang (张贤亮) et primé au festival de Cannes en 1983. C’est un regard nostalgique sur la campagne qui annonce la littérature de recherche des racines. Cependant, le film se dégage du style de Xie Jin : Zhang Nuanxin apparaît là bien plus comme  l’héritière de Fei Mu (费穆), de son style poétique et de son langage spécifique, à base de monologue intériorisé et avec une attention toute particulière à l’image et à la musique, presque hallucinante, signée Liu Sola (刘索拉). Le film a été sélectionné en 1986 au festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs.

 

 

 

Sur le tournage de « Sacrificed Youth » 《青春祭》

 

Les films suivants de Zhang Nuanxin sont tous axés sur la peinture des sentiments féminins dans la Chine moderne de l’époque, mais elle meurt prématurément en 1995 sans avoir eu le temps de mener à bien ses projets.

 

4. Huang Shuqin (黄蜀芹) est l’autre figure marquante de la quatrième génération. Elle était la fille d’une actrice de théâtre célèbre et du grand dramaturge Huang Zuolin (黄佐临), personnalité marquante du théâtre de Shanghai à la fin des années 1930, puis dans la République populaire après 1950, mais aussi grand réalisateur, cofondateur en 1946 de la compagnie Wenhua. Huang Shuqin est donc d’abord une héritière. Après avoir été, elle aussi, l’assistante de Xie Jin (谢晋), elle réalise une série de films à partir de 1981, sur des sujets dans l’air du temps, mais comme une sorte de recherche d’elle-même qui aboutit en 1987 à ce qui est généralement considéré comme un chef-d’œuvre : « Woman, Demon, Human » (Rén. Guǐ. Qíng《人..情》), œuvre de réflexion, sur la femme et sa place dans la société chinoise, la femme artiste, surtout, et sa difficile conquête d’un espace de création et d’épanouissement qui soit aussi espace personnel, identitaire,.

 

Le film est partiellement autobiographique, mais aussi inspiré de la vie de la grande actrice d’opéra Pei Yanling (裴艳玲), spécialiste des rôles masculins du répertoire de l’opéra du Hebei, et en particulier du chasseur de démons Zhong Kui (钟馗) – dont elle interprète elle-même le rôle dans le film. Celui-ci joue donc sur plusieurs registres de fiction et d’autofiction pour illustrer de manière emblématique la recherche identitaire qui est le thème principal du film, les images assurant un impressionnant impact visuel. Le film a été qualifié par la critique Dai Jinhua de premier film féministe chinois. Mais c’est presque réducteur.

 

 

 

Rén. Guǐ. Qíng《人..情》)

 

Huang Shuqin a ensuite tenté un film un peu plus commercial, sorti en 1994 : « A Soul Haunted by Painting » (《画魂》), inspiré de la vie de l’artiste peintre Pan Yuliang (潘玉良 et, adapté de la biographie écrite par la romancière Shi Nan (石楠). Pan Yuliang est une grande artiste emblématique : marquée par ses débuts en maison close, rachetée par un riche lettré. Plusieurs de ses nus sont au musée Cernuschi. Mais c’est Zhang Yimou qui assure la direction artistique du film, et le rôle de Pan Yuliang a été confié à Gong Li (巩俐) qui n’est pas crédible.

 

Le passage au commercial, dans les années 1990, est aussi difficile pour ces réalisatrices que le passage au parlant pour les actrices du muet dans les années 1930.

 

III.  À partir de 1982

Cinquième génération, en parallèle avec la quatrième

 

Pendant toutes ces années 1980 et 1990, les films de la quatrième génération croisent sur les écrans ceux de la cinquième, au détriment des premiers : si les années 1980 sont un véritable âge d’or du cinéma chinois, c’est d’abord pour la richesse et la diversité de ce cinéma, encore non concurrencé par la télévision. Mais les réformes économiques et la course à la croissance à partir de 1991 s’accompagnent d’un retour à la domination masculine sur tous les secteurs de la société, et d’abord sous couvert de dénonciation de la « masculinisation » des femmes pendant la période maoïste, et surtout la Révolution culturelle, avec retour de bâton contre le modèle des « Filles de fer » (铁姑娘) de Dazhai[26]. Ce retour en force du « genre » dans les mentalités, porté par le discours politique, a été dénoncé dès les années 1990 par Dai Jinhua, et par Wang Zhen plus récemment. Ce n’est pas un retour aux valeurs féminines comme on pourrait le croire, mais aux discriminations contre les femmes, dans une société plus patriarcale que jamais. Les réalisatrices de la cinquième génération en ont fait les frais – génération qui est de facto essentiellement masculine.

 

D’abord, elles ne sont que cinq réalisatrices dans la promotion de 1982 de l’Institut du cinéma de Pékin. Et encore, parmi ces cinq, Liu Miaomiao (刘苗苗), benjamine de la promotion admise à l’Institut à l’âge de seize ans, n’a réalisé qu’un superbe film, « Les Femmes dans la Longue Marche » (《马蹄声碎》), son premier long métrage, sorti en 1987. De santé fragile, affectée par la mort de sa mère, puis de son frère, souffrant de dépression, elle est retournée dans son Ningxia natal et prépare un film sur la vie et la culture locales. Quant à Peng Xiaolian (彭小莲), shanghaïenne, réalisatrice d’une « trilogie de Shanghai », mais aussi d’un film basé sur son expérience personnelle, « Women’s Story » (《女人的故事》), sorti en 1987, elle est aussi auteure d’essais sur le cinéma, mais elle est restée un peu en marge et a été emportée par la maladie en 2019.

 

Ce sont surtout les trois autres qui sont représentatives de cette génération, et d’abord Hu Mei et Li Shaohong.

 

1. Hu Mei (胡玫), née en 1958, est souvent citée pour avoir (co)réalisé « Army Nurse » (《女儿楼》) en 1984, le premier film après la Révolution culturelle à traiter de la vie d’une femme, contée en voice over, d’un point de vue féminin, voix qui se trouve cependant bientôt en collision frontale avec le discours officiel, les désirs de la femme entrant en conflit avec son rôle dans la société. 

 

Hu Mei était considérée comme l’un des éléments le plus prometteurs de la promotion. Dans ses « Souvenirs de l’Institut du cinéma de Pékin », Ni Zhen parle avec admiration et émotion de « la jeune Hu Mei »[27]. Mais la vie n’a pas été facile pour elle, et sa carrière a été durablement compromise par un projet télévisé dans lequel elle a été entraînée.

 

En 2007, elle a en effet été choisie pour tourner une nouvelle adaptation télévisée du « Rêve dans le pavillon rouge », le Hongloumeng (《红楼梦》). Mais, disposant de très peu de marges de manœuvre, elle finit par abandonner le projet quand on lui imposa un concours télévisé pour choisir les interprètes ; le projet fut alors repris par sa consoeur Li Shaohong (李少红) dont la réalisation sera ensuite l’objet de controverses sans fin. À cause de ce projet avorté, en 2010, Hu Mei ne put qu’accepter la proposition de China Film de tourner un « Confucius » (《孔子》) où elle n’aura pas plus de liberté. Ce film est juste l’image du nouveau Confucius qui fait désormais partie du bagage institutionnel du régime. Il montre juste à quelle pression Hu Mei a pu être soumise et a pour mérite de faire d’autant plus apprécier l’admirable « Confucius » (《孔夫子》), de Fei Mu (费穆) sorti en 1940. Mais Hu Mei est désormais reléguée à des réalisations secondaires pour la télévision.

 

2. Li Shaohong (李少红), née en 1955, a commencé comme assistante de Xie Tieli (谢铁骊) et a dû attendre 1988 pour réaliser son premier film. Son deuxième film, « Un matin couleur de sang » (《血色清晨》), l’histoire d’une jeune fille accusée de ne pas être vierge le jour de son mariage, est original pour sa construction en flash-back à partir du meurtre de celui accusé d’être responsable, inspirée du roman de García Márquez « Chronique d’une mort annoncée ». Le film a été primé en 1992 au festival des Trois-Continents à Nantes, mais interdit en Chine pendant des années, pour des raisons restées obscures.

 

Li Shaohong est surtout l’une des premières de sa génération à avoir réalisé des films sur la réalité urbaine et les mentalités de la classe moyenne, à partir de son troisième film, « Family Portrait » (《四十不惑》), sur un scénario de Liu Heng (刘恒) – film précurseur sorti en août 1992 au festival de Locarno où il a remporté le prix FIPRESCI. Li Shaohong se dégage là de l’esthétique « du village » qui marquait encore son film précédent et se pose en précurseur d’un courant nouveau pour la cinquième génération. C’est aussi le moment où Zhang Yimou abandonne les sujets historiques pour aborder les problèmes de la société moderne avec « Qiu Ju, une femme chinoise » (《秋菊打官司》), également sur un scénario de Liu Heng, mais c’est encore une histoire de paysanne alors que Li Shaohong réalise au contraire un film sur les mentalités et les modes de vie de la classe moyenne de la capitale, encore marquée par le poids des traditions et de l’histoire récente, mais aussi par le désir de s’en évader.

 

 

 

Family Portrait 《四十不惑》

 

« Family Portrait » est l’histoire d’un photographe qui s’était marié quand il avait été envoyé à la campagne pendant la Révolution culturelle, mais qui par la suite,  après avoir divorcé, s’est remarié en ville et a un fils de sa deuxième épouse. C’est alors qu’il apprend que sa première épouse est décédée, mais qu’elle était enceinte quand il l’a quittée, et qu’elle lui a aussi donné un fils qui a maintenant plus de dix ans. Sa vie devient impossible quand sa deuxième épouse tombe enceinte et doit se faire avorter en raison de la politique de l’enfant unique. « Family Portrait » est un ovni : il annonce des films ultérieurs de la sixième génération traitant de thématiques semblables, comme « Une famille chinoise » (《左右》) de Wang Xiaoshuai (王小帅). 

 

Dans les années 1990, Dai Jinhua considérait Li Shaohong comme une réalisatrice « d’avant-garde ». Son film suivant, le plus remarquable peut-être, est pourtant d’une facture plus classique : « Blush » (《红粉》), adapté de la nouvelle « Hongfen » (《红粉》) de Su Tong (苏童), Ours d’argent au festival de Berlin en 1995, le film, comme la nouvelle, retrace le sort des pensionnaires des maisons closes « libérées » en 1949, la prostitution ayant été interdite par le nouveau régime. Les prostituées, comme autant de Noras, doivent se reconvertir et travailler comme tout le monde. Dans ce contexte, le film oppose deux femmes aux caractères opposés, et se termine par la mort de l’une, l’autre consacrant le restant de son existence à élever l’enfant que la première a eue de l’homme qu’elle-même aimait. Culture du souvenir, mais aussi prémonitoire…

 

Li Shaohong a poursuivi en adoptant un réalisme moins sombre au début des années 2000. Mais le désastre du Hongloumeng et le campagne de dénigrement qui a suivi lui a coupé l’herbe sous les pieds. Elle a tenté en 2018 une adaptation d’un roman de Yan Geling (严歌苓), « A City Called Macau » (《妈阁是座城》), mais sans succès… Elle s’est tournée comme Hu Mei vers la réalisation de feuilletons télévisés.

 

3. Ning Ying (宁瀛) est l’autre grande réalisatrice de cette cinquième génération, mais restée un peu en marge, par son cercle familial et son détour par l’Italie où elle a travaillé avec Bernardo Bertolucci. C’est une autre observatrice de la réalité urbaine avec sa « trilogie de Pékin » (《北京三部曲》) : trois films sortis entre 1992, 1995 et 2001 qui ont pour cadre l’extraordinaire mutation qui a transformé la capitale chinoise au cours des années 1990. Mais ce n’est qu’un cadre ; le sujet principal est une réflexion sur les conséquences induites par cette croissance urbaine sur la société, et sur la vie des habitants. Ces trois films doivent beaucoup aux scénarios de sa sœur Ning Dai (宁岱) et, dans leur recherche réaliste des aspects de la vie au quotidien, se rapprochent des films de la sixième génération réalisés à partir du début des années 1990, et en particulier ceux de Zhang Yuan (张元), qui est le mari de Ning Dai. De par son clan familial et son style, Ning Ying dessine ainsi une filiation entre cinquième et sixième génération, relevant de l’une par définition, en quelque sorte, et de l’autre pour sa thématique et son esthétique.

 

Mais le film le plus remarquable de Ning Ying est son film de 2005 « Perpetual Motion » (Wu Qiong Dong《无穷动》) : un petit chef-d’œuvre d’humour décapant et réjouissant, mais tellement décapant qu’il lui a valu d’être l’objet d’une véritable campagne de dénigrement, d’attaques virulentes de la part de la critique (masculine) liguée contre elle.

 

Son film est en effet le portrait de quatre femmes médiatiques, l’élite pékinoise (jīngyīng 精英) au féminin, chacune jouant son propre rôle, ce qui ajoute encore à la charge satirique : Hung Huang (洪晃), star des médias et symbole de réussite, et sa mère Zhang Hanzhi (章含之), l’une des interprètes personnelles du président Mao ; Li Qinqin (李勤勤), actrice de cinéma, l’outsider dans l’histoire ; Liu Sola (刘索拉), artiste inclassable issue elle aussi d’une famille de la nomenklatura chinoise, romancière, scénariste, musicienne – c’est elle qui a composé la musique du film ; et enfin Ping Yanni (平燕妮), fille d’un ancien premier ministre et consultante d’un grand groupe international. Libérées des contraintes sociales usuelles par leur autorité même, et se moquant allègrement et sans fard de leurs relations maritales et sexuelles, leurs propos sont d’autant plus subversifs qu’elles viennent toutes, sauf l’actrice, de familles notoirement « rouges ». Du jamais vu et franchement « incorrect » dans son attaque corrosive contre les fondements mêmes de l’autorité patriarcale du régime.

 

 

 

Perpetual Motion 《无穷动》

 

Résultat : Ning Ying a été ostracisée et n’a plus fait ensuite que des films de commande.

 

Mais elle reste représentative d’une cinématographie de transition, souvent classée dans la sixième génération. Génération qui émerge à partir de 1990 et dont les films, d’un style très différent, viennent se superposer encore à ceux des deux générations précédentes.

 

IV.  À partir de 1990

Sixième génération : la génération urbaine 

 

Cette sixième génération arrive portée par la vague des caméras numériques qui leur permettent de s’affranchir de la tutelle des studios d’Etat et de filmer le quotidien. C’est le début du « cinéma indépendant », fiction et documentaire, qui traduit surtout un état d’esprit, une revendication de liberté et même une philosophie de la vie. Cette « génération » voit aussi la naissance des grands documentaristes. On peut préférer l’appellation de « génération urbaine » lancée par Zhang Zhen dans son ouvrage éponyme de 2007[28].

 

La plupart de ces cinéastes, nés dans les années 1960 et 1970, sont sortis de l’Institut du cinéma de Pékin en 1991, mais pas seulement : il y a aussi diversification des formations. Cependant, le modèle générationnel atteint là ses limites car, avec le passage du temps, et surtout à partir de 2010, le modèle s’effrite et se dissipe au profit des personnalités et de leur capacité à résister à l’emprise croissante des contrôles et surtout du box-office. Au début du nouveau millénaire, en raison de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001, les contrôles se relâchent un peu, permettant à quelques talents féminins de s’épanouir timidement, dans le contexte d’un mouvement féministe qui a émergé en Chine à la suite de la 4e Conférence des Nations Unies sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en septembre 1995. Mais les Jeux olympiques de Pékin, en 2008, marquent un nouveau durcissement, accentué encore après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, quatre ans plus tard.

 

De manière significative, dans cette génération, il n’y a pas de grands noms de réalisatrices, c’est à nouveau un cinéma très masculin. Quand on compulse le livre de Zhang Zhen, sur 25 réalisateurs (de fiction), on trouve deux réalisatrices outre Ning Ying : Xu Jinglei et Li Yu ; et sur 7 documentaristes, une femme : Li Hong (李红), auteure d’un documentaire étonnant, sorti en 1997 : « Out of Phoenix Bridge » (Huidao fenghuang qiao 《回到凤凰桥》), qui dépeint la vie quotidienne de quatre femmes venues de la campagne travailler à Pékin. Film précurseur sur le phénomène des travailleurs migrants mais au féminin, qui précède même le roman, lui-même précurseur et en grande partie autobiographique, de Sheng Keyi (盛可以) : « Filles du Nord » ou Beimei (《北妹》), publié en 2004.

 

Li Hong appartient à la Nouvelle Vague du documentaire (indépendant), lancée par Wu Wenguang (吴文光), qui verra naître plus tard des talents féminins, mais Li Hong est restée inconnue ; celles qui ont suscité beaucoup d’espoirs, au début des années 2000, ce sont, outre Ning Ying, Xu Jinglei et Li Yu, mais espoirs vite envolés, pour cause de box-office.

 

1. Xu Jinglei (徐静蕾), née en 1974, est devenue célèbre comme actrice après son rôle dans le « Spring Subway » (《开往春天的地铁》) de Zhang Yibai (张一白) en 2002. C’était l’avant-garde du cinéma dit indépendant. Puis elle réalise un premier film en 2003, « Papa et moi » (《我和爸爸》), dont elle interprète le rôle principal. Et poursuit avec  « Lettre d’une inconnue » (《一个陌生女人的来信》) adapté de la nouvelle éponyme de Stefan Zweig, un film très réussi sorti en 2004 qui est primé au festival de San Sebastian. Deux films très différents, comme des exercices de style, qui tendent à témoigner d’un talent éclectique.

 

Ainsi, au début des années 2000, quand Zhang Zhen écrivait son livre, Xu Jinglei était considérée comme une jeune réalisatrice pleine de promesses. Mais son troisième film a été un fiasco : « Dreams May Come » (《梦想照进现实》) est un long dialogue nocturne entre un réalisateur et une actrice sur un scénario de Wang Shuo (王朔) adapté d’une de ses nouvelles. À partir de là, Xu Jinglei se tourne vers le cinéma commercial, dans un créneau très spécifique, orienté vers la jeunesse urbaine branchée, avec en 2010  « Go Lala Go! » (《杜拉拉升职记》) adapté d’un bestseller d’une romancière à succès qui raconte les difficultés mais surtout les émois d’une jeune femme, fraîche émoulue de l’université, qui commence à travailler.

 

Xu Jinglei se confond dès lors avec ses résultats au box-office. En même temps, elle est représentative du tournant pris par le cinéma chinois au début des années 2010, avec la montée des écrivains-réalisateurs de la génération des « post’80 » tournés vers la même jeunesse branchée, dont Guo Jingming (郭敬明) et sa série des « Tiny Times » (《小时代》) et Han Han (韩寒), blogueur impénitent mais médiocre cinéaste. Beaucoup de paillettes et peu d’intérêt. D’ailleurs la vague est vite retombée, autant en littérature qu’au cinéma, au point qu’aujourd’hui plus personne ne veut être désigné comme « post’80 » et qu’on a dû inventer la catégorie des « post’85 »…

 

2. Li Yu (李玉), née en 1973, a commencé une carrière à la télévision avant de se tourner vers le cinéma. Son premier film de fiction, en 2000, « Fish and Elephant » (《今年夏天》), a aussitôt été salué comme un film très original, et d’abord par son sujet : les relations de deux jeunes filles, Xiaoqun et Xiaoling, dont l’une travaille dans un zoo et l’autre dans une fabrique de vêtements, la première étant harcelée par sa mère, divorcée, qui voudrait qu’elle se marie, alors qu’elle est lesbienne et préfère Xiaoling aux hommes que sa mère lui envoie. Mais tout se complique quand débarque brusquement une ex-amie de Xiaoqun qui vient de tuer son père… On compte sur les doigts de la main les films chinois qui évoque des relations homosexuelles féminines, et celui-là est particulièrement réussi car il évite les clichés - comme « Les filles du botaniste » (《植物园》) de Dai Sijie (戴思杰), en 2006.

 

« Fish and Elephant » a été primé à Venise en 2001 et au festival de Berlin en 2002. Il est évidemment underground mais on le trouve, sous-titré, sur youtube.

 

Li Yu a poursuivi avec un film tourné au Sichuan, en dialecte local : « Dam Street » (《红颜》). Là encore, elle évite le mélo ordinaire tout en annonçant une thématique qui sera reprise dans les années 2010-2020 : une lycéenne de 16 ans découvre qu’elle est enceinte, elle est exclue de son école, on lui dit que le bébé est mort à la naissance, elle devient chanteuse dans une troupe d’opéra et rencontre par hasard un petit garçon de dix ans qui la suit ensuite comme son ombre…. Le personnage principal est interprété par une véritable chanteuse d’opéra. Le film a été primé à la Biennale de Venise, au festival de Deauville, etc.

 

C’est cependant le film suivant, sorti en 2006, qui a fait connaître Li Yu, surtout à l’étranger : « Lost in Beijing » (《苹果》), cette fois satire de la vie moderne dans une grand ville chinoise, mais à nouveau sous l’angle d’une vie féminine, celle d’une masseuse dans un salon de massage mariée à un laveur de carreaux, tous deux travailleurs migrants à Pékin. On est toujours dans la thématique de Nora sortie de chez elle, mais dans un processus de séduction à tous les niveaux où les bébés conçus au passage sont l’objet de chantage pour obtenir des compensations financières. Le scénario est tordu et lourd, et le film est sorti dans les festivals sans visa de censure, censure qui était devenue d’autant plus sévère que c’était à la veille des Jeux olympiques de Pékin. Li Yu et son producteur furent frappés d’une interdiction de tournage de deux ans. C’est un tournant dans la cinématographie de Li Yu. Il marque aussi les débuts de sa collaboration avec Fan Bingbing (范冰冰) que l’on retrouve dans le film suivant, « Buddha Mountain » (《观音山》), sorti en 2010.

 

« Buddha Mountain » est la chronique de la vie de trois jeunes en pleine crise d’adolescence ; pour échapper aux contraintes familiales et sociales, ils louent des chambres chez une chanteuse d’opéra à la retraite qui a ses propres problèmes existentiels à surmonter, les soucis des uns et des autres se rejoignant dans la quête du sens de la vie, et de l’impermanence des choses. Mais le fil narratif se perd dans les méandres d’une histoire qui se veut mystérieuse alors que le personnage de la chanteuse âgée, et le mystère qui lui est lié, sont finalement réduits à très peu de choses. Malgré Sylvia Chang (张艾嘉) dans ce rôle, le film est plutôt un anti-climax dans la filmographie de Li Yu, bien qu’ayant été un succès au box-office.

 

À partir de 2012, la réalisatrice entre dans le mainstream, avec des films calibrés pour plaire au public chinois, dans des genres à la mode, adaptés pour la plupart d’œuvres littéraires, en particulier des thrillers et comédies romantiques avec, chez elle, une touche érotique. Ses derniers films sont des échecs, sur tous les plans, mais, en tant que tels, sont intéressants et représentatifs de la véritable malédiction qu’est aujourd’hui le box-office en Chine (sinon ailleurs).

 

Li Yu aura eu l’intérêt d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur la société, d’un point de vue féminin. Le début des années 2000 est marqué par une série de films prometteurs réalisés par des femmes, parfois poétesses, comme « Home Video » (《家庭录像带》) de Yang Lina (杨荔钠), pionnière en 2000 du documentaire familial du genre « Oxhide » (Niúpí《牛皮》), ou « Nightingale, Not the Only Voice » (《夜莺不是唯一的歌喉》) de Tang Danhong (唐丹鸿) en 2001[29].

 

Les temps, cependant, ont changé…

 

V.  Et maintenant…

Hétérotopies

 

Le début des années 2010 marque un reflux : un retour au conservatisme, lié parallèlement à l’étouffement progressif du mouvement féministe qui atteint son apogée en 2015[30] : il est marqué comme en contrepoint par une vague de films de réalisatrices qui ne s’inscrivent pas dans un mode critique d’expression féminine, mais sont orientés vers le grand public et le box-office avec des films qui offrent une vision rétrograde de la femme dans la société moderne, tendance qui culmine en 2013 avec trois films caractéristiques, tous trois bien notés et bien reçus par le public :

 

-    « Finding Mr. Right » (《北京遇上西雅图》), comédie dite romantique de Xue Xiaolu (薛晓路), avec Tang Wei (汤唯), gros succès au box-office en 2013, mais sans surprise ni émotion. Xue Xiaolu avait pourtant commencé avec un premier film très réussi, « Océan Paradis » (《海洋天堂》), sorti en juin 2010 au festival de Shanghai.

-    « So Young » (《致我们终将逝去的青春》) produit par Stanley Kwan et réalisé par Zhao Wei (赵薇), actrice devenue réalisatrice après être passée en 2006 par la classe de réalisation de Tian Zhuangzhuang (田壮壮), le parrain de la cinquième génération, à l’Institut du cinéma de Pékin ; le film est adapté d’un bestseller sur la vie des étudiants dans la Chine des années 1990, mais il est aussi partiellement autobiographique, ce qui représente une tendance courante dans la production commerciale récente. Le film rappelle « Le dortoir des étudiantes » (《女大学生宿舍》) de Shi Shujun (史蜀君), trente ans plus tôt.

-    « One Night Surprise » (《一夜惊喜》), autre « comédie romantique, d’Eva Jin (金依萌), avec Fan Bingbing. Eva Jin, diplômée de l’université de Floride qui déclarait en 2013 dans une interview : « Nous vivons dans un monde d’hommes, un monde masculin, alors quand les femmes sont douces (温柔), cela rend le monde meilleur, cela rend les hommes plus doux eux aussi. Je déteste les féministes (女权主义者)[31]… » (这个世界是男人的世界,当女人都温柔下来的时候,这个世界就变得非常美好,男人随之也会温柔下来。我自己特别不喜欢女权主义者,…)! Ce qui représente bien l’état d’esprit que déplorait Wang Zheng en conclusion de son ouvrage « Finding Women in the State ».

 

À côté de ces succès au box-office sans grand intérêt cinématographique, on peut relever malgré tout quelques très beaux films féminins, mais comme toujours et de plus en plus en marge du secteur commercial.

 

§   « Lan » et « Lichun »

 

À la fin de ces années 2000 sort un film resté injustement méconnu mais qui est à la fois représentatif et précurseur : « Lan » (《兰》) de Jiang Wenli (蒋雯丽), primé au festival de Busan en octobre 2009 et en juin 2010 dans la section « Nouveaux Talents » du festival de Shanghai. Jiang Wenli, née en 1969, a commencé comme actrice, mais dans des films « non commerciaux », comme le superbe portrait de femme qu’est Lichun ou « Le premier souffle du printemps » (《立春》) de Gu Changwei (顾长卫).

 

« Lan » est partiellement autobiographique, et dépeint les relations d’une petite fille avec le grand-père qui l’élève alors que ses parents ont été envoyés se faire rééduquer à la campagne pendant la Révolution culturelle. Elle est élevée dans le pieux mensonge que ses parents sont en train de travailler à faire fleurir le désert dans l’ouest du pays, et fait de son mieux pour supporter la dure discipline d’une formation de gymnaste pour laquelle elle n’est pas douée. En même temps, elle s’occupe de son grand-père dont la santé décline chaque jour. Dans le rôle du grand-père, on retrouve l’acteur Zhu Xu (朱旭) qui était le merveilleux « Roi des masques » (《变脸》) du film de Wu Tianming (吴天明) en 1996. Hommage et références, comme un album de souvenirs, et comme une porte ouverte sur le passé, vite refermée.

 

 

 

Lan et son grand-père (Zhu Xu)

 

C’est resté l’unique film réalisé par Jiang Wenli qui est ensuite revenue vers sa carrière d’actrice. On le trouve sur YouTube, sous-titré en chinois et en anglais, mais sous son premier titre : « Let’s Meet in Heaven » (《我们天上见》).

 

Le film est représentatif du regard nostalgique et douloureux sur la campagne, mais c’est le film de Gu Changwei « Lichun » qui est étonnamment précurseur : Jiang Wenli interprète une femme à la voix superbe, mais dont la carrière de chanteuse a été ruinée parce qu’elle n’était pas belle. Et à la fin du film, on la voit assise paisiblement avec la petite fille qu’elle a adoptée, sur la place Tian’anmen.

 

§  Le thème des shèngnǚ

 

Le retour au conservatisme observé dans la société, marqué par l’effacement de tout féminisme du discours officiel, est lié au problème de l’effondrement de la natalité, mettant les femmes à nouveau sur la sellette, avec une campagne pour les inciter à se marier et à avoir des enfants – l’un des thèmes porteurs étant l’offensive contre les femmes célibataires qui a inspiré deux films récents, mais dans les deux cas ruinés dès le départ par la faiblesse du scénario :

-     le film de Luo Luo (落落) « Last Woman Standing » (《剩者为王》), sorti en 2015, qui traite du phénomène médiatisé des « leftover women » (shèngnǚ 剩女)[32] et qui est adapté de son propre roman, « Queen Stain » (《剩者为王》), littéralement « la reine de celles qui restent »[33].  C’est un film très bien interprété, par Shu Qi (舒淇), mais bourré de clichés, dont tout l’intérêt est d’être révélateur des pressions exercées sur les femmes célibataires, avec la complicité de la Ligue des femmes.

 

-     celui de Teng Congcong (滕丛丛), qui a été l’élève de Xie Fei (谢飞) à l’Institut du cinéma de Pékin : « Send Me to the Clouds » (送我上青云), premier long métrage qui a été quatre fois primé au festival du Coq d’or en 2019. Le film est axé sur la vie d’une femme de trente ans qui se bat contre les préjugés, et contre sa propre mère. Malheureusement le scénario ne tient pas la route, malgré le Coq d’or qui lui a été décerné : il part d’une situation terriblement cliché : une femme atteinte d’un cancer ; elle doit trouver l’argent pour se faire opérer et se faire soigner, et bon an mal an gérer sa vie privée, et sexuelle, Les belles images ne suffisent pas à compenser la faiblesse du sujet.

 

§  La manne du documentaire

 

Dans ce contexte, il faut saluer les réalisatrices qui font preuve de sensibilité et d’originalité, et en particulier dans le domaine du documentaire, genre particulièrement difficile qui a connu une période d’essor dans les années 2000-2010, et où se sont illustrées des réalisatrices remarquables :

 

- Feng Yan (冯艳) et sa « trilogie des filles du fleuve », celles de la région des 3-Gorges,

- son amie Ji Dan (季丹) avec tout particulièrement « When The Bough Breaks » (《危巢》) en 2011, un documentaire sur une famille – dont deux sœurs - qui vit du recyclage des ordures en habitant sur une montagne de déchets, puis « Baya » (《芭雅》) sorti en 2023, portrait d’une vieille femme qui élève les enfants de ses six enfants décédés… Regard féminin complice, à l’opposé du regard distancié des documentaristes masculin, à l’exception de  Hu Jie (胡杰), dont Ji Dan est proche.

- Zhu Shengze (朱声仄), née en 1987, qui a le regard acéré, mais capable aussi de poésie, comme le montre son dernier documentaire, tourné à la fin du confinement à Wuhan, sa ville natale, et construit sur une trame de quatre poèmes en prose qu’elle a elle-même écrits et qui sont des lettres aux disparus : « A River Runs, Turns, Erases, Replaces » (《河流,奔跑着,倒映着》). Le film a été présenté en sélection officielle au festival de Berlin en février 2021 et au festival Cinéma du réel, à Paris, en mars. 

- sans oublier Ai Xiaoming (艾晓明), née en 1953, amie et collaboratrice de Hu Jie (胡杰), qui a fait du documentaire une arme de combat contre les injustices et les violences restreignant les libertés individuelles, et les droits des femmes.

 

§  Et le difficile passage du documentaire à la fiction

 

- Un exemple intéressant, dans ce contexte, est celui de Yang Lina (杨荔钠), qui a réussi la transition du documentaire à la fiction.

 

Née en 1972, elle vient initialement du théâtre parlé (dans l’armée). Sans avoir fait d’études cinématographiques, elle a commencé par une petit film très original et bien fait : « Old Men » (《老头》), un documentaire sur les personnes âgées rassemblées tous les jours sur le trottoir en bas de chez elle. Le film a été primé en 2000 au festival Cinéma du réel à Paris. Elle a tourné un deuxième documentaire, sur sa famille, « Home Video »  (《家庭录像带》).dans le genre du « Oxhide » (《牛皮》) de Liu Jiayin (刘伽茵), mais cinq ans auparavant. Contrairement à Liu Jiayin, cependant, elle a subi des feux croisés de critiques virulentes, à commencer par son père. Elle en est sortie effondrée et a mis plusieurs années à s’en remettre.

 

Elle a ensuite tourné un superbe documentaire sur les enfants d’un orphelinat de Qingdao qui a demandé une douzaine d’années de gestation : « Les herbes sauvages de Qingdao » (《野草》), dont le titre est une référence au recueil de textes en prose de 1927 de Lu Xun (鲁迅). Elle a commencé à filmer les enfants encore tout petits, en 1997, et les a suivis jusqu’à l’âge adulte en montrant la persistance des traumas de l’enfance. Le film a en outre été monté par Mary Stephen qui en a en fait écrit un scénario à partir des rushes, en ménageant des allers retours entre le passé et le présent, ce qui maintient le rythme et l’intérêt. Coproduction de l’INA et d’Arte, le film est superbe.

 

Et pendant que Mary travaillait sur le montage des « Herbes sauvages », en 2010, Yang Lina a tourné un quatrième documentaire : « Les amours de monsieur An » (《老安》), en reprenant l’idée de son premier film. Ce monsieur An faisait partie d’un groupe de personnes âgées qui se rassemblaient pour danser dans le parc du Temple du Ciel (天坛公园), à Pékin. Cette fois-ci, Yang Lina est allée plus loin en représentant les sentiments de ses personnages, en annonçant, dix ans à l’avance, la mode actuelle des films sur la vie affective des personnes âgées, les femmes surtout.

 

Puis, en 2013, Yang Lina est passée à la fiction, avec le premier volet d’une trilogie pour laquelle elle avait obtenu le soutien du fond Hubert Bals du festival de Rotterdam : « Longing for the Rain » (《春梦》) a été présenté en première mondiale au festival de Rotterdam en février 2013, avant d’être couronné le premier avril de la « mention spéciale » du festival de Hong Kong. L’histoire est celle d’une jeune Chinoise, mariée, sans problèmes matériels, mais dont la vie est réduite à s’occuper de son unique enfant et à faire des courses avec ses amies. Sa frustration affective et sexuelle et son vide existentiel sont comblés par des rêves où lui apparaît un amant magnifique, apparitions fantomatiques qui en font un être partagé entre rêve et réalité, au point que son entourage finit par la soupçonner d’être possédée….

 

Yang Lina s’attaque ici aux tabous qui s’opposent à la représentation du désir féminin et de ses pulsions dans le cinéma chinois, et, en général, à tout discours sur le sujet dans la société chinoise, confinant la femme à des illustrations relevant d’un autre âge ou de la peinture sociale contemporaine superficielle. Au-delà de cette peinture de la psyché féminine, c’est tout le malaise de la nouvelle société chinoise, affluente mais à la recherche de son âme, qui apparaît en filigrane.

 

Le deuxième volet de la trilogie, « Spring Tide » (《春潮》), est sorti au festival de Shanghai en juin 2019, et le troisième, « Song of Spring » (Mama !《妈妈!》), en septembre 2022. Ce dernier a pour thème les relations mère-fille, thème courant dans la Chine actuelle, mais traité de manière originale : une vieille femme de 85 ans doit s’occuper de sa fille de 65 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer. Et pour compléter l’originalité de l’idée initiale, le rôle de la vieille mère est interprété par une actrice née en 1938 et venue du théâtre, Wu Yanshu (吴彦姝), celui de la fille par une actrice née en 1955 et formée à l’Institut d’art dramatique de Shanghai dans les années 1970, Xi Meijuan (奚美娟).

 

 

 

« Song of Spring » Mama !《妈妈!》

 

- Enfin, parmi les documentaristes féminines de la nouvelle génération, il faut encore citer Ma Li (马莉), née en 1975, qui a longtemps travaillé pour la télévision, avant de devenir réalisatrice indépendante en 2007. Elle a commencé par un très beau documentaire tourné dans un monastère bouddhique du Sichuan, « Mirror of Emptiness » (《无镜》), achevé en 2010. Mais le plus formidable est son documentaire de 2017 tourné pendant un an dans un hôpital psychiatrique dans le nord de la Chine :  « Inmates » (Qiú《囚》). À l’extérieur les saisons changent, le temps passe, à l’intérieur l’uniformité s’installe, tout espoir de sortir de là s’efface peu à peu. Le film pose l’éternelle question de la frontière floue où commence la folie, mais montre surtout la rapidité avec laquelle le hors-norme (pour ne pas dire l’anormal) se fond dans l’univers routinier du quotidien de l’établissement. En fait, c’est une image de la société. On pense à Foucault. C’est un documentaire qui vaut bien celui de 2013 de Wang Bing (王兵) sur le même sujet, « A la folie » (《疯爱》), mais qui, hormis les festivals de Hong Kong, de Berlin et du Golden Horse à Taipei, a très peu circulé.

  

 

 

 

§  Et voilà les post’90…

 

Avec ces films, on est loin des productions officielles chinoises qui caracolent en tête du box-office. On manque encore de recul pour jauger la toute dernière génération, celle des « post’90 » qui commencent à émerger « de l’horizon de l’histoire » pour paraphraser Dai Jinhua. Quelques noms affleurent, comme celui de Geng Zihan (耿子涵)  et de son « Song Sung Blue » (《小白船》) de 2023, ou de Lu Dan (鲁丹) originaire d’Urumqi et revenue chez elle, aux confins du Kazakhstan, pour filmer son premier film en utilisant toutes les ressources linguistiques locales : « The Absent » (dōng lǚ rén《冬旅人》), produit par Pema Tseden qui a conseillé et aidé Lu Dan, sélectionné en juin 2024 au festival de Shanghai et présenté en février 2025 au festival Allers-Retours à Paris.

 

Trop de ces premiers films restent cependant sans lendemain – ce qui n’est pas une prérogative féminine, mais tend à être tout particulièrement vrai pour les jeunes réalisatrices, comme He Wenchao (何文超), par exemple : son film « Sweet Eighteen » (《甜蜜18岁》) a été remarqué dans la section « Nouveaux talents » du festival de Shanghai en 2013. Il reprend l’idée de la solidarité entre femmes : c’est l’histoire d’une adolescente un peu garçon manqué de 18 ans, He Na, qui vit avec sa mère, une ancienne chanteuse d’opéra. Trompée par son amant qui part avec son argent, celle-ci, ivre, fait une chute et se retrouve à l’hôpital dans le coma. He Na doit abandonner son rêve d’entrer à l’Institut des Beaux-Arts. Désorientée, elle va voir l’amie de l’amant de sa mère et découvre qu’elle aussi a été abandonnée, et qu’elle est enceinte ; les deux femmes finissent par se lier de manière inattendue.

On attend toujours un deuxième film de He Wenchao …

 

Conclusion

 

2024 marquait le 90ème anniversaire de la première à Shanghai du film « Femme(s) nouvelle(s) » (《新女性》) inspiré du suicide d’Ai Xia. Les réalisatrices ne sont plus « effacées », mais elles ont toujours autant de mal à réaliser des films qui leur soient personnels. Dans le contexte actuel, les films promus comme « féministes » qui sont des succès au box-office sont à prendre avec la plus grande réserve : ils ne font que servir la doxa du régime selon laquelle la femme chinoise vit heureuse dans un pays où elle a été libérée.

 

C’est le cas en particulier du film de Shao Yihui (邵艺辉) sorti en novembre 2024 : « Her Story » (《好东西》), promu « blockbuster féministe » dans une Chine où le féminisme a moins que jamais les faveurs du pouvoir[34], mais où le film a rivalisé avec la « Barbie » de Greta Gerwig, selon un phénomène analogue à celui qui porte aux nues le deuxième « Nezha »[35].  « Her Story » est le deuxième film de la jeune réalisatrice, née en 1991, après « B for Busy » (《爱情神话》ou « Le mythe de l’amour » ) [titre chinois du Satyricon de Fellini], une comédie de fin d’année filmée à Shanghai, en dialecte de Shanghai, produite et interprétée par Xu Zheng (徐峥), le maître de la comédie burlesque.

 

« Her Story », cependant, est aussi authentique dans sa peinture de la vie des femmes dans la Chine urbaine d’aujourd’hui que le quartier de Shanghai où il a été tourné, haut lieu touristique entièrement « restauré ». Les dialogues sont pleins d’humour, et détournent des blagues traditionnellement attribuées aux hommes et devenues clichés comme « je ne fais que les erreurs que font toutes les femmes ». Ce genre d’humour fait fureur auprès du public, mais le film est en fait une manière de détourner l’attention, et en particulier du harcèlement auquel sont soumises les femmes aujourd’hui en Chine, pour les inciter à se marier et faire des enfants.

 

On assiste cependant à un mouvement de paisible rébellion, qui ressemble plus au mouvement « tangping » qu’à une révolte ouverte. On est passé de Nora à Carmen, mais une Carmen tranquille, comme sûre d’elle-même. Plutôt que « Her Story », le film représentatif des tendances actuelles serait, malgré ses imperfections, ou en raison même de ses imperfections, celui de Yin Lichuan (尹丽川) sorti en septembre 2024 : « Like a Rolling Stone » (《出走的决心》), qui a connu un succès étonnant, porté par le bouche à oreille, mais qui, justement, a été étouffé par « Her Story », sorti un mois plus tard. Le titre chinois, qui met l’accent sur la prise de décision menant au départ, est plus représentatif du film que le titre anglais : il dépeint le long et difficile processus qui amène une femme à prendre la décision de partir de chez elle, après des années d’un mariage étouffant.

 

Le succès du film, inspiré d’une histoire vraie, tient à l’engouement qu’il suscite auprès des femmes du même âge qui ont vécu plus ou moins la même chose, mais aussi auprès de la jeune génération, désireuse de ne pas vivre de la même manière. Le film touche une corde sensible : l’éveil d’une conscience féminine qui s’oppose de plus en plus aux structures patriarcales de la famille et du pouvoir. On est toujours dans le mythe de Nora, mais dans une société qui offre des interstices de liberté… liberté qui se traduit par le rejet du mariage imposé, selon un slogan actuel qui renvoie à la conclusion du film de 2007 « Lichun » (《立春》) de Gu Changwei : « éliminer le père, garder l’enfant » (qù fù, liú zǐ去父留子”). Avec toute l’ambiguïté potentielle sur le terme de « père » -

 

On commence depuis quelques années à parler de «  shídài » (她时代), l’ère de la femme, son ère à elle, en retrait du pouvoir – comme une revanche sur l’époque où le pronom ta n’existait même pas au féminin et où Nora était condamnée à rester chez elle.

 


 

Bibliographie sélective

(en anglais)

 

Berry, Michael, Speaking in images, : interviews with contemporary Chinese filmmakers, Columbia University Press, 2005.

 

Cui Shuqin, Women Through the Lens, Gender and Nation in a Century of Chinese Cinema, University of Hawai’i Press, 2003.

 

Dai Jinhua, Cinema and Desire, Feminist Marxism and Cultural Politics in the Work of Dai Jinhua, ed. by Jing Wang and Tani E. Barlow, Verso, 2002.

 

Fincher, Leta Hong, Betraying Big Brother, the Feminist Awakening in China, Verso, 2018.

 

Ni Zhen, Memoirs from the Beijing Film Academy, The Genesis of China's Fifth Generation, tr. Chris Berry, Duke University Press, 2002 (Original edition 1995).

 

Wang Lingzhen ed, Chinese Women‘s Cinema, Transnational Contexts, Columbia University Press, 2011.

 

Wang Zheng, Finding Women in the State, A Socialist Feminist Revolution in the People's Republic of China 1949-1964, University of California Press, 2017.

 

Widmer Ellen and Wang Der-Wei David ed, From May Fourth to June Fourth, Fiction and Film in Twentieth-Century China, Harvard University Press, 1993.

 

Zhang Nuanxin, Li Tuo, “The Modernization of Film Language”, chap. 2 p. 10 in : Chinese Film Theory, a Guide to the New Era, ed. by George S. Semsel, Xia Hong and Hou Jianping, Praeger, 1990.

 

Zhang Zhen, An Amorous History of the Silver Screen, Shanghai Cinema 1896-1937, The University of Chicago Press, 2005.

 

Zhang Zhen ed, The Urban Generation, Chinese Cinema and Society at the Turn of the Twenty-First Century, Duke University Press, 2007.

 


 

[1] Le cinéma chinois étant entendu ici comme celui de Chine continentale (中国大陆电影), car il va être abordé dans une perspective historique spécifique, le cinéma de de Hong Kong et de Taiwan étant différents dans cette optique.

[2] Rétrospective de 141 films de la période 1922-1984 accompagnée d’un superbe « catalogue » : Le cinéma chinois, de Geremie Barmé, Marie-Claire Quiquemelle et Jean-Loup Passek, éd. du Centre Pompidou, 1985.

[3] Voir l’article en ligne : https://www.sixthtone.com/news/1011838

[4] Voir Trois pièces du théâtre des Yuan, texte présenté, traduit et annoté par Isabella Falaschi, Les Belles Lettres, 2015.

[5] Voir en particulier : « Histoire de la littérature féminine chinoise » (中国女性文学史) de Tan Zhengbi (谭正璧), initialement publiée en 1930 sous le titre « La vie littéraire des femmes chinoises ». Le qu est traité d’abord comme forme poétique : 6e partie : « L’origine de la poésie qu sous les dynasties Ming et Qing », introduisant au chap. 6 « Les auteurs de poésie et de théâtre chanté sous les Ming et les Qing », le chap. 7 étant consacré à Liang Yisu, et le chap. 13 à « trois auteures de théâtre chanté récemment découvertes »…

[6] Voir « Biographie de Liu Rushi » (柳如是别传), chap. 2 : 梁夷素乃梁孟昭.

[7]  The Columbia History of Chinese Literature, Victor H. Mair ed., Columbia University Press, 2001, ch. 11 “Women in Literature”, p. 218.

[8] Poétesse, peintre et calligraphe, amie de Li Yu, auteure d’une anthologie de poésie féminine Mingyuan shiwei (《名媛诗纬》), 1667.

[9] Grand maître à penser du 4 mai, partisan d’une révolution littéraire et culturelle, contre les idées de Chen Duxiu (陈独秀), fondateur de la revue, qui œuvrait pour une révolution socio-politique, il quittera en 1920 le comité de rédaction de la revue, en même temps que Lu Xun.

[10] Publiée dans le recueil de nouvelles « La mer des cerisiers » (《樱海集》) en 1935.

[11] Parmi les nombreuses pièces des seules années 1920 inspirées du personnage d’Ibsen et représentant la femme piégée dans la famille patriarcale :

- « La nuit de la capture du tigre » (《获虎之夜》) de Tian Han, 1924 ;

- « Fuite de la pagode hantée » (Dachu youlingta《打出幽灵塔》), pièce huaju en trois actes écrite pendant l’été 1927 par la dramaturge Bai Wei (白薇), la pagode aux fantômes étant une image symbolique de la famille féodale dont ne peuvent s’échapper les femmes. La pièce a été publiée en septembre 1931, au moment où Bai Wei est entrée à la Ligue des dramaturges de gauche.

Nora est aussi un thème récurrent dans l’œuvre de Ouyang Yuqian (欧阳予倩) :

- d’abord avec « La mégère » (Pofu《泼妇》) en 1922, la jeune femme de la pièce, se trouvant piégée et trahie par un mari qui prend une concubine, n’a plus d’autre solution que de partir pour reconquérir sa liberté ;

- puis en 1924 avec « Retour à la maison » (Huijia yihou《回家以后》) dont le titre même semble répondre à la question de Lu Xun : un étudiant rentre chez lui avec une femme « moderne » épousée aux Etats-Unis, mais en vient à se sentir plus en phase avec l’épouse vertueuse de sa campagne, épousée par mariage arrangé – une anti-Nora qui représente comme un ancrage dans la société rurale ;

- et en 1928 avec la pièce « Pan Jinlian » (《潘金莲》) qui fait de Pan Jinlian une émule de Nora en quête de liberté, en renversant l’image misogyne traditionnelle du personnage du roman « Au bord de l’eau » (Shuihuzhuan《水浒传》).

[12] Il commença ensuite une carrière de réalisateur au cinéma.

[13] Voir : 现代话剧观念在实践中确立 (L’établissement du concept moderne de huaju par la pratique)

[14] Dont il nous reste les 50 minutes de la deuxième partie, que l’on trouve sur YouTube avec intertitres en anglais, traduits par Christopher Rea : https://www.youtube.com/watch?v=2d_TCFhISLg

Sur ce film, voir l’introduction de l’ouvrage éponyme de Zhang Zhen : « Amorous history of the Silver Screen, Shanghai Cinema 1896-1937 », University of Chicago Press, 2005, pp. xix & sq.

[15] Et sans parler ici des premières stars d’arts martiaux – Wu Lizhu  (邬丽珠), Fan Xuepeng (范雪朋) et autres -  lors de la grande vogue des films de wuxia dont il ne nous reste que peu de choses, et sans doute pas le meilleur.

[16] C’est un thème développé par Margaret H. Decker dans « From May Fourth to June Fourth ».Harvard University Press, 1993. Ch. 8 : “Living in Sin”, pp. 221-246.

[17] Son frère, en revanche, qui joue avec elle dans « Les pleurs d’un orphelin », a poursuivi une carrière d’acteur prolifique jusqu’en 1937 et a même écrit et réalisé un film en 1929.

[18] Préfigurant en quelque sorte le sort réservé à Camille Claudel.

[19] Wang Zheng, "Chen Bo'er and the Feminist Paradigm of Socialist Film" in Finding Women in the State: A Socialist Feminist Revolution in the People's Republic of China, 1949-1964, Berkeley: University of California Press, pp. 143–169. 

[20] C’est cette même histoire qui a été de nouveau adaptée au cinéma par Guan Hu (管虎) : « Les 800 » (《八佰》), sorti en juillet 2020. Ce qui en dit long aussi sur le patriotisme exacerbé véhiculé par toute une série de films de guerre sortis en Chine dans les années 2020, comme dans les années 1930.

[21] « It is extremely difficult to challenge the conventional interpretation because the Chinese authorities control almost all the archival resources and, until recently, have been inclined to allow access only to those films that appear to support the official view. » in : From May Fourth to June Fourth, Fiction and Film in Twentieth-Century China, ed. by Ellen Widmer and David Der-Wei Wang, Harvard University Press, 1993, ch. 11, p. 305.

[22] Pensant sans doute pouvoir se permettre des critiques, elle publia, dans le supplément littéraire du « Quotidien de la Libération » (《解放日报》) dont elle était le rédacteur en chef, divers articles engagés, dont, en 1942, « Réflexions sur le 8 mars » - c’est-à-dire la journée des droits des femmes (《三八节有感》) - où elle exprime les déceptions ressenties face à la réalité de la situation dans les zones sous contrôle communiste, en critiquant en particulier le traitement réservé aux femmes, le manque de démocratie et de liberté d’expression.

Traduit en français dans le recueil « La grande sœur », Flammarion, 1980, pp. 237-246.

Violemment attaquée, elle dut faire son autocritique et revenir sur ses propos lors de la « campagne de rectification » qui suivit le Forum de Yan’an. Elle fut soumise à deux ans de purgatoire, école du Parti et travail à la campagne, avant de pouvoir se remettre à écrire. Mais écrire dans la ligne indiquée par Mao.

[23] Outre Wang Shaoyan (王少岩), mais dans une moindre mesure, ses films, réalisés entre 1958 et 1963, étant d’un moindre intérêt artistique.

[24] Ni Zhen, Memoirs from the Beijng Film Academy: The Genesis of China’s Fifth Generation, tr. Chris Berry, Duke University Press, 2002, p. 32.

[26] Voir Wang Zheng, “The Iron Girls and Class in Cultural Representations” in Finding Women in the State: A Socialist Feminist Revolution in the People's Republic of China, 1949-1964, Berkeley: University of California Press, pp. 221-241.

[27]  Memoirs from the Beijing Film Academy, tr. Chris Berry, Duke University Press, 1995/2002,  pp. 5 / 61-64 / 108-110.

[28] Zhang Zhen, The Urban Generation, Chinese Cinema and Society at the Turn of the 21st Century, Duke University Press, 2007.

[29] Et également Wang Fen (王芬) avec le documentaire dans la veine de celui de Yan Lina « They Are Not the Only Unhappy Couple » (不快乐的不只一个), sorti en 2000 aussi - Wang Fen qui est la compagne d’Ai Weiwei et réside maintenant à Cambridge.

[30] Avec comme dates-clés : le lancement en 2009 sur WeChat de Feminist Voices (女权之声) par Lü Pin (吕频), qui avait travaillé dix ans (1994-2004) pour le China Women’s News (中国妇女报) de la Fédération des femmes (中华全国妇女联合会), et s’était en particulier engagée en 2002/2003 pour la loi contre les violences domestiques, finalement été adoptée en 2016. Mais l’ère Xi marque le retour des poursuites contre les féministes, avec arrestation et détention des « Cinq féministes » en mars-avril 2015 et répression du mouvement #MeToo en 2018. La plupart des féministes, dont Lü Pin, sont aujourd’hui aux États-Unis. 

[31] Terme signifiant « défenseur des droits de la femme » utilisé aujourd’hui par les jeunes féministes, avec un côté activiste, et provocateur.

[32] Pour un historique et une analyse du phénomène : « Leftover Women, The Resurgence of Gender Inequality in China », by Leta Hong Fincher, Zed Books, 2014.

Suivi de : “Betraying Big Brother: The Feminist Awakening in China”, Leta Hong Fincher, Verso, 2018.

[33] Née en 1982, Luo Luo fait partie de « l’écurie » du groupe de presse de  Guo Jingming (郭敬明). Ce sont des écrivains à succès dits « post’80 » qui ont été médiatisés pendant les années 2010 et ont suscité un enthousiasme quasiment fanatique auprès de millions de jeunes, avec des histoires de héros mélancoliques traînant leur ennui dans l’urbs chinoise moderne. Ils ont suscité en retour l’étiquette « post’85 » pour les écrivains de cette décennie voulant se démarquer de cette « pop-fiction » pour adolescents branchés.

[34] Les fluctuations du terme même révélant non tant l’évolution des mentalités que les embarras du pouvoir pour désigner un phénomène qui risque à tout moment de lui échapper : de nǚxìng zhǔyì (女性主义), lié à l’idée de « féminité », on en est revenu à nǚquán zhǔyì (女权主义), défense des droits de la femme.

[35] Dans ce cas par un réflexe de fierté nationaliste qui fait que l’on ne peut même pas critiquer le film.

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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