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Les
voix féminines dans le cinéma chinois, de Nora à Carmen.
Conférence donnée à l’ENS
le 28 mars 2025
dans le cadre du séminaire
Visages de la Chine 2024-2025
par
Brigitte Duzan, 30 mars 2025
Introduction
Cette réflexion sur le
cinéma chinois au féminin
,
en lien avec la littérature, est née d’une double idée.
L’idée de départ est inspirée d’une réflexion du grand
photographe Cartier-Bresson qui, visitant un musée, aurait
dit : « Quand je vois un tableau, j’ai toujours envie de le
retourner pour voir ce qu’il y a derrière. » Étudier le
cinéma fait par les femmes est une manière de « regarder ce
qu’il y a derrière ».
L’autre idée est empruntée
à Jean-Loup Passek, l’un des organisateurs de la grande
rétrospective de cinéma chinois qui a eu lieu pendant
l’hiver 1983-1984 au Centre Pompidou.
Peu de temps auparavant, il avait organisé un hommage au
réalisateur
Xie Tieli (谢铁骊)
pour le festival des Trois-Continents à Nantes. On ne
connaissait guère à l’époque que son film de 1963 « Février,
printemps précoce » (《早春二月》),
considéré comme un chef-d’œuvre de cette période. Pour
préparer son hommage, Jean-Loup Passek s’est donc plongé
dans l’œuvre de Xie Tieli, et a découvert des films
totalement différents, d’une grande diversité, et il a titré
son introduction au programme du festival : « Xie
Tieli ou le baromètre de l’histoire ».
Le cinéma chinois au féminin,
c’est aussi cela : un baromètre de l’histoire, l’histoire du
cinéma chinois, mais aussi de la société toute entière,
soumise à l’emprise d’un discours politique et idéologique
fluctuant avec le temps. Étudier le cinéma au féminin,
c’est rechercher les traces qu’ont laissées les
femmes plus spécialement en tant que créatrices, donc comme
scénaristes, réalisatrices, voire productrices. Traces au
sens de Derrida, c’est-à-dire obligeant à revenir aux
origines pour pouvoir les définir et mieux les cerner.
Cette approche du cinéma par
la marge, la marge féminine, permet de revisiter
l’histoire du cinéma chinois en en faisant ressortir les
faces cachées. Ce qui, comme toute écriture ou tout regard
en marge, permet de mieux comprendre le centre, en
l’occurrence la face émergée du cinéma chinois. Car on ne
voit bien qu’avec la distance comme l’a si bien dit Su Shi
dans son poème « Écrit sur le mur de Xilin » (《题西林壁》),
écrit alors que le poète passait par le mont Lu pour
rejoindre une petite ville du Henan après avoir été une
nouvelle fois rétrogradé - extrêmement concis, le poème
exprime les incertitudes de la connaissance humaine qui
varie selon les perspectives, une vue extérieure et
distanciée permettant seule de saisir la vérité des choses,
leur « vrai visage » :
横看成岭侧成峰,远近高低各不同。
不识庐山真面目,只缘身在此山中。
À l’ horizontale c’est une
chaîne, à la verticale un sommet,
Il est haut ou bas selon qu’on
en est loin ou près,
Du mont Lu on ne peut voir le
vrai visage si l’on est au milieu.
Ainsi le cinéma fait par les
femmes offre une vision de la Chine vue des marges
féminines et, en constatant le peu de voix féminines qui
émergent, comme en littérature, mais bien plus encore,
montre à quel point des pans entiers de la société chinoise
disparaissent derrière le discours dominant. Ce travail de
recherche en marge est important pour mieux apprécier
les films, aujourd’hui, en les contextualisant. Et avec les
films la société, et la politique qui la gouverne.
Le cinéma chinois, plus que
tout autre sans doute, est lié à l’histoire, en l’occurrence
celle du XXe siècle, avec ses drames, ses ruptures, mais
finalement, surtout, sa terrible continuité. Et c’est de là,
de cette origine-là, qu’il faut partir. Dans un cadre
historique dont on a fait une histoire de générations,
imparfaite mais pratique.
Cadre historique : une
histoire de générations
Ces générations, on en
distingue six, à partir de la cinquième en procédant à
reculons, en flash-back en quelque sorte. Et il faut bien
dire que cette périodisation correspond assez bien à
l’histoire, même si les fameuses générations se chevauchent
allègrement à partir des années 1980, et si la notion même
se perd dans les sables individualistes de la modernité dans
le présent millénaire.
Première génération 第一代 :
années 1910 et 1920
Les pionniers
C’est la génération du cinéma
muet, dont émergent deux pionniers : d’une part
Zhang Shichuan (张石川)
et son inséparable comparse Zheng Zhengqiu (郑正秋),
fondateurs de la compagnie Mingxing, et d’autre part
Li Minwei (黎民伟)
et la compagnie Minxin, fondée d’abord à Hong Kong, puis
rapatriée à Shanghai.
Deuxième génération 第二代 :
années 1930 et 1940
Le cinéma de gauche
Génération marquée
- d’une
part par le passage progressif au parlant : premier film
« sonorisé » sorti en 1931 : « La Chanteuse Pivoine rouge »
(《歌女红牡丹》)
de Zhang Shichuan sur un scénario du dramaturge
Hong Shen (洪深).
- d’autre
part par la montée du cinéma dit « de gauche », avec en
particulier, en août 1930, la fondation de la Lianhua (联华影业公司) par
Li Minwei et
Luo Mingyou (罗明佑).
Fondation qui marque un tournant bien plus que le passage au
parlant qui ne sera que très progressif, tournant vers un
cinéma humaniste, humanisme utopique en lien avec le théâtre
dont sont issus les réalisateurs et scénaristes, et novateur
aussi sur le plan technique. C’est un premier âge d’or du
cinéma chinois.
Âge d’or qui s’achève
brutalement avec l’entrée en guerre du Japon en 1937 et la
destruction des studios de Shanghai. Les cinéastes
abandonnent Shanghai pour l’intérieur et le cinéma pour le
théâtre, théâtre de guerre, sur le front.
La fin de la guerre, en 1945,
voit une brève effervescence cinématographique, avec une
série de films superbes, dont le chef-d’œuvre intemporel
qu’est le « Printemps
dans une petite ville » (《小城之春》),
du « réalisateur-poète » Fei
Mu (费穆).
Film sorti en septembre 1948, après la libération de
Shanghai en mai, donc incompris et relégué aux oubliettes
dans le climat euphorique de la ville. Il marque l’apogée de
toute une époque.
Troisième génération 第三代 :
1949-1966
Les années Mao
Mao Zedong considère le cinéma
comme un outil d’éducation des masses, selon un principe
clairement énoncé dès le forum de Yan’an, en mai 1942. Cette
troisième génération se devait donc être révolutionnaire. Le
cinéma lui aussi est planifié, jusque dans l’écriture des
scénarios. Et doit se conformer à la vulgate communiste, sur
fond de lutte des classes, d’où la campagne contre
« La vie de Wu Xun » (《武训传》),
en 1951, qui brise la carrière de Sun
Yu (孙瑜).
Campagne parallèle à la
Réforme agraire, et suivie d’une série d’autres, jusqu’au
Grand Bond en avant, en 1958. Ce qui n’empêche pas
l’émergence de grands réalisateurs, et le cinéma de
prospérer, jusques et y compris au début du Grand Bond en
avant.
Il connaît même un autre
bref âge d’or juste après, en 1961-1965, avec des films
emblématiques de cette période et cette génération : « Le
Détachement féminin rouge » (《红色娘子军》)
de
Xie Jin (谢晋)
en 1961 ou « Février,
printemps précoce » (《早春二月》)
de Xie
Tieli (谢铁骊)
en 1963. Mais c’est encore un film qui marque l’apogée de la
période en annonçant la Révolution culturelle :
« Sœurs de scène » (《舞台姐妹》) de
Xie Jin aussi.
La Révolution culturelle
marque évidemment une rupture, mais pas totale car les
studios de Shanghai rouvrent dès 1971 et même
les films de fiction
reprennent dès 1974,
avec des films qui assurent une transition, dont
« Chunmiao » (《春苗》)
de Xie Jin
ainsi que « Haixia » (《海霞》)
sur un scénario et à l’initiative de Xie Tieli, tous deux
sortis en 1975. « Haixia » qui aura encouru les foudres de
la Bande des Quatre, mais aura été soutenu par Mao et
approuvé par le Comité central.
Quatrième génération 第四代 :
à partir de 1979
La génération sacrifiée
La Révolution culturelle a
brutalement coupé l’herbe sous les pieds de la génération
des jeunes cinéastes en herbe qui avaient juste terminé
leurs études quand elle a commencé et n’ont pu passer
derrière la caméra que dix ans plus tard. On a parlé de
« Printemps tardif » en paraphrasant le titre du film de Xie
Tieli.
Leur premier soin a été de
« moderniser le langage cinématographique », comme le
titrait l’article
historique publié
par Zhang
Nuanxin (张暖忻)
en 1979 – Zhang Nuanxin qui était l’assistante de Xie Jin
lors du tournage de « Chunmiao », comme un passage de
relais, et dont le film « Sha’ou »
(« La Mouette ») ou « The
Drive to Win » (《沙鸥》), sorti
en 1981, apparaît comme le manifeste de cette génération.
Mais c’est là que les choses
commencent à se brouiller car l’émergence de ces cinéastes
derrière la caméra coïncide avec celle de la « cinquième
génération », si bien qu’ils ont longtemps été négligés et
qu’il faudra longtemps pour que soit redécouverte la beauté
de leurs films, sortis dans les années 1980 et 1990 comme
des parents pauvres – du moins vu d’Occident car leurs films
étaient alors bien plus connus, et appréciés, par le public
chinois que ceux de la cinquième génération qui faisaient
les délices des critiques des festivals étrangers.
Encore aujourd’hui, beaucoup
sont inconnus : doublement sacrifiés.
Cinquième génération 第五代 :
la promotion de 1982
et ses lendemains
Volonté de rupture et économie
de marché
Avec cette génération
s’affirme dès l’abord une volonté de rupture radicale
avec le passé, rupture déclinée en termes d’innovations
esthétiques autant que thématiques et narratives -
thématiques rurales et historiques déclinées en termes
épiques chargés de symbolique. Avec pour modèles
emblématiques « One
and Eight » (《一个和八个》)
et « La
Terre jaune » (《黄土地》),
consacrant Cheng Kaige et Zhang Yimou comme chefs de file.
Mais c’est une génération qui
subit elle-même une rupture, en 1989, avec une
reprise au début des années 1990 dans des conditions
totalement différentes : la course à la croissance orientée
vers l’économie de marché, déclinée en termes de grosses
productions commerciales dans le domaine cinématographique,
dans un contexte de baisse dramatique du public.
Sixième génération 第六代
: à partir de 1990
La génération
urbaine
C’est une « génération
urbaine » portée par la vague des caméras numériques qui
leur permettent de s’affranchir des studios d’Etat. C’est la
génération du cinéma dit « indépendant », qui revendique une
autre manière de filmer, proche du documentaire qui fait
aussi une entrée fracassante sur la scène cinématographique,
pour filmer le quotidien. Le mouvement est lancé par Zhang
Yuan (张元)
en 1991.
Mais avec eux le concept de
génération s’effrite et ne se perpétue que par habitude et
analogie. Ce qui prime bien plus, dans l’évolution du
cinéma, ce sont les circonstances historiques : la brève
ouverture suivant l’entrée de la Chine dans l’Organisation
mondiale du commerce en 2001, suivie d’un retour aux
contrôles étatiques à partir de la préparation des Jeux
olympiques de Pékin, en 2008, et bien plus encore après
l’accession au pouvoir de Xi Jinping en 2012.
Et aujourd’hui : hétérotopies
Il est vrai que ce n’est
qu’avec le recul que l’on peut apprécier les points de
convergence permettant de définir une « génération », mais
il est vraisemblable qu’il n’y aura jamais de « septième
génération ». On va plutôt vers des hétérotopies
au sens foucaldien du terme : des « espaces autres ».
Pour que septième génération il puisse y avoir, il faudrait
une rupture historique, politique, un événement marquant,
que l’on n’imagine pas pour l’instant.
Ce qui frappe, de manière
générale, dans cette histoire, au-delà de la continuité du
processus de ruptures historiques, subies ou revendiquées,
déterminant des styles et thématiques constamment
renouvelés, au moins apparemment, c’est l’absence de
femmes, sauf comme actrices, absence qui est en outre
parfaitement acceptée comme naturelle, mais dont on se rend
compte qu’elle est délibérée.
Cette absence est
particulièrement sensible dans les deux premières
générations. Une critique cinématographique a pu dire
qu’elles avaient été « effacées »… Ce qui, en soi, pourrait
relever de l’anodin, mais représente en fait un trait
spécifique de l’encadrement du cinéma, et de la culture en
général, dans le contexte socio-politique chinois.
Le cinéma vu des marges
féminines
I. Années 1920-1940
Première et deuxième
générations
On ne trouve que très peu de
noms de réalisatrices, et même de scénaristes, pendant toute
cette période, et en particulier celle des années 1920-1930,
considérée comme un premier âge d’or du cinéma chinois.
« Women were all but
excluded from the first two “generations” of Chinese
filmmaking. » a écrit Liu Qing, rédactrice du
Wenhui bao de Shanghai.
Ajoutant que l’une des rares
exceptions est l’actrice et scénariste Ai Xia.
Mais justement, si elle est
souvent citée, c’est pour le parfum de scandale qu’elle a
laissé après son suicide, non pour ses qualités, et pas
seulement d’actrice.
La première raison, factuelle,
de cet effacement tient au fait qu’à l’origine le cinéma
chinois est un cinéma de dramaturges, et qu’il n’y avait
très peu de femmes parmi eux.
§
Cinéma et théâtre
1/ Le cinéma chinois est né du
huaju (话剧),
ou théâtre parlé.
Or il n’y a pas de dramaturges
femmes dans les années 1920-1930, ou du moins on n’en parle
pas, pas plus que dans le passé. Il y a déjà très peu de
noms d’auteures qui émergent de deux mille ans d’histoire
littéraire, depuis les Han. Même si l’on ne considère que
les quelque 600 ans qui couvrent la période Yuan-Ming-Qing,
on ne trouve que neuf femmes dûment répertoriées, pour des
raisons évidentes : les écrivaines ne pouvaient pas dépasser
la sphère privée, sauf soutien d’un mari, d’un père ou d’un
frère, et le domaine où elles se sont illustrées dans ces
conditions est essentiellement celui de la poésie car
c’était le genre noble des lettrés. Le théâtre, en revanche,
était déprécié, et le domaine exclusif des hommes.
Il n’y a guère qu’une femme
qui se soit illustrée dans le genre et encore, et seulement
400 ans après l’âge d’or du théâtre, sous les Yuan :
Liang Yisu (梁夷素),
répertoriée parmi les « femmes de talent » (才女)
des bords du lac de l’Ouest, à Hangzhou, centre de création
littéraire et artistique féminine depuis les Ming, autour
des salons et sociétés littéraires de l’élite lettrée,
mais surtout des sociétés de poésie. Liang Yisu est
mentionnée dans ce contexte comme « auteure de qu » (曲家),
le qu désignant les suites d’airs chantés à l’origine
du théâtre chanté du Nord ou beiqu (北曲),
origine lui-même du théâtre des Yuan ou Yuan zaju (元杂剧).
Mais il reste difficile de trouver son nom mentionné. En
fait elle était aussi connue sous le nom de Liang Mengzhao (梁孟昭),
et c’est sous ce nom que l’on trouve des poèmes et des
bribes de biographie :
poète, peintre et calligraphe, auteure de pièces de théâtre
xiqu (戏曲作家),
active vers 1560-1640, c’est-à-dire la fin des Ming.
Mais, si Ann Birrell
mentionne son nom dans « The Columbia History of Chinese
Literature »,
c’est juste pour dire que, quand Liang Yisu a écrit ses
pièces dans le genre du théâtre yuan, trois siècles après
son âge d’or, quand c’était passé de mode. On connaît
surtout ses poèmes et ses peintures. Et d’ailleurs comme
toutes les femmes de l’époque impériale, et en particulier
sous les Ming, si elle n’a pas été complètement oubliée,
c’est qu’elle était mariée à un lettré issu d’une illustre
famille de lettrés. Sa pièce la plus souvent mentionnée est
« La pierre à encre du mal d’amour » (《相思砚》)
qui commence, en introduction, par un rappel très classique
de la légende du Bouvier et de la Tisserande (牛郎织女传说).
La pièce fait très discrètement l’apologie du mariage libre.
Elle a été louée ainsi que son auteure par l’écrivaine des
Qing Wang Duanshu (王端淑).
2/ Le huaju est
né au début du 20e siècle sous l’influence
de l’Occident et du théâtre shinpa (新派)
du Japon.
Ses premiers balbutiements ont
en effet eu lieu à Tokyo, en 1907, dans les cercles
d’étudiants chinois qui mettent en scène « La Dame aux
camélias » d’Alexandre Dumas fils. Le texte de Dumas avait
été « traduit » en 1899 par
Lin Shu (林纾)
sous le titre
« Histoire transmise à la
postérité de la Dame aux camélias de Paris » (《巴黎茶花女遺事》),
en élaguant le texte et en modérant l’expression des élans
amoureux.
Pendant l’automne et l’hiver
1906, la région du fleuve Yangzi et celle du fleuve Huai en
Chine subirent de graves inondations. Les étudiants chinois
de Tokyo décident d’organiser une collecte de fond pour
venir en aide aux sinistrés. C’est ainsi que, fin 1906, Li
Shutong (李叔同)
et son ami Zeng Xiaogu (曾孝谷)
fondent la société théâtrale Chunliu (春柳社).
En février 1907, ils mettent en scène deux scènes de la
pièce adaptée par Dumas de son roman. La représentation a
lieu en avril, après deux mois de répétitions. La mise en
scène était totalement nouvelle, de style occidental, sans
musique et avec des décors réalistes, mais Marguerite était
encore interprétée comme un rôle travesti par Li Shutong
lui-même, conformément aux règles du théâtre chinois, aussi
bien que japonais où régnaient encore les onnagata.
Li Shutong récidivera en interprétant le rôle d’Emily Shelby
dans l’adaptation de « La Case de l’oncle Tom » en juin
1907.
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Li Shutong
et Zeng Xiaogu dans « La Dame aux camélias » (Tokyo, 1907)
Cette mise en scène de « La
Dame aux camélias » fut redonnée ensuite à Shanghai, d’avril
1914 à septembre 1915, par la troupe du Théâtre Chunliu
revenue en Chine. Le texte était cosigné, avec Zeng Xiaogu,
du dramaturge Ouyang Yuqian (欧阳予倩)
qui sera l’un des premiers grands scénaristes du cinéma
chinois des années 1920 à 1940, avec les deux autres grands
dramaturges
Tian Han (田汉)
et
Hong Shen (洪深).
Le spectacle eut très peu de succès, le public demandait du
divertissement, des spectacles ludiques. Les premiers films
chinois sont d’ailleurs des comédies.
Le développement du huaju
s’est poursuivi, dans un deuxième temps, dans les années
1920, dans le contexte du mouvement du 4 mai et de la
Nouvelle culture, à partir de la publication en 1918
d’un numéro spécial de la revue Nouvelle Jeunesse (Xin
Qingnian《新青年》)
consacré à Ibsen, suivie de la publication en 1919 d’une
pièce en un acte de
Hu Shi (胡适)
« Le Grand événement d’une vie » (Zhongzhen
dashi《终身大事》),
pièce inspirée de « La maison de poupée » que Hu Shi avait
présentée aux lecteurs chinois dans le numéro spécial de la
revue.
À partir des années 1920, Nora
devient le grand thème de libération de la femme, mais avec
des réserves, telles celles, bien connues, de Lu Xun,
exprimées dans une conférence donnée en 1923 à
l’Université normale de Pékin, devant un parterre
d’étudiantes récemment « sorties de chez elles » :
« Qu’arrivera-t-il à Nora une fois partie de chez elle ? » (娜拉走后 怎样?).
Et de répondre, convaincu de l’impossibilité économique
d’une existence de femme indépendante : « Soit elle meurt de
faim, soit elle se prostitue, soit elle rentre chez elle ».
Nora
est devenue un cliché
récurrent en littérature, comme en est témoin, par exemple,
la nouvelle de
Lao She (老舍)
« Croissant de lune » (Yue
ya’r《月牙儿》)
qui scelle le caractère inéluctable de la prostitution pour
toute femme seule dans la Chine des années 1920 et 1930, et
bien au-delà. De nombreuses pièces de ces années-là sont
inspirées du personnage d’Ibsen, pour en faire une image de
la femme piégée dans la société « féodale » patriarcale,
dont une par l’une des rares dramaturges féminines de
l’époque : Bai
Wei
(白薇).
Figure tragique, véritable
Nora qui est en elle-même symbole de la condition de la
femme dans ces années 1920-1930.
Parallèlement, l’image de Nora
est devenue une figure tout aussi récurrente au cinéma,
comme un sort, voire un défi, jeté à toutes les femmes
cherchant dans une carrière d’actrice la solution au
problème économique posé par leur désir de vivre leur vie en
dehors du schéma patriarcal traditionnel.
1928
marque une année charnière dans l’évolution du huaju :
les grands dramaturges du moment se réunirent à Shanghai
pour commémorer le centième anniversaire de la naissance
d’Ibsen. C’est à cette occasion que
Hong Shen (洪深)
proposa d’adopter officiellement le nom de huaju (ou
théâtre parlé) à la place de celui couramment utilisé de
« théâtre nouveau » inspiré du shinpa japonais. Cette
initiative unanimement applaudie ouvrait la voie à de
nouveaux développements du genre, et en particulier, dans
les années 1930, à l’essor du théâtre de gauche avec des
retombées sur le cinéma. Essor du théâtre qui est aussi
celui des actrices.
3.
Année
1929 :
innovation dans l’interprétation.
Cette innovation de première
importance est également une initiative de Hong Shen : pour
sa mise en scène de la pièce de 1919 de Hu Shi « « Le Grand
événement d’une vie » (《终身大事》),
c’est une actrice qui, pour la première fois,
interprète le rôle féminin aux côtés d’un acteur. La pièce
étant relativement courte, elle était accompagnée pour le
même spectacle d’une mise en scène de l’autre pièce inspirée
de la « Maison de poupée » d’Ibsen : « La mégère » (《泼妇》)
d’Ouyang Yuqian. Mais pour cette pièce, le metteur en scène,
Ying Yunwei (应云卫),
avait choisi de faire interpréter, selon la tradition, le
rôle féminin par un homme. Le résultat est que la pièce de
Hu Shi remporta un grand succès tant le jeu de l’actrice
semblait naturel et plein de charme comparé au jeu compassé
de l’acteur dans l’autre pièce.
Étonnamment, le cinéma
avait déjà franchi le pas, depuis seize ans. Et ce grâce à
celui qui est considéré comme le père fondateur du cinéma
national (“国片之父”),
Li Minwei
(黎民伟).
Avec son frère, et associé à un homme d’affaires Américain,
il fonde en 1913, à Hong Kong, la compagnie
cinématographique Huamei (华美影片公司)
c’est-à-dire compagnie sino-américaine, qui produit le
premier film de Li Minwei : « Zhuangzi met son épouse à
l’épreuve » (《庄子试妻》),
adapté d’un opéra cantonais. Dans le scénario, Zhuangzi
décide de tester la fidélité de son épouse. Il feint d’être
mort et simule son enterrement, sur quoi sa femme, sans plus
attendre, prend un amant, dédaignant même d’aller se
recueillir sur la tombe du défunt. Mais l’amant n’est autre
que Zhuangzi déguisé. Se rendant compte de sa bévue, la
femme se suicide pour échapper à l’opprobre.
C’est le premier film de
fiction du cinéma chinois, avec « Un couple infortuné »
(Nan fu Nan qi《难夫难妻》),
réalisé la même année par
Zhang Shichuan
(张石川),
à la compagnie Xinmin (新民影片公司) à
Shanghai. L’une des novations du « Zhuangzi » de Li Minwei
(outre le tournage en extérieur et les effets spéciaux)
tient à son interprétation : c’est le frère de Li Minwei, Li
Beihai (黎北海),
qui interprète Zhuangzi, et Li Minwei tient le rôle de sa
femme, comme le voulait encore la tradition qui interdisait
aux femmes de monter sur scène pour jouer aux côtés des
acteurs. Mais justement, le rôle de la servante de la femme
de Zhuangzi est interprété par la première épouse de Li
Minwei, Yan Shanshan (严姗姗),
ainsi devenue la première actrice du cinéma chinois.
Li Minwei récidive en
1925, avec un film produit par sa nouvelle compagnie de
production, la Minxin (民新影片公司)
fondée cette fois avec ses deux frères. Le film, « Rouge »
(Yānzhī《胭脂》),
réalisé avec son frère Li Beihai, est adapté d’un conte
éponyme du Liaozhai. Li Minwei et son frère interprètent les
deux rôles masculins et c’est la deuxième épouse de Li
Minwei, Lin Chuchu (林楚楚),
qui joue le rôle de Yanzhi, une jeune femme convoitée par un
homme qui fait emprisonner son fiancé pour tenter de la
faire céder.
Yanzhi (Li
Minwei et Lin Chuchu)
Le film a été réalisé à Hong
Kong. Mais en 1926, une grève paralyse l’économie de la
colonie britannique, la plupart des cinéastes reviennent à
Shanghai, dont Li Minwei. À Shanghai, il crée une nouvelle
société, la Shanghai Minxin (上海民新公司),
avec un associé du nom de Li Yingsheng (李应生).
Le studio tourne avec pour actrices les deux épouses de Li
Minwei, Yan Shanshan et Lin Chuchu, et la fille de Li
Yingsheng, Li Dandan (李旦旦).
La Minxin fonctionne donc comme une troupe de théâtre, avec
toute la famille, Li Minwei, ses deux frères et leurs
femmes, y compris les enfants, même tout petits. Réfugié au
Guangxi pendant la guerre, Li Minwei fondera un centre
culturel pour faire vivre toute sa famille ; il mettra en
scène une pièce de théâtre, « Koxinga » (《郑成功》)
où il fera jouer Lin Chuchu et son fils, Li Keng (黎铿).
À la Minxin, par ailleurs,
pour le scénario et la réalisation, Li Minwei fait appel à
des personnalités du théâtre comme Ouyang Yuqian (欧阳予倩) et
Hou Yao (侯曜),
qui formeront ensuite l’ossature de la compagnie Lianhua (联华影业公司),
fondée en 1929 avec
Luo Mingyou
(罗明佑),
la Lianhua qui produira les grands films dits « de gauche »
des années 1930.
Li Minwei, ses deux femmes et leurs enfants à
Hong Kong
黎民伟(后排右一)与严珊珊、林楚楚(前排右三、左四)
Li Minwei à
dr., Yan Shanshan 3e à dr., Lin Chuchu 4e
à g.
Pendant longtemps, cependant,
les actrices sont véritablement des Noras sorties de chez
elles… et même souvent de la maison close. Comme le
personnage de Wang Fengzhen (王凤珍)
dans le docufiction – ou metafilm - de 1931 « An Amorous
History of the Silver Screen » (Yinmu
yanshi《银幕艳史》)
réalisé par
Cheng Bugao (程步高)
à la Mingxing.
Wang Fengzhen finit par devenir la concubine d’un riche
dandy qui la poursuit jusqu’au studio. Mais le personnage
est interprété dans le film par l’actrice Xuan Jinglin (宣景琳)
devenue ensuite la star de la Mingxing, qui avait elle-même
été rachetée par Zhang Shichuan de la maison close où elle
travaillait.
§
Cinéma et star-system
Le cinéma, dès ses débuts, a
ainsi instauré un star-system qui met en exergue les
femmes comme actrices, surtout avec le développement du
parlant, à partir de 1931 : le premier film « sonore »,
sorti en décembre 1930, est « La Chanteuse Pivoine rouge » (《歌女红牡丹》)
réalisé en collaboration avec Pathé par
Zhang Shichuan (张石川),
sur un scénario du dramaturge Hong Shen, avec Hu Die
(胡蝶)
dans le rôle principal. Mais il faudra encore plusieurs
années pour que les studios et les cinémas soient équipés
pour pouvoir passer entièrement au parlant. Les grands films
des années 1930 sont encore en grande partie muets.
Cependant, pendant ces
années 1920-1930 qui sont considérées comme le premier « âge
d’or » du cinéma chinois, les seules femmes qui émergent de
l’histoire sont les actrices,
et ce d’autant plus si elles sont en ligne de mire comme
objets de scandale. Ce début de star-system porte l’actrice
aux nues, mais cause aussi souvent sa perte. Et quand les
actrices sortent de ce rôle assigné, leur travail est
rarement reconnu.
1. Un premier exemple en est
Yin Mingzhu
(殷明珠),
connue comme actrice dans les films de Dan Duyu (但杜宇)
qu’elle a épousé en 1926, et comme première actrice à
avoir interprété un rôle principal dans un film chinois.
Ce film, c’est « Le Serment de la mer » (《海誓》),
sorti en 1922. Yin Mingzhu y interprète le rôle d’une jeune
paysanne, Fuzhu (福珠),
c’est-à-dire la perle du bonheur. Elle tombe
amoureuse d’un artiste sans le sou auquel elle jure
fidélité, mais, peu de temps plus tard, est attirée par un
riche cousin qu’elle accepte d’épouser. Le jour des noces,
elle s’enfuit, revient vers son premier amour pour se faire
pardonner, mais, rejetée, tente de se suicider en se jetant
à la mer. Elle est sauvée in extremis par l’artiste.
Si le film accuse maintes
faiblesses, la critique, en revanche, fut unanime à louer
l’interprétation de Yin Mingzhu, désormais assimilée à la
Perle du film – film qui, en outre, tranchait sur les
comédies à la mode. Mais sa mère, furieuse, lui interdit de
recommencer. Yin Mingzhu disparut donc des écrans pendant
trois ans. Pendant ce temps, les actrices de la Mingxing de
Zhang Shichuan (张石川)
contribuèrent à élever le statut des actrices. Sa mère ne
fait donc plus obstacle à sa carrière quand, en 1925, elle
revient jouer dans un film de Dan Duyu. Leur plus grand
succès commercial est « The Spiders’ Cave » (Pan
si dong《盘丝洞》),
adapté de deux épisodes du grand classique « Le voyage en
Occident » (Xiyouji 《西遊記》),
où Yin Mingzhu interprète le premier des sept « esprits
araignées » ayant capturé le moine Xuanzang.
L’année suivante, cependant,
la compagnie de Dan Duyu se retrouve au bord de la faillite
après l’échec d’un film dans lequel Yin Mingzhu n’avait pas
pu jouer car elle était enceinte.
Elle apporta ses propres
économies pour renflouer la société, qui fut absorbée dans
la Lianhua en 1931. Dan Duyu tourna trois films l’année
suivante, toujours avec Yin Mingzhu dans le rôle principal,
dont « La beauté des mers du Sud » (《南海美人》).
Mais ce film sort en 1934, au moment de l’avènement du
parlant. Yin Mingzhu disparaît ensuite du cinéma. Comme la
plupart des autres actrices du muet, elle n’a pas pu se
reconvertir dans des films où il fallait parler mandarin.
2. Un cas tragique est celui
d’Ai
Xia (艾霞),
dont le principal titre de gloire est d’avoir été la
première actrice chinoise à se suicider, inspirant en
outre un film inspiré de son histoire dont le rôle principal
était interprété par une actrice qui s’est elle-même
suicidée peu de temps après la sortie du film.
Pourtant, après avoir fui un
mariage arrangé, Ai Xia était entrée dans la société
théâtrale de Chine du Sud fondée en 1928 par
Tian Han (田汉),
le grand dramaturge qui va ensuite être l’une des chevilles
ouvrières du cinéma de gauche. Elle entre à la Mingxing et
joue dans trois films représentatifs de ce cinéma, dont, en
1932, « Les vers à soie du printemps » (《春蚕》)
adapté de la nouvelle éponyme de Mao
Dun (茅盾)
par l’autre grand dramaturge de gauche,
Xia Yan (夏衍).
En même temps, cependant, Ai Xia écrit aussi des scénarios.
Mais le seul qui ait été porté à l’écran est celui du film
réalisé par Li
Pingqian (李萍倩)
en 1933 : « Une femme moderne » (Xiandai
yi nüxing《现代一女性》),
dans lequel elle interprétait également le rôle principal.
Ce rôle est celui de Putao (葡萄)
[Raisin] qui travaille dans une société immobilière et dont
la vie prend un tour nouveau quand elle rencontre un
journaliste nommé Yu Leng (余冷).
Il est marié, mais ils sont heureux, jusqu’à ce que les
choses se compliquent : Putao est limogée pour avoir refusé
de coucher avec son patron, mais finit par le faire pour
gagner l’argent dont Yu Leng a besoin pour faire soigner son
enfant malade. Quand il se fait à son tour limoger, elle va
même voler son patron, qui porte plainte. Elle est envoyée
en prison et rencontre là une femme condamnée pour son
engagement politique qui lui donne des leçons d’idéal
révolutionnaire. Putao sort transformée de prison.
Ai Xia devient l’emblème de la
« femme moderne » et fait la couverture des magazines
féminins. Mais elle était aussi une féministe engagée,
surnommée « Chat sauvage » (Yemao 野猫) qui
écrivait des articles dans les journaux. Dans l’un de ces
articles, « 1933 – Mon espoir » (《1933年, 我的希望》)
publié le 1er mai 1933 dans le mensuel de la
Mingxing (《明星月报》),
elle voyait l’avenir plein de promesses.
Cependant, un drame avait
éclaté sur le tournage du film « Une femme moderne » : la
rumeur avait couru qu’elle avait une affaire avec Li
Pingqian, avec photos les montrant bras dessus bras dessous.
Le réalisateur avait mis brutalement fin à leur relation et
l’avait laissée seule affronter l’opinion publique. Le 15
février 1934, elle se suicide en avalant une overdose
d’opium.
Ai Xia et Li
Pingqian en 1933
Son histoire a suscité
quelques questions, quelques articles, dont un de Xia Yan
faisant finalement de son suicide l’issue fatale pour « une
femme faible, épuisée par les tourments de la vie ». On
aurait pu en rester là si, deux ans plus tard, un autre
réalisateur,
Cai Chusheng (蔡楚生),
n’avait conçu un film inspiré de ce drame : « Femme(s)
nouvelle(s) » (《新女性》)
sorti le 3 février 1935, avec la grande actrice
Ruan Lingyu (阮铃玉)
dans le rôle principal. Ce film-là montrait que, dans une
société patriarcale, où prévaut en outre le goût du
scandale, la femme est toujours condamnée au sort
inéluctable de Nora si elle essaie de sortir de chez elle :
la prostitution ou la mort comme l’a dit Lu Xun.
Or Ruan Lingyu, à son tour,
s’est suicidée peu après la sortie du film, à peu près dans
les mêmes circonstances. Il faut noter cependant que, dans
ce film de Cai Chusheng, il n’est pas question de cinéma,
mais d’écriture, et d’écriture romanesque. L’accent est mis
au départ sur l’espoir que pourrait être l’écriture pour la
femme « sortie de chez elle », en s’inspirant du personnage
d’Ai Xia qui avait été surnommée « écrivaine star » (zuojia
mingxing 作家明星).
Mais c’est un espoir illusoire car toute publication doit
pouvoir dégager un petit parfum de scandale pour attirer un
éditeur : comme Nora, l’écrivaine du film est toujours
condamnée par son incapacité même à atteindre une quelconque
indépendance économique ; son roman n’attire un éditeur que
quand il voit sa photo. L’écrivaine doit rester dans la
sphère privée, comme depuis l’aube des temps en Chine, sauf
à devenir sujet de scandale, et donc d’opprobre, comme les
actrices.
Et pourtant, il suffit de
creuser un peu pour voir apparaître des scénaristes, et même
une réalisatrice, presque totalement expurgées de
l’histoire, on ne connaît que très peu de choses d’elles.
§
Dramaturges et scénaristes
1. Avant la fondation de la
République populaire en 1949, la seule réalisatrice
présentée comme telle dans l’histoire officielle est
Xie Caizhen (谢采真) dont
on ne connaît presque rien de la vie, pas même sa date de
naissance ni celle de sa mort. Elle a commencé comme actrice
en 1924, dans la Société du théâtre d’ombres de Shanghai (上海影戏公司)
fondée par le réalisateur Dan Duyu (但杜宇).
C’est ensuite dans une éphémère société de production, la
Société cinématographique de Nanxing (南星影片公司),
qu’elle réalise son premier et unique film, en 1925 : « Les
pleurs d’un orphelin » (Guchu
beisheng《孤雏悲声》).
C’est aussi le seul film produit par la Nanxing.
Xie Caizhen l’a non seulement
réalisé, mais elle en a aussi écrit le scénario (bien qu’il
soit parfois attribué à un certain Lu Zutong (卢祖同),
inconnu par ailleurs) et elle en interprète le rôle
principal : c’est une triste histoire de conflit familial
entre deux frères dont le père est mort, en laissant une
usine et un héritage que convoite leur belle-mère. Le film a
remporté un grand succès à Shanghai en décembre 1925 : il
est resté une semaine à l’affiche alors que la durée moyenne
d’exploitation d’un film, à l’époque, était de trois à cinq
jours. Mais, l’article du Shenbao (《申报》)
qui fait un rapport détaillé de l’accueil du public après la
première ne mentionne le nom de Xie Caizhen que pour en
louer l’interprétation, sans mentionner qu’elle en est la
scénariste et la réalisatrice.
Elle disparaît corps et âme
en 1926 : on ne sait pas ce qu’elle est devenue.
Son film a disparu lui aussi, on ne sait même pas si son nom
figurait au générique comme réalisatrice.
2.
Pu Shunqing (濮舜卿),
en revanche, est dûment répertoriée comme la « première
scénariste » de l’histoire du cinéma chinois,
c’est-à-dire la première dont le nom ait figuré au générique
d’un film : « Les marionnettes de Cupidon » (《爱神的玩偶》).
Coréalisé en 1925 par Hou Yao (侯曜)
et Mei Xuechou (梅雪俦),
au studio de la Grande Muraille (长城画片公司)
dont Mei Xuechou était un cofondateur, le film est resté
dans l’histoire du cinéma chinois comme le premier film en
Chine dont l’histoire soit contée du point de vue d’une
narratrice, et dont la scénariste soit répertoriée.
Mais si Pu Shunqing n’a pas
disparu comme les autres, c’est sans doute qu’elle était
dramaturge, et épouse du dramaturge Hou Yao devenu
ensuite réalisateur. Avant d’écrire des scénarios, elle
était connue pour ses pièces féministes, dans l’esprit du
mouvement du 4 mai, la première étant une pièce en trois
actes, « Le Paradis sur terre » (《人间的乐园》), réécriture
de la Genèse introduisant un personnage féminin
supplémentaire, nommé Sagesse, qui incite Eve à manger la
pomme et à se construire un paradis sur terre, d’où Dieu
disparaît à la fin de la pièce car plus personne ne croit en
lui.
Son premier scénario
était une adaptation d’une de ses pièces ; réalisé en 1924,
le film est intitulé « Une femme abandonnée » (《弃妇》)
et apparaît comme précurseur des films des années 1930 sur
la « femme nouvelle ». Le scénario conte l’histoire d’une
jeune femme désavouée par la famille de son mari parce
qu’elle veut poursuivre une carrière professionnelle, et qui
lutte contre les forces de la tradition pour tenter de
réaliser ses ambitions. Dans la pièce, la servante se
sacrifiait pour sa maîtresse. La fin du film ouvre sur une
note un peu plus optimiste : la servante – interprétée par
Pu Shunqing – survit à sa maîtresse – incarnée par une star
de l’époque, Wang
Hanlun (王汉伦) ;
c’est elle qui promet désormais de poursuivre la quête
émancipatrice laissée inachevée.
« Les marionnettes de
Cupidon », tourné l’année suivante, est un mélodrame assez
traditionnel : la belle-mère et la cousine d’une jeune
femme, Ming Guoying (明国英),
veulent la marier pour récupérer son héritage. Pour leur
échapper, elle part à Hangzhou enseigner dans une petite
école. Elle y rencontre Renjun (人俊)
qui tombe amoureux d’elle, mais finit par être enfermée dans
un asile de fous
où elle se retrouve avec deux femmes que leurs peines
d’amour ont rendues folles. Renjun parvient à se glisser
dans l’asile pour lui proposer de s’enfuir avec lui, « dans
une société nouvelle » où construire une existence
différente … Cependant, Guoying se distingue des héroïnes
habituelles de ce genre de mélodrame : elle refuse non
seulement le mariage arrangé par sa belle-mère, mais aussi
de s’enfuir avec l’homme qui l’aime. Ce qu’elle veut, c’est
rester libre et indépendante. Elle accepte finalement l’aide
de Renjun mais seulement pour sortir de l’asile, la suite de
leur relation reste incertaine. En ce sens, Guoying apparaît
comme terriblement moderne, actuelle même.
Quant à Pu Shunqing, si elle
est bien reconnue comme scénariste, en revanche, son travail
de monteuse et d’assistante réalisatrice a été complètement
effacé. Or, après son mariage avec Hou Yao à la fin de 1926,
ils sont tous deux entrés à la compagnie Minxin (民新影片公司)
de Li
Minwei (黎民伟) à
Shanghai, et elle est devenue l’assistante de Hou Yao,
d’abord pour le montage du film « Le dieu de la paix » (《和平之神》)
en 1926. Puis, en 1927, elle est son assistante réalisatrice
pour « « La
Rose de Pushui » (《西厢记》),
un film muet miraculeusement préservé dont le scénario est
inspiré de « L’histoire de Yingying » (《莺莺传》),
un chuanqi des Tang à l’origine du Xixiangji (《西厢记》)
ou « Récit du pavillon de l’Ouest » dont le film a gardé le
titre chinois.
C’est un film novateur dans
bien des domaines mais qui reste un divertissement, de même
que le film suivant, réalisé la même année : une satire des
mariages arrangés ridiculisant le Roi des entremetteurs,
lui-même malheureux en mariage. La montée des tensions
politiques entraîne ensuite une orientation de Pu Shunqing
et de son mari vers des sujets patriotiques et
nationalistes, mais en gardant une tonalité féministe. Dont
« Mulan s’engage dans l’armée » (《木兰从军》),
un film patriotique dont le tournage a duré deux ans, en
tournant dans cinq provinces différentes, avec l’aide d’un
seigneur de la guerre du Nord qui a fourni des soldats et
des chevaux comme figurants. En même temps, l’histoire de
Mulan exaltait les valeurs guerrières des femmes comme
Mulan.
Tournage de
« Mulan s’engage dans l’armée », 1928
L’équipe de la Minxin, au centre (assis) Pu Shunqing et You
Hao
Et à g.
(assis) le producteur Li Minwei et l’actrice Lin Chuchu
Malheureusement le film est
sorti après celui sur le même sujet réalisé par Li
Pingqian (李萍倩) et
produit par la compagnie rivale Tianyi (天一影片公司). Désastre
financier pour la Minxin, absorbée dans la Lianhua en 1930,
ce qui signa en même temps la fin de la carrière
cinématographique de Pu Shunqing. Elle est ensuite devenue
avocate, à Tianjin. Après avoir été « première scénariste »,
elle est devenue « première avocate du nord de la
Chine » (律师华北第一人).
Après la défaite du Japon, en 1946, elle s’est engagée dans
la défense des droits de la femme, mettant en pratique les
idées exprimées symboliquement dans ses premiers scénarios.
Mais, encore une fois, on perd ensuite ses traces…
3. C’est un peu la même chose
pour
Hu Ping (胡萍),
actrice de théâtre, puis du muet à partir de 1931,
scénariste membre de la Ligue des dramaturges de gauche et
critique cinématographique jusqu’en 1937. Elle est
répertoriée dans l’histoire officielle du cinéma chinois
comme actrice, et comme scénariste d’un unique film
aujourd’hui perdu : « A Tragic Tale About My Sister » (《姊妹的悲剧》)
produit à la Lianhua … C’est un mélodrame assez classique
dont le scénario a été publié dans le journal de la Lianhua
en 1933. L’histoire est celle d’une jeune paysanne dont le
père et le frère aîné meurent, victimes des sévices infligés
par le propriétaire foncier. Avec son plus jeune frère, elle
part à Shanghai travailler dans une usine, mais son frère
est emprisonné à la suite d’une grève. Yu Ying elle-même est
limogée, et finit pour vivre à s’engager comme danseuse.
Elle se lie avec un jeune homme riche, mais découvre qu’il
veut en fait la donner au propriétaire, dont il est le fils.
Cherchant à se venger, elle tente de le tuer un soir qu’il
est ivre, mais elle est arrêtée et jugée pour tentative de
meurtre.
Ce scénario fait écho à celui
des « Vers à soie du printemps » (《春蚕》)
adapté par
Xia Yan (夏衍)
de la novella éponyme de Mao Dun (茅盾)
et réalisé par
Cheng Bugao (程步高)
également en 1933. Mais, comme c’est le seul scénario de Hu
Ping, on a émis des doutes sur sa signature, et on l’a même
attribué à l’homme avec lequel elle vivait à l’époque car
elle n’a écrit aucun autre scénario après leur rupture. Elle
n’est pourtant pas seule à n’avoir écrit qu’un scénario. En
outre, elle avait espéré réaliser le film elle-même, mais sa
proposition fut rejetée par la Lianhua qui désigna un acteur
du studio pour le réaliser, Wang Jiting (王吉亭).
Après quoi Hu Ping démissionna et quitta la Lianhua pour
rejoindre une autre compagnie où elle continua sa carrière
d’actrice, du parlant. Parallèlement, elle a écrit des
articles sur le cinéma, en ligne avec les idées du cinéma de
gauche et du cinéma de défense nationale. Cependant, on perd
sa trace après le début de la guerre. Les rumeurs les plus
diverses ont couru sur son compte, mais, comme les
précédentes, on ne sait pas ce qu’elle est devenue.
Ces années 1920-1930 sont donc
un premier âge d’or du cinéma chinois, mais c’est un cinéma
essentiellement masculin, créé et façonné par des
dramaturges venus du théâtre parlé. Les femmes n’y ont leur
place que comme actrices ; celles qui ont tenté d’être
scénaristes, voire plus, réalisatrices ou productrices, ont
rencontré des obstacles sans fin et ont fini par disparaître
de l’histoire du cinéma, sauf comme actrices.
Cet effacement est lié à la
priorité quasi absolue donnée au cinéma de gauche. Il en est
un autre cas, encore plus drastique et sidérant : celui de
Chen Bo’er (陈波儿).
Et cet effacement-là reflète la lutte du pouvoir contre
toute tentative de mouvement féministe, que l’on retrouve
encore aujourd’hui dans le cinéma de Chine continentale.
§
Le cas de Chen Bo’er
Née en 1907 dans une
famille traditionnelle du Guangdong, Chen Bo’er a été la
première grande réalisatrice de la Chine nouvelle. Sa mort
prématurée, d’une insuffisance cardiaque à l’âge de 44 ans,
en 1951, a brisé sa carrière dans l’œuf. Mais elle lui a
aussi évité les inévitables persécutions qu’elle aurait eu à
subir, ne serait-ce que pour son féminisme militant. Elle
avait disparu de l’histoire du cinéma chinois et n’a
commencé à être remise à l’honneur que très récemment. Et
disparu n’est pas un euphémisme : « Chen Bo’er’s history is
emblematic of the erasure of the socialist feminist cultural
front », dit textuellement l’historienne Wang Zheng au début
d’un chapitre consacré à Chen Bo’er dans un ouvrage plus
général intitulé « Finding Women in the State ».
Chen Bo’er a bien sûr commencé
comme actrice, en 1934, dans un nouveau studio, le studio
Diantong (电通影片公司)
qui représentait le nec plus ultra du cinéma à l’époque,
pour la technique du son : le film où joue Chen Bo’er, « Les
malheurs de la jeunesse » (Taoli
jie《桃李劫》),
est le premier film chinois « sonore », sonorisé par un
procédé entièrement chinois, conçu par quatre ingénieurs
formés aux États-Unis, cofondateurs du studio. L’histoire
elle-même est représentative de l’époque, critique de la
corruption ambiante : un jeune homme est d’une telle
honnêteté qu’il préfère démissionner ; quand son épouse,
interprétée par Chen Bo’er, est victime d’un accident, il
vole à l’usine les salaires qui lui sont dus pour la faire
soigner, mais sa femme meurt, et il est condamné à mort.
Gros succès, en particulier parce que le film comportait un
thème musical qui fut bientôt sur toutes les lèvres. Ce qui
attira l’attention du Guomingdang qui fit fermer le studio.
Mais Chen Bo’er était devenue
célèbre, et surtout elle avait joué aux côtés d’un acteur
qui venait lui-même d’entrer dans le studio et qui devint
ensuite l’un des plus grands réalisateurs chinois et avec
lequel elle va continuer à travailler :
Yuan Muzhi (袁牧之).
En 1936, ils participent tous deux, avec d’autres anciens de
la Diantong, à la fondation du studio 2 de la Mingxing. En
même temps, Chen Bo’er écrit, des articles féministes dans
l’esprit du 4 mai, mais en outre mène des actions sur le
terrain, organisant une « Troupe de réconfort des femmes et
des enfants » avec laquelle elle part jouer sur le front
anti-japonais. Actions qu’elle développe après l’entrée en
guerre, en juillet 1937, avec Yuan Muzhi, en créant une
« troupe de théâtre de salut national de Shanghai » avec
laquelle ils suivent l’armée. Au passage, elle entre au
Parti communiste dans le bureau de la 8ème Armée
de route à Nankin.
En 1938, ils jouent tous les
deux dans le film anti-japonais « 800 héros » (《八百壮士》)
tourné à Wuhan. Adapté d’une pièce de théâtre, le film
dépeint la défense de l’entrepôt de Sihang (四行仓库),
fin octobre 1937, dans les derniers moments de la résistance
de Shanghai contre l’attaque japonaise. Chen Bo’er y
interprète le rôle de l’héroïne Yang Huimin (杨惠敏)
qui traverse la rivière à la nage afin d’apporter un drapeau
pour le hisser sur le toit de l’entrepôt.
C’est le dernier film qu’ils
tournent, ils partent ensuite à Yan’an. Yuan Muzhi y fonde
en août 1938 l’« équipe cinématographique de Yan’an » (“延安电影团”),
avec du matériel glané ici et là, dont une caméra donnée par
Joris Ivens. Chen Bo’er, pour sa part, joue dans la
« Trilogie de Yan’an » (《延安三部曲》),
pièce écrite par Yuan Muzhi pour dépeindre la vie dans les
bases révolutionnaires. Puis elle prend la tête du « groupe
d’enquête sur les femmes et les enfants du nord de la
Chine » (率战地妇女儿童考察团)
et se déplace par monts et par vaux en passant derrière les
lignes ennemies pour aider les associations de secours
mutuel mises en place dans les régions rurales reculées,
allant jusqu’à apprendre au paysannes à lire et à chanter.
Elle écrit des rapports sur son travail.
En mai 1942, elle assiste au
Forum de Yan’an sur la littérature et les arts (延安文艺座谈会), et
une photo la montre au premier rang, à côté d’une artiste,
entre Mao et Zhu De.
Le Forum de
Yan’an, Chen Bo’er au premier rang (au milieu, avec la veste
noire)
Après sa publication en 1943,
le discours de Mao suscite une réflexion intense et entraîne
l’écriture de divers programmes artistiques.
Dans ce contexte, début 1944,
Yao Zhongming (姚仲明),
qui était alors le directeur du département n° 4 de l’École
du Parti à Yan’an, écrit une pièce de théâtre en quatre
actes intitulée « Camarade, tu as pris la mauvaise voie » (《同志,你走錯了路!》)
qu’il donne à Chen Bo’er pour la réviser et dont elle écrit
la version définitive. Tous deux sont récompensés pour cette
pièce du titre de « Travailleur modèle » et félicités par
Zhou Enlai en personne. Chen Bo’er écrit et met en scène
plusieurs autres pièces et réalise en outre un documentaire
historique : « La défense de Yan’an ».
Après la fin de la guerre, en
1945, le Parti reprend le Studio japonais du Manchukuo qui
devient le Studio du nord-est (东北电影制片厂)
officiellement fondé le 1er octobre 1946 à
Changchun. Chen Bo’er y était arrivée en août et Yuan Muzhi
l’y avait rejoint. Il est nommé directeur du Studio, et Chen
Bo’er secrétaire de la branche du Parti et directrice du
département artistique.
Cela faisait des années qu’ils
travaillaient ensemble mais Chen Bo’er était mariée et elle
était restée fidèle à son mari bien que celui-ci se soit
remarié. A Changchun, cependant, Yuan Muzhi reçoit une
lettre d’un ami lui annonçant la mort de son mari
(information qui s’avèrera fausse par la suite). Ils se
marient enfin à Harbin en 1947 et se consacrent à
l’organisation du studio. Chen Bo’er en particulier
participe au développement du cinéma d’animation en
reprenant les techniques de poupées animées qui étaient
l’une des spécificités du studio du Manchukuo dont les
cinéastes japonais restèrent en Chine jusqu’en 1953. Elle
réalise le premier film chinois de poupées animées : « Le
rêve de l’empereur » (《皇帝梦》),
qui dénonce, en quatre parties, la corruption du Guomingdang
à la solde de l’impérialisme américain. Au générique se lit
le nom de « Fang Ming » (“方明”),
nom chinois que Chen Bo’er avait donné à Mochinaga, le
spécialiste japonais de l’animation de poupées qui assura la
direction artistique du film. C’est cette ébauche de studio
d’animation qui sera ensuite transférée à Shanghai quand
sera formé le Studio d’art de Shanghai, sous l’égide de Te
Wei, des frères Wan et autres.
D’août 1948 à juin 1949,
l’équipe du Studio tourne six films de fiction dont « Le
pont » (《桥》),
premier film de fiction de la Chine nouvelle, réalisé par
Wang Bin (王滨).
Le 1er octobre
1949, Chen Bo’er est à la tribune de la place Tian’anmen
pour voir se lever le drapeau rouge sur la place. En mars
1949, Yuan Muzhi fonde le Bureau central de contrôle du
cinéma (中央电影事业管理局) dont
il devient directeur, poste qu’il conserve après la
fondation de la République, quand le Bureau est rattaché au
ministère de la Culture et devient le Bureau du cinéma. Chen
Bo’er devient en même temps directrice de la Division des
arts. En 1950, elle conduit un programme planifié de
réalisation de 26 films. En juillet, le Bureau du cinéma
fonde une école de cinéma qui est l’ébauche de l’Institut du
cinéma de Pékin et dont la section artistique est confiée à
Chen Bo’er. La cérémonie d’inauguration a lieu en septembre.
Cependant, elle avait une
maladie de cœur. En 1951, lors de son passage au studio de
Shanghai, elle est victime d’un arrêt cardiaque et meurt à
l’hôpital le 9 novembre, à l’âge de 44 ans. À sa mort, les
hommages pleuvent, Deng Yingchao (邓颖超),
l’épouse de Zhou Enlai, écrit une lettre émouvante : « En
hommage à la mémoire de la camarade Chen Bo’er » (《悼念陈波儿同志》). Tous
deux s’occupent de sa mère.
On reste impressionné par tout
ce qu’elle a réalisé, et pourtant elle a disparu pendant
longtemps de l’histoire du cinéma chinois. Elle a été
effacée de « L’histoire du développement du cinéma chinois »
(《中国电影发展史》)
éditée sous la direction de Cheng Jihua (程季华),
publiée en 1963 puis rééditée au début des années 1980, et
qui reste aujourd’hui encore la référence de base.
Pour les années 1920-1930 a
été supprimé tout ce qui n’était pas cinéma de gauche. Comme
l’a expliqué en particulier Paul G. Pickowicz faisant état
de ses recherches
: “En raison du contrôle des archives, il est extrêmement
difficile de contester l’interprétation conventionnelle [du
cinéma des années 1920 et 1930] parce que les autorités
chinoises contrôlent pratiquement toutes les archives et
qu’elles ont depuis longtemps tendance à ne permettre
d’accéder qu’aux seuls films qui sont conformes à la vulgate
officielle. » Il parlait de ses recherches sur le mélodrame
au cinéma, mais cela vaut aussi, et peut-être encore plus,
pour les cinéastes femmes.
Il faudra attendre 2017 et
l’ouvrage de Wang Zheng « Finding Women in the State » pour
que l’on trouve un chapitre qui soit consacré à Chen Bo’er,
et explique en même temps les circonstances et les raisons
de son effacement, emblématique du traitement réservé aux
autres.
Wang Zheng met l’accent sur
son action en faveur de l’émancipation des femmes, dans
l’esprit du 4 mai, en le replaçant dans le contexte des
luttes idéologiques du pouvoir, à commencer par Yan’an. Un
pouvoir masculin, dont même
Ding Ling (丁玲)
a fait les frais à Yan’an.
À partir de 1950, même la Ligue des femmes est plusieurs
fois attaquée et ne réussit à survivre que grâce aux liens
personnels de ses dirigeantes, dont Deng Yingchao, l’épouse
de Zhou Enlai, et à leur intelligence dans le choix de leurs
stratégies.
Les attaques les plus sévères,
cependant, viennent en 1957, au moment de la campagne
contre les droitiers où tout soupçon de critique du pouvoir
en parlant de « restes de féodalisme » pouvait valoir
condamnation, et pire encore en 1958 au moment du
lancement du Grand Bond en avant : la femme était désormais
considérée comme libérée, grâce à l’action résolue du Parti,
la Ligue des femmes était donc considérée comme inutile, et
le féminisme sans objet et proscrit. Or c’est alors que la
fameuse histoire du cinéma chinois a été conçue et préparée.
Elle reflète donc les lignes idéologiques du moment en
donnant priorité absolue au cinéma de gauche dans les années
1930, puis en effaçant les femmes trop remuantes ayant
contesté le pouvoir patriarcal du Parti en œuvrant derrière
les lignes.
Pourtant, l’arrivée de Mao au
pouvoir en 1949 était accompagné d’une volonté affichée de
« libération » de la femme, et d’abord avec la loi sur le
mariage, l’une des premières lois du nouveau régime,
promulguée le 1er mai 1950. Libération
s’entendant comme libération de l’oppression dont la femme
avait été victime dans la société « féodale ». « Libération
des restes de féodalisme » va rester longtemps le mot
d’ordre de la Ligue des femmes.
Logiquement, on voit
apparaître de grandes réalisatrices dans ce contexte, mais
soumises aux aléas de l’histoire et des mouvements
politiques qui se succèdent.
II. Années 1950-1966 //
1980-1990
Troisième et quatrième
générations
On a ici, déjà, une première
difficulté à établir une claire démarcation entre
générations, sinon pour les débuts : la troisième étant
celle émergeant dès les lendemains de la fondation de la
République populaire, la quatrième suivant sur ses traces,
mais stoppée net par la Révolution culturelle et ne pouvant
véritablement réaliser de films qu’après la mort de Mao.
§
Troisième génération
La première et la plus célèbre
des réalisatrices de la Chine populaire est
Wang Ping
(王萍),
au studio du 1er août (le studio de l’Armée
populaire). Mais, outre les pionnières du cinéma
d’animation, il faut ajouter trois autres réalisatrices dont
on ne parle quasiment pas
:
Wu Guoying
(吴国英)
pionnière du documentaire,
Yan Bili
(颜碧丽)
et
Dong Kena
(董克娜)
qui forment la transition avec la quatrième génération.
1.
Wang Ping
(王萍),
née à Nankin en 1916, fait ses études à l’École normale et
commence à enseigner en 1934. En même temps, elle entre à la
Ligue des dramaturges de gauche (翼戏剧联盟南京分盟)
et commence à jouer dans la troupe de théâtre associée à la
Ligue à Nankin, en prenant le nom de scène de Wang
Ping. Mais, en 1935, elle se fait renvoyer de l’école à
cause de son interprétation du rôle de Nora dans « La maison
de poupées » ; le Bureau de l’éducation de Nankin lui
interdit d’enseigner dans la ville. Elle est alors engagée
par la société de production du Nord-ouest, pour jouer dans
une pièce du dramaturge de gauche Song Zhide (宋之的) décrivant
les luttes dans la région minière. Le tournage est arrêté
sur ordre du seigneur de la guerre Yan Xishan (阎锡山) qui
avait repris le contrôle du Shanxi au début des années 1930
et entrepris des réformes sociales et militaires pour
contrecarrer le développement du communisme dans la
province. Wang Ping épouse ensuite Song Zhide.
Après juillet 1937, début
officiel de la guerre contre le Japon, elle parcourt le pays
comme ses collègues pour jouer dans des pièces
révolutionnaires. En 1945, elle rencontre Mao Zedong et Zhou
Enlai à Chongqing. Tandis que Song Zhide s’enrôle dans la
Quatrième armée pour participer aux combats dans le Dongbei,
Wang Ping reste à Shanghai et joue dans plusieurs grands
films, mais dans des rôles secondaires. En 1949, elle passe
au studio du Nord-est repris au Manchukuo et en 1950 devient
membre du Bureau du cinéma au ministère de la Culture.
En 1952 enfin, elle rejoint
lors de sa fondation le studio de l’armée, le studio
du 1er août (八一电影制片厂), mais
là en tant que réalisatrice, devenant selon ses biographies
officielles la « première réalisatrice formée par la
Chine nouvelle » (新中国培养的第一位女导演).
Elle réalise une douzaine de films avant la Révolution
culturelle, dont ses premiers succès, « L’histoire
du village de Liubao » (《柳堡的故事》),
en 1957, et
« L’Orient est rouge » (《东方红》),
sorti en 1965. Ce sont bien sûr des œuvres à la gloire de la
Révolution et du régime, mais au-delà de la thématique et de
l’imagerie officielles, une importance essentielle est
donnée aux sujets féminins, avec une note d’héroïsme
et de sacrifice des sentiments personnels. Le sujet
politique prime en effet sur la femme et sa vie intime, dans
la plus pure idéologie révolutionnaire, mais avec des
nuances personnelles.
Ainsi, « Les sentinelles
sous les néons » (《霓虹灯下的哨兵》),
en 1964, est l’histoire d’un officier qui, en arrivant à
Shanghai, se trouve confronté à la séduction urbaine,
c’est-à-dire les femmes bien plus que le matérialisme. Le
message est celui martelé par Mao depuis septembre 1962 :
« N’oublions pas la lutte des classes ». Mais le récit est
centré autour de la femme de l’officier, une femme
traditionnelle représentant les valeurs conventionnelles,
soumises aux contradictions les plus diverses,
villes/campagnes, ancien/moderne, etc...
Dans ce contexte,
« Le Village des acacias » (《槐树庄》) est
un véritable chef-d’œuvre. Sorti en 1962, au moment de la
lente remontée de Mao après le désastre du Grand Bond en
avant, il est adapté d’une pièce de théâtre écrite par Hu Ke
(胡可)
en 1959. Elle a pour thème principal les difficultés
rencontrées pour mettre en œuvre, de 1947 à 1957, la réforme
agraire, puis la collectivisation, dans un petit village du
nord de la Chine.
Le film évite les caricatures
habituelles, même le personnage du propriétaire déchu reste
humain ; il est surtout construit autour du personnage de la
« tante Guo » (郭大娘),
traité de manière à la fois réaliste et romantique, comme
une Mère qui se sacrifie à la cause, tout en restant proche
du peuple et en ayant elle-même perdu son fils sur le front.
Figure de mère à la Gorki que l’on retrouve dans d’autres
films chinois, de 1949 à 1956, mais qui est ici campée tout
en finesse par une actrice venue du théâtre, Hu Peng
(胡朋),
qui avait fait ses débuts à Yan’an, était entrée au studio
du Nord-Est en 1949 et avait joué en 1950 dans « La Fille
aux cheveux blancs » (《白毛女》).
Elle était spécialiste de ces rôles qui lui avaient valu le
surnom de « mère héroïque » (“英雄母亲”),
mais la tante Guo est le plus beau de tous. Hu Peng
ressemblait par ailleurs à Wang Ping, et elle avait épousé
le dramaturge Hu Ke à Yan’an en 1945. Il y a une véritable
symbiose entre l’actrice et son rôle, entre l’actrice et la
réalisatrice, partageant la même histoire, ce qui donne au
film une profonde authenticité.
2.
Wu Guoying
(吴国英)
née en novembre 1921, est une pionnière du documentaire,
mais, contrairement à Wang Ping, on ne trouve d’elle que des
traces fugitives dans l’histoire du cinéma.
Elle rejoint Yan’an en 1938 en
même temps que
Chen Bo’er (陈波儿).
En 1945, elle entre dans l’Équipe cinématographique de
Yan’an (延安电影团)
et part avec l’équipe à Xingshan (兴山)
où, le 1er octobre 1946, est fondé le Studio du
Nord-Est (东北电影制片厂)
qui sera transféré à Changchun en 1949, sous la direction de
Yuan Muzhi (袁牧之)
et
Chen Bo’er (陈波儿).
Au Studio du Nord-Est, elle travaille comme directrice
adjointe de l’équipe des films d’actualités, première
priorité du studio. Le 1er mai 1947, elle termine
le montage du documentaire « Nord-Est Démocratique » (《民主东北》)
qui est envoyé en juillet au Festival de la jeunesse de
Prague. C’est le premier documentaire sur la guerre « de
libération » réalisé en Chine et projeté hors de Chine.
En avril 1949, Wu Guoying est
transférée au Studio de Pékin comme directrice adjointe du
département des films d’actualités. Elle monte deux films :
« L’entrée à Beiping » (《北平入城式》)
sur la cérémonie solennelle le 3 février 1949 à la porte
Qianmen célébrant l’entrée de l’armée de Libération dans la
capitale le mois précédent et « La libération de Taiyuan » (《解放太原》).
En 1953, elle est nommée, à sa
création, rédactrice en chef adjointe du Studio central des
films documentaires (中央新闻纪录电影制片厂).
Elle écrit et réalise « Vive la paix » (《和平万岁》),
premier prix du festival de la jeunesse de Roumanie en 1953,
puis deuxième prix dans la catégorie des documentaires longs
métrages du ministère chinois de la Culture pour la période
1949-1955 : documentaire sur les conférences de paix
régionales en Asie et dans le Pacifique en mars et octobre
1952 au moment de l’échec des négociations en vue de
l’armistice en Corée.
En 1955, Wu Guoying est admise
à l’Institut du cinéma de Pékin pour étudier la mise en
scène. Elle y reste ensuite pour enseigner. En 1975, dans le
cadre de la réorganisation de l’Institut, elle est nommée
codirectrice du département de mise en scène, puis en 1978
directrice du département de littérature (文学系).
En 1978, elle coorganise les procédures de sélection des
candidats à l’Institut du cinéma de Pékin et se rend pour
cela au centre de Xi’an. Elle est mentionnée à cette
occasion par Ni Zhen dans ses « Mémoires de l’Institut du
cinéma de Pékin »,
et en passant, dans l’intitulé d’une illustration du film
« L’entrée à Beiping » dans l’ouvrage « A Companion to
Chinese Cinema » de Zhang Yingjin (p. 167).
3. En marge, il faut également
mentionner ici les réalisatrices effacées de l’âge
d’or du cinéma d’animation : Tang
Cheng
(唐澄)
et
Lin Wenxiao
(林文肖).
La première ayant été, en particulier, l’assistante de Wan
Laiming (万籁鸣)
pour la conception et la réalisation du grand film
d’animation des Studios d’art de Shanghai au début des
années 1960 :
« Le Roi des Singes bouleverse
le Palais céleste » (《大闹天宫》),
en deux parties sorties
séparément en 1961 et 1964, et ensemble en 1965. On remarque
le nom de la deuxième, en autres, au générique du très beau
film d’animation de 1979 adapté d’un épisode de
« L’Investiture des dieux » (Fanshen Yanyi
《封神演义》) :
« Nezha
conquers the Dragon King » (《哪吒闹海》).
§
Transition
1.
Yan Bili
(颜碧丽),
née en 1928, est surtout connue pour avoir coréalisé avec Xie
Jin (谢晋)
l’un des classiques tournés au Studio de Shanghai en 1975.
Après ses études, en 1942,
elle est partie à Shanghai où elle a travaillé comme
ouvreuse dans un cinéma, occasion pour elle de regarder de
nombreux films, en rêvant de devenir actrice. Elle commence
par des rôles secondaires au théâtre, puis tourne dans une
dizaine de films produits à Hong Kong en 1947-1949 (par des
réalisateurs de Shanghai). En 1949, elle intègre le Studio
de Shanghai comme script. Puis, entre 1955 et 1959, elle est
assistante réalisatrice sur le tournage de six films.
De 1963 à 1965, elle enseigne la mise en scène au
Studio de Shanghai tout en étant assistante réalisatrice de
deux films, mais ce n’est qu’en 1965 qu’elle est promue
réalisatrice. Elle n’a le temps de tourner qu’un film pour
enfants avant la Révolution culturelle.
Ce n’est donc qu’à la toute
fin de la Révolution culturelle, en 1975, qu’elle peut
revenir derrière la caméra, pour coréaliser avec
Xie Jin (谢晋)
le film devenu le grand classique de cette période :
« Chunmiao » (《春苗》),
avec l’actrice
Li Xiuming (李秀明)
dans le rôle d’une jeune paysanne qui, en 1965, réussit à
devenir « médecin aux pieds nus ». Elle coréalise encore un
autre film, avec le grand dramaturge et réalisateur
Huang Zuolin (黄佐临) :
« L’homme qui a perdu la mémoire » (《失去记忆的人》),
sur un scénario typique de l’époque (Le secrétaire du Comité
du Parti d’une usine d’équipement pétrochimique, voulant
lancer des projets expérimentaux pour réaliser au plus vite
« les quatre modernisations », est attaqué par des suppôts
de la Bande des Quatre et envoyé à l’hôpital pour amnésie,
sur quoi il évite de justesse une lobotomie.).
Finalement ce n’est qu’en 1980
qu’elle peut réaliser son premier film, « What is Love ? »
(《爱情啊,你姓什么?》),
sur un scénario qui s’inscrit dans un courant littéraire axé
sur la peinture des sentiments typique de la période
d’ouverture du printemps 1980, où s’inscrivent entre autres
les nouvelles de
Wang Anyi (王安忆).
Le film est original pour montrer la foule des touristes
revenus à Suzhou et sur les bords du lac Taihu, et les
histoires d’amour entre eux. Elle n’a le temps d’en
réaliser qu’un deuxième, en 1982, « La romance d’un
calligraphe » (《笔中情》),
dans un style classique, d’une esthétique raffinée rappelant
les films du début des années 1960, les films d’opéra en
particulier. C’est un film étonnant, resté inconnu. Yan Bili
est décédée prématurément quelques années plus tard, à l’âge
de 58 ans.
2.
Dong Kena
(董克娜),
née en décembre 1930, est une réalisatrice aussi originale
que prolifique dont la carrière a suivi un schéma analogue à
celui de Yan Bili : en un peu plus de trente ans, à partir
de 1957, elle a réalisé une vingtaine de films mais surtout
à partir de 1980. Elle représente donc en fait une
transition avec la quatrième génération. Mais elle est
d’autant plus intéressante que ses films constituent une
galerie de personnages féminins aux caractères très
affirmés, et finement dépeints.
Elle aussi a commencé comme
actrice. Mais, un accident chirurgical lui ayant abîmé les
cordes vocales, elle entre à l’École du cinéma de Pékin (le
futur Institut) pour étudier la réalisation. Elle intègre le
studio de Changchun en 1957, puis est transférée au studio
de Pékin en 1960, comme assistante de réalisation.
Elle réalise son premier film
en 1961, « Une herbe sur le mont Kunlun » (《昆仑山上一棵草》),
adapté d’une nouvelle de Wang Zongyuan (王宗元)
intitulée « La belle-sœur Hui » (Hui
Sao《惠嫂》)
parue en 1960 : une jeune géologue de Shanghai, Wanli,
envoyée sur le haut plateau du Qinghai faire de la
prospection minière a du mal à supporter l’altitude et le
climat ; elle est réconfortée par la belle-sœur Hui, une
femme venue des années plus tôt sur le plateau avec son
mari ; après une première réaction de rejet, elle a fini par
s’adapter et a créé une auberge pour les chauffeurs de
camion. C’est un très beau film dont le noir et blanc est
parfaitement adapté au sujet, et le premier des grands
portraits féminins de Dong Kena.
Elle coréalise encore trois
films de commande, mais ce n’est qu’après la Révolution
culturelle qu’elle peut vraiment commencer à réaliser des
films seule, et qui s’inscrivent eux aussi dans le contexte
du renouveau littéraire du début des années 1980, aussi bien
que dans celui des grands mélodrames réalisés par
Xie Jin (谢晋)
ou Xie
Fei (谢飞).
Mais ce sont chaque fois de mémorables portraits de femmes,
adaptés de nouvelles.
Le premier de ces portraits
féminins, dans « La seconde poignée de mains » (《第二次握手》),
en 1980, est celui d’une physicienne qui trouve son bonheur
dans la recherche. On est dans une période de renouveau des
thèmes de libération de la femme. Mais il est significatif
que les rôles principaux du film sont joués par deux grands
interprètes de films emblématiques de la fin des années 1950
et du début des années 1960 : l’actrice Xie
Fang (谢芳),
interprète à la fois de Lin Daojing (林道静)
dans « Le
Chant de la jeunesse » (《青春之歌》)
en 1959 et de Tao Lan (陶岚)
dans « Février,
printemps précoce » (《早春二月》)
en 1963, et l’acteur Kang Tai (康泰)
qui jouait aux côtés de Xie Fang dans « Le Chant de la
jeunesse ». « Février, printemps
précoce »,
de Xie Tieli, est l’un des
films attaqués à la veille de la Révolution culturelle, en
l’occurrence pour son contenu « petit-bourgeois » et son
excès de sentimentalisme, mais resté un modèle esthétique
revendiqué par la quatrième génération.
Les films suivants de Dong
Kena, de 1982 à 1988, sont des histoires typiques de la
période d’ouverture, dont, en 1985, « L’auberge des femmes »
(《相思女子客店》)
et, en 1988, « Les femmes du village de Huangtupo » (《黄土坡的婆姨们》),
films qui reflètent l’actualité, et en particulier le
deuxième qui s’inscrit dans le contexte de la mise en place
de la culture par contrat (承包) :
c’est un film étonnamment moderne qui préfigure les films
sur l’exode rural. Dans le village, les hommes partent
travailler ailleurs, restent les femmes, les enfants, les
malades et les vieillards. Le paysan Le Datong (乐大同)
a confié les 5 000 yuans qu’il a gagnés à sa femme Chang
Lüye (常绿叶)
pour construire une nouvelle maison. Mais elle persuade ses
beaux-parents d’acheter à la place un petit tracteur. Avec
les autres femmes du village, elle forme une
mini-coopérative pour pratiquer une agriculture moderne avec
l’aide d’un technicien. Le mari, furieux, veut revendre le
tracteur, mais les femmes font une moisson record. Le
problème est que la grange a une fuite…
En 1990, « Le rêve envolé »
(《失去的梦》)
est encore plus d’actualité. Il est inspiré d’un fait
divers : dans une ville du nord, une femme a tué son fils.
La mère d’un de ses camarades mène l’enquête. Cette femme,
Li Mengqiu (李梦秋),
était une paysanne venue travailler en ville qui adorait son
fils et se tuait à la tâche pour qu’il puisse réussir dans
ses études et changer de condition sociale. Mais le fils n’a
pas eu de bons résultats et l’a caché à sa mère. Celle-ci,
furieuse, l’a battu à mort.
Les films suivants, en 1991 et
1992, sont des portraits de femmes modernes,
professionnelles dans un monde urbain qui est déjà (presque)
celui d’aujourd’hui. Tous ces personnages féminins
ont valu à la réalisatrice plus d’un millier de lettres de
spectatrices la félicitant d’avoir créé des femmes dans
lesquelles elles se reconnaissaient et dont elles se
sentaient proches émotionnellement. Comparées aux héroïnes
« révolutionnaires » de Wang
Ping (王萍),
les femmes des films de Dong Kena sont plus modernes, bien
que le village de Huangtupo ne soit pas tellement différent,
au fond, du « Village des acacias » ; la différence est dans
les mentalités. Les femmes chez Dong Kena ont une
conscience féminine qui les marquent comme femmes
« modernes », en prise sur leur temps : ses films permettent
de mesurer les changements sociaux intervenus en Chine à
travers l’évolution des mentalités féminines durant toute la
période des années 1960 jusqu’au début des années 1990 – et
ce de manière bien plus réaliste que les films de la
cinquième génération qui sont concomitants.
Dong Kena est
décédée en 2016 à Pékin, à l’âge de 86 ans. Ses films sont
pour la plupart à (re)découvrir.
§
Quatrième génération
Après la Révolution
culturelle, en 1978, s’amorce une période de renouveau
cinématographique où les réalisatrices ont un espace
d’expression et de création, même s’il est limité. Elles
sont nées dans les années 1940 et ont fait leurs études dans
les années 1950 et 1960. C’est une génération sacrifiée,
d’abord parce que ces cinéastes ont dû attendre la fin de la
Révolution culturelle pour pouvoir réaliser des films, mais
surtout parce qu’ils vont être balayés par l’arrivée de la
cinquième génération, celle qui entre à l’Institut du cinéma
de Pékin en 1978 et va en sortir en 1982. Dans les années
1980, un certain nombre de femmes de cette génération
réussissent malgré tout à émerger, et une douzaine vont
gagner des prix dans des festivals internationaux, ce qui
est sans précédent dans l’histoire du cinéma chinois.
Leurs films dressent des
portraits de femmes, ou ont pour thème la vie des femmes,
voire des jeunes étudiantes, comme « Le dortoir des
étudiantes » (《女大学生宿舍》)
de Shi Shujun (史蜀君)
en 1983 ou « La fille en rouge » (《红衣少女》)
de Lu Xiaoya (陆小雅)
en 1985. Beaucoup de ces films sont adaptés d’œuvres
littéraires.
1. C’est le cas en particulier
de ceux de
Wang Haowei
(王好为),
réalisatrice prolifique qui a elle aussi commencé en 1975,
au studio de Shanghai, aux côtés de Xie Tieli. À partir de
1979, elle réalise une série de films qui sont autant de
tableaux de la vie des femmes entre campagne et ville et
sont très souvent adaptés d’œuvre littéraires : œuvre
contemporaine pour le film adapté de la nouvelle de
Tie Ning (铁凝)
« O Neige parfumée » (《哦,香雪》)
sorti à la fin de 1989 en Chine et en première mondiale au
festival de Berlin en février 1991, ou œuvre classique comme
le film adapté en 1992 de la nouvelle « Divorce » (《离婚》)
de
Lao She (老舍).
Ce film, en particulier, est
original dans le contexte de l’époque, et tout aussi
ironique que l’était la nouvelle de Lao She en 1933. La
nouvelle raconte l’histoire de Lao Li, un petit intellectuel
venu travailler à Pékin qui rêve d’une vie « poétique ». Il
fait venir sa femme et ses deux enfants, mais sa femme, qui
n’a pas fait d’études, ne s’habitue pas à la vie en ville et
Lao Li devient la risée de ses collègues. Il est frustré et
attiré par la bru de son propriétaire, mais celui-ci a des
problèmes de son côté ; deux de ses collègues qui voulaient
divorcer finissent par abandonner. Finalement Lao Li
démissionne de son poste à Pékin et revient au village avec
femme et enfants.
2. Parmi les grandes
adaptations littéraires des années 1980 figure « The
Savage Land » (《原野》)
adapté en 1981 de la pièce célèbre de huaju « La
plaine sauvage » (《原野》)
du grand dramaturge Cao Yu (曹禺)
– dernier volet de sa trilogie, après « L’Orage » (《雷雨》) et
« Le Lever du soleil » (《日出》).
C’est le premier long métrage de
Ling Zi
(凌子),
la réalisatrice sans doute la plus méconnue de cette
période. Un talent gâché par la censure dont elle a été
victime, tout simplement parce qu’elle était la fille du
maréchal Ye Jianying (叶剑英1897-1986),
l’un des dix grands maréchaux de la République populaire ;
ce fut l’un des leaders militaires derrière le plan qui
permit d’écarter la Bande des Quatre après la mort de Mao,
en 1976, mais
il apporta ensuite son soutien aux réformistes comme Zhao
Ziyang (赵紫阳).
Ling Zi s’était en outre mariée avec un pianiste qui fut
arrêté et emprisonné au début de la Révolution culturelle
comme contre-révolutionnaire.
Bref, « The Savage Land » fut
présenté à la Mostra de Venise, mais interdit pendant sept
ans en Chine, non tant pour le film que pour les antécédents
familiaux de la réalisatrice. Ses films suivants, dont un
adapté d’une nouvelle de 1981 de
Han Shaogong (韩少功),
subirent peu ou prou le même sort absurde, avec des
explications contradictoires. Elle finit par plier bagages
et partir à Hong Kong après la mort de son père en 1986.
Elle est revenue à Pékin pour s’absorber dans la promotion
des études confucéennes et défendre le souvenir de son père…
Un talent gâché dans l’œuf, et pas seulement par la
Révolution culturelle.
De cette période émergent deux
grandes réalisatrices qui ont marqué le renouveau du cinéma
chinois, en dehors de la cinquième génération : Zhang
Nuanxin (张暖忻)
et Huang Shuqin (黄蜀芹).
3.
Zhang Nuanxin
(张暖忻),
née en octobre 1940, est sortie en 1962 de l’Institut du
cinéma de Pékin où elle est restée enseigner. Elle a été de
ceux et celles qui ont commencé leur carrière au studio de
Shanghai en 1975, dans son cas comme assistante de
Xie Jin (谢晋) sur
le tournage de « Chunmiao » (《春苗》).
En 1978 elle reprend ses cours à l’Institut du cinéma de
Pékin. Mais, si elle a apporté une contribution déterminante
au cinéma chinois, à l’époque, c’est surtout pour son
travail théorique : elle publie une série d’articles à
partir du début de 1979, dont l’un appelle à se libérer de
« la béquille du théâtre », et l’autre, fondamental, cosigné
avec son mari Li Tuo :
« De la modernisation du
langage cinématographique » (《谈电影语言的现代化》),
appelant à rattraper le retard
accumulé et à dépasser des formes obsolètes. Zhang Nuanxin
avait appris le français pendant la Révolution culturelle,
et ses modèles étaient la Nouvelle Vague française et le
néo-réalisme italien. L’accent est mis sur l’expression
subjective des sentiments intérieurs honnis par la vulgate
maoïste.
Zhang Nuanxin réalise son
premier film aussitôt après, en 1981 : Sha’ou
ou
« The Drive to Win » (《沙鸥》).
Plus que l’histoire (bien que
tranchant sur la rhétorique du héros), c’est l’esthétique et
le style qui comptent ici : filmé avec des acteurs non
professionnels, en extérieur, avec les sons naturels (il a
obtenu le prix du Coq d’or pour le son), construit en
flash-backs récurrents, le film a un côté
documentaire/néo-réaliste qui tranche sur le réalisme
révolutionnaire de la période maoïste. Mais c’est quasiment
un film expérimental. Le film qui contribua bien plus à la
popularité de la réalisatrice est son film suivant, sorti en
1985 : « L’ode à la jeunesse » ou « Sacrificed
Youth » (《青春祭》).
Adaptée d’une nouvelle de la « littérature
des cicatrices »,
l’histoire est celle d’une jeune Pékinoise timide et peu
communicative envoyée, pendant la Révolution culturelle,
dans un petit village de l’ethnie dai, près du Laos.
Elle s’y ouvre peu à peu à la vie, en découvrant la beauté
de la nature, et la chaleur humaine des habitants.
Le film a par certains côtés,
et sous un angle féminin, des accents qui rappellent le
« Gardien de chevaux » (Mumaren《牧马人》)
de
Xie Jin (谢晋),
adapté d’une nouvelle de
Zhang Xianliang (张贤亮)
et primé au festival de Cannes
en 1983. C’est un regard nostalgique sur la campagne qui
annonce la littérature de recherche des racines. Cependant,
le film se dégage du style de Xie Jin : Zhang Nuanxin
apparaît là bien plus comme l’héritière de
Fei Mu (费穆),
de son style poétique et de son langage spécifique, à base
de monologue intériorisé et avec une attention toute
particulière à l’image et à la musique, presque
hallucinante, signée
Liu Sola (刘索拉).
Le film a été sélectionné en 1986 au festival de Cannes, à
la Quinzaine des réalisateurs.
Sur le
tournage de « Sacrificed Youth »
《青春祭》
Les films suivants de Zhang
Nuanxin sont tous axés sur la peinture des sentiments
féminins dans la Chine moderne de l’époque, mais elle meurt
prématurément en 1995 sans avoir eu le temps de mener à bien
ses projets.
4.
Huang Shuqin
(黄蜀芹)
est l’autre figure marquante de la quatrième génération.
Elle était la fille d’une actrice de théâtre célèbre et du
grand dramaturge
Huang Zuolin (黄佐临),
personnalité marquante du théâtre de Shanghai à la fin des
années 1930, puis dans la République populaire après 1950,
mais aussi grand réalisateur, cofondateur en 1946 de la
compagnie Wenhua. Huang Shuqin est donc d’abord une
héritière. Après avoir été, elle aussi, l’assistante de
Xie Jin (谢晋),
elle réalise une série de
films à partir de 1981, sur des sujets dans l’air du temps,
mais comme une sorte de recherche d’elle-même qui aboutit en
1987 à ce qui est généralement considéré comme un
chef-d’œuvre :
« Woman, Demon, Human » (Rén.
Guǐ. Qíng《人.鬼.情》),
œuvre de réflexion, sur la femme et sa place dans la société
chinoise, la femme artiste, surtout, et sa difficile
conquête d’un espace de création et d’épanouissement qui
soit aussi espace personnel, identitaire,.
Le film est partiellement
autobiographique, mais aussi inspiré de la vie de la grande
actrice d’opéra Pei Yanling (裴艳玲),
spécialiste des rôles masculins du répertoire de l’opéra du
Hebei, et en particulier du chasseur de démons Zhong Kui (钟馗)
– dont elle interprète elle-même le rôle dans le film.
Celui-ci joue donc sur plusieurs registres de fiction et
d’autofiction pour illustrer de manière emblématique la
recherche identitaire qui est le thème principal du film,
les images assurant un impressionnant impact visuel. Le film
a été qualifié par la critique Dai Jinhua de premier film
féministe chinois. Mais c’est presque réducteur.
Rén.
Guǐ. Qíng《人.鬼.情》)
Huang Shuqin a ensuite tenté
un film un peu plus commercial, sorti en 1994 : « A Soul
Haunted by Painting » (《画魂》),
inspiré de la vie de l’artiste peintre Pan Yuliang (潘玉良
et, adapté de la biographie écrite par la romancière Shi Nan
(石楠).
Pan Yuliang est une grande artiste emblématique : marquée
par ses débuts en maison close, rachetée par un riche
lettré. Plusieurs de ses nus sont au musée Cernuschi. Mais
c’est Zhang Yimou qui assure la direction artistique du
film, et le rôle de Pan Yuliang a été confié à
Gong Li (巩俐) qui
n’est pas crédible.
Le passage au commercial, dans
les années 1990, est aussi difficile pour ces réalisatrices
que le passage au parlant pour les actrices du muet dans les
années 1930.
III. À partir de 1982
Cinquième génération, en
parallèle avec la quatrième
Pendant toutes ces années 1980
et 1990, les films de la quatrième génération croisent sur
les écrans ceux de la cinquième, au détriment des premiers :
si les années 1980 sont un véritable âge d’or du cinéma
chinois, c’est d’abord pour la richesse et la diversité de
ce cinéma, encore non concurrencé par la télévision. Mais
les réformes économiques et la course à la croissance à
partir de 1991 s’accompagnent d’un retour à la domination
masculine sur tous les secteurs de la société, et d’abord
sous couvert de dénonciation de la « masculinisation » des
femmes pendant la période maoïste, et surtout la Révolution
culturelle, avec retour de bâton contre le modèle des
« Filles de fer » (铁姑娘)
de Dazhai.
Ce retour en force du « genre » dans les mentalités, porté
par le discours politique, a été dénoncé dès les années 1990
par Dai Jinhua, et par Wang Zhen plus récemment. Ce n’est
pas un retour aux valeurs féminines comme on pourrait le
croire, mais aux discriminations contre les femmes, dans une
société plus patriarcale que jamais. Les réalisatrices de la
cinquième génération en ont fait les frais – génération qui
est de facto essentiellement masculine.
D’abord, elles ne sont que
cinq réalisatrices dans la promotion de 1982 de l’Institut
du cinéma de Pékin. Et encore, parmi ces cinq,
Liu Miaomiao (刘苗苗),
benjamine de la promotion admise à l’Institut à l’âge de
seize ans, n’a réalisé qu’un superbe film, « Les Femmes dans
la Longue Marche » (《马蹄声碎》),
son premier long métrage, sorti en 1987. De santé fragile,
affectée par la mort de sa mère, puis de son frère,
souffrant de dépression, elle est retournée dans son Ningxia
natal et prépare un film sur la vie et la culture locales.
Quant à
Peng Xiaolian (彭小莲),
shanghaïenne, réalisatrice d’une « trilogie de Shanghai »,
mais aussi d’un film basé sur son expérience personnelle,
« Women’s Story » (《女人的故事》),
sorti en 1987, elle est aussi auteure d’essais sur le
cinéma, mais elle est restée un peu en marge et a été
emportée par la maladie en 2019.
Ce sont surtout les trois
autres qui sont représentatives de cette génération, et
d’abord Hu Mei et Li Shaohong.
1. Hu
Mei (胡玫),
née en 1958, est souvent citée pour avoir (co)réalisé « Army
Nurse » (《女儿楼》)
en 1984, le premier film après la Révolution culturelle à
traiter de la vie d’une femme, contée en voice over, d’un
point de vue féminin, voix qui se trouve cependant bientôt
en collision frontale avec le discours officiel, les désirs
de la femme entrant en conflit avec son rôle dans la
société.
Hu Mei était considérée
comme l’un des éléments le plus prometteurs de la promotion.
Dans ses « Souvenirs de l’Institut du cinéma de Pékin », Ni
Zhen parle avec admiration et émotion de « la jeune Hu Mei ».
Mais la vie n’a pas été facile pour elle, et sa carrière a
été durablement compromise par un projet télévisé dans
lequel elle a été entraînée.
En 2007, elle a en effet été
choisie pour tourner une nouvelle adaptation télévisée du
« Rêve dans le pavillon rouge », le Hongloumeng (《红楼梦》).
Mais, disposant de très peu de marges de manœuvre, elle
finit par abandonner le projet quand on lui imposa un
concours télévisé pour choisir les interprètes ; le projet
fut alors repris par sa consoeur Li
Shaohong (李少红) dont
la réalisation sera ensuite l’objet de controverses sans
fin. À cause de ce projet avorté, en 2010, Hu Mei ne put
qu’accepter la proposition de China Film de tourner un « Confucius »
(《孔子》) où
elle n’aura pas plus de liberté. Ce film est juste l’image
du nouveau Confucius qui fait désormais partie du bagage
institutionnel du régime. Il montre juste à quelle pression
Hu Mei a pu être soumise et a pour mérite de faire d’autant
plus apprécier l’admirable « Confucius »
(《孔夫子》), de Fei
Mu (费穆)
sorti en 1940. Mais Hu Mei est désormais reléguée à des
réalisations secondaires pour la télévision.
2.
Li Shaohong (李少红),
née en 1955, a commencé comme assistante de
Xie Tieli (谢铁骊)
et a dû attendre 1988 pour réaliser son premier film. Son
deuxième film, « Un matin couleur de sang » (《血色清晨》), l’histoire
d’une jeune fille accusée de ne pas être vierge le jour de
son mariage, est original pour sa construction en flash-back
à partir du meurtre de celui accusé d’être responsable,
inspirée du roman de García Márquez « Chronique d’une mort
annoncée ». Le film a été primé en 1992 au festival des
Trois-Continents à Nantes, mais interdit en Chine pendant
des années, pour des raisons restées obscures.
Li Shaohong est surtout l’une
des premières de sa génération à avoir réalisé des films sur
la réalité urbaine et les mentalités de la classe moyenne, à
partir de son troisième film, « Family Portrait » (《四十不惑》),
sur un scénario de Liu
Heng (刘恒)
– film précurseur sorti en août 1992 au festival de
Locarno où il a remporté le prix FIPRESCI.
Li Shaohong
se dégage là de l’esthétique « du village » qui
marquait encore son film précédent et se pose en précurseur
d’un courant nouveau pour la cinquième génération. C’est
aussi le moment où Zhang Yimou abandonne les sujets
historiques pour aborder les problèmes de la société moderne
avec
« Qiu Ju, une femme chinoise »
(《秋菊打官司》), également
sur un scénario de Liu Heng, mais c’est encore une histoire
de paysanne alors que Li Shaohong réalise au contraire un
film sur les mentalités et les modes de vie de la classe
moyenne de la capitale, encore marquée par le poids des
traditions et de l’histoire récente, mais aussi par le désir
de s’en évader.
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Family
Portrait 《四十不惑》
« Family Portrait » est
l’histoire d’un photographe qui s’était marié quand il avait
été envoyé à la campagne pendant la Révolution culturelle,
mais qui par la suite, après avoir divorcé, s’est remarié
en ville et a un fils de sa deuxième épouse. C’est alors
qu’il apprend que sa première épouse est décédée, mais
qu’elle était enceinte quand il l’a quittée, et qu’elle lui
a aussi donné un fils qui a maintenant plus de dix ans. Sa
vie devient impossible quand sa deuxième épouse tombe
enceinte et doit se faire avorter en raison de la politique
de l’enfant unique. « Family Portrait » est un ovni : il
annonce des films ultérieurs de la sixième génération
traitant de thématiques semblables, comme « Une
famille chinoise » (《左右》)
de Wang
Xiaoshuai (王小帅).
Dans les années 1990, Dai
Jinhua considérait Li Shaohong comme une réalisatrice
« d’avant-garde ». Son film suivant, le plus remarquable
peut-être, est pourtant d’une facture plus classique :
« Blush » (《红粉》), adapté
de la nouvelle « Hongfen » (《红粉》)
de Su
Tong (苏童),
Ours d’argent au festival de
Berlin en 1995, le film, comme la nouvelle, retrace le sort
des pensionnaires des maisons closes « libérées » en 1949,
la prostitution ayant été interdite par le nouveau régime.
Les prostituées, comme autant de Noras, doivent se
reconvertir et travailler comme tout le monde. Dans ce
contexte, le film oppose deux femmes aux caractères opposés,
et se termine par la mort de l’une, l’autre consacrant le
restant de son existence à élever l’enfant que la première a
eue de l’homme qu’elle-même aimait. Culture du souvenir,
mais aussi prémonitoire…
Li Shaohong a poursuivi en
adoptant un réalisme moins sombre au début des années 2000.
Mais le désastre du Hongloumeng et le campagne de
dénigrement qui a suivi lui a coupé l’herbe sous les pieds.
Elle a tenté en 2018 une adaptation d’un roman de
Yan Geling (严歌苓),
« A City Called Macau » (《妈阁是座城》),
mais sans succès… Elle s’est tournée comme Hu Mei vers la
réalisation de feuilletons télévisés.
3.
Ning Ying (宁瀛)
est l’autre grande
réalisatrice de cette cinquième génération, mais restée un
peu en marge, par son cercle familial et son détour par
l’Italie où elle a travaillé avec Bernardo Bertolucci. C’est
une autre observatrice de la réalité urbaine avec sa
« trilogie de Pékin » (《北京三部曲》) :
trois films sortis entre 1992, 1995 et 2001 qui ont pour
cadre l’extraordinaire mutation qui a transformé la capitale
chinoise au cours des années 1990. Mais ce n’est qu’un
cadre ; le sujet principal est une réflexion sur les
conséquences induites par cette croissance urbaine sur la
société, et sur la vie des habitants. Ces trois films
doivent beaucoup aux scénarios de sa sœur Ning Dai (宁岱)
et, dans leur recherche réaliste des aspects de la vie au
quotidien, se rapprochent des films de la sixième génération
réalisés à partir du début des années 1990, et en
particulier ceux de
Zhang Yuan (张元),
qui est le mari de Ning Dai. De par son clan familial et son
style, Ning Ying dessine ainsi une filiation entre cinquième
et sixième génération, relevant de l’une par définition, en
quelque sorte, et de l’autre pour sa thématique et son
esthétique.
Mais le film le plus
remarquable de Ning Ying est son film de 2005 « Perpetual
Motion » (Wu
Qiong Dong《无穷动》) : un
petit chef-d’œuvre d’humour décapant et réjouissant, mais
tellement décapant qu’il lui a valu d’être l’objet d’une
véritable campagne de dénigrement, d’attaques virulentes de
la part de la critique (masculine) liguée contre elle.
Son film est en effet le
portrait de quatre femmes médiatiques, l’élite pékinoise (jīngyīng 精英)
au féminin, chacune jouant son propre rôle, ce qui ajoute
encore à la charge satirique : Hung Huang (洪晃),
star des médias et symbole de réussite, et sa mère Zhang
Hanzhi (章含之),
l’une des interprètes
personnelles du président Mao ; Li Qinqin (李勤勤),
actrice de cinéma, l’outsider dans l’histoire ; Liu Sola (刘索拉),
artiste inclassable issue elle aussi d’une famille de la
nomenklatura chinoise, romancière, scénariste, musicienne –
c’est elle qui a composé la musique du film ; et enfin Ping
Yanni (平燕妮), fille
d’un ancien premier ministre et consultante d’un grand
groupe international. Libérées des contraintes sociales
usuelles par leur autorité même, et se moquant allègrement
et sans fard de leurs relations maritales et sexuelles,
leurs propos sont d’autant plus subversifs qu’elles viennent
toutes, sauf l’actrice, de familles notoirement « rouges ».
Du jamais vu et franchement « incorrect » dans son attaque
corrosive contre les fondements mêmes de l’autorité
patriarcale du régime.
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Perpetual
Motion
《无穷动》
Résultat : Ning Ying a été
ostracisée et n’a plus fait ensuite que des films de
commande.
Mais elle reste représentative
d’une cinématographie de transition, souvent classée dans la
sixième génération. Génération qui émerge à partir de 1990
et dont les films, d’un style très différent, viennent se
superposer encore à ceux des deux générations précédentes.
IV. À partir de 1990
Sixième génération :
la génération urbaine
Cette sixième génération
arrive portée par la vague des caméras numériques qui leur
permettent de s’affranchir de la tutelle des studios d’Etat
et de filmer le quotidien. C’est le début du « cinéma
indépendant »,
fiction et documentaire, qui traduit surtout un état
d’esprit, une revendication de liberté et même une
philosophie de la vie. Cette « génération » voit aussi la
naissance des grands documentaristes. On peut préférer
l’appellation de « génération urbaine » lancée par Zhang
Zhen dans son ouvrage éponyme de 2007.
La plupart de ces cinéastes,
nés dans les années 1960 et 1970, sont sortis de l’Institut
du cinéma de Pékin en 1991, mais pas seulement : il y a
aussi diversification des formations. Cependant, le modèle
générationnel atteint là ses limites car, avec le passage du
temps, et surtout à partir de 2010, le modèle s’effrite et
se dissipe au profit des personnalités et de leur capacité à
résister à l’emprise croissante des contrôles et surtout du
box-office. Au début du nouveau millénaire, en raison de
l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du
commerce en 2001, les contrôles se relâchent un peu,
permettant à quelques talents féminins de s’épanouir
timidement, dans le contexte d’un mouvement féministe qui a
émergé en Chine à la suite de la 4e Conférence
des Nations Unies sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en
septembre 1995. Mais les Jeux olympiques de Pékin, en 2008,
marquent un nouveau durcissement, accentué encore après
l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, quatre ans plus tard.
De manière significative, dans
cette génération, il n’y a pas de grands noms de
réalisatrices, c’est à nouveau un cinéma très masculin.
Quand on compulse le livre de Zhang Zhen, sur 25
réalisateurs (de fiction), on trouve deux
réalisatrices outre Ning Ying : Xu Jinglei et Li Yu ; et sur
7 documentaristes, une femme : Li Hong (李红),
auteure d’un documentaire étonnant, sorti en 1997 : « Out of
Phoenix Bridge » (Huidao fenghuang qiao
《回到凤凰桥》),
qui dépeint la vie quotidienne de quatre femmes venues de la
campagne travailler à Pékin. Film précurseur sur le
phénomène des travailleurs migrants mais au féminin, qui
précède même le roman, lui-même précurseur et en grande
partie autobiographique, de
Sheng Keyi (盛可以) :
« Filles du Nord » ou Beimei (《北妹》),
publié en 2004.
Li Hong appartient à la
Nouvelle Vague du documentaire (indépendant), lancée par
Wu Wenguang (吴文光),
qui verra naître plus tard des talents féminins, mais Li
Hong est restée inconnue ; celles qui ont suscité beaucoup
d’espoirs, au début des années 2000, ce sont, outre Ning
Ying, Xu Jinglei et Li Yu, mais espoirs vite envolés, pour
cause de box-office.
1.
Xu Jinglei (徐静蕾),
née en 1974, est devenue célèbre comme actrice après son
rôle dans le « Spring Subway » (《开往春天的地铁》)
de
Zhang Yibai (张一白)
en 2002. C’était l’avant-garde
du cinéma dit indépendant. Puis elle réalise un premier film
en 2003, « Papa et moi » (《我和爸爸》),
dont elle interprète le rôle principal. Et poursuit avec « Lettre
d’une inconnue » (《一个陌生女人的来信》) adapté
de la nouvelle éponyme de Stefan Zweig, un film très réussi
sorti en 2004 qui est primé au festival de San Sebastian.
Deux films très différents, comme des exercices de style,
qui tendent à témoigner d’un talent éclectique.
Ainsi, au début des années
2000, quand Zhang Zhen écrivait son livre, Xu Jinglei était
considérée comme une jeune réalisatrice pleine de promesses.
Mais son troisième film a été un fiasco :
« Dreams May Come » (《梦想照进现实》) est
un long dialogue nocturne entre un réalisateur et une
actrice sur un scénario de
Wang Shuo (王朔)
adapté d’une de ses nouvelles. À partir de là, Xu Jinglei se
tourne vers le cinéma commercial, dans un créneau très
spécifique, orienté vers la jeunesse urbaine branchée, avec
en 2010 « Go Lala Go! » (《杜拉拉升职记》)
adapté d’un bestseller d’une romancière à succès qui raconte
les difficultés mais surtout les émois d’une jeune femme,
fraîche émoulue de l’université, qui commence à travailler.
Xu Jinglei se confond dès lors
avec ses résultats au box-office. En même temps, elle est
représentative du tournant pris par le cinéma chinois au
début des années 2010, avec la montée des
écrivains-réalisateurs de la génération des « post’80 »
tournés vers la même jeunesse branchée, dont
Guo Jingming (郭敬明)
et sa série des « Tiny Times » (《小时代》)
et
Han Han (韩寒),
blogueur impénitent mais médiocre cinéaste. Beaucoup de
paillettes et peu d’intérêt. D’ailleurs la vague est vite
retombée, autant en littérature qu’au cinéma, au point
qu’aujourd’hui plus personne ne veut être désigné comme
« post’80 » et qu’on a dû inventer la catégorie des
« post’85 »…
2.
Li Yu (李玉),
née en 1973, a commencé une carrière à la télévision avant
de se tourner vers le cinéma. Son premier film de fiction,
en 2000,
« Fish and Elephant » (《今年夏天》),
a aussitôt été salué comme un film très original, et d’abord
par son sujet : les relations de deux jeunes filles, Xiaoqun
et Xiaoling, dont l’une travaille dans un zoo et l’autre
dans une fabrique de vêtements, la première étant harcelée
par sa mère, divorcée, qui voudrait qu’elle se marie, alors
qu’elle est lesbienne et préfère Xiaoling aux hommes que sa
mère lui envoie. Mais tout se complique quand débarque
brusquement une ex-amie de Xiaoqun qui vient de tuer son
père… On compte sur les doigts de la main les films chinois
qui évoque des relations homosexuelles féminines, et
celui-là est particulièrement réussi car il évite les
clichés - comme « Les filles du botaniste » (《植物园》)
de Dai Sijie (戴思杰),
en 2006.
« Fish and Elephant » a été
primé à Venise en 2001 et au festival de Berlin en 2002. Il
est évidemment underground mais on le trouve, sous-titré,
sur youtube.
Li Yu a poursuivi avec un film
tourné au Sichuan, en dialecte local : « Dam Street »
(《红颜》).
Là encore, elle évite le mélo ordinaire tout en annonçant
une thématique qui sera reprise dans les années 2010-2020 :
une lycéenne de 16 ans découvre qu’elle est enceinte, elle
est exclue de son école, on lui dit que le bébé est mort à
la naissance, elle devient chanteuse dans une troupe d’opéra
et rencontre par hasard un petit garçon de dix ans qui la
suit ensuite comme son ombre…. Le personnage principal est
interprété par une véritable chanteuse d’opéra. Le film a
été primé à la Biennale de Venise, au festival de Deauville,
etc.
C’est cependant le film
suivant, sorti en 2006, qui a fait connaître Li Yu, surtout
à l’étranger : « Lost in Beijing » (《苹果》),
cette fois satire de la vie moderne dans une grand ville
chinoise, mais à nouveau sous l’angle d’une vie féminine,
celle d’une masseuse dans un salon de massage mariée à un
laveur de carreaux, tous deux travailleurs migrants à Pékin.
On est toujours dans la thématique de Nora sortie de chez
elle, mais dans un processus de séduction à tous les niveaux
où les bébés conçus au passage sont l’objet de chantage pour
obtenir des compensations financières. Le scénario est tordu
et lourd, et le film est sorti dans les festivals sans visa
de censure, censure qui était devenue d’autant plus sévère
que c’était à la veille des Jeux olympiques de Pékin. Li Yu
et son producteur furent frappés d’une interdiction de
tournage de deux ans. C’est un tournant dans la
cinématographie de Li Yu. Il marque aussi les débuts de sa
collaboration avec Fan Bingbing (范冰冰)
que l’on retrouve dans le film suivant, « Buddha Mountain »
(《观音山》),
sorti en 2010.
« Buddha Mountain » est la
chronique de la vie de trois jeunes en pleine crise
d’adolescence ; pour échapper aux contraintes familiales et
sociales, ils louent des chambres chez une chanteuse d’opéra
à la retraite qui a ses propres problèmes existentiels à
surmonter, les soucis des uns et des autres se rejoignant
dans la quête du sens de la vie, et de l’impermanence des
choses. Mais le fil narratif se perd dans les méandres d’une
histoire qui se veut mystérieuse alors que le personnage de
la chanteuse âgée, et le mystère qui lui est lié, sont
finalement réduits à très peu de choses. Malgré
Sylvia Chang (张艾嘉)
dans ce rôle, le film est plutôt un anti-climax dans la
filmographie de Li Yu, bien qu’ayant été un succès au
box-office.
À partir de 2012, la
réalisatrice entre dans le mainstream, avec des films
calibrés pour plaire au public chinois, dans des genres à la
mode, adaptés pour la plupart d’œuvres littéraires, en
particulier des thrillers et comédies romantiques avec, chez
elle, une touche érotique. Ses derniers films sont des
échecs, sur tous les plans, mais, en tant que tels, sont
intéressants et représentatifs de la véritable malédiction
qu’est aujourd’hui le box-office en Chine (sinon ailleurs).
Li Yu aura eu l’intérêt
d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur la société,
d’un point de vue féminin. Le début des années 2000 est
marqué par une série de films prometteurs réalisés par des
femmes, parfois poétesses, comme « Home Video » (《家庭录像带》)
de
Yang Lina (杨荔钠),
pionnière en 2000 du documentaire familial du genre « Oxhide »
(Niúpí《牛皮》),
ou « Nightingale, Not the Only Voice » (《夜莺不是唯一的歌喉》)
de Tang Danhong (唐丹鸿)
en 2001.
Les temps, cependant, ont
changé…
V. Et maintenant…
Hétérotopies
Le début des années 2010
marque un reflux : un retour au conservatisme, lié
parallèlement à l’étouffement progressif du mouvement
féministe qui atteint son apogée en 2015 :
il est marqué comme en contrepoint par une vague de films de
réalisatrices qui ne s’inscrivent pas dans un mode critique
d’expression féminine, mais sont orientés vers le grand
public et le box-office avec des films qui offrent une
vision rétrograde de la femme dans la société moderne,
tendance qui culmine en 2013 avec trois films
caractéristiques, tous trois bien notés et bien reçus par le
public :
- « Finding
Mr. Right » (《北京遇上西雅图》),
comédie dite romantique de
Xue Xiaolu (薛晓路),
avec Tang Wei (汤唯),
gros succès au box-office en 2013, mais sans surprise ni
émotion. Xue Xiaolu avait pourtant commencé avec un premier
film très réussi,
« Océan Paradis » (《海洋天堂》),
sorti en juin 2010 au festival de Shanghai.
-
« So Young » (《致我们终将逝去的青春》)
produit par Stanley Kwan et réalisé par
Zhao Wei (赵薇),
actrice devenue réalisatrice après être passée en 2006 par
la classe de réalisation de
Tian Zhuangzhuang (田壮壮),
le parrain de la cinquième génération, à l’Institut du
cinéma de Pékin ; le film est adapté d’un bestseller sur la
vie des étudiants dans la Chine des années 1990, mais il est
aussi partiellement autobiographique, ce qui représente une
tendance courante dans la production commerciale récente. Le
film rappelle « Le dortoir des étudiantes » (《女大学生宿舍》)
de Shi Shujun (史蜀君),
trente ans plus tôt.
- « One
Night Surprise » (《一夜惊喜》),
autre « comédie romantique, d’Eva Jin (金依萌),
avec Fan Bingbing. Eva Jin, diplômée de l’université de
Floride qui déclarait en 2013
dans une interview
: « Nous vivons dans un monde
d’hommes, un monde masculin, alors quand les femmes sont
douces (温柔),
cela rend le monde meilleur, cela rend les hommes plus doux
eux aussi. Je déteste les féministes (女权主义者)… »
(这个世界是男人的世界,当女人都温柔下来的时候,这个世界就变得非常美好,男人随之也会温柔下来。我自己特别不喜欢女权主义者,…)!
Ce qui représente bien l’état d’esprit que déplorait Wang
Zheng en conclusion de son ouvrage « Finding Women in the
State ».
À côté de ces succès au
box-office sans grand intérêt cinématographique, on peut
relever malgré tout quelques très beaux films féminins, mais
comme toujours et de plus en plus en marge du secteur
commercial.
§
« Lan » et « Lichun »
À la fin de ces années
2000 sort un film resté
injustement méconnu mais qui est à la fois représentatif et
précurseur :
« Lan »
(《兰》) de
Jiang Wenli (蒋雯丽),
primé au festival de Busan en octobre 2009 et en juin 2010
dans la section « Nouveaux Talents » du festival de
Shanghai. Jiang Wenli, née en 1969, a commencé comme
actrice, mais dans des films « non commerciaux », comme le
superbe portrait de femme qu’est
Lichun ou « Le premier souffle du printemps » (《立春》)
de
Gu Changwei (顾长卫).
« Lan » est partiellement
autobiographique, et dépeint les relations d’une petite
fille avec le grand-père qui l’élève alors que ses parents
ont été envoyés se faire rééduquer à la campagne pendant la
Révolution culturelle. Elle est élevée dans le pieux
mensonge que ses parents sont en train de travailler à faire
fleurir le désert dans l’ouest du pays, et fait de son mieux
pour supporter la dure discipline d’une formation de
gymnaste pour laquelle elle n’est pas douée. En même temps,
elle s’occupe de son grand-père dont la santé décline chaque
jour. Dans le rôle du grand-père, on retrouve l’acteur Zhu
Xu (朱旭) qui
était le merveilleux « Roi
des masques » (《变脸》) du
film de Wu
Tianming (吴天明)
en 1996. Hommage et références, comme un album de souvenirs,
et comme une porte ouverte sur le passé, vite refermée.
Lan et son grand-père (Zhu Xu)
C’est resté l’unique film
réalisé par Jiang Wenli qui est ensuite revenue vers sa
carrière d’actrice. On le trouve
sur YouTube,
sous-titré en chinois et en anglais, mais sous son premier
titre : « Let’s Meet in Heaven » (《我们天上见》).
Le film est représentatif du
regard nostalgique et douloureux sur la campagne, mais c’est
le film de Gu Changwei « Lichun » qui
est
étonnamment précurseur : Jiang Wenli interprète une femme à
la voix superbe, mais dont la carrière de chanteuse a été
ruinée parce qu’elle n’était pas belle. Et à la fin du film,
on la voit assise paisiblement avec la petite fille qu’elle
a adoptée, sur la place Tian’anmen.
§
Le thème des shèngnǚ
Le retour au conservatisme
observé dans la société, marqué par l’effacement de tout
féminisme du discours officiel, est lié au problème de
l’effondrement de la natalité, mettant les femmes à nouveau
sur la sellette, avec une campagne pour les inciter à se
marier et à avoir des enfants – l’un des thèmes porteurs
étant l’offensive contre les femmes célibataires qui a
inspiré deux films récents, mais dans les deux cas ruinés
dès le départ par la faiblesse du scénario :
- le
film de
Luo Luo (落落)
« Last Woman Standing » (《剩者为王》),
sorti en 2015, qui traite du phénomène médiatisé des
« leftover women » (shèngnǚ
剩女)
et qui est adapté de son propre roman, « Queen Stain » (《剩者为王》),
littéralement « la reine de celles qui restent ».
C’est un film très bien interprété, par Shu Qi (舒淇),
mais bourré de clichés, dont tout l’intérêt est d’être
révélateur des pressions exercées sur les femmes
célibataires, avec la complicité de la Ligue des femmes.
- celui
de Teng Congcong (滕丛丛),
qui a été l’élève de
Xie Fei (谢飞)
à l’Institut du cinéma de Pékin : « Send Me to the Clouds »
(《送我上青云》),
premier long métrage qui a été quatre fois primé au festival
du Coq d’or en 2019. Le film est axé sur la vie d’une femme
de trente ans qui se bat contre les préjugés, et contre sa
propre mère. Malheureusement le scénario ne tient pas la
route, malgré le Coq d’or qui lui a été décerné : il part
d’une situation terriblement cliché : une femme atteinte
d’un cancer ; elle doit trouver l’argent pour se faire
opérer et se faire soigner, et bon an mal an gérer sa vie
privée, et sexuelle, Les belles images ne suffisent pas à
compenser la faiblesse du sujet.
§
La manne du documentaire
Dans ce contexte, il faut
saluer les réalisatrices qui font preuve de sensibilité et
d’originalité, et en particulier dans le domaine du
documentaire, genre particulièrement difficile qui a
connu une période d’essor dans les années 2000-2010, et où
se sont illustrées des réalisatrices remarquables :
-
Feng Yan (冯艳)
et sa « trilogie des filles du fleuve », celles de la région
des 3-Gorges,
- son amie
Ji Dan (季丹)
avec tout particulièrement « When The Bough Breaks » (《危巢》)
en 2011, un documentaire sur une famille – dont deux sœurs -
qui vit du recyclage des ordures en habitant sur une
montagne de déchets, puis « Baya » (《芭雅》)
sorti en 2023, portrait d’une vieille femme qui élève les
enfants de ses six enfants décédés… Regard féminin complice,
à l’opposé du regard distancié des documentaristes masculin,
à l’exception de Hu
Jie (胡杰),
dont Ji Dan est proche.
-
Zhu Shengze (朱声仄),
née en 1987, qui a le regard acéré, mais capable aussi de
poésie, comme le montre son dernier documentaire, tourné à
la fin du confinement à Wuhan, sa ville natale, et construit
sur une trame de quatre poèmes en prose qu’elle a elle-même
écrits et qui sont des lettres aux disparus :
« A River Runs, Turns, Erases,
Replaces » (《河流,奔跑着,倒映着》).
Le film a été présenté en sélection officielle au festival
de Berlin en février 2021 et au festival Cinéma du réel, à
Paris, en mars.
- sans oublier
Ai Xiaoming (艾晓明),
née en 1953, amie et collaboratrice de
Hu Jie (胡杰),
qui a fait du documentaire une arme de combat contre les
injustices et les violences restreignant les libertés
individuelles, et les droits des femmes.
§
Et le difficile passage du
documentaire à la fiction
- Un exemple intéressant, dans
ce contexte, est celui de
Yang Lina (杨荔钠),
qui a réussi la transition du documentaire à la fiction.
Née en 1972, elle vient
initialement du théâtre parlé (dans l’armée). Sans avoir
fait d’études cinématographiques, elle a commencé par une
petit film très original et bien fait : « Old Men » (《老头》),
un documentaire sur les personnes âgées rassemblées tous les
jours sur le trottoir en bas de chez elle. Le film a été
primé en 2000 au festival Cinéma du réel à Paris. Elle a
tourné un deuxième documentaire, sur sa famille, « Home
Video » (《家庭录像带》).dans
le genre du « Oxhide » (《牛皮》)
de Liu Jiayin (刘伽茵),
mais cinq ans auparavant. Contrairement à Liu Jiayin,
cependant, elle a subi des feux croisés de critiques
virulentes, à commencer par son père. Elle en est sortie
effondrée et a mis plusieurs années à s’en remettre.
Elle a ensuite tourné un
superbe documentaire sur les enfants d’un orphelinat de
Qingdao qui a demandé une douzaine d’années de gestation :
« Les herbes sauvages de
Qingdao » (《野草》),
dont le titre est une référence au recueil de textes en
prose de 1927 de Lu Xun (鲁迅).
Elle a commencé à filmer les enfants encore tout petits, en
1997, et les a suivis jusqu’à l’âge adulte en montrant la
persistance des traumas de l’enfance. Le film a en outre été
monté par Mary Stephen qui en a en fait écrit un scénario à
partir des rushes, en ménageant des allers retours entre le
passé et le présent, ce qui maintient le rythme et
l’intérêt. Coproduction de l’INA et d’Arte, le film est
superbe.
Et pendant que Mary
travaillait sur le montage des « Herbes sauvages », en 2010,
Yang Lina a tourné un quatrième documentaire : « Les
amours de monsieur An » (《老安》),
en reprenant l’idée de son premier film. Ce monsieur An
faisait partie d’un groupe de personnes âgées qui se
rassemblaient pour danser dans le parc du Temple du Ciel (天坛公园),
à Pékin. Cette fois-ci, Yang Lina est allée plus loin en
représentant les sentiments de ses personnages, en
annonçant, dix ans à l’avance, la mode actuelle des films
sur la vie affective des personnes âgées, les femmes
surtout.
Puis, en 2013, Yang Lina est
passée à la fiction, avec le premier volet d’une trilogie
pour laquelle elle avait obtenu le soutien du fond Hubert
Bals du festival de Rotterdam : « Longing for the Rain
» (《春梦》) a
été présenté en première mondiale au festival de Rotterdam
en février 2013, avant d’être couronné le premier avril de
la « mention spéciale » du festival de Hong Kong. L’histoire
est celle d’une jeune Chinoise, mariée, sans problèmes
matériels, mais dont la vie est réduite à s’occuper de son
unique enfant et à faire des courses avec ses amies. Sa
frustration affective et sexuelle et son vide existentiel
sont comblés par des rêves où lui apparaît un amant
magnifique, apparitions fantomatiques qui en font un être
partagé entre rêve et réalité, au point que son entourage
finit par la soupçonner d’être possédée….
Yang Lina s’attaque ici aux
tabous qui s’opposent à la représentation du désir féminin
et de ses pulsions dans le cinéma chinois, et, en général, à
tout discours sur le sujet dans la société chinoise,
confinant la femme à des illustrations relevant d’un autre
âge ou de la peinture sociale contemporaine superficielle.
Au-delà de cette peinture de la psyché féminine, c’est tout
le malaise de la nouvelle société chinoise, affluente mais à
la recherche de son âme, qui apparaît en filigrane.
Le deuxième volet de la
trilogie,
« Spring Tide » (《春潮》),
est sorti au festival de Shanghai en juin 2019, et le
troisième, « Song
of Spring » (Mama !《妈妈!》),
en septembre 2022. Ce dernier a pour thème les relations
mère-fille, thème courant dans la Chine actuelle, mais
traité de manière originale : une vieille femme de 85 ans
doit s’occuper de sa fille de 65 ans atteinte de la maladie
d’Alzheimer. Et pour compléter l’originalité de l’idée
initiale, le rôle de la vieille mère est interprété par une
actrice née en 1938 et venue du théâtre, Wu Yanshu (吴彦姝),
celui de la fille par une actrice née en 1955 et formée à
l’Institut d’art dramatique de Shanghai dans les années
1970, Xi Meijuan (奚美娟).
« Song of
Spring » Mama !《妈妈!》
- Enfin, parmi les
documentaristes féminines de la nouvelle génération, il faut
encore citer
Ma Li (马莉),
née en 1975, qui a longtemps travaillé pour la télévision,
avant de devenir réalisatrice indépendante en 2007. Elle a
commencé par un très beau documentaire tourné dans un
monastère bouddhique du Sichuan, « Mirror
of Emptiness » (《无镜》),
achevé en 2010. Mais le plus formidable est son documentaire
de 2017 tourné pendant un an dans un hôpital psychiatrique
dans le nord de la Chine : « Inmates » (Qiú《囚》).
À l’extérieur les saisons changent, le temps passe, à
l’intérieur l’uniformité s’installe, tout espoir de sortir
de là s’efface peu à peu. Le film pose l’éternelle question
de la frontière floue où commence la folie, mais montre
surtout la rapidité avec laquelle le hors-norme (pour ne pas
dire l’anormal) se fond dans l’univers routinier du
quotidien de l’établissement. En fait, c’est une image de la
société. On pense à Foucault. C’est un documentaire qui vaut
bien celui de 2013 de
Wang Bing (王兵)
sur le même sujet,
« A la folie » (《疯爱》),
mais qui, hormis les festivals de Hong Kong, de Berlin et du
Golden Horse à Taipei, a très peu circulé.
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§
Et voilà les post’90…
Avec ces films, on est loin
des productions officielles chinoises qui caracolent en tête
du box-office. On manque encore de recul pour jauger la
toute dernière génération, celle des « post’90 » qui
commencent à émerger « de l’horizon de l’histoire » pour
paraphraser Dai Jinhua. Quelques noms affleurent, comme
celui de
Geng Zihan
(耿子涵)
et de son
« Song Sung Blue » (《小白船》)
de 2023, ou de
Lu Dan
(鲁丹)
originaire d’Urumqi et revenue chez elle, aux confins du
Kazakhstan, pour filmer son premier film en utilisant toutes
les ressources linguistiques locales : « The Absent » (dōng lǚ
rén《冬旅人》),
produit par Pema Tseden qui a conseillé et aidé Lu Dan,
sélectionné en juin 2024 au festival de Shanghai et présenté
en février 2025 au festival Allers-Retours à Paris.
Trop de ces premiers films
restent cependant sans lendemain – ce qui n’est pas une
prérogative féminine, mais tend à être tout particulièrement
vrai pour les jeunes réalisatrices, comme
He Wenchao (何文超),
par exemple : son film « Sweet Eighteen » (《甜蜜18岁》)
a été remarqué dans la section « Nouveaux talents » du
festival de Shanghai en 2013. Il reprend l’idée de la
solidarité entre femmes : c’est l’histoire d’une adolescente
un peu garçon manqué de 18 ans, He Na, qui vit avec sa mère,
une ancienne chanteuse d’opéra. Trompée par son amant qui
part avec son argent, celle-ci, ivre, fait une chute et se
retrouve à l’hôpital dans le coma. He Na doit abandonner son
rêve d’entrer à l’Institut des Beaux-Arts. Désorientée, elle
va voir l’amie de l’amant de sa mère et découvre qu’elle
aussi a été abandonnée, et qu’elle est enceinte ; les deux
femmes finissent par se lier de manière inattendue.
On attend toujours un deuxième
film de He Wenchao …
Conclusion
2024 marquait le 90ème
anniversaire de la première à Shanghai du film « Femme(s)
nouvelle(s) » (《新女性》)
inspiré du suicide d’Ai Xia. Les réalisatrices ne sont plus
« effacées », mais elles ont toujours autant de mal à
réaliser des films qui leur soient personnels. Dans le
contexte actuel, les films promus comme « féministes » qui
sont des succès au box-office sont à prendre avec la plus
grande réserve : ils ne font que servir la doxa du régime
selon laquelle la femme chinoise vit heureuse dans un pays
où elle a été libérée.
C’est le cas en particulier du
film de
Shao Yihui (邵艺辉)
sorti en novembre 2024 : « Her Story » (《好东西》),
promu « blockbuster féministe » dans une Chine où le
féminisme a moins que jamais les faveurs du pouvoir,
mais où le film a rivalisé avec la « Barbie » de Greta
Gerwig, selon un phénomène analogue à celui qui porte aux
nues le deuxième « Nezha ».
« Her Story » est le deuxième film de la jeune
réalisatrice, née en 1991, après « B for Busy » (《爱情神话》ou
« Le mythe de l’amour » ) [titre chinois du Satyricon de
Fellini], une comédie de fin d’année filmée à Shanghai, en
dialecte de Shanghai, produite et interprétée par Xu Zheng (徐峥),
le maître de la comédie burlesque.
« Her Story », cependant, est
aussi authentique dans sa peinture de la vie des femmes dans
la Chine urbaine d’aujourd’hui que le quartier de Shanghai
où il a été tourné, haut lieu touristique entièrement
« restauré ». Les dialogues sont pleins d’humour, et
détournent des blagues traditionnellement attribuées aux
hommes et devenues clichés comme « je ne fais que les
erreurs que font toutes les femmes ». Ce genre d’humour fait
fureur auprès du public, mais le film est en fait une
manière de détourner l’attention, et en particulier du
harcèlement auquel sont soumises les femmes aujourd’hui en
Chine, pour les inciter à se marier et faire des enfants.
On assiste cependant à un
mouvement de paisible rébellion, qui ressemble plus au
mouvement « tangping » qu’à une révolte ouverte. On
est passé de Nora à Carmen, mais une Carmen tranquille,
comme sûre d’elle-même. Plutôt que « Her Story », le film
représentatif des tendances actuelles serait, malgré ses
imperfections, ou en raison même de ses imperfections, celui
de
Yin Lichuan (尹丽川) sorti
en septembre 2024 : « Like
a Rolling Stone » (《出走的决心》),
qui a connu un succès étonnant, porté par le bouche à
oreille, mais qui, justement, a été étouffé par « Her
Story », sorti un mois plus tard. Le titre chinois, qui met
l’accent sur la prise de décision menant au départ, est plus
représentatif du film que le titre anglais : il dépeint le
long et difficile processus qui amène une femme à prendre la
décision de partir de chez elle, après des années d’un
mariage étouffant.
Le succès du film, inspiré
d’une histoire vraie, tient à l’engouement qu’il suscite
auprès des femmes du même âge qui ont vécu plus ou moins la
même chose, mais aussi auprès de la jeune génération,
désireuse de ne pas vivre de la même manière. Le film touche
une corde sensible : l’éveil d’une conscience féminine qui
s’oppose de plus en plus aux structures patriarcales de la
famille et du pouvoir. On est toujours dans le mythe de
Nora, mais dans une société qui offre des interstices de
liberté… liberté qui se traduit par le rejet du mariage
imposé, selon un slogan actuel qui renvoie à la conclusion
du film de 2007 « Lichun » (《立春》)
de Gu Changwei : « éliminer le père, garder l’enfant » (qù
fù, liú zǐ“去父留子”).
Avec toute l’ambiguïté potentielle sur le terme de « père »
- fù
父
…
On commence depuis quelques
années à parler de « tā
shídài »
(她时代),
l’ère de la femme, son ère à elle, en retrait du pouvoir –
comme une revanche sur l’époque où le pronom ta
n’existait même pas au féminin et où Nora était condamnée à
rester chez elle.
Bibliographie sélective
(en anglais)
Berry, Michael,
Speaking in images, :
interviews with contemporary Chinese filmmakers,
Columbia University Press, 2005.
Cui Shuqin, Women Through the
Lens, Gender and Nation in a Century of Chinese Cinema,
University of Hawai’i Press, 2003.
Dai Jinhua, Cinema and Desire,
Feminist Marxism and Cultural Politics in the Work of Dai
Jinhua,
ed. by Jing Wang and Tani E.
Barlow, Verso, 2002.
Fincher, Leta Hong, Betraying
Big Brother, the Feminist Awakening in China, Verso, 2018.
Ni Zhen, Memoirs from the
Beijing Film Academy, The Genesis of China's Fifth
Generation, tr. Chris Berry,
Duke University Press, 2002
(Original edition 1995).
Wang Lingzhen ed, Chinese
Women‘s Cinema, Transnational Contexts, Columbia University
Press, 2011.
Wang Zheng, Finding Women in
the State, A Socialist Feminist Revolution in the People's
Republic of China 1949-1964, University of California Press,
2017.
Widmer Ellen and Wang Der-Wei
David ed, From May Fourth to June Fourth, Fiction and Film
in Twentieth-Century China, Harvard University Press, 1993.
Zhang Nuanxin, Li Tuo, “The
Modernization of Film Language”, chap. 2 p. 10 in :
Chinese Film Theory, a Guide to the New Era, ed. by
George S. Semsel, Xia Hong and Hou Jianping, Praeger, 1990.
Zhang Zhen, An Amorous History
of the Silver Screen, Shanghai Cinema 1896-1937, The
University of Chicago Press, 2005.
Zhang Zhen ed, The Urban
Generation, Chinese Cinema and Society at the Turn of the
Twenty-First Century, Duke University Press, 2007.
Le cinéma chinois
étant entendu ici comme celui de Chine continentale
(中国大陆电影),
car il va être abordé dans une perspective
historique spécifique, le cinéma de de Hong Kong et
de Taiwan étant différents dans cette optique.
C’est un thème développé par Margaret H. Decker dans
« From May Fourth to June Fourth ».Harvard
University Press, 1993.
Ch. 8 : “Living in Sin”, pp. 221-246.
Et également
Wang Fen (王芬)
avec le documentaire dans la veine de celui de Yan
Lina « They Are Not the Only Unhappy Couple » (《不快乐的不只一个》),
sorti en 2000 aussi - Wang Fen qui est la compagne
d’Ai Weiwei et réside maintenant à Cambridge.
Avec comme dates-clés : le lancement en 2009 sur
WeChat de Feminist Voices (女权之声)
par Lü Pin (吕频),
qui avait travaillé dix ans (1994-2004) pour le
China Women’s News (中国妇女报)
de la Fédération des femmes (中华全国妇女联合会),
et s’était en particulier engagée en 2002/2003 pour
la loi contre les violences domestiques, finalement
été adoptée en 2016.
Mais l’ère Xi marque le retour des poursuites contre
les féministes, avec arrestation et détention des
« Cinq féministes » en mars-avril 2015 et répression
du mouvement #MeToo en 2018. La plupart des
féministes, dont Lü Pin, sont aujourd’hui aux
États-Unis.
Dans ce cas par un
réflexe de fierté nationaliste qui fait que l’on ne
peut même pas critiquer le film.
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