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Petite histoire du cinéma chinois :
de générations en hétérotopies
par
Brigitte Duzan, 23 février 2025
On a
coutume de classer les cinéastes chinois
par « générations », de même que les empereurs sont classés
par dynasties. C’est une forme de périodisation de
l’histoire du cinéma
qui a été critiquée pour reposer sur l’idée de rupture,
comme si l’histoire chinoise était découpée en une série de
phases historiques bien tranchées, n’ayant aucun rapport les
unes avec les autres. Mais c’est une classification
pratique, désormais entrée dans les mœurs, et les manuels,
et qui renvoie à la notion universelle de Nouvelle Vague.
Elle
est en fait plus récente et artificielle qu’on ne le pense
généralement. C’est en effet lorsque la cohorte de jeunes
cinéastes désormais connus comme « la cinquième génération »
est sortie de l’Institut du cinéma de Pékin en 1982 en
revendiquant un style totalement différent de leurs
prédécesseurs, et de leurs professeurs, que le terme de
« cinquième génération » s’est soudain imposé. C’est alors
que le groupe de réalisateurs (et réalisatrices) dont la
carrière avait été interrompue par la Révolution culturelle
et qui ont repris leurs activités ensuite ont été qualifiés,
à rebours, de « quatrième génération ». Logiquement, les
réalisateurs du cinéma chinois post’1949, aisément
identifiables, sont devenus la troisième génération. Quant à
la première et la deuxième génération, il faudra plus de
temps pour qu’elles soient identifiées ; c’est a posteriori
encore que la première génération sera définie comme celle
du cinéma muet (donc années 1910-1930), tandis que la
deuxième génération en est venue à couvrir ce qui reste
(années 1930-1940). La sixième génération s’est imposée
ensuite au début des années 1990 comme avant-garde
néo-réaliste urbaine à la chinoise, tournant caméra au
poing.
L’histoire du cinéma chinois apparaît ainsi comme une
construction reflétant l’histoire nationale, sur le modèle
des dynasties impériales et des ruptures imposées par les
différentes révolutions, politiques comme celles de 1911 ou
de 1949, ou techniques comme celle de la caméra numérique.
Mais les périodes se chevauchent et un cinéaste comme
Xie Jin (谢晋),
classé « troisième génération », a continué à faire des
films, et des films de référence, en parallèle avec ceux de
la « cinquième génération », jusque dans les années 1990. Un
film symbolique à cet égard pourrait être
« Le
Roi des masques » (《变脸》)
de
Wu Tianming (吴天明),
classé dans la quatrième mais considéré comme le parrain de
la cinquième génération : sorti en 1995, le film apparaît
comme une réflexion sur l’importance de transmettre son art
aux générations futures – y compris aux femmes d’ailleurs,
en dépit de toute tradition établie.
La
première génération 第一代
:
années 1910-1930
La
première génération des cinéastes chinois est
traditionnellement celle du cinéma muet, qui s’achève avec
le premier film « sonore » de l’histoire du cinéma chinois,
« La Chanteuse Pivoine rouge » (《歌女红牡丹》)
de
Zhang Shichuan (张石川)
sorti en 1931. Ce qui ne veut pas dire que c’était
totalement la fin du cinéma muet car il faudra encore
quelque temps pour que les studios et les salles de cinéma
investissent dans un nouveau, et coûteux, matériel, mais
c’est certainement une époque charnière, et non seulement
pour les nouvelles techniques : c’est aussi le tournant vers
le cinéma dit « de gauche » qui sera celui de la période
suivante.
§
Zhang
Shichuan et la Mingxing
Cette
première génération est celle des pionniers, c’est aussi
celle des grands studios de Shanghai, et en particulier de
la compagnie Mingxing (明星影片公司),
celle justement qui a produit « La Chanteuse Pivoine
rouge », créée en 1922 par
Zhang Shichuan (张石川)
et son inséparable comparse Zheng Zhengqiu (郑正秋).
À eux deux, ils cumulent les « premières » : premier film de
fiction chinois – « Un couple difficile » (《难夫难妻》)
– en 1913 ; premier succès d’un film chinois en Chine -
« L’orphelin sauve son grand-père » (《孤儿救祖记》)
- en 1923 ; premier film de wuxia et même série en
dix-huit épisodes qui suscitera toute une vague de films du
même genre - « L’incendie du monastère du Lotus rouge » (《火烧红莲寺》 )
en 1928-30. Et pour finir, premier film sonore, sur un
scénario du dramaturge
Hong Shen (洪深),
marquant les liens de ce cinéma naissant avec le théâtre, un
théâtre de gauche.
La
période, en fait, ne s’achève pas vraiment avec les débuts
du parlant, ni même avec la bataille de Shanghai, en août
1937, qui se solde par la victoire japonaise, l’occupation
de Shanghai et la destruction des studios de la Mingxing par
les bombardements japonais. Zhang Shichuan parviendra à
sauver quelques « meubles » : il fonde une autre compagnie,
la Guohua (国华影片公司),
et continue de tourner, des films qui sont des chefs d’œuvre
des années 1930, d’où émerge la voix de
Zhou Xuan (周璇).
Dans les années 1940, c’est le climat politique qui met fin
à la carrière de ce réalisateur qui représente à lui seul la
« première génération », bien au-delà des limites dans
lesquelles on la circonscrit habituellement.
§
Li
Minwei et la Minxin
Autre
grande figure de cette première génération,
Li Minwei (黎民伟)
est considéré comme l’un des pères fondateurs du cinéma
chinois (“国片之父”).
Né au Japon et grandi à Hong
Kong, il est représentatif des artistes chinois des années
1910, ouverts sur la culture occidentale à travers le Japon
et Hong Kong, mais encore empreints de culture
traditionnelle comme le montre son premier film, « Zhuangzi
met son épouse à l’épreuve » (《庄子试妻》),
réalisé en 1913, la même année donc que le premier film de
Zhang Shichuan. D’abord le sujet est éminemment classique,
mais son interprétation l’est également : c’est Li Minwei
lui-même qui interprète le rôle de l’épouse de Zhuangzi.
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Cependant, en rupture avec la tradition qui
interdisait aux femmes de monter sur les planches
aux côtés des acteurs, c’est une actrice qui
interprète le rôle de la servante, la première
épouse de Li Minwei, Yan Shanshan (严姗姗),
devenue ainsi la première actrice du cinéma chinois.
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En 1922, tandis que Zhang Shichuan fonde la Mingxing à
Shanghai, Li Minwei fonde la Minxin (民新影片公司),
à Hong Kong, avec ses deux frères, puis déménage à Shanghai
en 1926. Le studio tourne avec la famille, comme une troupe
de théâtre : les actrices sont les deux épouses de Li
Minwei, Yan Shanshan et la seconde épouse Lin Chuchu (林楚楚),
ainsi que la fille du chef opérateur, Li Dandan (李旦旦).
En 1929, Li Minwei crée en outre une école de cinéma.
Le « clan » de Li Minwei à Hong Kong
(Li Minwei, debout à g., Yan Shanshan 3e
à dr., Lin Chuchu 4° à g. et leurs enfants)
Il fait alors appel aux grandes figures du théâtre de
l’époque, Ouyang Yuqian (欧阳予倩) , Bu
Wancang (卜万苍),
Hou Yao (侯曜),
qui formeront ensuite l’ossature de la compagnie Lianhua (联华影业公司)
que Li Minwei fonde avec
Luo Mingyou (罗明佑) en
août 1930 en y englobant les quatre principales compagnies
du moment : compagnie emblématique du cinéma de gauche de la
première moitié des années 1930, et qui marque donc la
transition d’une « génération » à l’autre.
La
deuxième génération 第二代
:
années 1930-1940
La
fondation de la Lianhua marque donc un tournant dans le
cinéma chinois, et le début de ce qu’on peut appeler la
deuxième génération des cinéastes chinois, marqués par leur
engagement « de gauche » aussi bien que par leurs ambitions
modernistes et leurs exigences artistiques.
Leur programme n’est pas politique : il vise à la
« renaissance des films nationaux » (fuxing guopian
复兴国片),
alors fortement concurrencés par les films américains.
Passionné de cinéma,
Lu Xun
dit ainsi dans son journal avoir vu 142 films entre 1927 et
1936, dont 121 films américains, et seulement 4 films
chinois.
Humanisme « de gauche »
Dès sa
fondation, la Lianhua attire les meilleurs scénaristes et
les meilleurs réalisateurs :
Sun Yu (孙瑜),
Shi Dongshan (史东山),
Cai Chusheng (蔡楚生),
Bu Wancang (卜万苍),
Wu Yonggang (吴永刚),
Fei Mu (费穆)...
Les films sont très variés : adaptations littéraires, mais
pas seulement de classiques chinois, de Shakespeare ou de
romans contemporains aussi, sujets actuels, problèmes de
société et dénonciation de l’exploitation des femmes. La
compagnie innove également sur le plan technique,
Sun Yu (孙瑜)
en particulier utilise les gros plans, les fondus enchaînés,
les travellings, pour filmer par exemple la petite troupe
d’enfants le long de la route au début de
« La Rose sauvage » (《野玫瑰》)
en 1932 ; il innove même avec des intertitres en baihua.
C’est en même temps l’avènement du star-system, avec les
grandes actrices qui incarnent des rôles de femmes
emblématiques.
Mais
la Mingxing n’est pas en reste : dans les années 1933-1934,
elle produit des films réalisés sur des scénarios écrits par
des dramaturges « de gauche » dont Xia Yan ( 夏衍) :
ainsi « Le Torrent sauvage » (《狂流》)
et « Les Vers à soie du printemps » (《春蚕》)
de
Cheng Bugao (程步高)
en 1933, le second adapté de la nouvelle éponyme de
Mao Dun (茅盾).
L’œuvre traditionnellement donnée pour emblématique de cette
période est « Le Chant des pêcheurs » (《渔光曲》)
de
Cai Chusheng (蔡楚生),
produit par la Lianhua, grand succès de l’année 1934. Mais
la teneur des films a évolué avec l’entrée de communistes
dans les studios, dans le contexte de la menace de guerre et
de la montée progressive de l’idéologie communiste dans les
cercles littéraires avec la création en mars 1930 d’une
Ligue des écrivains de gauche (中国左翼作家联盟),
doublée d’une Ligue des dramaturges de gauche fondée en
septembre 1931.
La
comparaison de deux films de Cai Chusheng montre d’emblée la
différence d’orientation entre 1932 et 1934, d’un humanisme
progressiste né des
idéaux du 4 mai
à une idéologie révolutionnaire mettant en scène des
héroïnes politisées, voire asexuées :
-
Dans
« Un rêve rose » (《粉红色的梦》),
en 1932, construit comme un mélodrame assez classique,
l’époux volage s’enfuit avec sa maîtresse ; sans se laisser
abattre, la femme reconstruit sa vie et finit même par
écrire le livre qui avait été commandé à son mari, ce qui
lui permet de rembourser ses dettes, et plus.
- En
1934, changement de registre avec « Femmes nouvelles » (《新女性》),
(librement) inspiré du suicide de l’actrice Ai Xia (艾霞) :
dans un rôle qui rappelle aussi « La
Divine » (《神女》),
la même année,
Ruan Lingyu (阮铃玉)
interprète une jeune mère abandonnée par son mari qui gagne
sa vie comme professeur de musique ; elle tente de publier
un livre mais l’éditeur ne la paie pas, et elle est renvoyée
de l’école pour avoir repoussé les avances du directeur ;
quand sa fille tombe malade, elle est obligée de se
prostituer un soir, mais son client est son ancien directeur
d’école ; désespérée, elle avale du poison. Pourtant les
dernières images du film annoncent l’avènement d’une femme
nouvelle, moderne, vouée à la lutte révolutionnaire, selon
une idéologie de lutte collective et non individualiste.
Malgré
tout, c’est l’humanisme qui prime, une sorte d’humanisme
utopique fondé sur la fraternité dans les rapports humains,
sans distinction de classe, comme dans « La Route » (《大路》)
de
Sun Yu (孙瑜)
en 1934. Mais justement, Sun Yu en fera les frais après
1949, quand il sera violemment attaqué pour la morale
« réactionnaire et féodale » de son film « La
vie de Wu Xun » (《武训传》)
qui
avait remporté un immense succès à sa sortie en février
1951.
Histoire à relativiser
L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, c’est le
cas aussi de l’histoire du cinéma chinois, et on commence
tout juste à la revoir, en particulier pour les années 1930.
En effet, la vision que l’on a de cette période vient de « L’histoire
du développement du cinéma chinois » (《中国电影发展史》),
éditée sous la direction de Cheng Jihua (程季华),
et publiée en 1963. En deux volumes, cette œuvre monumentale
couvre la période 1896-1931 et traite de la production
cinématographique chinoise d’un point de vue marxiste et
maoïste, en particulier pour les films réalisés dans les
années 1931-1937. Cette approche fait de l’histoire du
cinéma une dérivée de l’histoire révolutionnaire de la
Chine, en mettant l’accent sur la nécessité de sauvetage
national et la lutte des classes, et en commençant par citer
Lénine et Staline faisant du cinéma la forme artistique la
plus importante et la plus populaire. C’était sans doute
l’unique approche possible à l’époque, mais le livre a
malgré tout été désapprouvé, et Cheng Jihua arrêté au début
de la Révolution culturelle.
Une
seconde édition du livre est cependant sortie en 1981, et là
étonnamment, dans le climat d’ouverture, il a connu un grand
succès. Cheng Jihua a été invité en 1983 à enseigner à
l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). Ce n’est
que vers la fin des années 1990 que l’ouvrage a commencé à
être contesté, mais aujourd’hui encore, faute d’études
poussées sur le sujet, on continue à véhiculer les mêmes
idées en mettant en avant les « films de gauche » aux dépens
des autres, c’est-à-dire les films définis comme
divertissement et méprisés comme tels – ce qui revient, dès
lors, à faire la distinction, au sein même de la Lianhua,
entre les films produits au studio 2 et ceux produits au
studio 1 par
Li Minwei (黎民伟)
et
Luo Mingyou (罗明佑),
considérés par Cheng Jihua comme réactionnaires (ils ont été
contraints de démissionner en 1936).
Une
nouvelle approche tend aujourd’hui à distinguer hard films (yìngxìng
dianying
硬性电影)
et soft films (ruǎnxìng
dianying
软性电影),
selon une terminologie qui n’est pourtant pas neuve car elle
remonte à… décembre 1933, dans un article publié dans la
revue Modern Screen (现代电影)
par le critique cinématographique Huang Jiamo (黄嘉谟) ;
mettant l’accent sur les « soft films » comme comédies
satiriques, il donnait comme modèle le film de 1936
« Tomboy » (《化身姑娘》)
de Fang Peilin (方沛霖).
En fait, même les « films de gauche » de la même époque sont
souvent des tragicomédies d’où l’humour n’est pas absent. La
période de « l’Île orpheline », pendant la guerre à
Shanghai, puis les années d’après-guerre (1945-1949), seront
une grande période de comédies légères, prisées du public
- et non des moindres, tel « Vive ma femme » (《太太万岁》)
de 1947 réalisé par
Sang Hu (桑弧)
à la Wenhua sur un scénario de … Zhang Ailing (张爱玲).
Il est
donc extrêmement réducteur de limiter les films des années
1930 et 1940 au « hardcore » de la vulgate communiste et des
distinctions entre hard et soft. L’un des plus beaux films
qui nous soit resté de ces années-là est le crépusculaire «
Chant de minuit » (《夜半歌声》)
de
Ma-Xu Weibang (马徐维邦),
sorti en février 1937.
La
troisième génération 第三代
:
les
années Mao (1949-1966)
Tous
ces brillants réalisateurs sont balayés lors de
l’instauration du régime maoïste. Mao Zedong considère le
cinéma comme un outil de propagande, comme Lénine et Staline
avant lui, et ce dès Yan’an. L’une de ses premières
priorités en arrivant au pouvoir est donc de mettre la main
sur les studios. La troisième génération devait être
révolutionnaire ou ne pas être, comme l’a dit l’autre
historien du cinéma chinois Meng Liye (孟犁野)
dans son « Esquisse d’une histoire de l’art
cinématographique de la Chine nouvelle (1949-1966) » (《新中国电影艺术史稿》)
publiée en 2002 : « Ils [cette troisième génération] se
considéraient d’abord et avant tout comme des
révolutionnaires. Aucun autre groupe d’artistes n’a mis en
œuvre la volonté des dirigeants et du Parti de manière aussi
indéfectible que les cinéastes chinois des années 1950 et
1960. » Et en outre, c’est la première génération où l’on
compte des réalisatrices à part entière, dûment cataloguées.
Cependant, ces cinéastes partagent avec les réalisateurs de
la génération suivante la triste expérience d’avoir vu leur
talent sacrifié par la Révolution culturelle.
Malgré
la forte empreinte idéologique, le cinéma de cette période
n’est cependant pas monolithique, bien que tout soit
planifié, les contenus devant répondre aux objectifs du
Parti. En 1950, le Bureau du cinéma annonce la première
planification annuelle de la production, renouvelée ensuite
chaque année jusqu’en 1966. Par exemple, le plan élaboré
pour l'année 1951 prévoyait la production de 18 films de
fiction couvrant les points essentiels de la vie politique :
les affaires militaires, la construction socialiste
(agriculture et industrie), la doctrine anti-américaine,
etc. Ce plan structurait également les méthodes d'écriture
des scénarios et de réalisation des films en précisant en
détail les délais et procédures. L’administration centrale
ne contrôlait cependant pas totalement le processus de
création d’un film, car la planification était souvent
battue en brèche par une campagne politique ou une autre, si
bien qu’un film planifié pouvait finalement se trouver
interdit.
On
peut classer les films de cette « génération » en cinq
périodes représentant des thématiques différentes :
1. 1949-1952 :
dans le contexte général de reprise économique, émergence du
studio de Changchun (长春电影集团公司)
comme studio central.
Thème dominant : les héros révolutionnaires.
Film
représentatif : « Filles
de Chine » (《中华女儿》),
premier film du grand réalisateur
Ling Zifeng
(凌子风),
fondé sur l’histoire vraie d’un groupe de huit femmes
soldates qui se sont sacrifiées plutôt que de se rendre aux
Japonais. Sorti en 1949, le film est primé l’année suivante
au festival de Karlovy Vary. Ling Zifeng tourne deux autres
films en 1956 et 1960, puis il est réduit au silence par la
Révolution culturelle avant de reprendre aussitôt après. Il
n’aura le temps de faire que cinq films de 1981 à sa mort en
1999. Ce sont cinq superbes adaptations d’œuvres littéraires
qui sont concomitantes d’autres films de la quatrième
génération et des débuts de la cinquième.
2. 1952-1957 :
sur fond de campagne contre
« La vie de Wu Xun » (《武训传》)
et de
lutte contre les droitiers, renaissance des studios de
Shanghai.
Films
représentatifs :
- « La
Lettre à Plumes » (《鸡毛信》),
du génial
Shi Hui
(石挥),
ici assisté du tout jeune
Xie Jin (谢晋),
également de la troisième génération. Sorti en 1954, c’ est
l’un des premiers films pour enfants de la République
populaire, imprégné de ferveur révolutionnaire sans être
pesant. C’était après « Ma
vie » (《我这一辈子》),
adapté en 1950 de la nouvelle de Lao She, qui est le
chef-d’œuvre de ce réalisateur trop tôt disparu, victime du
mouvement anti-droitiste (en novembre 1957).
-
Juste avant le déclenchement de cette campagne, en 1957,
sort « Le Journal d’une infirmière » (《护士日记》)
de Tao Jin (陶金),
qui a pour caractéristique étonnante de témoigner d’une
fugace renaissance du star system, le rôle principal étant
interprété par la grande actrice Wang Danfeng (王丹凤).
-
Surtout, 1957 voit la sortie de « C’est
arrivé à Liu Bao » (《柳堡的故事》),
deuxième film de la réalisatrice
Wang Ping
(王萍)
: film produit par le Studio du 1er août, fondé
en 1952, qui évoque le renversement du « féodalisme » dans
un village, mais aussi la question de l’égalité entre les
sexes. Ancienne actrice de théâtre, Wang Ping est l’une des
grandes cinéastes de la période maoïste, mais même après. On
la retrouve en 1962 avec ce qui est sans doute son chef
d’œuvre : « Le
Village des acacias » (《槐树庄》).
- Mais
aussi, en décalage sur son temps, le chef-d’œuvre de
Sang Hu (桑弧)
qui fut un grand succès à sa sortie en 1954 : « Liang
Shanbo et Zhu Yingtai » (《梁山伯与祝英台》),
film d’opéra quasi surréel pour l’époque.
3. 1958-1960 :
le Grand Bond en avant, également au cinéma, avec la
création de sept nouveaux studios et la production de 189
films en 1958-1959, soit plus que la production des huit
années précédentes. Dont plusieurs films épiques sortis pour
le 10e anniversaire de la République populaire.
Films
représentatifs :
-
« Lin Zexu » (《林则徐》),
drame historique inspiré de la Première guerre de l’opium
sorti en 1959, coréalisé par
Zheng Junli (郑君里),
un ancien de la Lianhua, et
Cen Fan (岑范),
avec le grand Zhao Dan (赵丹)
dans le rôle principal.
- Et,
en 1959, l’adaptation du roman emblématique de l’écrivaine
Yang Mo (杨沫)
« Le
Chant de la jeunesse » (《青春之歌》)
par deux réalisateurs dont c’était le premier travail en
commun : Cui Wei (崔嵬)
et
Chen Huai’ai (陈怀皑).
4. 1961-1965 :
bref âge d’or du cinéma, porté par la nécessité de redonner
le moral à la population après la terrible épreuve de la
Grande Famine. C’est une brève efflorescence avant la
rupture brutale de la Révolution culturelle.
Films
et réalisateurs représentatifs :
- «
Li Shuangshuang » (《李双双》),
de Lu Ren (鲁韧),
adapté d’une nouvelle de Li Zhun (李准)
– tour de force de dépeindre en 1962 le Grand Bond en avant
avec tout l’idéalisme de ses débuts.
- de
Xie Jin (谢晋),
outre « Le Détachement féminin rouge » (《红色娘子军》)
en 1961,
« Sœurs de scène » (《舞台姐妹》)
en 1965, qui vaudra au réalisateur les foudres de la censure
pour sa vision humaniste.
- de
même que « Février,
printemps précoce » (《早春二月》)
de
Xie Tieli
(谢铁骊),
le chef-d’œuvre de la période, remarquable autant par la
mise en scène que l’interprétation des acteurs et actrices,
et qui restera un modèle jusque dans les années 1980.
Xie
Jin et Xie Tieli joueront un rôle important pour préserver
les acquis et les talents de leur génération pendant la
Révolution culturelle, tout en répondant aux directives de
Jiang Qing. En grande partie grâce à eux,
les films de fiction reprennent dès 1974.
Dont
« Chunmiao » (《春苗》)
de
Xie Jin
(谢晋)
sorti
en 1975.
La
quatrième génération 第四代
:
à
partir de 1979
Si la
troisième génération a tant bien que mal survécu à la
Révolution culturelle, celle-ci a brutalement coupé l’herbe
sous les pieds de la génération suivante, ces jeunes
cinéastes en herbe qui avaient terminé leurs études quand
elle a commencé et qui n’ont pu passer derrière la caméra
que dix ans plus tard. On a parlé de « Printemps tardif » en
paraphrasant le film de Xie Tieli. Leur véritable explosion
créative a coïncidé avec un retour à une société plus
humaine après dix ans de mouvements politiques de masse, une
société en transition comme eux-mêmes.
Ils
étaient restés coupés du monde, si bien que leur premier
soin, dès la fin des années 1970, a été de « moderniser le
langage cinématographique », comme le titrait
l’article historique
publié par
Zhang Nuanxin
(张暖忻)
en 1979 – Zhang Nuanxin qui était l’assistante de Xie Jin
lors du tournage de « Chunmiao » et dont le film
« Sha’ou »,
ou « The
Drive to Win » (《沙鸥》), sorti
en 1981, apparaît comme un manifeste de cette génération.
Mais
leur émergence derrière la caméra coïncide avec celle de la
« cinquième génération », si bien qu’ils ont longtemps été
négligés et qu’il faudra longtemps pour que l’on redécouvre
la beauté de leurs films, sortis dans les années 1980 et
1990 comme des parents pauvres. Encore aujourd’hui, beaucoup
sont inconnus : doublement sacrifiés. Mais leurs films
reflètent un profond idéal d’humanisme qui résonne encore
tout spécialement aujourd’hui, et souvent en lien avec la
littérature.
Parmi
les célébrités et leurs films :
-
Yang Yanjin (杨延晋),
dont le premier film, en 1979, « Le sourire de l’homme
tourmenté » (《苦恼人的笑》),
est représentatif du mouvement cinématographique parallèle à
celui de la « littérature des cicatrices » (伤痕文学).
-
Yan Xueshu (颜学恕),
surtout connu pour son film de 1986 « Dans
les montagnes sauvages » (《野山》),
adapté, de manière très personnelle, d’une nouvelle de
Jia Pingwa (贾平凹).
-
Huang Jianzhong (黄健中),
réalisateur du film-culte de 1979 « Little Flower » (《小花》),
mais aussi et surtout, en 1982, de cette œuvre superbe,
fustigée en son temps, qu’est « Le Talisman » ou
« As you Wish » (《如意》),
adapté
d’une nouvelle de
Liu Xinwu (刘心武).
Réalisateur dont il faudrait peut-être redécouvrir le « Yin
Shi » (《银饰》)
de 2005 (« Silver Ornaments »), sur la femme d’un homosexuel
dans la Chine des années 1920, mais qui pourrait aussi bien
être aujourd’hui.
-
Teng Wenji (滕文骥),
auteur en 1988 du superbe « Roi
des échecs » (《棋王》)
adapté de la nouvelle
d’A Cheng (阿城)
et un an plus tard de « Ballad of the Yellow River » (《黄河谣》)
considéré comme le sommet de sa carrière.
-
Xie Fei
(谢飞),
disciple de Xie Tieli, dont la carrière n’a débuté qu’en
1978, à la réouverture de l’Institut du cinéma de Pékin,
quand il s’est retrouvé professeur d’une bande de jeunes qui
ne voulaient surtout pas de cet héritage-là. Son adaptation
en 1986 de la nouvelle éponyme de
Shen Congwen (沈从文)
« La jeune fille Xiaoxiao » (《湘女萧萧》)
est pourtant l’un des chefs-d’œuvre des années 1980, tandis
que « Les femmes du lac aux
âmes parfumées » (《香魂女》)
est couronné d’un Ours d’or au festival de Berlin en 1993.
- sans
oublier
Xie Jin
(谢晋)
et son
« Gardien
de chevaux » (Mumaren《牧马人》),
adapté de « L’âme et la chair » (《灵与肉》)
de
Zhang Xianliang (张贤亮).
-
ni
Huo Jianqi (霍建起),
et son « Postmen
in the Mountains » (《那山,那人,那狗》) sorti
en 1999, d’après une nouvelle éponyme de 1982. Cas atypique
d’un réalisateur pourtant sorti de l’Institut du cinéma de
Pékin en 1982, mais proche de la quatrième génération par
son esthétique.
Cette
génération comprend aussi plusieurs réalisatrices :
-
Wang Haowei (王好为),
sortie de l’Institut du cinéma de Pékin en 1962, assistante
de réalisation sur le tournage du grand classique de la fin
de la Révolution culturelle :
« Haixia » (《海霞》).
Réalisatrice en particulier de « O Xiangxue » (《哦,香雪》)
adapté de la nouvelle éponyme de
Tie Ning (铁凝),
avec dans le rôle principal, comme un clin d’œil, l’actrice
Xue Bai (薛白)
qui interprète le rôle de Cuiqiao dans
« La
Terre jaune » (《黄土地》).
-
Lu Xiaoya (陆小雅),
restée quasiment inconnue, sauf pour son « Girl in Red » (《红衣少女》)
de 1985, satire sociale où percent les émotions et
frustrations de la réalisatrice.
-
Wang Junzheng (王君正)
dont deux films, de 1986 et 1992, ont été sélectionnés et
programmés au Festival du film de femmes de Créteil : « La
Première femme de la forêt » (《山林中头一个女人》),
en 1991 et « Le Message du ciel » (《天堂回信》),
en 1997.
- et
Huang Shuqin
(黄蜀芹),
réalisatrice en 1987 d’un chef-d’œuvre intemporel,
« Woman, Demon, Human » (《人.鬼.情》),
réflexion profonde sur la condition de la femme en Chine, et
plus particulièrement celle des femmes artistes dans un
monde en transition, entre tradition et modernité.
Cette
quatrième génération a donc émergé peu de temps avant la
cinquième, et a continué à faire des films jusque dans les
années 2000, en même temps, en outre, que la sixième
génération. Il n’y a désormais plus de frontières quasiment
étanches entre générations, des frontières nées des hasards
de l’histoire, mais un chevauchement constant, sans malgré
tout influer sur les styles.
La
cinquième génération 第五代
:
la
promotion de 1982 et ses lendemains
Définie
comme celle sortie en 1982 de l’Institut du cinéma de Pékin,
la cinquième génération (née dans les années 1950) s’affirme
dès l’abord comme volonté de rupture radicale avec le passé,
rupture déclinée en termes d’innovations esthétiques autant
que thématiques et narratives. Malgré tout, les cinéastes de
cette génération restent dans la ligne des traditions
conceptuelles et esthétiques socialistes, avec des
thématiques rurales faisant écho aux visions de Mao, même
s’ils leur confèrent une dimension épique et si leur palette
de couleurs allie les rouges aux teintes ocres du lœss.
Autant de traditions que leurs successeurs de la génération
suivante vont rejeter en bloc en choisissant pour leurs
films le cadre de la ville et une vision dégagée de tout
romantisme.
Cependant, ici encore, il faut distinguer les débuts, dans
les années 1980, et la suite, après la coupure de 1989 et
l’ouverture vers l’économie de marché, avec une orientation
vers les grosses productions commerciales, en particulier
les films historiques et les films de wuxia. C’est
Zhang Yimou le premier qui a commencé à affirmer au milieu
des années 1990 que, dans le monde globalisé où la Chine
entrait, il ne suffisait plus de quelques réalisateurs
choyés et primés par les festivals étrangers, que le pays
avait besoin d’une « industrie » du cinéma viable
commercialement et capable de produire aussi bien des
blockbusters à la mode hollywoodienne que des films
artistiques pour cinéphiles. Il répondait là à la pression
des circonstances et du marché, le cinéma chinois étant
confronté à une baisse dramatique de son public, attiré par
la télévision et privé de l’encadrement des
danwei.
C’est désormais la loi du box-office - et de la ligne
idéologique - qui va s’imposer, au moins aux grands
réalisateurs. L’histoire de la cinquième génération est donc
une histoire en deux temps.
Wu Tianming
(吴天明)
incarne la transition entre la quatrième et la cinquième
génération, classé dans la quatrième par définition, en
quelque sorte, mais considéré comme le parrain de la
cinquième : il a en effet terminé en 1962 sa formation
d’acteur au studio de Xi’an, puis a fait partie de la
promotion de 1982 de l’Institut du cinéma de Pékin
Il a
été assistant de
Teng Wenji (滕文骥)
en 1979 et 1980, et son film
« Le Vieux puits » (《老井》), en
1986, apparaît comme une sorte de passage de relais. Il a
ensuite été producteur des grands films des années 1980 de
la cinquième génération :
« Le Voleur de chevaux » (《盗马贼》) de Tian
Zhuangzhuang
(田壮壮) en
1986,
« L’Affaire du canon noir » (《黑炮事件》),
premier film de Huang
Jianxin
(黄建新),
l’année suivante, et, également en 1987, « Le
Roi des enfants » (《孩子王》) de Chen
Kaige (陈凯歌)
qui
fait le pendant du « Roi des échecs » de
Teng Wenji.
Dynamique brisée par les événements de Tian’anmen qui ont
obligé Wu Tianming à s’exiler aux Etats-Unis.
« Le roi des masques » (《变脸》)
réalisé à son retour, mais à Hong Kong, et primé au festival
de Tokyo en 1995, apparaît ainsi comme ayant valeur
testamentaire, de même que son rôle de vieil homme atteint
d’un cancer mais montant un spectacle avec ses
co-pensionnaires dans le « Full Circle » (《飞越老人院》)
de
Zhang Yang (张扬)
–
hommage de la sixième génération à la cinquième.
Deux films fondateurs :
- « One
and Eight » (《一个和八个》),
véritable film-manifesto de la cinquième génération, sorti
après « La Terre jaune » mais né, dès avril 1982, des
hasards de l’affectation d’un groupe de cinq jeunes au
Studio du Guangxi à Nanning, loin de la capitale, dont en
particulier
Zhang Junzhao
(张军钊)
pour la réalisation et
Zhang Yimou
(张艺谋)
pour
la photographie. Ils compensèrent leur frustration en
faisant de cet exil loin de la capitale l’occasion inespérée
de mettre en œuvre leurs idées, en donnant priorité absolue
au visuel.
-
Même idée pour « La
Terre jaune » (《黄土地》),
réalisé par
Chen Kaige
(陈凯歌)
avec de nouveau
Zhang Yimou (张艺谋)
pour
la photographie, également tourné au studio du Guangxi :
c’est l’image qui prime, une véritable rhétorique visuelle
alliée à la musique, pour faire du film un document vibrant,
d’une grande authenticité, structuré autour de l’impression
laissée par l’image du fleuve et la volonté de subversion du
mélodrame traditionnel.
Les
grands réalisateurs et grands classiques (années 1980 et
1990)
(avec
une forte proportion d’adaptations littéraires)
-
Zhang Yimou
(张艺谋) :
« Le
Sorgho rouge » (《红高粱》)
1987, « Judou »
(《菊豆》)
1990, « Qiu
Ju » (《秋菊打官司》)
1992, « Vivre »
(《活着》),
1994.
-
Chen Kaige (陈凯歌) :
« Le Roi des enfants » (《孩子王》) 1987,
« La vie sur un fil » (《边走边唱》) 1991,
« Adieu
ma concubine » (《霸王别姬》) 1993.
-
Tian Zhuangzhuang
(田壮壮) :
« « Le
voleur de chevaux » (《盗马贼》)
1986,
« Le Cerf-volant bleu » (《蓝风筝》)
1993.
Les
grosses productions, films historiques et de wuxia (à
partir de 2000)
-
Zhang Yimou
(张艺谋) :
« Hero »
(《英雄》)
2002, « La Cité interdite » (《满城尽带黄金甲》)
2007, « Full
River Red » (《满江红》)
2023.
-
Chen Kaige (陈凯歌) :
« L'Empereur et l'Assassin » (《荆柯刺秦王》)
1999, « Sacrifice » ou « L’Orphelin
de la famille Zhao » (《赵氏孤儿》)
2010, « Monk
Comes Down the Mountain » (《道士下山》)
2013.
Autres réalisateurs :
-
Gu Changwei
(顾长卫),
longtemps chef opérateur des grands de sa génération, mais
qui s’est affirmé réalisateur de talent avec « Le
Paon » (《孔雀》),
Ours d’argent à la Berlinale en 2005. Son deuxième film,
« Lichun » (《立春》)
ou « Le premier souffle du printemps », mériterait d’être
mieux connu, ne serait-ce que pour l’interprétation de
Jiang Wenli (蒋雯丽).
-
Hou Yong (侯咏)
lui aussi plus connu comme chef opérateur, mais à noter pour
son deuxième film,
« Jasmine Women » (《茉莉花开》),
adapté d’une nouvelle de Su Tong (苏童),
avec
Tian Zhuangzhuang
comme producteur exécutif, Joan
Chen (陈冲) et
Zhang Ziyi (章子怡)
dans les principaux rôles.
- Et
pour mémoire :
Lü
Yue (吕乐),
lui aussi chef opérateur, passé derrière la caméra en 1998
avec une comédie noire inattendue, et en 2006 un quatrième
film original,
« Thirteen Princess Trees » (《十三棵泡桐》),
malheureusement abîmé par la censure.
Apparentés mais inclassables :
- non
passé par l’Institut du cinéma :
He Ping
(何平),
maître du wuxia-western (trilogie des années 1990) et
réalisateur d’une formidable superproduction sur fond de
reconstitution de la période des Royaumes combattants,
réflexion stylisée sur la folie destructrice des guerres :
« Wheat » (《麦田》),
sorti en 2009.
- né
en 1963, sorti de l’Institut du cinéma en 1984 et d’abord
acteur :
Jiang Wen
(姜文).
« In
the Heat of the Sun » (《阳光灿烂的日子》) 1994, « Le
soleil se lève aussi » (《太阳照常升起》)
2006, « Let the Bullets Fly » (《让子弹飞》)
2010.
Et
aussi cinq réalisatrices :
-
Hu Mei
(胡玫)
qui a coréalisé en 1984 le premier film après la Révolution
culturelle à traiter de la vie d’une femme, conté en voice
over, d’un point de vue féminin : « Army Nurse » (《女儿楼》).
Mais la vie n’a pas été facile pour elle. En 2010, elle a
sorti sous la houlette de China Film un
« Confucius » (《孔子》)
qui
montre juste à quelle pression elle a pu être soumise et
fait d’autant plus apprécier l’admirable
« Confucius » (《孔夫子》), de
Fei Mu (费穆)
sorti en 1940.
-
Li Shaohong
(李少红) :
l’une des premières de sa génération à avoir réalisé des
films sur la réalité urbaine et les mentalités de la classe
moyenne, à partir de son « Family Portrait » (《四十不惑》),
sur un scénario de
Liu Heng (刘恒)
– film précurseur sorti en août 1992 au festival de
Locarno où il a remporté le prix FIPRESCI. Mais son film le
plus remarquable est le suivant,
« Blush » (《红粉》), adapté
de la nouvelle « Hongfen » (《红粉》)
de Su
Tong (苏童),
Ours d’argent à la Berlinale en 1995.
-
Ning Ying
(宁瀛) :
autre observatrice de la réalité urbaine avec sa « trilogie
de Pékin », remarquable pour son film de 2005
« Perpetual Motion » (《无穷动》),
petit chef-d’œuvre d’humour décapant et réjouissant,
portrait de quatre femmes médiatiques, libérées des
contraintes sociales usuelles… mais qui lui a valu un
véritable purgatoire.
-
Peng Xiaolian
(彭小莲) :
shanghaïenne, et réalisatrice d’une « trilogie de
Shanghai », mais aussi d’un film basé sur son expérience
personnelle, « Women’s Story » (《女人的故事》),
sorti en 1987. Auteure d’essais sur le cinéma,
malheureusement emportée par la maladie en 2019.
-
Liu Miaomiao
(刘苗苗) :
benjamine de la promotion de 1982 qui a réalisé un superbe
film sur « Les femmes dans la Longue Marche » (《马蹄声碎》),
son premier long métrage, sorti en 1987. Affectée par la
mort de sa mère, puis de son frère, souffrant de dépression,
elle est retournée dans son Ningxia natal et prépare un film
sur la vie et la culture locales, en collaboration avec
l’écrivain hui
Shi Shuqing (石舒清).
La
sixième génération
第六代
ou
Urban Generation : à partir de 1990
Avec
cette sixième génération, on atteint les limites du modèle.
C’est une toute autre manière de filmer que celle de ces
jeunes, nés pour la plupart dans les années 1960, qui
débarquent caméra au poing au tout début des années 1990,
portés par la vague des caméras numériques qui leur
permettent de s’affranchir de la tutelle des studios d’Etat.
C’est le début du
« cinéma indépendant »
qui traduisait surtout un état d’esprit, une revendication
de liberté et une philosophie de la vie, et dont
Zhang Yuan (张元)
apparaît comme le pionnier, lui-même d’ailleurs sorti de
l’Institut du cinéma de Pékin, en juin 1989. La plupart en
sont sortis en 1991, mais les formations se sont
diversifiées elles aussi ; certains réalisateurs sont sortis
par exemple de l’Institut central d’art dramatique de Pékin
(中央戏剧学院),
tel ce petit groupe qui au départ a travaillé ensemble à
l’écriture de scénarios : Zhang
Yang (张扬), Cai
Shangjun (蔡尚君),
Liu Fendou
(刘奋斗) et Diao
Yinan (刁亦男).
Autre
différence avec leurs prédécesseurs, ce sont des cinéastes
de la ville, qui filment leur quotidien dans un style
semi-documentaire : on les a appelés « The Urban
Generation ».
Cependant, au-delà de ces quelques points communs, avec eux
le modèle générationnel s’effrite ; il est apparu dès 1995
que cette nouvelle génération avait des styles très variés,
sans conceptions esthétiques communes, et que leur seul
similarité était de se positionner comme jeunes urbains
documentant la ville. Vu la diversité des styles et des
personnalités, il semblait inadéquat de continuer à leur
appliquer la classification de « génération », mais
« sixième génération » est restée dans la nomenclature
courante, faute de mieux, par habitude et analogie.
Et
tandis que la quatrième génération continuait à faire des
films en même temps que la cinquième, et que celle-ci
évoluait sous la pression des circonstances, la « sixième
génération » est venue compliquer le tableau, et ce d’autant
plus que, à la suite de l’entrée de la Chine dans
l’Organisation mondiale du commerce, le cinéma chinois s’est
trouvé aux prises avec la concurrence frontale du cinéma
hollywoodien, entraînant en retour en Chine l’ouverture de
la production et l’autorisation des compagnies privées.
C’était la fin du monopole des grands studios d’État et le
début d’une ère totalement différente, avec un cinéma
dépendant des diktats du box-office.
La
sixième génération est ainsi passée par trois phases
successives : explosion, transformation, dissipation.
-
1990-2003 : explosion d’expériences individuelles
authentiques, un cinéma de vies fragmentées et marginales
réalisé avec des tout petits budgets contre le grand récit
mythico-national de la génération précédente. A la fin des
années 1990, Jia Zhangke parle d’ « ère du cinéma amateur ».
-
2003-2008 : rapprochement avec la culture et les techniques
mainstream, avec disparition du label indépendant. Début
2004,
« Beijing Bicycle » (《十七岁的单车》)
passe
la censure. Fin de la marginalité : après la rébellion,
coopération et orientation vers les goûts du marché, mais
sans cesser l’exploration de styles innovants avec pour
objectif la création d’un art accessible aux masses.
- À
partir de 2009 : exploitation de toutes les possibilités de
survie par le marché et les films commerciaux.
2011 :
épuisement du label,
mais renouvellement des inspirations individuelles.
Avec
le recul, la « sixième génération » apparaît ainsi, encore
une fois, comme une génération en évolution constante, avec
des alternances d’ouverture et de reprise en main par le
système, vers un cinéma aujourd’hui étroitement régi à la
fois par le box-office et par la nécessité de se conformer
au discours officiel, bien au-delà de toute idée
d’ « indépendance ».
Arrivé
sur les talons du véritable pionnier qu’a été
Zhang
Yuan, c’est
Jia Zhangke
(贾樟柯)
qui a contribué à définir les principaux axes esthétiques et
thématiques de cette génération avec son premier long
métrage, ouvertement en rupture avec la « cinquième
génération » : « Xiaowu » (《小武》),
en 1997, suivi en 2000 de « Platform » (《站台》)
qu’il avait cependant achevé de tourner deux ans auparavant.
On peut considérer ces deux films comme le manifeste de la
génération. La grande période créative de Jia Zhangke
s’achève à la fin des années 2000, avec de superbes
documentaires autant que des films de fiction, le
chef-d’œuvre, en termes stylistiques, étant sans doute, à
côté de « Still
Life (《三峡好人》)
en 2006, le trop méconnu « 24
City » (《二十四城记》),
en 2008 : réflexion sur l’histoire où la fiction se fond
dans le réel, à la fois critique sociale et recherche sur la
mémoire qui vont dominer la production du réalisateur.
À
partir de là, la « sixième génération » se ramifie en autant
de styles que de personnalités. Dans son ouvrage sur « The
Urban Generation » qui date de 2007, Zhang Zhen recense pas
moins de 25 réalisateurs de fiction (dont Jia Zhangke, et
seulement deux réalisatrices),
et 7 grands documentaristes. Le problème est aujourd’hui
d’actualiser cette liste en se demandant à quelle date
s’arrêter… Le concept de génération n’a plus cours, mais on
n’a rien trouvé pour le remplacer. En attendant, la sixième
génération est toujours active, tout autant que la
cinquième ; simplement, ce ne sont plus tout à fait les
mêmes. Quelques grandes personnalités émergent qui
continuent à réaliser des films, pour beaucoup en
réussissant à investir le cinéma grand public tout en
conservant leurs exigences artistiques ; aux réalisateurs de
films de fiction il convient ici d’ajouter les
documentaristes qui ont été déterminants par l’influence
exercée sur le style des débuts de cette génération, mais
dont le métier est de plus en plus difficile.
Fiction
-
Zhang Yang (张扬) :
l’un des premiers de cette génération à remporter du succès
auprès du grand public, et dès son premier film : « Spicy
Love Soup » (《爱情麻辣烫》),
en 1997. Succès renouvelé avec « Shower » (《洗澡》)
deux ans plus tard, puis
« Getting Home »
(《落叶归根》)
en 2006 et « Full Circle » (《飞越老人院》)
en 2012. Il est le maître de la comédie.
-
Zhang Ming (章明) :
réalisateur de l’un des films-clés de la 6e
génération, sorti en 1996 :
« Rain Clouds over Wushan » (《 巫山云雨》),
pourtant coproduit par
Tian Zhuangzhuang (田壮壮) …
et Han Sanping (韩三平)
qui était alors le grand chef de China Film, ce qui n’a pas
empêché le film d’être interdit pour ne pas avoir respecté
la (nouvelle) réglementation des visas d’exportation. Zhang
Ming a ensuite réalisé grâce à des fonds privés un film très
original sorti en 2008 : « The Bride » (《新娘》).
Ses deux derniers films, pourtant très différents, sont
encore des réussites :
« The Pluto Moment » (《冥王星时刻》) présenté
à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes en mai
2018 et
« Hot Soup » (《热汤》)
sorti en décembre 2020.
-
Zhang Yibai (张一白) :
lui aussi réalisateur d’un premier film remarqué en son
temps, « Spring Subway » (《开往春天的地铁》),
en 2002, mais qui n’a pas réussi le passage au commercial.
-
Wang Quan’an (王全安) :
auteur d’un premier film qui fait date, en 1999 : « Éclipse
de lune » (《月蚀》),
primé à Moscou. Puis d’une série de films très réussis :
« L’histoire d’Ermei » (《惊蛰》)
en 2004, « Le Mariage de Tuya » (《图雅的婚事》),
Ours d’or à la Berlinale en 2007,
« Apart Together » (《团圆》),
Ours
d’argent à la Berlinale en 2010, et l’année suivante
« White Deer Plain » (《白鹿原》)
adapté
du roman de
Chen Zhongshi (陈忠实) et
de nouveau primé à Berlin…
-
Lou Ye (娄烨) :
l’un des premiers réalisateurs-culte de la 6e
génération avec « Suzhou River » (《苏州河》)
en 2000. En 2006, « Summer Palace », ou « Une jeunesse
chinoise » (《颐和园》)
lui vaut cinq ans d’interdiction de tournage en Chine. Il
continue à réaliser surtout pour le public étranger, avec
plus ou moins de succès, mais son dernier film, sur son
expérience du confinement à Wuhan pendant la crise du covid,
« An
Unfinished Film » (《一部未完成的电影》),
a été
unanimement applaudi à Cannes en mai 2024 et primé au Golden
Horse à Taipei six mois plus tard.
-
Diao Yinan (刁亦男) :
scénariste puis réalisateur reconverti en spécialiste du
film noir avec son grand succès de 2014
« Black Coal, Thin Ice » (《白日焰火》),
et cinq ans plus tard, selon la même recette mais plus
élaborée, « Le
Lac aux oies sauvages » (《南方车站的聚会》), en
sélection officielle au 72e festival de Cannes.
-
Cai Shangcun (蔡尚君) :
également scénariste puis réalisateur, découvert en 2007 au
festival de Busan avec « The
Red Awn » (《红色康拜因》)
et Lion d’argent à Venise en 2011 pour
« People
Mountain People Sea » ( 《人山人海》).
-
Wang Xiaoshuai (王小帅) :
figure de proue de la 6e génération qui a louvoyé
longtemps entre indépendance et retour dans le giron
officiel. Son premier grand succès est
« Beijing Bicycle » (《十七岁的单车》),
Ours
d’argent à la Berlinale en 2001. Puis
« Shanghai
Dreams » (《青红》),
prix
du jury à l’unanimité au festival de Cannes en 2005, est le
premier volet d’une trilogie poursuivie avec
« 11 Flowers » (《我11》)
en 2011 et
« Red Amnesia » (《闯入者》)
en
2014. Suivie d’une autre trilogie dont sont réalisés deux
volets :
« So Long, My Son » (《地久天长》)
en 2019 et, sorti à la Berlinale en février 2024, « Above
the Dust » (《沃土》) qui
évoque la Réforme agraire, sujet éminemment tabou qui a valu
au réalisateur d’être menacé de sanctions comme aux plus
belles heures de sa carrière.
-
Guan Hu (管虎) :
sorti de l’Institut du cinéma de Pékin en 1991, avec Wang
Xiaoshuai, mais qui ne pourrait pas être plus différent. Son
premier grand film est une tragi-comédie loufoque, « Cow »
(《斗牛》),
cyclo d’or à Vesoul en 2010. Mais il a montré ensuite qu’il
peut toucher à tous les styles et tous les genres, en les
mêlant brillamment : satire socio-politique et pseudo-film
d’action avec « Mr.
Six » (《老炮儿》)
en 2015, film de guerre avec
« Les 800 » (《八佰》).en
2020, et film noir satirique avec « Black
Dog » (《狗阵》),
primé à Cannes en mai 2024 dans la section « Un certain
regard ».
Documentaristes
-
Wu Wenguang (吴文光) :
pionnier, avec en 1990 « Bumming in Beijing : the Last
Dreamers » (《流浪北京:最后的梦想者》),
de la Nouvelle Vague du documentaire indépendant chinois qui
s’est développée au début des années 1990, avec des
documentaires sur les marginaux du miracle économique
chinois qui ont exercé une profonde influence sur la 6e
génération. Il continue à mener deux projets collectifs : le
Villager Documentary Project et le Folk Memory Documentary
Project.
Toute
la génération des documentaristes nés dans les années 1960
et 1970 découle de son travail.
Après 2010 : hétérotopies
Aujourd’hui, on ne peut plus parler de génération. Les
notions de cinquième et de sixième générations elles-mêmes
ne valent que pour leur élan initial, reflétant une volonté
de rupture avec la génération précédente. Mais le mouvement
évolue ensuite, et les distinctions perdent leur sens sur la
longue période, au profit de styles et de talents
personnels.
Le
cinéma chinois peut aujourd’hui se définir comme
hétérotopies, au sens foucaldien du terme : des « espaces
autres », espaces qui hébergent l’imaginaire selon des
formes variables à l’infini. On pourrait désigner les
réalisateurs en se référant à leur âge, comme en
littérature : après les « post’80 », on en est aux
« post’90 »… Mais on peut aussi voir émerger des
distinctions régionales, regroupant à la fois écrivains et
cinéastes dans un même lieu de création offrant des
caractéristiques spécifiques fondées sur l’histoire et la
culture locales, distinctions spatio-temporelles qui, comme
hétérotopies, peuvent se juxtaposer et se modifier dans le
temps.
Il
reste à en faire l’histoire.
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