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Petite histoire du cinéma chinois :

de générations en hétérotopies

par Brigitte Duzan, 23 février 2025

 

On a coutume de classer les cinéastes chinois[1] par « générations », de même que les empereurs sont classés par dynasties. C’est une forme de périodisation de l’histoire du cinéma[2] qui a été critiquée pour reposer sur l’idée de rupture, comme si l’histoire chinoise était découpée en une série de phases historiques bien tranchées, n’ayant aucun rapport les unes avec les autres. Mais c’est une classification pratique, désormais entrée dans les mœurs, et les manuels, et qui renvoie à la notion universelle de Nouvelle Vague.

 

Elle est en fait plus récente et artificielle qu’on ne le pense généralement. C’est en effet lorsque la cohorte de jeunes cinéastes désormais connus comme « la cinquième génération » est sortie de l’Institut du cinéma de Pékin en 1982 en revendiquant un style totalement différent de leurs prédécesseurs, et de leurs professeurs, que le terme de « cinquième génération » s’est soudain imposé. C’est alors que le groupe de réalisateurs (et réalisatrices) dont la carrière avait été interrompue par la Révolution culturelle et qui ont repris leurs activités ensuite ont été qualifiés, à rebours, de « quatrième génération ». Logiquement, les réalisateurs du cinéma chinois post’1949, aisément identifiables, sont devenus la troisième génération. Quant à la première et la deuxième génération, il faudra plus de temps pour qu’elles soient identifiées ; c’est a posteriori encore que la première génération sera définie comme celle du cinéma muet (donc années 1910-1930), tandis que la deuxième génération en est venue à couvrir ce qui reste (années 1930-1940). La sixième génération s’est imposée ensuite au début des années 1990 comme avant-garde néo-réaliste urbaine à la chinoise, tournant caméra au poing.

 

L’histoire du cinéma chinois apparaît ainsi comme une construction reflétant l’histoire nationale, sur le modèle des dynasties impériales et des ruptures imposées par les différentes révolutions, politiques comme celles de 1911 ou de 1949, ou techniques comme celle de la caméra numérique. Mais les périodes se chevauchent et un cinéaste comme Xie Jin (谢晋), classé « troisième génération », a continué à faire des films, et des films de référence, en parallèle avec ceux de la « cinquième génération », jusque dans les années 1990. Un film symbolique à cet égard pourrait être « Le Roi des masques » (《变脸》) de Wu Tianming (吴天明), classé dans la quatrième mais considéré comme le parrain de la cinquième génération : sorti en 1995, le film apparaît comme une réflexion sur l’importance de transmettre son art aux générations futures – y compris aux femmes d’ailleurs, en dépit de toute tradition établie.

 

La première génération 第一代 :

années 1910-1930

 

La première génération des cinéastes chinois est traditionnellement celle du cinéma muet, qui s’achève avec le premier film « sonore » de l’histoire du cinéma chinois, « La Chanteuse Pivoine rouge » (《歌女红牡丹》) de Zhang Shichuan (张石川) sorti en 1931. Ce qui ne veut pas dire que c’était totalement la fin du cinéma muet car il faudra encore quelque temps pour que les studios et les salles de cinéma investissent dans un nouveau, et coûteux, matériel, mais c’est certainement une époque charnière, et non seulement pour les nouvelles techniques : c’est aussi le tournant vers le cinéma dit « de gauche » qui sera celui de la période suivante.

 

§  Zhang Shichuan et la Mingxing

 

Cette première génération est celle des pionniers, c’est aussi celle des grands studios de Shanghai, et en particulier de la compagnie Mingxing (明星影片公司), celle justement qui a produit « La Chanteuse Pivoine rouge », créée en 1922 par Zhang Shichuan (张石川) et son inséparable comparse Zheng Zhengqiu (郑正秋). À eux deux, ils cumulent les « premières » : premier film de fiction chinois – « Un couple difficile » (《难夫难妻》) – en 1913 ; premier succès d’un film chinois en Chine - « L’orphelin sauve son grand-père » (《孤儿救祖记》) - en 1923 ;  premier film de wuxia et même série en dix-huit épisodes qui suscitera toute une vague de films du même genre - « L’incendie du monastère du Lotus rouge » (《火烧红莲寺》 ) en 1928-30. Et pour finir, premier film sonore, sur un scénario du dramaturge Hong Shen (洪深), marquant les liens de ce cinéma naissant avec le théâtre, un théâtre de gauche.

 

La période, en fait, ne s’achève pas vraiment avec les débuts du parlant, ni même avec la bataille de Shanghai, en août 1937, qui se solde par la victoire japonaise, l’occupation de Shanghai et la destruction des studios de la Mingxing par les bombardements japonais. Zhang Shichuan parviendra à sauver quelques « meubles » : il fonde une autre compagnie, la Guohua (国华影片公司), et continue de tourner, des films qui sont des chefs d’œuvre des années 1930, d’où émerge la voix de Zhou Xuan (周璇). Dans les années 1940, c’est le climat politique qui met fin à la carrière de ce réalisateur qui représente à lui seul la « première génération », bien au-delà des limites dans lesquelles on la circonscrit habituellement.

 

§  Li Minwei et la Minxin

 

Autre grande figure de cette première génération, Li Minwei (黎民伟) est considéré comme l’un des pères fondateurs du cinéma chinois (国片之父). Né au Japon et grandi à Hong Kong, il est représentatif des artistes chinois des années 1910, ouverts sur la culture occidentale à travers le Japon et Hong Kong, mais encore empreints de culture traditionnelle comme le montre son premier film, « Zhuangzi met son épouse à l’épreuve » (《庄子试妻》), réalisé en 1913, la même année donc que le premier film de Zhang Shichuan. D’abord le sujet est éminemment classique, mais son interprétation l’est également : c’est Li Minwei lui-même qui interprète le rôle de l’épouse de Zhuangzi.

 

 

 

Cependant, en rupture avec la tradition qui interdisait aux femmes de monter sur les planches aux côtés des acteurs, c’est une actrice qui interprète le rôle de la servante, la première épouse de Li Minwei, Yan Shanshan (严姗姗), devenue ainsi la première actrice du cinéma chinois.

 

 

En 1922, tandis que Zhang Shichuan fonde la Mingxing à Shanghai, Li Minwei fonde la Minxin (民新影片公司), à Hong Kong, avec ses deux frères, puis déménage à Shanghai en 1926. Le studio tourne avec la famille, comme une troupe de théâtre : les actrices sont les deux épouses de Li Minwei, Yan Shanshan et la seconde épouse Lin Chuchu (林楚楚), ainsi que la fille du chef opérateur, Li Dandan (李旦旦). En 1929, Li Minwei crée en outre une école de cinéma.

 

 

 

Le « clan » de Li Minwei à Hong Kong

(Li Minwei, debout à g., Yan Shanshan 3e à dr., Lin Chuchu 4° à g. et leurs enfants)

 

Il fait alors appel aux grandes figures du théâtre de l’époque, Ouyang Yuqian (欧阳予倩) , Bu Wancang (卜万苍), Hou Yao (侯曜), qui formeront ensuite l’ossature de la compagnie Lianhua (联华影业公司) que Li Minwei fonde avec Luo Mingyou (罗明佑) en août 1930 en y englobant les quatre principales compagnies du moment : compagnie emblématique du cinéma de gauche de la première moitié des années 1930, et qui marque donc la transition d’une « génération » à l’autre.

 

La deuxième génération 第二代 :

années 1930-1940

 

La fondation de la Lianhua marque donc un tournant dans le cinéma chinois, et le début de ce qu’on peut appeler la deuxième génération des cinéastes chinois, marqués par leur engagement « de gauche » aussi bien que par leurs ambitions modernistes et leurs exigences artistiques[3]. Leur programme n’est pas politique : il vise à la « renaissance des films nationaux » (fuxing guopian 复兴国片), alors fortement concurrencés par les films américains. Passionné de cinéma, Lu Xun dit ainsi dans son journal avoir vu 142 films entre 1927 et 1936, dont 121 films américains, et seulement 4 films chinois[4].

 

Humanisme « de gauche »

 

Dès sa fondation, la Lianhua attire les meilleurs scénaristes et les meilleurs réalisateurs : Sun Yu (孙瑜), Shi Dongshan (史东山), Cai Chusheng (蔡楚生), Bu Wancang (卜万苍), Wu Yonggang (吴永刚), Fei Mu (费穆)... Les films sont très variés : adaptations littéraires, mais pas seulement de classiques chinois, de Shakespeare ou de romans contemporains aussi, sujets actuels, problèmes de société et dénonciation de l’exploitation des femmes. La compagnie innove également sur le plan technique, Sun Yu (孙瑜) en particulier utilise les gros plans, les fondus enchaînés, les travellings, pour filmer par exemple la petite troupe d’enfants le long de la route au début de « La Rose sauvage » (《野玫瑰》) en 1932 ; il innove même avec des intertitres en baihua. C’est en même temps l’avènement du star-system, avec les grandes actrices qui incarnent des rôles de femmes emblématiques.

 

Mais la Mingxing n’est pas en reste : dans les années 1933-1934, elle produit des films réalisés sur des scénarios écrits par des dramaturges « de gauche » dont Xia Yan ( 夏衍) : ainsi « Le Torrent sauvage » (《狂流》) et « Les Vers à soie du printemps » (《春蚕》) de Cheng Bugao (程步高) en 1933, le second adapté de la nouvelle éponyme de Mao Dun (茅盾).

 

L’œuvre traditionnellement donnée pour emblématique de cette période est « Le Chant des pêcheurs » (《渔光曲》) de Cai Chusheng (蔡楚生), produit par la Lianhua, grand succès de l’année 1934. Mais la teneur des films a évolué avec l’entrée de communistes dans les studios, dans le contexte de la menace de guerre et de la montée progressive de l’idéologie communiste dans les cercles littéraires avec la création en mars 1930 d’une Ligue des écrivains de gauche (中国左翼作家联盟), doublée d’une Ligue des dramaturges de gauche fondée en septembre 1931[5].

 

La comparaison de deux films de Cai Chusheng montre d’emblée la différence d’orientation entre 1932 et 1934, d’un humanisme progressiste né des idéaux du 4 mai à une idéologie révolutionnaire mettant en scène des héroïnes politisées, voire asexuées :

-    Dans « Un rêve rose » (《粉红色的梦》), en 1932, construit comme un mélodrame assez classique, l’époux volage s’enfuit avec sa maîtresse ; sans se laisser abattre, la femme reconstruit sa vie et finit même par écrire le livre qui avait été commandé à son mari, ce qui lui permet de rembourser ses dettes, et plus.

-    En 1934, changement de registre avec « Femmes nouvelles » (《新女性》), (librement) inspiré du suicide de l’actrice Ai Xia (艾霞) : dans un rôle qui rappelle aussi « La Divine » (《神女》), la même année, Ruan Lingyu (阮铃玉) interprète une jeune mère abandonnée par son mari qui gagne sa vie comme professeur de musique ; elle tente de publier un livre mais l’éditeur ne la paie pas, et elle est renvoyée de l’école pour avoir repoussé les avances du directeur ; quand sa fille tombe malade, elle est obligée de se prostituer un soir, mais son client est son ancien directeur d’école ; désespérée, elle avale du poison. Pourtant les dernières images du film annoncent l’avènement d’une femme nouvelle, moderne, vouée à la lutte révolutionnaire, selon une idéologie de lutte collective et non individualiste[6].

 

Malgré tout, c’est l’humanisme qui prime, une sorte d’humanisme utopique fondé sur la fraternité dans les rapports humains, sans distinction de classe, comme dans « La Route » (《大路》) de Sun Yu (孙瑜) en 1934. Mais justement, Sun Yu en fera les frais après 1949, quand il sera violemment attaqué pour la morale « réactionnaire et féodale » de son film  « La vie de Wu Xun » (《武训传》) qui avait remporté un immense succès à sa sortie en février 1951.

 

Histoire à relativiser

 

L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, c’est le cas aussi de l’histoire du cinéma chinois, et on commence tout juste à la revoir, en particulier pour les années 1930. En effet, la vision que l’on a de cette période vient de « L’histoire du développement du cinéma chinois » (中国电影发展史), éditée sous la direction de Cheng Jihua (程季华), et publiée en 1963. En deux volumes, cette œuvre monumentale couvre la période 1896-1931 et traite de la production cinématographique chinoise d’un point de vue marxiste et maoïste, en particulier pour les films réalisés dans les années 1931-1937. Cette approche fait de l’histoire du cinéma une dérivée de l’histoire révolutionnaire de la Chine, en mettant l’accent sur la nécessité de sauvetage national et la lutte des classes, et en commençant par citer Lénine et Staline faisant du cinéma la forme artistique la plus importante et la plus populaire. C’était sans doute l’unique approche possible à l’époque, mais le livre a malgré tout été désapprouvé, et Cheng Jihua arrêté au début de la Révolution culturelle.

 

Une seconde édition du livre est cependant sortie en 1981, et là étonnamment, dans le climat d’ouverture, il a connu un grand succès. Cheng Jihua a été invité en 1983 à enseigner à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). Ce n’est que vers la fin des années 1990 que l’ouvrage a commencé à être contesté, mais aujourd’hui encore, faute d’études poussées sur le sujet, on continue à véhiculer les mêmes idées en mettant en avant les « films de gauche » aux dépens des autres, c’est-à-dire les films définis comme divertissement et méprisés comme tels – ce qui revient, dès lors, à faire la distinction, au sein même de la Lianhua, entre les films produits au studio 2 et ceux produits au studio 1 par Li Minwei (黎民伟) et Luo Mingyou (罗明佑), considérés par Cheng Jihua comme réactionnaires (ils ont été contraints de démissionner en 1936).

 

Une nouvelle approche tend aujourd’hui à distinguer hard films (yìngxìng dianying 硬性电影) et soft films (ruǎnxìng dianying 软性电影), selon une terminologie qui n’est pourtant pas neuve car elle remonte à… décembre 1933, dans un article publié dans la revue Modern Screen (现代电影) par le critique cinématographique Huang Jiamo (黄嘉谟)[7] ; mettant l’accent sur les « soft films » comme comédies satiriques, il donnait comme modèle le film de 1936 « Tomboy » (《化身姑娘》) de Fang Peilin (方沛霖). En fait, même les « films de gauche » de la même époque sont souvent des tragicomédies d’où l’humour n’est pas absent. La période de « l’Île orpheline », pendant la guerre à Shanghai, puis les années d’après-guerre (1945-1949), seront une grande période de comédies légères, prisées du public[8] - et non des moindres, tel « Vive ma femme » (《太太万岁》) de 1947 réalisé par Sang Hu (桑弧) à la Wenhua sur un scénario de … Zhang Ailing (张爱玲)[9].

 

Il est donc extrêmement réducteur de limiter les films des années 1930 et 1940 au « hardcore » de la vulgate communiste et des distinctions entre hard et soft. L’un des plus beaux films qui nous soit resté de ces années-là est le crépusculaire «  Chant de minuit » (《夜半歌声》) de Ma-Xu Weibang (马徐维邦), sorti en février 1937.

 

La troisième génération 第三代 :

les années Mao (1949-1966)

 

Tous ces brillants réalisateurs sont balayés lors de l’instauration du régime maoïste. Mao Zedong considère le cinéma comme un outil de propagande, comme Lénine et Staline avant lui, et ce dès Yan’an. L’une de ses premières priorités en arrivant au pouvoir est donc de mettre la main sur les studios. La troisième génération devait être révolutionnaire ou ne pas être, comme l’a dit l’autre historien du cinéma chinois Meng Liye (孟犁野) dans  son « Esquisse d’une histoire de l’art cinématographique de la Chine nouvelle (1949-1966) » (新中国电影艺术史稿) publiée en 2002 : « Ils [cette troisième génération] se considéraient d’abord et avant tout comme des révolutionnaires. Aucun autre groupe d’artistes n’a mis en œuvre la volonté des dirigeants et du Parti de manière aussi indéfectible que les cinéastes chinois des années 1950 et 1960. » Et en outre, c’est la première génération où l’on compte des réalisatrices à part entière, dûment cataloguées. Cependant, ces cinéastes partagent avec les réalisateurs de la génération suivante la triste expérience d’avoir vu leur talent sacrifié par la Révolution culturelle.

 

Malgré la forte empreinte idéologique, le cinéma de cette période n’est cependant pas monolithique, bien que tout soit planifié, les contenus devant répondre aux objectifs du Parti. En 1950, le Bureau du cinéma annonce la première planification annuelle de la production, renouvelée ensuite chaque année jusqu’en 1966. Par exemple, le plan élaboré pour l'année 1951 prévoyait la production de 18 films de fiction couvrant les points essentiels de la vie politique : les affaires militaires, la construction socialiste (agriculture et industrie), la doctrine anti-américaine, etc. Ce plan structurait également les méthodes d'écriture des scénarios et de réalisation des films en précisant en détail les délais et procédures. L’administration centrale ne contrôlait cependant pas totalement le processus de création d’un film, car la planification était souvent battue en brèche par une campagne politique ou une autre, si bien qu’un film planifié pouvait finalement se trouver interdit[10].

 

On peut classer les films de cette « génération » en cinq périodes représentant des thématiques différentes :

1.  1949-1952 : dans le contexte général de reprise économique, émergence du studio de Changchun (长春电影集团公司) comme studio central[11]. Thème dominant : les héros révolutionnaires.

 

Film représentatif : « Filles de Chine » (《中华女儿》), premier film du grand réalisateur Ling Zifeng (凌子风), fondé sur l’histoire vraie d’un groupe de huit femmes soldates qui se sont sacrifiées plutôt que de se rendre aux Japonais. Sorti en 1949, le film est primé l’année suivante au festival de Karlovy Vary. Ling Zifeng tourne deux autres films en 1956 et 1960, puis il est réduit au silence par la Révolution culturelle avant de reprendre aussitôt après. Il n’aura le temps de faire que cinq films de 1981 à sa mort en 1999. Ce sont cinq superbes adaptations d’œuvres littéraires qui sont concomitantes d’autres films de la quatrième génération et des débuts de la cinquième.

 

2.  1952-1957 : sur fond de campagne contre « La vie de Wu Xun » (《武训传》)  et de lutte contre les droitiers, renaissance des studios de Shanghai.

 

Films représentatifs :

- « La Lettre à Plumes » (《鸡毛信》), du génial Shi Hui (石挥), ici assisté du tout jeune Xie Jin (谢晋), également de la troisième génération. Sorti en 1954, c’ est l’un des premiers films pour enfants de la République populaire, imprégné de ferveur révolutionnaire sans être pesant. C’était après « Ma vie » (《我这一辈子》), adapté en 1950 de la nouvelle de Lao She, qui est le chef-d’œuvre de ce réalisateur trop tôt disparu, victime du mouvement anti-droitiste (en novembre 1957).

- Juste avant le déclenchement de cette campagne, en 1957, sort « Le Journal d’une infirmière » (《护士日记》) de Tao Jin (陶金), qui a pour caractéristique étonnante de témoigner d’une fugace renaissance du star system, le rôle principal étant interprété par la grande actrice Wang Danfeng (王丹凤).

- Surtout, 1957 voit la sortie de « C’est arrivé à Liu Bao » (《柳堡的故事》), deuxième film de la réalisatrice Wang Ping (王萍) : film produit par le Studio du 1er août, fondé en 1952, qui évoque le renversement du « féodalisme » dans un village, mais aussi la question de l’égalité entre les sexes. Ancienne actrice de théâtre, Wang Ping est l’une des grandes cinéastes de la période maoïste, mais même après. On la retrouve en 1962 avec ce qui est sans doute son chef d’œuvre : « Le Village des acacias » (《槐树庄》).

- Mais aussi, en décalage sur son temps, le chef-d’œuvre de Sang Hu (桑弧) qui fut un grand succès à sa sortie en 1954 : « Liang Shanbo et Zhu Yingtai » (《梁山伯与祝英台》), film d’opéra quasi surréel pour l’époque.

 

3.  1958-1960 :  le Grand Bond en avant, également au cinéma, avec la création de sept nouveaux studios et la production de 189 films en 1958-1959, soit plus que la production des huit années précédentes. Dont plusieurs films épiques sortis pour le 10e anniversaire de la République populaire.

 

Films représentatifs :

- « Lin Zexu » (《林则徐》), drame historique inspiré de la Première guerre de l’opium sorti en 1959, coréalisé par Zheng Junli (郑君里), un ancien de la Lianhua, et Cen Fan (岑范), avec le grand Zhao Dan (赵丹) dans le rôle principal.

- Et, en 1959, l’adaptation du roman emblématique de l’écrivaine Yang Mo (杨沫) « Le Chant de la jeunesse » (《青春之歌》) par deux réalisateurs dont c’était le premier travail en commun : Cui Wei (崔嵬) et Chen Huai’ai (陈怀皑).

 

4.  1961-1965 : bref âge d’or du cinéma, porté par la nécessité de redonner le moral à la population après la terrible épreuve de la Grande Famine. C’est une brève efflorescence avant la rupture brutale de la Révolution culturelle.

 

Films et réalisateurs représentatifs :

- «  Li Shuangshuang » (《李双双》), de Lu Ren (鲁韧), adapté d’une nouvelle de Li Zhun (李准) – tour de force de dépeindre en 1962 le Grand Bond en avant avec tout l’idéalisme de ses débuts.

- de Xie Jin (谢晋), outre « Le Détachement féminin rouge » (《红色娘子军》) en 1961, « Sœurs de scène » (《舞台姐妹》) en 1965, qui vaudra au réalisateur les foudres de la censure pour sa vision humaniste.

- de même que « Février, printemps précoce » (《早春二月》) de Xie Tieli (谢铁骊), le chef-d’œuvre de la période, remarquable autant par la mise en scène que l’interprétation des acteurs et actrices, et qui restera un modèle jusque dans les années 1980.

 

Xie Jin et Xie Tieli joueront un rôle important pour préserver les acquis et les talents de leur génération pendant la Révolution culturelle, tout en répondant aux directives de Jiang Qing. En grande partie grâce à eux, les films de fiction reprennent dès 1974. Dont « Chunmiao » (《春苗》) de Xie Jin (谢晋) sorti en 1975.

 

La quatrième génération 第四代 :

à partir de 1979

 

Si la troisième génération a tant bien que mal survécu à la Révolution culturelle, celle-ci a brutalement coupé l’herbe sous les pieds de la génération suivante, ces jeunes cinéastes en herbe qui avaient terminé leurs études quand elle a commencé et qui n’ont pu passer derrière la caméra que dix ans plus tard. On a parlé de « Printemps tardif » en paraphrasant le film de Xie Tieli. Leur véritable explosion créative a coïncidé avec un retour à une société plus humaine après dix ans de mouvements politiques de masse, une société en transition comme eux-mêmes.

 

Ils étaient restés coupés du monde, si bien que leur premier soin, dès la fin des années 1970, a été de « moderniser le langage cinématographique », comme le titrait l’article historique publié par Zhang Nuanxin (张暖忻) en 1979 – Zhang Nuanxin qui était l’assistante de Xie Jin lors du tournage de « Chunmiao » et dont le film « Sha’ou », ou « The Drive to Win » (《沙鸥》)sorti en 1981, apparaît comme un manifeste de cette génération.

 

Mais leur émergence derrière la caméra coïncide avec celle de la « cinquième génération », si bien qu’ils ont longtemps été négligés et qu’il faudra longtemps pour que l’on redécouvre la beauté de leurs films, sortis dans les années 1980 et 1990 comme des parents pauvres. Encore aujourd’hui, beaucoup sont inconnus : doublement sacrifiés. Mais leurs films reflètent un profond idéal d’humanisme qui résonne encore tout spécialement aujourd’hui, et souvent en lien avec la littérature.

 

Parmi les célébrités et leurs films  :

- Yang Yanjin (杨延晋), dont le premier film, en 1979, « Le sourire de l’homme tourmenté » (《苦恼人的笑》), est représentatif du mouvement cinématographique parallèle à celui de la « littérature des cicatrices » (伤痕文学). 

- Yan Xueshu (颜学恕), surtout connu pour son film de 1986  « Dans les montagnes sauvages » (《野山》), adapté, de manière très personnelle, d’une nouvelle de Jia Pingwa (贾平凹).

- Huang Jianzhong (黄健中), réalisateur du film-culte de 1979 « Little Flower » (《小花》), mais aussi et surtout, en 1982, de cette œuvre superbe, fustigée en son temps, qu’est « Le Talisman » ou « As you Wish » (《如意》), adapté d’une nouvelle de Liu Xinwu (刘心武). Réalisateur dont il faudrait peut-être redécouvrir le « Yin Shi » (《银饰》) de 2005 (« Silver Ornaments »), sur la femme d’un homosexuel dans la Chine des années 1920, mais qui pourrait aussi bien être aujourd’hui.

- Teng Wenji (滕文骥), auteur en 1988 du superbe « Roi des échecs » (《棋王》) adapté de la nouvelle d’A Cheng (阿城) et un an plus tard de « Ballad of the Yellow River » (《黄河谣》) considéré comme le sommet de sa carrière.

- Xie Fei (谢飞), disciple de Xie Tieli, dont la carrière n’a débuté qu’en 1978, à la réouverture de l’Institut du cinéma de Pékin, quand il s’est retrouvé professeur d’une bande de jeunes qui ne voulaient surtout pas de cet héritage-là. Son adaptation en 1986 de la nouvelle éponyme de Shen Congwen (沈从文) « La jeune fille Xiaoxiao » (《湘女萧萧》) est pourtant l’un des chefs-d’œuvre des années 1980, tandis que « Les femmes du lac aux âmes parfumées » (《香魂女》) est couronné d’un Ours d’or au festival de Berlin en 1993.

- sans oublier Xie Jin (谢晋) et son « Gardien de chevaux » (Mumaren《牧马人》), adapté de « L’âme et la chair » (《灵与肉》) de Zhang Xianliang (张贤亮).

- ni Huo Jianqi (霍建起),  et son « Postmen in the Mountains » (《那山,那人,那狗》) sorti en 1999, d’après une nouvelle éponyme de 1982. Cas atypique d’un réalisateur pourtant sorti de l’Institut du cinéma de Pékin en 1982, mais proche de la quatrième génération par son esthétique.

 

Cette génération comprend aussi plusieurs réalisatrices :

- Wang Haowei (王好为), sortie de l’Institut du cinéma de Pékin en 1962, assistante de réalisation sur le tournage du grand classique de la fin de la Révolution culturelle : « Haixia » (《海霞》). Réalisatrice en particulier de « O Xiangxue » (《哦,香雪》) adapté de la nouvelle éponyme de Tie Ning (铁凝), avec dans le rôle principal, comme un clin d’œil, l’actrice Xue Bai (薛白) qui interprète le rôle de Cuiqiao dans « La Terre jaune » (《黄土地》).

- Lu Xiaoya (陆小雅), restée quasiment inconnue, sauf pour son « Girl in Red » (《红衣少女》) de 1985, satire sociale où percent les émotions et frustrations de la réalisatrice.

- Wang Junzheng (王君正) dont deux films, de 1986 et 1992, ont été sélectionnés et programmés au Festival du film de femmes de Créteil : « La Première femme de la forêt » (《山林中头一个女人》), en 1991 et « Le Message du ciel » (《天堂回信》), en 1997.

- et Huang Shuqin (黄蜀芹), réalisatrice en 1987 d’un chef-d’œuvre intemporel, « Woman, Demon, Human » (《人..情》),  réflexion profonde sur la condition de la femme en Chine, et plus particulièrement celle des femmes artistes dans un monde en transition, entre tradition et modernité.

 

Cette quatrième génération a donc émergé peu de temps avant la cinquième, et a continué à faire des films jusque dans les années 2000, en même temps, en outre, que la sixième génération. Il n’y a désormais plus de frontières quasiment étanches entre générations, des frontières nées des hasards de l’histoire, mais un chevauchement constant, sans malgré tout influer sur les styles.

  

La cinquième génération 第五代 :

la promotion de 1982 et ses lendemains

 

Définie comme celle sortie en 1982 de l’Institut du cinéma de Pékin[12], la cinquième génération (née dans les années 1950) s’affirme dès l’abord comme volonté de rupture radicale avec le passé, rupture déclinée en termes d’innovations esthétiques autant que thématiques et narratives. Malgré tout, les cinéastes de cette génération restent dans la ligne des traditions conceptuelles et esthétiques socialistes, avec des thématiques rurales faisant écho aux visions de Mao, même s’ils leur confèrent une dimension épique et si leur palette de couleurs allie les rouges aux teintes ocres du lœss. Autant de traditions que leurs successeurs de la génération suivante vont rejeter en bloc en choisissant pour leurs films le cadre de la ville et une vision dégagée de tout romantisme.

 

Cependant, ici encore, il faut distinguer les débuts, dans les années 1980, et la suite, après la coupure de 1989 et l’ouverture vers l’économie de marché, avec une orientation vers les grosses productions commerciales, en particulier les films historiques et les films de wuxia. C’est Zhang Yimou le premier qui a commencé à affirmer au milieu des années 1990 que, dans le monde globalisé où la Chine entrait, il ne suffisait plus de quelques réalisateurs choyés et primés par les festivals étrangers, que le pays avait besoin d’une « industrie » du cinéma viable commercialement et capable de produire aussi bien des blockbusters à la mode hollywoodienne que des films artistiques pour cinéphiles. Il répondait là à la pression des circonstances et du marché, le cinéma chinois étant confronté à une baisse dramatique de son public, attiré par la télévision et privé de l’encadrement des danwei[13]. C’est désormais la loi du box-office - et de la ligne idéologique - qui va s’imposer, au moins aux grands réalisateurs. L’histoire de la cinquième génération est donc une histoire en deux temps.

 

Wu Tianming (吴天明) incarne la transition entre la quatrième et la cinquième génération, classé dans la quatrième par définition, en quelque sorte, mais considéré comme le parrain de la cinquième : il a en effet terminé en 1962 sa formation d’acteur au studio de Xi’an, puis a fait partie de la promotion de 1982 de l’Institut du cinéma de Pékin 

 

Il a été assistant de Teng Wenji (滕文骥) en 1979 et 1980, et son film « Le Vieux puits » (《老井》), en 1986, apparaît comme une sorte de passage de relais. Il a ensuite été producteur des grands films des années 1980 de la cinquième génération : « Le Voleur de chevaux » (《盗马贼》) de Tian Zhuangzhuang (田壮壮) en 1986, « L’Affaire du canon noir » (《黑炮事件》), premier film de Huang Jianxin (黄建新), l’année suivante, et, également en 1987, « Le Roi des enfants » (《孩子王》) de Chen Kaige (陈凯歌) qui fait le pendant du « Roi des échecs » de Teng Wenji. Dynamique brisée par les événements de Tian’anmen qui ont obligé Wu Tianming à s’exiler aux Etats-Unis. « Le roi des masques » (《变脸》) réalisé à son retour, mais à Hong Kong, et primé au festival de Tokyo en 1995, apparaît ainsi comme ayant valeur testamentaire, de même que son rôle de vieil homme atteint d’un cancer mais montant un spectacle avec ses co-pensionnaires dans le « Full Circle » (《飞越老人院》) de Zhang Yang (张扬) – hommage de la sixième génération à la cinquième.

 

Deux films fondateurs :

- « One and Eight » (《一个和八个》), véritable film-manifesto de la cinquième génération, sorti après « La Terre jaune » mais né, dès avril 1982, des hasards de l’affectation d’un groupe de cinq jeunes au Studio du Guangxi à Nanning, loin de la capitale, dont en particulier Zhang Junzhao (张军钊) pour la réalisation et Zhang Yimou (张艺谋) pour la photographie. Ils compensèrent leur frustration en faisant de cet exil loin de la capitale l’occasion inespérée de mettre en œuvre leurs idées, en donnant priorité absolue au visuel.

-  Même idée pour « La Terre jaune » (《黄土地》), réalisé par Chen Kaige (陈凯歌) avec de nouveau Zhang Yimou (张艺谋) pour la photographie, également tourné au studio du Guangxi : c’est l’image qui prime, une véritable rhétorique visuelle alliée à la musique, pour faire du film un document vibrant, d’une grande authenticité, structuré autour de l’impression laissée par l’image du fleuve et la volonté de subversion du mélodrame traditionnel.

 

Les grands réalisateurs et grands classiques (années 1980 et 1990) 

(avec une forte proportion d’adaptations littéraires)

- Zhang Yimou (张艺谋) : « Le Sorgho rouge » (《红高粱》) 1987, « Judou » (《菊豆》) 1990, « Qiu Ju » (《秋菊打官司》) 1992, « Vivre » (《活着》), 1994.

- Chen Kaige (陈凯歌) : « Le Roi des enfants » (《孩子王》) 1987, « La vie sur un fil » (《边走边唱》) 1991, « Adieu ma concubine » (《霸王别姬》) 1993.

- Tian Zhuangzhuang (田壮壮) : «  « Le voleur de chevaux » (《盗马贼》) 1986, « Le Cerf-volant bleu » (《蓝风筝》) 1993.

 

Les grosses productions, films historiques et de wuxia (à partir de 2000)

- Zhang Yimou (张艺谋) : « Hero » (《英雄》) 2002, «  La Cité interdite » (《满城尽带黄金甲》) 2007,  « Full River Red » (《满江红》) 2023.

- Chen Kaige (陈凯歌) : « L'Empereur et l'Assassin » (《荆柯刺秦王》) 1999, « Sacrifice » ou « L’Orphelin de la famille Zhao » (《赵氏孤儿》) 2010, « Monk Comes Down the Mountain » (《道士下山》) 2013.

 

Autres réalisateurs :

- Gu Changwei (顾长卫), longtemps chef opérateur des grands de sa génération, mais qui s’est affirmé réalisateur de talent avec « Le Paon » (《孔雀》), Ours d’argent à la Berlinale en 2005. Son deuxième film, « Lichun » (《立春》) ou « Le premier souffle du printemps », mériterait d’être mieux connu, ne serait-ce que pour l’interprétation de Jiang Wenli (蒋雯丽).

- Hou Yong (侯咏) lui aussi plus connu comme chef opérateur, mais à noter pour son deuxième film, « Jasmine Women » (《茉莉花开》), adapté d’une nouvelle de Su Tong (苏童), avec Tian Zhuangzhuang comme producteur exécutif,  Joan Chen (陈冲) et Zhang Ziyi (章子怡) dans les principaux rôles.

- Et pour mémoire[14] :  Lü Yue (吕乐), lui aussi chef opérateur, passé derrière la caméra en 1998 avec une comédie noire inattendue, et en 2006 un quatrième film original, « Thirteen Princess Trees » (《十三棵泡桐》), malheureusement abîmé par la censure.

 

Apparentés mais inclassables :

- non passé par l’Institut du cinéma : He Ping (何平), maître du wuxia-western (trilogie des années 1990) et réalisateur d’une formidable superproduction sur fond de reconstitution de la période des Royaumes combattants, réflexion stylisée sur la folie destructrice des guerres : « Wheat » (《麦田》), sorti en 2009.

- né en 1963, sorti de l’Institut du cinéma en 1984 et d’abord acteur : Jiang Wen (姜文).

«  In the Heat of the Sun » (《阳光灿烂的日子》) 1994, « Le soleil se lève aussi » (《太阳照常升起》) 2006,  « Let the Bullets Fly » (《让子弹飞》) 2010.

 

Et aussi cinq réalisatrices :

- Hu Mei (胡玫) qui a coréalisé en 1984 le premier film après la Révolution culturelle à traiter de la vie d’une femme, conté en voice over, d’un point de vue féminin : « Army Nurse » (《女儿楼》). Mais la vie n’a pas été facile pour elle. En 2010, elle a sorti sous la houlette de China Film un « Confucius » (《孔子》) qui montre juste à quelle pression elle a pu être soumise et fait d’autant plus apprécier l’admirable « Confucius » (《孔夫子》), de Fei Mu (费穆) sorti en 1940.

- Li Shaohong (李少红) : l’une des premières de sa génération à avoir réalisé des films sur la réalité urbaine et les mentalités de la classe moyenne, à partir de son « Family Portrait » (《四十不惑》), sur un scénario de Liu Heng (刘恒) – film précurseur sorti en août 1992 au festival de Locarno où il a remporté le prix FIPRESCI. Mais son film le plus remarquable est le suivant, « Blush » (《红粉》), adapté de la nouvelle « Hongfen » (《红粉》) de Su Tong (苏童), Ours d’argent à la Berlinale en 1995. 

- Ning Ying (宁瀛) : autre observatrice de la réalité urbaine avec sa « trilogie de Pékin », remarquable pour son film de 2005 « Perpetual Motion » (《无穷动》), petit chef-d’œuvre d’humour décapant et réjouissant, portrait de quatre femmes médiatiques, libérées des contraintes sociales usuelles… mais qui lui a valu un véritable purgatoire.

- Peng Xiaolian (彭小莲) : shanghaïenne, et réalisatrice d’une « trilogie de Shanghai », mais aussi d’un film basé sur son expérience personnelle, « Women’s Story » (《女人的故事》), sorti en 1987. Auteure d’essais sur le cinéma, malheureusement emportée par la maladie en 2019.

- Liu Miaomiao (刘苗苗) : benjamine de la promotion de 1982 qui a réalisé un superbe film sur « Les femmes dans la Longue Marche » (《马蹄声碎》), son premier long métrage, sorti en 1987. Affectée par la mort de sa mère, puis de son frère, souffrant de dépression, elle est retournée dans son Ningxia natal et prépare un film sur la vie et la culture locales, en collaboration avec l’écrivain hui Shi Shuqing (石舒清).

 

La sixième génération 第六代

ou Urban Generation : à partir de 1990

 

Avec cette sixième génération, on atteint les limites du modèle. C’est une toute autre manière de filmer que celle de ces jeunes, nés pour la plupart dans les années 1960, qui débarquent caméra au poing au tout début des années 1990, portés par la vague des caméras numériques qui leur permettent de s’affranchir de la tutelle des studios d’Etat. C’est le début du « cinéma indépendant » qui traduisait surtout un état d’esprit, une revendication de liberté et une philosophie de la vie, et dont Zhang Yuan (张元) apparaît comme le pionnier, lui-même d’ailleurs sorti de l’Institut du cinéma de Pékin, en juin 1989. La plupart en sont sortis en 1991, mais les formations se sont diversifiées elles aussi ; certains réalisateurs sont sortis par exemple de l’Institut central d’art dramatique de Pékin (中央戏剧学院), tel ce petit groupe qui au départ a travaillé ensemble à l’écriture de scénarios :  Zhang Yang (张扬), Cai Shangjun (蔡尚君), Liu Fendou (刘奋斗) et Diao Yinan (刁亦男).

 

Autre différence avec leurs prédécesseurs, ce sont des cinéastes de la ville, qui filment leur quotidien dans un style semi-documentaire : on les a appelés « The Urban Generation »[15]. Cependant, au-delà de ces quelques points communs, avec eux le modèle générationnel s’effrite ; il est apparu dès 1995 que cette nouvelle génération avait des styles très variés, sans conceptions esthétiques communes, et que leur seul similarité était de se positionner comme jeunes urbains documentant la ville. Vu la diversité des styles et des personnalités, il semblait inadéquat de continuer à leur appliquer la classification de « génération », mais « sixième génération » est restée dans la nomenclature courante, faute de mieux, par habitude et analogie.

 

Et tandis que la quatrième génération continuait à faire des films en même temps que la cinquième, et que celle-ci évoluait sous la pression des circonstances, la « sixième génération » est venue compliquer le tableau, et ce d’autant plus que, à la suite de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, le cinéma chinois s’est trouvé aux prises avec la concurrence frontale du cinéma hollywoodien, entraînant en retour en Chine l’ouverture de la production et l’autorisation des compagnies privées. C’était la fin du monopole des grands studios d’État et le début d’une ère totalement différente, avec un cinéma dépendant des diktats du box-office.

 

La sixième génération est ainsi passée par trois phases successives : explosion, transformation, dissipation.

- 1990-2003 : explosion d’expériences individuelles authentiques, un cinéma de vies fragmentées et marginales réalisé avec des tout petits budgets contre le grand récit mythico-national de la génération précédente. A la fin des années 1990, Jia Zhangke parle d’ « ère du cinéma amateur ».

- 2003-2008 : rapprochement avec la culture et les techniques mainstream, avec disparition du label indépendant. Début 2004, « Beijing Bicycle »  (《十七岁的单车》) passe la censure. Fin de la marginalité : après la rébellion, coopération et orientation vers les goûts du marché, mais sans cesser l’exploration de styles innovants avec pour objectif la création d’un art accessible aux masses.

- À partir de 2009 : exploitation de toutes les possibilités de survie par le marché et les films commerciaux.

2011 : épuisement du label[16], mais renouvellement des inspirations individuelles.

 

Avec le recul, la « sixième génération » apparaît ainsi, encore une fois, comme une génération en évolution constante, avec des alternances d’ouverture et de reprise en main par le système, vers un cinéma aujourd’hui étroitement régi à la fois par le box-office et par la nécessité de se conformer au discours officiel, bien au-delà de toute idée d’ « indépendance ».

 

Arrivé sur les talons du véritable pionnier qu’a été Zhang Yuan, c’est Jia Zhangke (贾樟柯) qui a contribué à définir les principaux axes esthétiques et thématiques de cette génération avec son premier long métrage, ouvertement en rupture avec la « cinquième génération » : « Xiaowu » (《小武》), en 1997, suivi en 2000 de « Platform » (《站台》) qu’il avait cependant achevé de tourner deux ans auparavant. On peut considérer ces deux films comme le manifeste de la génération. La grande période créative de Jia Zhangke s’achève à la fin des années 2000, avec de superbes documentaires autant que des films de fiction, le chef-d’œuvre, en termes stylistiques, étant sans doute, à côté de « Still Life (《三峡好人》) en 2006, le trop méconnu « 24 City » (《二十四城记》), en 2008 : réflexion sur l’histoire où la fiction se fond dans le réel, à la fois critique sociale et recherche sur la mémoire qui vont dominer la production du réalisateur.

 

À partir de là, la « sixième génération » se ramifie en autant de styles que de personnalités. Dans son ouvrage sur « The Urban Generation » qui date de 2007, Zhang Zhen recense pas moins de 25 réalisateurs de fiction (dont Jia Zhangke, et seulement deux réalisatrices[17]), et 7 grands documentaristes. Le problème est aujourd’hui d’actualiser cette liste en se demandant à quelle date s’arrêter… Le concept de génération n’a plus cours, mais on n’a rien trouvé pour le remplacer. En attendant, la sixième génération est toujours active, tout autant que la cinquième ; simplement, ce ne sont plus tout à fait les mêmes. Quelques grandes personnalités émergent qui continuent à réaliser des films, pour beaucoup en réussissant à investir le cinéma grand public tout en conservant leurs exigences artistiques ; aux réalisateurs de films de fiction il convient ici d’ajouter les documentaristes qui ont été déterminants par l’influence exercée sur le style des débuts de cette génération, mais dont le métier est de plus en plus difficile.

 

Fiction

- Zhang Yang (张扬: l’un des premiers de cette génération à remporter du succès auprès du grand public, et dès son premier film : « Spicy Love Soup » (《爱情麻辣烫》), en 1997. Succès renouvelé avec « Shower » (《洗澡》) deux ans plus tard, puis « Getting Home » (《落叶归根》) en 2006  et « Full Circle »  (《飞越老人院》) en 2012. Il est le maître de la comédie.

- Zhang Ming (章明) : réalisateur de l’un des films-clés de la 6e génération, sorti en 1996 : « Rain Clouds over Wushan » ( 巫山云雨》), pourtant coproduit par Tian Zhuangzhuang (田壮壮) … et Han Sanping (韩三平) qui était alors le grand chef de China Film, ce qui n’a pas empêché le film d’être interdit pour ne pas avoir respecté la (nouvelle) réglementation des visas d’exportation. Zhang Ming a ensuite réalisé grâce à des fonds privés un film très original sorti en 2008 : « The Bride » (《新娘》). Ses deux derniers films, pourtant très différents, sont encore des réussites : « The Pluto Moment » (《冥王星时刻》) présenté à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes en mai 2018 et « Hot Soup » (《热汤》) sorti en décembre 2020.

- Zhang Yibai (张一白) : lui aussi réalisateur d’un premier film remarqué en son temps, « Spring Subway » (《开往春天的地铁》), en 2002, mais qui n’a pas réussi le passage au commercial.

- Wang Quan’an (王全安) : auteur d’un premier film qui fait date, en 1999 : « Éclipse de lune » (《月蚀》), primé à Moscou. Puis d’une série de films très réussis : « L’histoire d’Ermei » (《惊蛰》) en 2004, « Le Mariage de Tuya » (《图雅的婚事》), Ours d’or à la Berlinale en 2007, « Apart Together » (《团圆》), Ours d’argent à la Berlinale en 2010, et l’année suivante « White Deer Plain » (《白鹿原》) adapté du roman de Chen Zhongshi (陈忠实) et de nouveau primé à Berlin…

- Lou Ye (娄烨) : l’un des premiers réalisateurs-culte de la 6e génération avec « Suzhou River » (《苏州河》) en 2000. En 2006, « Summer Palace », ou « Une jeunesse chinoise » (《颐和园》) lui vaut cinq ans d’interdiction de tournage en Chine. Il continue à réaliser surtout pour le public étranger, avec plus ou moins de succès, mais son dernier film, sur son expérience du confinement à Wuhan pendant la crise du covid,  « An Unfinished Film » (《一部未完成的电影》), a été unanimement applaudi à Cannes en mai 2024 et primé au Golden Horse à Taipei six mois plus tard.  

- Diao Yinan (刁亦男) : scénariste puis réalisateur reconverti en spécialiste du film noir avec son grand succès de 2014 « Black Coal, Thin Ice » (《白日焰火》), et cinq ans plus tard, selon la même recette mais plus élaborée,  « Le Lac aux oies sauvages » (《南方车站的聚会》), en sélection officielle au 72e festival de Cannes.

- Cai Shangcun (蔡尚君) : également scénariste puis réalisateur, découvert en 2007 au festival de Busan avec « The Red Awn » (《红色康拜因》) et Lion d’argent à Venise en 2011 pour « People Mountain People Sea » ( 《人山人海》).

- Wang Xiaoshuai (王小帅) : figure de proue de la 6e génération qui a louvoyé longtemps entre indépendance et retour dans le giron officiel. Son premier grand succès est « Beijing Bicycle »  (《十七岁的单车》), Ours d’argent à la Berlinale en 2001. Puis « Shanghai Dreams » (《青红》), prix du jury à l’unanimité au festival de Cannes en 2005, est le premier volet d’une trilogie poursuivie avec « 11 Flowers » (《我11) en 2011 et « Red Amnesia » (《闯入者》) en 2014. Suivie d’une autre trilogie dont sont réalisés deux volets : « So Long, My Son » (《地久天长》) en 2019 et, sorti à la Berlinale en février 2024, « Above the Dust » (《沃土》) qui évoque la Réforme agraire, sujet éminemment tabou qui a valu au réalisateur d’être menacé de sanctions comme aux plus belles heures de sa carrière.

- Guan Hu (管虎) : sorti de l’Institut du cinéma de Pékin en 1991, avec Wang Xiaoshuai, mais qui ne pourrait pas être plus différent. Son premier grand film est une tragi-comédie loufoque, « Cow » (《斗牛》), cyclo d’or à Vesoul en 2010. Mais il a montré ensuite qu’il peut toucher à tous les styles et tous les genres, en les mêlant brillamment : satire socio-politique et pseudo-film d’action avec « Mr. Six » (《老炮儿》) en 2015, film de guerre avec « Les 800 » (《八佰》).en 2020, et film noir satirique avec « Black Dog » (《狗阵》), primé à Cannes en mai 2024 dans la section « Un certain regard ».             

 

Documentaristes

- Wu Wenguang (吴文光) : pionnier, avec en 1990 « Bumming in Beijing : the Last Dreamers » (《流浪北京:最后的梦想者》), de la Nouvelle Vague du documentaire indépendant chinois qui s’est développée au début des années 1990, avec des documentaires sur les marginaux du miracle économique chinois qui ont exercé une profonde influence sur la 6e génération. Il continue à mener deux projets collectifs : le Villager Documentary Project et le Folk Memory Documentary Project.

Toute la génération des documentaristes nés dans les années 1960 et 1970 découle de son travail.

 

Après 2010 : hétérotopies

 

Aujourd’hui, on ne peut plus parler de génération. Les notions de cinquième et de sixième générations elles-mêmes ne valent que pour leur élan initial, reflétant une volonté de rupture avec la génération précédente. Mais le mouvement évolue ensuite, et les distinctions perdent leur sens sur la longue période, au profit de styles et de talents personnels.

 

Le cinéma chinois peut aujourd’hui se définir comme hétérotopies, au sens foucaldien du terme : des « espaces autres », espaces qui hébergent l’imaginaire selon des formes variables à l’infini. On pourrait désigner les réalisateurs en se référant à leur âge, comme en littérature : après les « post’80 », on en est aux « post’90 »… Mais on peut aussi voir émerger des distinctions régionales, regroupant à la fois écrivains et cinéastes dans un même lieu de création offrant des caractéristiques spécifiques fondées sur l’histoire et la culture locales, distinctions spatio-temporelles qui, comme hétérotopies, peuvent se juxtaposer et se modifier dans le temps.

 

Il reste à en faire l’histoire.


 

 


[1] Cinéma entendu ici plus spécifiquement comme cinéma de Chine continentale, les cinémas de Hong Kong et de Taiwan représentant des cinémas nationaux différents, mais pouvant être regroupés sous le vocable de « cinéma sinophone ».

[2] Périodisation qui recoupe la périodisation purement historique.

[6] Voir le programme de novembre 2014 de la Cinémathèque française : Portraits de femmes dans le cinéma chinois.

[7] Sur les films « hard » et « soft » dans le cinéma chinois, voir Zhang Zhen, An Amorous History of the Silver Screen, University of Chicago Press, 2005, chapter 7, p. 244.

[10] Sur cet aspect du travail des cinéastes pendant les années 1950, ainsi que les genres promus par le régime, voir : De l’étatisation à la propagande : la mise en place du système du cinéma communiste chinois (1938-1952)

[12] C’est aussi la génération des cinéastes nés dans les années 1950, alors que ceux de la quatrième étaient nés dans les années 1940.

Pour la genèse de cette génération, voir : Ni Zhen, Memoirs from the Beijing Film Academy: The Genesis of China’s Fifth Generation, Duke University Press, 2002.

[13] Les unités de travail qui, traditionnellement, organisaient des sorties cinéma pour leurs travailleurs.

[14] Ainsi que Feng Xiaoning (冯小宁), atypique, et Wu Ziniu (吴子牛), surtout réalisateur de films de guerre, tournés au Studio du 1er août.

[15] The Urban Generation, Chinese Cinema and Society at the Turn of the 21st Century, Zhang Zhen ed., Duke University Press, 2007.

[16] Il est d’ailleurs à noter que la plupart des ouvrages sur la 6e génération sont antérieurs à 2010.

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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