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En lisant « A propos d’ Adonis » de Paul Valéry : quelques réflexions sur le cinéma chinois

par Brigitte Duzan, 21 avril 2013

 

Adonis est un poème de six cents vers à rimes plates, écrit par La Fontaine vers 1657 et imprimé pour la première fois en 1669, à la suite du roman Les amours de Psyché et Cupidon.

 

Le poème a bien des traits d’un classique chinois et, adapté, pourrait donner un scénario de film chinois populaire, sur les amours de deux amants malheureux.

 

Il conte les amours de Vénus et Adonis, en trois parties : Vénus rencontre Adonis en train de rêver au bord d’un ruisseau, d’où s’ensuit un bonheur intense mais fugace car la déesse doit quitter son amant pour revenir à Paphos dissiper les bruits qui y courent qu’elle délaisse ses adorateurs ; pour se distraire de la tristesse qui l’accable, Adonis ordonne une chasse, et y meurt ; Vénus informée par les vents accourt et se lamente du sort cruel qui lui a pris son amant.

 

Un scénariste chinois trouverait sans doute cette conclusion trop sombre et ferait guérir Adonis de sa blessure pour assurer in fine des retrouvailles joyeuses - da tuanyuan (大团圆 ) – ou au moins symboliques – du genre des amants papillons… Mais, pour l’essentiel, les ingrédients essentiels d’un drame populaire « en costume » sont là, revus ou non à la sauce Pu Songling.

 

Ce qui est intéressant, c’est la lecture que fait Paul Valéry du poème (1) : il l’analyse avec son ironie bien connue pour en faire ressortir les subtilités, et souligner en creux les écueils qui guettent le rimailleur peu averti – écueils qui sont ceux, aussi, de tout scénariste et réalisateur. Il faut dire que l’on pense souvent, en lisant ce texte, à tel ou tel film chinois, tel ou tel personnage, telle ou telle situation...

 

En voici quelques extraits… à chacun d’imaginer des exemples.

 

Des personnages féminins

 

« Une Vénus est bien difficile à peindre. Puisqu’elle porte toutes les perfections, il est à peu près impossible de la rendre véritablement séduisante. Ce qui nous captive dans un être, ce n’est pas ce degré suprême de la beauté, ni des grâces générales… »

 

De  l’intrigue amoureuse

 

« La volupté qui se partage, ou bien plutôt qui se redouble, entre des amants risque toujours quelque monotonie… Un couple, au plus haut période de son bonheur, compose une sorte d’écho, ou – ce qui revient au même – un assemblage de miroirs parallèles… Mais l’amour sans esprit, à le supposer répondu, et si rien ne le traverse, n’est plus qu’une occupation régulière. Il y faut  des malheurs ou des idées… »

 

Du regret

 

Adonis laissé seul « souffre alors tous les maux de l’absence. C’est dire qu’il dénombre toutes les perfections du bonheur qu’il vient de perdre. .. le passé qui revient semble plus riche que le présent disparu duquel il procède… »

 

Adonis songe et se languit. Bref : « Adonis malheureux était sur le point d’avoir de l’esprit ».

 

Du combat

 

Mais : « Adonis allait avoir de l’esprit, il s’empresse d’ordonner une chasse. Plutôt mourir que de réfléchir. »  Sur quoi Valéry enchaîne : « Il faut bien avouer que cette malheureuse chasse est la partie faible du poème… »

 

Et, là-derrière, se profile certains combats de films chinois : « [l’auteur] a visiblement élaboré avec quelque ennui les trois cents vers que cette chasse l’obligeait de faire. Or, le bâillement n’est pas si éloigné du rire qu’il ne se combine parfois curieusement avec lui. Ils ont une frontière commune, aux approches de laquelle le ridicule d’agir à contre cœur se tourne facilement en action burlesque. … Le rire et le bâiller nous surprennent en flagrant délit de refus. »

 

Des monstres (et des effets spéciaux)

 

Adonis s’en va chasser le sanglier : « il s’agissait [donc] de nous peindre le monstre … »

 

Or : « Pour effrayant que soit un monstre, la tâche de le décrire est toujours un peu plus effrayante que lui. Il est bien connu que les misérables monstres n’ont jamais pu faire dans les arts qu’une figure ridicule. Je ne vois pas de monstre peint, chanté ou sculpté qui non seulement nous fasse la moindre peur, mais encore qui laisse notre sérieux en équilibre. … Le complément nécessaire d’un monstre, c’est un cerveau d’enfant….

 

Ce malheur d’être ridicules, qui surmonte pour eux le malheur d’être monstres, ne semble pas tenir, toutefois, à l’impuissance de leurs inventeurs, tant qu’à leur nature même et à leur vocation extraordinaire, comme il est aisé de s’en convaincre par la moindre visite au Muséum. … Nous ne croyons pas

 

Million Dollar Crocodile, 2012

d’êtres si bizarres ; et nous nous en tirons enfin par la considération d’une maladresse et d’une bêtise primitive qui n’est mesurable que par le rire. »

 

*

 

Valéry conclut son superbe pamphlet en réfléchissant sur le plaisir que peut encore procurer aujourd’hui la lecture d’un tel poème : « Réjouissons-nous de pouvoir encore lire Adonis, et presque tout avec délices ; mais ne pensons pas que nous lisions celui même des contemporains de l’auteur. Ce qu’ils prisaient le plus, peut-être nous échappe-t-il ; ce qu’ils regardaient à peine nous touche quelquefois étrangement… »

 

Le changement d’époque est un changement de lecteur, dit-il. De lecteur et de lecture… et il en est auxquels il n’avait pas songé.

 

 

(1) Au sujet d’Adonis, in Variété I (1924)

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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