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Sun Mingjing et les films pédagogiques
par le
professeur Zhang Tongdao
Extrait
d’un article du professeur Zhang Tongdao paru dans
le journal de l’Institut du cinéma de Pékin (北京电影学院学报)
en 2005, intitulé :
被遗忘的辉煌-论孙明经与金陵大学教育电影
Splendeur
oubliée – Sun Mingjing et l’enseignement du cinéma à
l’université Jinling
Originaire de la province du Shandong,
Sun Mingjing est né
en 1911 à Nanjing. Entré à l’université Jinling en
1927, il a terminé ses études en 1934, puis est
resté à l’université pour enseigner et réaliser des
films à la faculté des sciences. En 1936, il est
devenu vice-directeur, puis directeur du département
de cinéma éducatif de l’université
[1]. En 1938, le
département de cinéma est devenu
le département
du cinéma et de la radio, le premier département de
cinéma au sein d’une université en Chine. En 1942,
Sun Mingjing a créé la première revue scientifique
dans l’histoire de l’enseignement universitaire du
cinéma en Chine :
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Zhang Tongdao |
« Le
cinéma et la radio ». Entre
1934 et 1948, il a produit une centaine de films éducatifs,
dont une cinquantaine réalisés par lui-même, et traduit 66
films étrangers. Il a participé
à quatre voyages d’étude scientifiques en 1937, 1939,
1940 et 1943, et a tourné des films pendant ces voyages. En
1952, il est arrivé à Pékin en amenant avec lui les
professeurs et étudiants du Département de cinéma et de la
radio de l’université Jinling pour participer à la création
de l’Ecole de cinéma de Pékin, devenue plus tard l’Académie
du cinéma de Pékin. En 1957, Sun Mingjing a été condamné
comme droitier, et réhabilité en 1978. Il est décédé en 1992
à Pékin.
L’entrée de
l’université Jinling, à Nankin |
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Producteur de films éducatifs, Sun Mingjing est le
fondateur de l’enseignement universitaire du cinéma
en Chine. L’enseignement cinématographique qu’il a
ainsi lancé dans ce pays est comparable au mouvement
lancé par le Britannique John Grierson.
Les
activités de production et de réalisation de films
de Sun Mingjing se sont étalées entre 1934 et 1948. |
D’après ses
propres dires, il a vu des films pédagogiques dans la grande
salle de l’université Jinling quand il était lycéen. Après
être entré à l’université Jinling pour faire des études
scientifiques, il y a vu des films pédagogiques produits par
Kodak pour les cours de chimie. Il a fallu attendre 1934
pour que l’université Jinling produise ses propres films.
C’est cette année-là que Sun Mingjing finit ses études et
obtint un poste à la faculté des sciences. Il commença
aussitôt à faire des films avec le soutien du directeur de
la faculté, Monsieur Wei Xueren. Le premier film qu’il
produisit et réalisa fut « Sites célèbres de Suzhou », avec
Wei Xueren derrière la caméra.
Sun
Mingjing avait une conception du cinéma influencée
par ses études scientifiques : « Le cinéma est un
instrument d’enregistrement et de transmission de la
culture, le cinéma est un outil efficace d’éducation
et de formation, le cinéma est un pont entre les
pays permettant de promouvoir la paix
internationale, le cinéma est un média propre à
créer l’harmonie du monde ». La fonction la plus
importante du cinéma était selon lui de transmettre
et d’éduquer. Plus tard, il mettra l’accent sur
l’importance du cinéma en tant que nouveau média :
« Nous ne pouvons pas casser le noyau atomique avec
un marteau, nous ne pouvons pas
étudier des problèmes nouveaux avec de vieux outils ». Le
cinéma représentait pour lui le média le plus moderne de
l’époque. Dans sa pensée, faire des nœuds sur une corde pour
enregistrer des données
[2], c’est le niveau technique
de la brouette, l’écriture, c’est celui de la charrette,
l’imprimerie, celui de la voiture, l’écriture en langue
parlée, celui du train, et le cinéma et la radio, c’est du
niveau de l’avion.
Sun Mingjing
considérait ses films comme faisant partie du
cinéma pédagogique ; il distinguait les films d’après leur
contenu : notions générales sur l’industrie, la géographie,
les sciences de la nature, la défense, l’agriculture,
l’éducation civique, etc. On peut distinguer parmi ces
films, d’après leur fonction, les films scientifiques
éducatifs et les documentaires.
I. Films
scientifiques et éducatifs
Sous ce titre sont principalement classés des
films traitant de façon générale de sujets
industriels, et relevant partiellement de l’enseignement de
la défense nationale.
Il y a dix films qui présentent la
construction de la Chine moderne
dans les années 1930 :
-
Le sel de Huaibei,
- L’exploitation
d’une mine de charbon
- L’édification
de la campagne
-
L’évolution des moyens de
transport,
-
Les
mines de sel de Zigong
-
L’industrie du sel,
-
La centrale hydro-électrique
de Changshou
-
La
fabrication de
matériel électrique
-
L’imprimerie
-
La fabrication des ampoules électriques
Ces films
montrent les aspects les plus représentatifs d’une Chine en
plein processus de modernisation :
le pont
Qiantang, les travaux hydrauliques, la modernisation des
mines de charbon, diverses fabrications industrielles, et
même l’évolution sociale, étendue jusqu’au domaine
politique : « L’édification des campagnes » montre les
paysans de Dingxian, dans la province du Hebei, commençant à
voter pour choisir leur chef, début significatif d’un
processus de modernisation institutionnelle qui a
malheureusement été interrompu par l’invasion japonaise.
« L’évolution
des moyens de transport » est aussi un film très important,
tant du point de vue scientifique qu’artistique. Sun
Mingjing y montre les divers modes de transport en Chine à
l’époque : le pont Qiantang qui venait d’être terminé et
représentait la technologie la plus moderne de la Chine
d’alors, les avions, les trains, les voitures, mais aussi
les charrettes à âne, les chameaux, les yaks, les bacs, les
bateaux à vapeur, les ponts suspendus, les triporteurs,
etc.
Tous ces moyens de transport co-existaient en
Chine, c’est l’image authentique de la société chinoise de
l’époque. Quelques séquences sont très bien montées,
et tout à fait
comparables à certaines séquences du film de Joris Ivens
« Le pont ». Ce qui est bien plus important encore, c’est
que ces films reflètent la pensée de Sun Mingjing concernant
le moteur du développement de la société, le progrès des
moyens de transport étant à ses yeux une manifestation
concrète du développement social. Ils montrent également la
qualité scientifique de son observation de la société. Si
nous comparons ces films à celui de Joris Ivens,
« Le pont », on peut constater qu’Ivens s’intéresse à la
beauté du mouvement et du rythme de l’acier, tandis que Sun
recherche la force motrice du développement de la société.
Il y a
au total 26 films sur des données générales de l’industrie,
dont certains concernent des activités artisanales et des
métiers d’art spécifiquement chinois.
Ce sont des films scientifiques éducatifs, que l’on peut
classer en quatre catégories :
-
la fabrication d’objets d’art populaire, avec
une grande richesse de détails, ce qui est d’une immense
valeur pour les études sur ces objets, comme « les objets en
bambou », « les laques », « la porcelaine », etc. ;
- les
spécialités chinoises, comme « L’orange chinoise », « Le
canard laqué de Pékin », « L’huile de bois de Chine », « La
laine de Chine » ;
- la
vulgarisation de données courantes des sciences de la vie :
« La sauce de soja », « La viande de bœuf », « Le béton »,
- des
documents sur les résultats d’observations scientifiques,
parmi lesquels « L’éclipse » est un chef d’œuvre d’une
valeur inestimable.
Pour
l’observation de l’éclipse de 1936, en effet, la Chine créa
un comité spécial dirigé par Cai Yuanpei ; Wei Xueren,
directeur du département de physique de l’université
Jinling, fut envoyé au Japon pour filmer l’éclipse avec une
pellicule couleur Kodak qui venait d’être inventée l’année
précédente. C’est la première fois au monde que l’on filmait
une éclipse en couleur ; c’est aussi le premier film en
couleur chinois.
II. Documentaires
Les
documentaires constituent une partie importante des films
éducatifs réalisés à l’université Jinling. Il y en a une
quarantaine au total, dont les thèmes principaux touchent
aux sites géographiques, aux coutumes et à la culture ; ils
sont pour la plupart l’œuvre de Sun Mingjing.
Les
documentaires sur des sites géographiques sont les plus
riches :
-
les statues bouddhistes des grottes de Yungang
-
les paysages de Xuzhou
-
le lac de l’Ouest
-
Xining, capitale de la province du Qinghai
-
les sites historiques de la capitale
-
Nankin
-
l’ancienne capitale Beiping
Si on considère que
John Houseman
a écrit une histoire des Etats-Unis avec ses films, on peut
dire que Sun Mingjing a
décrit avec les siens un panorama du genre du
tableau « Le Jour de Qingming au bord de la rivière
»
[3], mais dans une version
cinématographique. Comme, quelques décennies plus tard, ces
endroits, ces coutumes et ces cultures ont énormément
changé, seuls ces films en conservent l’aspect de l’époque.
Les films sur
les coutumes ne sont pas nombreux, mais ce sont les
meilleurs de Sun Mingjing, les principaux étant la série
tournée dans le Xikang en 1939 et la série de films sur les
universités.
La série de
Xikang est composée de huit films : « Un aperçu de Xikang »,
« Le thé de Ya’an », « Sur la route du Sichuan au Xikang »,
« Kangding, capitale du Xikang », « Les mines d’or et de
fer », « Les paysages de la steppe », « La vie du peuple du
Xikang », et « La vie des lamas ».
Ces films ont
enregistré la vie du peuple et des religieux du Xikang après
la création de la province en 1939 sous la direction de Liu
Wenhui. Ils vont de scènes populaires telles que la récolte
du tabac, le battage du grain, le travail des porteurs, la
traversée d’un fleuve sur un câble, la construction de
routes, jusqu’à des scènes religieuses de transe et des
danses tibétaines. Dans ces films, il y a aussi beaucoup de
paysages du Xikang ; ils nous montrent des images
somptueuses de la vie dans cette région.
En tant
que professeur d’université, Sun Mingjing
s’est beaucoup intéressé à la vie sur les campus. « La voix
de l’université », « La vie de l’université », « Un aperçu
de la faculté de physique de l’université Jinling » sont des
documents sur les lieux de l’université Jinling, où il avait
étudié et où il travaillait. « Chang’E dans la lune » et
« Le sport féminin » nous montrent les facultés scientifique
et littéraire pour femmes de l’université Jinling, « Les
activités sportives » se passe sur le campus de l’université
Dongwu. Tous ces films nous montrent les directeurs,
professeurs et étudiants en cours, faisant du sport et lors
des cérémonies de fin d’étude ; c’est une excellente image
de la vie universitaire de l’époque.
« L’avant-garde de la démocratie »,
datant de
1947, est le premier documentaire chinois en couleur ; il
montre comment
l’université Jinling, les facultés Jinling de lettres et de
sciences pour femmes, et l’université Yanjing, qui étaient
à Chengdu pendant la guerre
sino-japonaise, ont collaboré pour établir des cours
communs, et comment, aux
lendemains de la victoire, s’est effectué le retour à la
normale. Le film est une sorte de chant épique
témoignant du courage, de la détermination et de
l’excellence
des enseignants universitaires pendant cette période
particulièrement difficile de l’histoire de la Chine.
Les films produits à
l’université Jinling ont une valeur historique unique :
I.
Valeur
historique :
ils donnent une excellent image de l’état de
la Chine de 1934 à 1948 ; bien qu’ils ne montrent pas
beaucoup de personnages connus ou d’événements importants de
l’histoire chinoise, ils sont pourtant un témoignage direct
sur la société et le peuple chinois, les sites géographiques
et culturels ainsi que les industries. C’est une aide
appréciable pour connaître l’histoire des années 1930 et
1940.
II. Valeur en tant que
films éducatifs et documentaires : depuis que le cinéma
existe en Chine, il y a eu très peu de films de ce genre ;
les films de l’université Jinling représentent un sommet
dans la production de films non commerciaux dans l’histoire
du cinéma chinois.
Du point de
vue cinématographique, bien qu’il s’agisse de films à
caractère scientifique et éducatif, Sun Mingjing a aussi
cherché à en rendre le côté esthétique et humain. « Mon
expérience m’a appris que, pour trouver un sujet profond à
filmer, il faut beaucoup utiliser ses jambes et parcourir
beaucoup de chemin ; ce n’est qu’ainsi que l’on peut trouver
la bonne prise de vue, le bon angle, et rendre la réalité
telle qu’elle est. Le monde est un immense lieu de tournage,
la nature offre au cinéaste des sujets inépuisables, les
animaux et les plantes sont des personnages émouvants. » Il
mettait du sentiment dans ses prises de vue. Il disait
souvent qu’un photographe semble caresser la nature qu’il
photographie : son objectif en prend un soin jaloux,
l’effleure d’une caresse, et c’est ainsi qu’il transmet ce
qu’il voit au public. Ainsi, dans le film « La dentelle de
Yantai », les mouvements des mains des brodeuses sont
comparables à celles d’un pianiste ; dans « Nankin », la
danse de mai des étudiantes sur la pelouse devant la faculté
des lettres et sciences de l’université Jinling a la
fraîcheur du printemps ; et dans « Xikang », la simplicité
souriante de la nature est en étroite harmonie avec
l’immensité du paysage de montagne.
Dans sa
recherche d’un mode d’expression original, Sun Mingjing ne
s’est pas borné à faire de l’art pour l’art. Dans la série
« Xikang », par exemple, le film « La vie des lamas » est
riche de détails et superbement conçu, mais c’est du rythme
donné au montage qu’il tire toute sa force ; les lamas sont
tellement vivants qu’ils en sont réjouissants et qu’il
s’établit un échange entre eux et les spectateurs. Ce film
est vraiment une œuvre d’art.
Du point de
vue de l’expression artistique, c’est cependant « L’avant-garde de la démocratie » qui apparaît comme le
meilleur de tous les films de Sun Mingjing. Bien qu’achevé
en 1947, il a déjà les caractéristiques d’un documentaire
moderne : une musique en symbiose avec le sujet, un rythme
d’images soutenu ; parmi les séquences du voyage de retour à
Nankin, le bombardement de Chongqing et l’arrivée à Nankin
en particulier sont visuellement impressionnants et d’une
grande charge émotionnelle. Ce n’est pas seulement un
témoignage personnel sur l’époque et un document historique
exceptionnel, c’est un véritable chef d’œuvre dans
l’histoire du documentaire en Chine.
Traduction : Liu
Ying et Brigitte Duzan
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