Coloroom Pictures a été fondé en 2015 par le géant des
médias de loisirs Beijing Enlight Media (北京光线传媒)
[1]
pour produire des films d’animation en 3D, à un moment où le
secteur était en pleine effervescence après le succès de « Monkey
King : The Hero is Back » (《西游记之大圣归来》) :
le marché du cinéma d’animation chinois, longtemps exsangue,
a connu une croissance rapide au début des années 2010,
entraînant une série de créations et fusions-acquisitions et
l’émergence de nouveaux acteurs dans le secteur.
Avec Coloroom Pictures, et une dizaine d’autres
studios d’animation chinois rachetés en même temps,
Beijing Enlight avait pour ambition de « créer un
nouveau Pixar », le studio d’animation de Disney qui
a accumulé les récompenses depuis ses débuts. Les
deux grands modèles cités par le directeur général
de Coloroom, Yi Qiao (易巧),
sont cependant japonais : Hayao Miyazaki (dont
Enlight distribue les films en Chine), mais aussi,
dans une veine plus réaliste, Satoshi Kon.
Premiers pas
Le premier film produit par Coloroom, sorti en
juillet 2017, a été un semi-échec commercial, mais
reste une référence pour le studio : « The
Guardian » (Dahufa《大护法》).
Il était écrit et réalisé par Yang Zhigang (杨志刚),
alias Bu Sifan (不思凡),
que l’on retrouvera comme scénariste d’un nouveau
film en 2019, sur un thème similaire. Dahufa
est un film d’action
The Guardian (Dahufa)
lesté d’éléments fantastiques, un rien gore : Dahufa est le
« grand protecteur » d’un pays dont le prince a disparu ;
parti à sa recherche, il découvre une ville dont les
habitants, qui ressemblent à des cacahuètes, vivent sous la
férule d’un pouvoir autoritaire. C’est le premier film
chinois d’animation interdit aux moins de treize ans ! (ce
qui est aussi une novation pour un film chinois en
général).
Dahufa, trailer
Le
trait s’éloignait du style manga, mais l’animation restait
rudimentaire, surtout celle des visages, et les personnages
ne sortaient pas du simplisme. Coloroom, pas plus que le
cinéma chinois actuel, n’avait sans doute médité le credo de
Pixar (et de Disney) : « Ce
n'est pas la technologie qui divertit le public. Elle doit
être au service d'une bonne histoire. » Ces bonnes
histoires, la plupart des créateurs de films d’animation
chinois vont les chercher dans les légendes et le
fantastique. Coloroom n’est pas une exception, bien que
cherchant à s’évader de ce modèle en abordant des thèmes
actuels.
Ainsi,
produit en 2018 et réalisé par Xi Chao (奚超),
« Crystal Sky of Yesterday » (《昨日青空》)
n’est pas, cette fois, une histoire adaptée d’une légende ;
c’est celle d’un jeune garçon qui va terminer ses études et,
au moment de rentrer dans sa ville natale, pense à ses
premières déceptions amoureuses, compensées par son amour
pour le dessin et les jeux vidéo. On est là dans le registre
un peu mièvre d’un Guo
Jingming (郭敬明),
destiné à capter le même public jeune.
Big Fish and Begonia
Mais Coloroom est revenu vers un thème fantastique
adapté de légendes avec « Big Fish and Begonia » (《大鱼海棠》),
sorti le 17 août 2018 sur les écrans chinois puis en
première mondiale au festival d’Annecy. Réalisé par
deux autres nouveaux réalisateurs chinois
d’animation, Liang Xuan (梁旋)
et Zhang Chun » (张春),
le film reprend un thème fantastique inspiré à la
fois d’un extrait du « Zhuangzi »
(《庄子·逍遥游》)
[2]
et du « Livre des monts et des mers » (Shanhai
jing《山海经》):
une jeune fille venue d’un monde sous-marin se
transforme en dauphin pour explorer le monde humain,
mais sa rencontre avec un jeune homme va l’entraîner
dans une histoire fatale.
Il s’agit d’une sorte de fable à laquelle se mêlent
des accents plus modernes de conte écolo, le tout
ponctué de 38 chansons. Le style est proche de celui
de Miyazaki, mais le film est narrativement plus
réussi.
Big Fish and Begonia, trailer
« Ne
Zha »
Coloroom Pictures a connu son premier grand succès
au box-office en juillet 2019 avec le film
d’animation fantastique « Ne Zha » (《哪吒之魔童降世》)
ou « Naissance de Nezha l’enfant démon ». La « bonne
histoire », en l’occurrence, était une nouvelle
adaptation de la légende de Nezha tirée du grand
classique du 16e siècle « L’Investiture
des dieux » (《封神演义》)
[3].
Le film a été réalisé par Yang Yu (杨宇)
alias Jiaozi
饺子)
qui a passé deux ans à l’écrire, la production en
ayant duré trois, essentiellement pour mettre au
point les effets spéciaux : ils ont été co-réalisés
par une vingtaines de studios sous-traitants chinois
et quelque 1 600 personnes. Il est à noter que c’est
le propre studio de Yang Yu qui est crédité de la
production, le studio de Chengdu Coco Cartoons (可可豆动画),
la diffusion du film étant assurée par Beijing
Enlight Pictures.
Ne Zha
Le
succès financier est en grand partie dû au fait que le film
était en format IMAX, donc distribué dans les salles à écran
géant de ce genre, ce qui a dopé les recettes. « Ne
Zha » est arrivé en quatrième position au box-office chinois
2021 tous genres confondus, après les deux blockbusters
patriotiques « The Battle of Lake Changjin » (《长津湖》)
et « Wolf Warrrior 2 » (《战狼2》)
et le succès populaire « Hi Mom » (《你好,李焕英》)
[4].
« Mr Miao »
Mr Miao
Le film suivant a été « Mr Miao » (《妙先生》)
dont la première devait avoir lieu à Pékin le 22
décembre 2019 avant la sortie en salles à la fin du
mois ; mais la sortie a été repoussée à la fin du
mois de juillet en raison de la fermeture des
cinémas due à l’épidémie de covid. Écrit par Bu
Sifan (réalisateur de « Dahufa ») et réalisé par Li
Lingxiao (李凌霄),
le film a été présenté comme une suite de
« Dahufa », ou plus exactement une « petite sœur »
de ce film (大护法姊妹篇).
Yi Qiao, directrice générale de Coloroom, a cherché
à minimiser les déceptions du box-office en arguant
que ce n’était pas le succès au box-office qui était
recherché, mais un public qui sache apprécier le
film.
Le récit est à la fois histoire fantastique et
histoire de wuxia, C’est celle d’une fleur
dorée qui a le pouvoir d’entraîner les hommes
mauvais vers le mal et ne sauver que les hommes
bons.
Là
encore, la référence est Miyazaki, le film ayant même été
considéré par certains critiques comme « une réponse de la
Chine à Princesse Mononoke ».
Mr
Miao, le film (sous-titres chinois)
« Legend of Deification »
Le nouveau film sorti en janvier 2020, « Legend of
Deification » (《姜子牙》),
réalisé par Li Wei (李炜)
et Cheng Teng (程腾),
revient vers une « bonne histoire » à la chinoise,
tirée de la source inépuisable qu’est « L’Investiture
des dieux ». Comme le titre chinois
l’indique, après Nezha, il s’agit de l’histoire de
Jiang Jiya (姜子牙),
légendaire stratège.
Dans le film, cependant, il est chargé de maîtriser
un diabolique Renard à neuf queues qui menace
l’existence humaine ; mais il est confronté à un cas
de conscience quand il découvre que le Renard en
question a pris possession de l’âme d’une petite
fille. La légende ainsi revisitée prend des accent
de fable morale méditant sur la quête de la vérité
et du bien. La qualité technique de l’animation
elle-même s’est améliorée, avec de très belles
couleurs, en particulier, le mauve et le pourpre.
Mais le dessin des visages reste sommaire.
Legend of Deification
/ Jiang Jiya
Trailer
Le
directeur général Yi Qiao de Coloroom Pictures est passé en
juin 2020 au studio October
Media, autre filiale animation de Beijing Enlight
Media.
[1]
Groupe fondé en avril 2000 par Wang
Changtian (王长田)
qui en est le principal actionnaire avec sa femme et
d’autres membres de la famille.
[2]Il s’agit
du premier des « chapitres internes » (neipian內篇),
texte en ligne, original et traduction en anglais :
[3]Légende
qui avait déjà donné un superbe film d’animation
réalisé par Wang Shuchen (王树忱)
en 1979, du temps béni des Studios d’art de
Shanghai : « Le prince Nezha triomphe du roi
Dragon » (《哪吒闹海》),
film de 65 minutes qui a été projeté hors
compétition au festival de Cannes en 1980.