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« Le Promeneur
d’oiseau » choisi pour représenter la Chine aux Oscars !
par Brigitte Duzan, 08 octobre 2014
On croit rêver, mais pourtant le communiqué de
presse est bien là, noir sur blanc, en date du 6
octobre : c’est « Le Promeneur d’oiseau » (《夜莺》)
(1), le film réalisé par Philippe Muyl et sorti en
France le 7 mai dernier, qui a été choisi pour
représenter la Chine aux Oscars dans la catégorie
« Meilleur film étranger ».
Le film est la première coproduction franco-chinoise
réalisée par un metteur en scène français. Il
raconte l’histoire d’un vieil homme qui vient de
perdre sa femme ; pour remplir une promesse qu’il
lui a faite, il revient dans son village pour y
libérer l’oiseau qui lui a tenu compagnie pendant
les dix-huit années passées loin de chez lui. Mais,
au moment de partir, sa bru lui demande d’emmener sa
petite-fille avec lui : l’enfant a été élevée en
ville, par des parents absents les trois-quarts du
temps, et sur le point de divorcer. Avec son
grand-père, la petite fille découvre une vie autre
que celle de la ville, d’autres valeurs et d’autres
plaisirs… |
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Le Promeneur d’oiseau,
affiche française |
Harmonie avec la
nature |
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Le film est interprété par une pléiade d’excellents
acteurs, en tête desquels, dans le rôle du
grand-père,
Li Baotian (李保田),
plus vrai que nature : né en 1946, il s’est fait
connaître en 1991 pour son interprétation du rôle de
Yang Tianqing (杨天青)
aux côtés de Gong Li dans « Judou » (《菊豆》)
de
Zhang Yimou (张艺谋).
Depuis « Keep Cool » (《有话好好说》)
en 1996, il avait surtout joué à la télévision,
Philippe Muyl lui a redonné un rôle à sa mesure.
Toute l’équipe l’a d’ailleurs aidé à trouver le ton
juste et éviter les erreurs qui |
auraient pu être induites par le simple décalage culturel.
Le film sonne juste.
Cependant, bien qu’il ait été tourné en Chine, par
des acteurs chinois parlant leur langue maternelle,
« Le Promeneur d’oiseau » est cependant réalisé par
un cinéaste français. Qui plus est, il était en
concurrence avec deux autres films chinois sortis
cette année qui bénéficiaient d’une relativement
bonne critique, et, pensait-on, des faveurs des
autorités :
«
Coming Home » (《归来》)
de
Zhang Yimou
et
« Black
Coal Thin Ice » (《白日焰火》)
de
Diao Yinan (刁亦男),
ce dernier étant un
concurrent d’autant plus dangereux qu’il était nimbé
du prestige
de l’Ours d’or décerné au réalisateur au festival de
Berlin en février dernier.
Le choix du film de Philippe Muyl est donc une
surprise. Et les raisons que l’on peut trouver pour
l’expliquer rendent ce choix plus intrigant encore.
Les autorités chinoises ont sans doute pensé que le
sujet du film de Zhang Yimou – le retour d’un
prisonnier politique après quinze ans passés dans
les camps de Mao – était délicat,
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Affiche pour la sortie
du film en Chine, le 31 octobre |
bien que
traité en édulcorant l’évocation du passé à la manière
désormais usuelle chez le réalisateur ; inconvénient bien
plus rédhibitoire, il n’aurait guère intéressé le jury des
Oscars, surtout tel qu’il est traité.
Philippe Muyl |
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Quant au second, il a beau avoir été couronné de
l’Ours d’or à Berlin, c’est un film dont le scénario
porte la marque des huit longues années de sa
conception. Mais, bien plus, aux yeux des autorités
chinoises, il a le défaut d’être trop noir, et on
sait qu’en Chine c’est un défaut bien plus grave
qu’un scénario confus.
Au total, le film franco-chinois est apparu comme
représentant parfaitement les valeurs chinoises que
le régime tient à défendre, aujourd’hui comme dans
le passé : l’importance des liens familiaux, le
respect dû aux aînés, le retour à ses racines, et
même les préoccupations pour l’environnement dans un
souci d’harmonie avec la nature qui est l’atmosphère
dans laquelle baigne la poésie chinoise la plus
ancienne.
Ce qui est le plus étonnant, finalement, ce n’est
pas que le film de Philippe Muyl ait été retenu,
c’est qu’aucun autre film |
réalisé en Chine n’ait pu relever le défi. C’est peut-être
révélateur de l’état du cinéma chinois. En tout cas, c’est
un formidable coup de projecteur pour « Le Promeneur
d’oiseau » et son réalisateur. On espère que cela l’aidera à
trouver plus facilement des financements pour son prochain
projet.
Note
(1) Le titre chinois signifie « Le rossignol », et c’est
ainsi qu’il a été traduit en anglais. L’oiseau dont il est
question, cependant, est un huamei, ou "sourcils
peints" (画眉),
oiseau chanteur très prisé en Chine ; c’est presque un crime
de le relâcher dans la nature. On voit à ce simple détail la
profondeur avec laquelle Philippe Muyl a su se couler dans
la culture chinoise, même dans ses aspects quotidiens.
Il a également choisi un style résolument chinois pour son
film, le mélodrame, mais en le traitant avec la légèreté qui
sied. Finalement le film est très chinois.
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