« Mr Donkey »,
une comédie aussi réjouissante au cinéma qu’au théâtre
par Brigitte Duzan, 05 mars 2017
« Mr. Donkey » (《驴得水》)
est un film étonnant dont on ne cesse de parler :
sorti en Chine fin octobre 2016, il a rencontré un
grand succès auprès du public au moment où « The
Great Wall » (《长城》),
promu par les autorités du cinéma, enregistrait un
score misérable sur douban, entre autres,
entraînant le gouvernement à réagir en créant une
commission pour contrôler les critiques de films sur
internet, au lieu de se demander pourquoi « Great
Wall » était aussi critiqué.
« Mr. Donkey » est le type-même de la success story
sans stars ni gros budget, mais basée sur un
scénario qui fait feu de tout bois en parlant la
langue des spectateurs et en leur présentant une
image terriblement actuelle de la Chine où ils
vivent, à la fois ironique et cruelle. C’est
l’anti-Great Wall.
Du cinéma au théâtre et retour
En fait, l’ironie veut que le scénario ait d’abord
été écrit pour le grand écran en 2010, par deux
Mr. Donkey
jeunes metteurs en scène : Zhou Shen (周申)
et sa comparse Liu Lu (刘露).
Mais, ne trouvant pas les fonds suffisants pour sa
réalisation, ils ont alors adapté le scénario au théâtre ;
la pièce a eu sa première en juin 2012 à Pékin, puis est
partie en tournée, ce qui a permis de parfaire les
dialogues.
Au théâtre
Puis, quand Zhou Shen a entendu dire que le groupe
Mahua Fun Age (Kaixin
Mahua
开心麻花)
cherchait une idée pour son second film, ils ont de
nouveau adapté leur scénario pour le cinéma. La date
de sortie a été repoussée de façon à permettre une
bonne campagne promotionnelle, en espérant que le
bouche à oreille compense le manque de star power.
Et effectivement, cela a marché.
Un scénario plein d’humour
Pour les raisons que l’on peut imaginer, l’histoire
se passe pendant la guerre, en 1942. Dans un coin
reculé du Shanxi, une école primaire rurale se bat
pour trouver l’argent nécessaire à sa simple
survie : dans cette région aride, il faut un âne
pour aller chercher de l’eau, et il faut le nourrir.
Or l’école est financée par une association
caritative, qui l’a logée dans un ancien temple… au
dieu de la pluie.
Pour obtenir plus de fonds, la petite équipe déclare
un cinquième instituteur du nom de Lü Deshui (吕得水)
qui n’est en fait que l’âne de l’école : le
patronyme est homophone de lǘ
驴
signifiant âne, et Deshui (得水)
signifie ‘qui
Les trois maîtres
d’école, le directeur et sa fille
(nous sommes en 1942, comme l’indiquent
les drapeaux du
Guomingdang et du
gouvernement de Nankin
au mur derrière)
va chercher l’eau’, fonction principale de l’animal.
Le 4ème maître, Lü
Deshui
Les enseignants forment un petit groupe original :
la seule femme du groupe, Zhang Yiman (张一曼),
est d’humeur joyeuse et délurée, son collègue Pei
Kuishan (裴魁山)
souffre de problèmes digestifs, le jeune Zhou Tienan
(周铁男)
est une tête brûlée, et le directeur Sun Henghai (孙恒海)
tente désespérément de sauver l’école tout en
élevant sa fille de quinze ans, Sun Jia (孙佳).
Mais un inspecteur est annoncé. Alors le groupe se
met en quatre pour convaincre le chaudronnier du
village de se faire passer pour un prof’ d’anglais.
Ils se tirent d’affaire, et réunissent les fonds
pour rénover l’école. Mais, deux mois plus tard,
l’inspecteur revient… La seconde partie est moins
drôle car la ruse est bien sûr éventée, le
chaudronnier ayant une femme venue mettre son nez
dans leurs affaires. Mais l’humour du film est dans
la rapidité des jeux de mots des dialogues, comme
dans un numéro de xiangsheng, autant que dans
l’absurde des situations.
Une équipe gagnante
La pièce de théâtre comme le film sont des
productions du groupe de théâtre Mahua Fun Age (Kaixin
Mahua
开心麻花).
C’est lui qui a produit en 2015 la comédie à petit
budget « Goodbye Mr. Loser » (《夏洛特烦恼》),
réalisée par Yan Fei (闫飞)
et Peng Damo (彭大魔),
qui a également eu du succès grâce au bouche à
oreille. Le scénario était cependant beaucoup moins
original, avec une histoire où le héros perd
conscience et se retrouve vingt ans plus tôt. Les
intrigues de ce genre, inspirée entre autres du film
de 1986 de Francis
Zhou Shen (à dr) et
Liu Lu présentant leur film
Ford Coppola « Peggie Sue Got Married », se sont multipliées
en Chine ces dernières années, le second film de
Han Han (韩寒)
« Duckweed » (《乘风破浪》)
en est un exemple parmi d’autres.
« Mr. Donkey » est d’un humour bien plus décapant. Le fait
que la pièce ait été jouée pendant plus d’un an par la même
troupe ajoute du peps à leur interprétation : ils sont
parfaitement à l’aise dans des rôles et des dialogues qui
fusent à chaque instant. Le tout, y compris la photo et la
musique, donne l’un de ces petits films qui captive son
public. Il serait cependant sans doute resté dans l’ombre si
la polémique autour du blockbuster de « The Great Wall » ne
l’avait à nouveau propulsé sur le devant de la scène, comme
contre-exemple.