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Les ruines de
Beichuan : postface à « 1428 »
par Brigitte Duzan, 8 septembre 2017
Le 7
septembre dernier, à la fin de la deuxième journée
des Assises de l’anthropologie de la Chine en France
qui se tenaient à l’INALCO, à Paris
,
Katiana le Mentec
(CNRS, CECMC-CCJ) a présenté le résultat de ses
recherches sur les ruines conservées après le séisme
de 2008 au Sichuan ; c’était dans le cadre du thème
de l’après-midi : une anthropologie des
bouleversements territoriaux dans le monde chinois,
bouleversements causés par des catastrophes
naturelles, voire par la main de l’homme. |
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Beichuan préservée |
Le séisme du Sichuan, en 2008, a été l’un des plus
dévastateurs de l’histoire chinoise, et a été le sujet de
plusieurs documentaires, dont le plus connu, et le plus
marquant, est sans doute celui de
Du
Haibin (杜海滨),
tourné au lendemain du séisme :
« 1428 ».

Une ville fantôme |
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Cependant, autant le tremblement de terre a aussitôt
suscité d’innombrables commentaires critiquant la
légèreté de constructions qui se sont effondrées
comme des châteaux de cartes, en particulier les
écoles, et mettant en cause les autorités locales,
autant l’intérêt est retombé peu de temps après la
catastrophe. La communication de Katiana le Mentec
en était d’autant plus intéressante, car portant sur
les usages et les représentations sociales des
ruines de la ville de Beichuan. |
Préservation des ruines transformées en musée à ciel ouvert
En effet, alors que la population survivante de Beichuan
avait été transférée dans une autres bourgade, vu l’étendue
des destructions causées par le séisme lui-même, mais aussi
par les glissements de terrain, les autorités locales,
soutenues par le pouvoir central, ont décidéde ne pas tenter
de reconstruire, mais de préserver les ruines en l’état,
comme un mémorial. Après le séisme, les habitants ont été
déplacés dans le nouveau bourg de Yongchang (永昌镇),
à une vingtaine de kilomètres de là. L’ancienne ville
apparaît telle qu’elle était quelques heures après le
séisme.
C’est un véritable « Musée du tremblement de terre
de Beichuan » (北川国家地震遗址博物馆)
qui a été créé
,
et comporte trois parties :
1/ le musée proprement dit, situé sur le site de
l’ancien lycée.
2/ les ruines de l’ancien chef-lieu de district, qui
était situé dans le bourg de Qushan (曲山镇)
et a été abandonné pour le bourg de Yongchang (永昌镇).
Ces ruines ont été conservées et sécurisées par
d’importants travaux. Le site a été ouvert au public
le 1er octobre 2011.
3/ le lac de Tangjiashan (唐家山堰塞湖),
formé par |
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Un pan de mur avec un
portrait de Mao |
un glissement de terrain provoqué par le tremblement de
terre.
Le projet était conçu dans un triple but : faciliter le
travail de mémoire et celui du deuil, mais aussi permettre
une exploitation touristique.
Profond malaise dans la population

Les touristes au
milieu des ruines |
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Katiana le Mentec a enquêté sur ce dont personne ne
semble se soucier : les sentiments de la population
survivante, qui n’a même pas été consultée.
Le résultat est en effet à l’opposé des deux buts
essentiels recherchés. L’ancienne ville est un lieu
de passage obligé dans les déplacements quotidiens
et ne fait que raviver la douleur des habitants,
lesquels, régulièrement confrontés à ce paysage de
ruines mortifères, ont d’autant plus de mal à faire
leur deuil. |
En outre, tous les corps ensevelis sous les décombres n’ont
pas été retrouvés, une bonne partie des milliers de disparus
sont restés enterrés dans les gravats. Cela fait du site une
sorte de ville fantôme assez effrayante, et même certains
touristes ne veulent pas y mettre les pieds.
L’un des responsables locaux, qui a pourtant soutenu
le projet de préservation, mais qui a perdu sa femme
dans le tremblement de terre, affirme lui-même,
explique Katiana le Mentec, que c’est le dernier
endroit où il voudrait aller.
Seul geste envers les sentiments des survivants,
ajout-t-elle : on devait au départ payer 30 yuans
pour visiter le site ; ce droit d’entrée a été
supprimé, remplacé par le prix de la navette qui y
mène. |
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Un immeuble réduit à
des gravats, avec
devant un panneau
explicatif pour les touristes |
Il reste à faire un documentaire sur cette ville fantôme,
comme postface à
« 1428 ».
Assises de l’anthropologie de la Chine en France,
organisées par Catherine Capdeville-Zeng (Inalco,
ASIES), Caroline Bodolec (CNRS, CECMC), Béatrice
David (Université Paris 8, LEGS), et Aurélie Névot
(CNRS, CECMC), les 6, 7 et 8 septembre 2017.
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