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Fei Xing
非行
Né en 1970
Présentation
par Brigitte Duzan, 23 avril 2014
Réalisateur chinois atypique, Fei Xing a surpris en
présentantau festival de Busan, en 2013, un film
classé « thriller juridique », d’un genre encore
inconnu en Chine continentale : « Silent Witness » (《全民目击》).
C’est son second film, mais le premier, deux ans
plus tôt, dans un genre policier très semblable,
avait déjà révélé son talent de scénariste.
De la musique à la télévision
Fei Xing (非行)
est né en décembre 1970 dans l’Anhui, mais c’est un
pseudonyme : il s’appelait
Li Wenbing (李文兵)
et était destiné à une carrière de musicien, comme
ses parents.
Un étudiant musicien qui rêve
de cinéma
Fei Xing, en effet, est né dans une famille de
musiciens : son |
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Fei Xing |
père était compositeur de musique populaire (traditionnelle)
et sa mère chanteuse d’opéra, chinois et occidental. Dans
son enfance, il a donc appris la musique, et en particulier
à jouer du liuqin (sorte de mandoline à quatre
cordes), puis il est entré à l’Ecole des Beaux-Arts de
l’Anhui, dans la section de musique populaire.
Mais, de son temps, dans les années 1980, la grande passion
des jeunes Chinois n’était pas la musique mais le cinéma, et
surtout le cinéma hollywoodien. Selon une anecdote, Fei Xing
aurait écrit un premier scénario à l’âge de 18 ans, alors
qu’il était encore étudiant. Il en aurait raconté l’histoire
à ses camarades en prétendant, pour plaisanter, que c’était
celle d’un film américain qu’il venait de voir au cinéma.
Elle passionna ses camarades, et en particulier deux filles
qui séchèrent les cours le lendemain pour se précipiter au
cinéma voir le film, sans le trouver, évidemment. Alors Fei
Xing leur avoua sa supercherie ; personne ne voulut croire
que c’était lui qui avait pu écrire une aussi belle
histoire, mais Fei Xing en fut d’autant plus convaincu qu’il
devait se consacrer au cinéma.
A la fin de ses études, cependant, il partit à Shenzhen où
il devint musicien professionnel, créa un groupe de rock
dont il était le guitariste, et, comme il était doué et
avait le verbe facile, il devint vite directeur de programme
à la télévision.
Mais, à 25 ans, brûlant toujours de l’envie de réaliser son
rêve de cinéma, il renonça à une situation qui lui
garantissait une vie facile, revint dans l’Anhui et commença
une carrière de scénariste.
Scénariste pour la télévision
Il écrit un premier scénario en 1998. C’est l’histoire
d’un homme qui sort de prison après avoir purgé une peine
de dix ans ; ne rencontrant pas une seule parole
d’encouragement, ilenvisage donc de reprendre sa vie de
criminel. Fei Xing a en fait trouvé son inspiration dans un
film publicitaire qu’il a vu dans les années 1990 : le
directeur adjoint du Yunnan faisait la promotion de sa
province en disant qu’il y a en Chine trois sortes de
personnes, les touristes qui visitent le Yunnan, les gens
qui sont en route pour y aller, et ceux qui en rêvent. Il a
transposé ce schéma dans son scénario, qui est de même en
trois parties : un, sortie de prison, deux, en route vers le
crime, trois, rédemption. Avec un message : même la plus
petite action peut changer le monde.
Mais, en 1999, son scénario ne passe pas la censure. En
outre, c’était la grande vogue des comédies de fin d’année,
son scénario n’était pas à la mode. Fei Xing le met donc
dans un tiroir et décide d’attendre son heure. Il lui faudra
attendre dix ans.
En attendant, il écrit des scénarios pour la télévision, et
réalise lui-même deux films télévisés basés sur deux d’entre
eux. L’un de ses scénarios donnera une série en 23 épisodes
diffusée en 2004 qui préfigure son film de 2013 : « Un
procès explosif » (《暴风法庭》).
Mais il piétine. L’occasion de passer au cinéma se présente
enfin en 2007.
De la télévision au cinéma
Grâce à un ami, il participe à la production du film
« Painted Skin » (《画皮》).
C’est pour lui le pied à l’étrier.
The Man Behind the Courtyard
Ilremarque que les films d’épouvante ont la faveur
des investisseurs, ressort son scénario de 1998, le
révise, trouve le financement et décide de commencer
le tournage en août 2009. Ce sera son premier film :
« The
Man Behind the Courtyard»
(《守望者:罪恶迷途》).
Il conserve la structure tripartite initiale, mais
ne sortira qu’en 2011, après de multiples
péripéties, dont le changement des financiers. Le
film est produit par Xiao Kai (肖凯),
l’un des membres de l’équipe de production de
« Painted Skin »…
Quelque part dans le sud de la Chine, quatre
étudiants arrivent dans une maison loin de tout,
dont les propriétaires sont des amis des parents de
l’une des filles, pour observer une cérémonie d’une
ethnie de la région. Les propriétaires n’étant pas
là, ils sont reçus par le gardien de la maison,
interprété par Simon Yam. La tension monte peu à
peu, mais tout semble se tasser quand, au bout d’une
demi-heure, le film |
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The Man Behind the
Courtyard |
prend une direction totalement différente, avec un nouveau
personnage qui débarque pour enquêter sur une éventuelle
affaire de fraude…
Simon Yam dans The Man
Behind the Courtyard |
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Le film a la marque distinctive du style de Fei
Xing, et d’abord dans le scénario : plein de
rebondissements, il est construit en reprenant
l’intrigue principale sous des angles et des points
de vue différents. Autant que les films
hollywoodiens dont on le dit inspiré, cette manière
de relancer et complexifier l’action par des
révélations inattendues rappelle beaucoup les
intrigues de Gu Long (古龙),
le grand maître du roman de wuxia taïwanais,
qui réserve ainsi des surprises jusque, et surtout,
dans ses dénouements. |
Il faut dire en outre que Fei Xing a choisi de très bons
interprètes, et que tous les membres de son équipe sont
excellents, dont Liu Qiang (刘强),
le directeur artistique de
Jia Zhangke (贾樟柯)
pour « Still Life » (《三峡好人》)
et
« 24
City » (《24城记》),
et, pour la photographie, Wen Deguang (温德光),
le chef opérateur de
Zhang Yimou pour « Curse of
the Golden Flower » (《满城尽带黄金甲》).
Fei Xing prépare aussitôt son second film, en écrivant un
scénario selon les mêmes principes, mais sur un sujet
complexe où l’intrigue est basée en grande partie sur la
psychologie des personnages.
SilentWitness
« Silent Witness » (《全民目击》)
se passe en grande partie dans une salle d’audience,
où s’affrontent un juge et une avocate, et leurs
témoins. Le procès est celui de la fille d’un riche
homme d’affaires qui est accusée d’avoir tuée la
petite amie de son père, une chanteuse qu’il allait
épouser. Comme dans le film précédent, la première
partie du film énonce une hypothèse qui est ensuite
détruite par un témoin, et l’histoire est ainsi
reprise quatre fois en prenant des points de vue
différents.
Il se trouve que le film est sorti en Chine au
moment où plusieurs affaires crapuleuses concernant
des hommes politiques défrayaient la chronique, dont
celle de Bo Xilai (薄熙来)
qui n’est pas sans rappeler quelques traits du
personnage principal.
Cela a donc servi à la promotion du film. Mais il
aurait eu du succès sans cela, par la seule force de
ses qualités propres. |
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Silent Witness |
Ces qualités tiennent, outre le scénario, à
l’interprétation, tous les acteurs étant excellents, non
seulement le trio central, Sun Honglei (孙红雷), Aaron
Kwok (郭富城) et
Yu Nan (余男),
mais aussi les rôles secondaires, dont Chen Sicheng (陈思成),
qui jouait déjà dans « The Man Behind the Courtyard», et qui
est autrement meilleur, dans les deux films, que dans les
« Nuits d’ivresse printanière » de
Lou Ye (娄烨).
Fei Xing a maintenant une notoriété bien établie. « Silent
Witness » est considéré comme un film qui marque un tournant
dans le cinéma chinois contemporain du Continent, en
établissant les bases d’un genre de thriller très prisé du
public, et capable de concurrencer les grands films de Hong
Kong.
Mais le gros défaut du film vient du dénouement,imposé par
la censure, et sans rapport avec la finesse du reste du
film. C’est non seulement un problème pour celui-ci, c’en
est un aussi pour l’avenir du genre, si les autorités
chinoises veulent continuer à le promouvoir, dans un esprit
de diversification.
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