Huang Ji et Ryuji Otsuka au festival de Rotterdam en
2018
Réalisatrice née en 1984 à Yiyang dans le Hunan (湖南省益阳市),
Huang Ji (黄骥)
a débuté sa carrière dans les années 2000 au moment de
l’essor en Chine du mouvement du documentaire indépendant,
en grande partie grâce au développement des caméras
numériques. Elle a réalisé un premier documentaire en 2004 :
« Sous terre » (《地下》).
Puis elle a entrepris des études d’écriture scénaristique à
l’Institut du cinéma de Pékin dont elle est sortie en 2007.
En
2010, elle réalise un court métrage de 25’, « La température
d’une peau d’orange » (《橘子皮的温度》),
présenté au festival de Berlin. Puis elle travaille en
partenariat avec le Japonais
Ryuji Otsuka qui a de son côté fait des documentaires pour
la télévision japonaise avant de s’établir en Chine en 2005.
Dès leur premier film en commun, le moyen métrage
« Lingling’s Garden » (《玲玲的花园》)
achevé en 2007, ils se sont attachés à étudier la
psychologie et la sexualité des jeunes Chinoises.
La température d’une
peau d’orange
1.
C’est le cas de leur premier long métrage, « Egg
and Stone » (《鸡蛋和石头》),
sorti en février 2012 en première mondiale au festival de
Rotterdam où il a été couronné d’un Tiger award. L’histoire
est celle d’une jeune collégienne qui vit seule chez son
oncle dans la petite ville de Yiyang alors que ses parents
sont partis travailler en ville. Le film brosse avec
délicatesse et sans émotion superflue les tourments
intérieurs de la jeune adolescente qui se retrouve enceinte
dans des circonstances dont elle ne peut parler, et sans
avoir personne à qui se confier.
Egg and Stone
Aussitôt après la sortie du film, elle emmène son bébé voir
ses parents et filme la rencontre. Cela donne le
documentaire « Trace » (《痕迹》)
qui a été présenté en mars 2013 au festival de Hong Kong.
2.
Après « Egg and Stone », Huang Ji avait annoncé deux autres
films qui formeraient une « trilogie de la condition
féminine en milieu rural » (“农村女性三部曲”).
Le deuxième est sorti en 2017 : c’est « The Foolish Bird »
(《笨鸟》)
qui a été présenté à la 67ème Berlinale et au 11ème
festival FIRST de Xining. Il a été couronné du prix spécial
du jury à la Berlinale, dans la section « New Generation ».
The Foolish Bird
L’histoire est celle d’une jeune lycéenne de 16 ans, Lin Sen
(林森),
qui prépare l’examen d’entrée à l’université, mais dont la
mère veut qu’elle passe l’examen pour entrer dans la police.
Son amie Meizi (梅子),
une enfant adoptée, ne veut pas s’occuper de son frère qui a
une maladie mentale. Les deux adolescentes se réfugient
souvent ensemble dans des cafés internet. Pendant ce temps,
une élève dans la classe de Meizi est violée et tuée. Le
téléphone portable de Meizi ayant été confisqué par sa mère
adoptive, Lin Sen en subtilise un pour le remplacer. Elles
continuent à en voler… mais Meizi disparaît, Lin Sen
continue seule, de plus en plus perturbée…
The Foolish Bird, trailer
3. La
trilogie est complétée en 2021 avec « Stonewalling »
(《石门》)
sorti en première mondiale à Hong Kong en mars 2021, et
présenté au festival de New York fin octobre 2022. Le film
est sur le thème des mères porteuses et du don de sperme
dont on commence en Chine à voir se profiler un véritable
marché noir
[1].
Dans ce film, la jeune Lin Sen a maintenant vingt ans. Elle
étudie l’anglais et se prépare à devenir hôtesse. Dans sa
ville natale, sa mère gère une petite clinique gynécologique
privée, mais se retrouve dans une situation financière
difficile en raison d’une erreur médicale qui a entraîné une
fausse couche chez l’une de ses patientes. Cherchant à aider
sa mère à payer les indemnités, Lin Sen découvre qu’elle est
enceinte, et saute sur l’occasion : elle propose au couple
d’accoucher sous un pseudonyme et de leur offrir son bébé en
compensation. Mais alors qu’elle est sur le point
d’accoucher, avant les fêtes du Nouvel An, l’épidémie
éclate, elle se retrouve confinée chez elle…
Stonewalling
Le
film est dans le style du documentaire indépendant : il est
filmé dans la clinique des parents de Huang Ji qui
interprètent les parents de Lin Sen. Le film a été terminé
en dix mois, c’est-à-dire en gros la durée de la grossesse,
la durée étant adaptée à l’expérience authentique de
l’actrice principale, Yao Yonghui (姚红贵),
celle qui jouait déjà dans les deux films précédents. Le
film est né d’une réflexion personnelle de la réalisatrice
complétée par des interviews d’étudiantes. C’est un tableau
de la vie dans la Chine d’aujourd’hui où se croisent les
questions de classe et de genre.
« Stonewalling » n’est pas passé par la censure bien
qu’entièrement filmé en Chine. Le financement provient de
festivals internationaux de cinéma (le fonds Hubert Bals du
festival de Rotterdam et le Asia Financing Forum du festival
de Hong Kong). De toute façon, il n’y a eu aucune sortie
nationale en Chine entre le 3 et le 24 octobre, et seulement
huit sorties nationales sont annoncées pour novembre et
décembre. Un mur, c’est bien ce qu’affrontent les
réalisateurs chinois qui tentent de soumettre leurs films à
la censure en ce moment. La stratégie de Huang Ji semble
être payante dans le climat actuel.
[1]
Marché sulfureux qu’a dépeint
Sheng Keyi (盛可以)
avec humour et poésie dans son récit prémonitoire
intitulé « Un
Paradis » (《福地》),
initialement publié dans la revue Shouhuo en
mars 2016.