Depuis
2021, Jia Ling est célèbre en Chine pour le film « Hi,
Mom » (《你好,李焕英》)
qu’elle a coécrit et réalisé et dont elle interprète le rôle
principal : sortie sur les écrans chinois en février 2021,
pour les fêtes du Nouvel An, cette comédie a été, et reste,
l’un des plus « gros » succès de tous les temps au
box-office chinois
[1].
Même en tenant compte des raisons qui ont contribué à un tel
succès (impact du confinement, médiocrité des films en
concurrence), il est certain que le film a touché des cordes
sensibles et qu’il reflète un phénomène de société à l’aube
des années 2020.
Le xiangsheng comme comédie télévisée d’un nouveau genre
Jia
Ling (贾玲)
est née en avril 1982 dans le district de Yicheng (宜城),
dans le nord du Hubei. En 1994, voulant devenir actrice,
elle entre à l’École d’art de Wuhan (武汉艺术学校)
où elle étudie pendant deux ans. En 2000, elle postule pour
la classe d’interprétation de l’Institut central d’art
dramatique (中央戏剧学院),
mais sa candidature n’est pas retenue. Elle la renouvelle
l’année suivante, en postulant également pour la classe de
xiangsheng (相声)
[2],
classe dans laquelle elle est finalement admise.
C’est
alors, fin 2001, qu’elle reçoit la nouvelle que sa mère est
morte dans un accident : alors qu’elle était allée aider son
mari à rentrer le foin et qu’ils repartaient en tracteur,
elle s’était assise sur le haut du chargement pour le
stabiliser et elle était tombée. Elle avait 48 ans. Cela
restera un trauma pour Jia Ling.
Sa
sœur aînée abandonne alors ses études pour l’aider à
poursuivre les siennes. Mais, après l’obtention de son
diplôme, en 2003, elle ne trouve pas de travail comme
interprète de xiangsheng, discipline déjà assez rare,
où les femmes le sont encore plus. Elle fait donc
toutes sortes de petits boulots pour survivre, toujours avec
l’aide de sa sœur.
En
2003, cependant, elle participe à la compétition nationale
de xiangsheng (全国相声小品邀请赛),
et remporte le premier prix. Deux ans plus tard, elle est
admise dans la troupe artistique de la Radio chinoise (中国广播艺术团)
et en 2006 remporte le deuxième prix de la compétition de
xiangsheng de la télévision nationale (CCTV).
En
juillet 2009, avec un autre comédien, elle forme une troupe
intitulée « Taverne du nouveau rire » (新笑声客栈),
en créant un nouveau style de xiangsheng, baptisé
« cool » (kùkǒu
xiàngsheng
酷口相声).
Et en 2010, elle fait ses débuts à la télévision, dans le
Gala du Nouvel An de CCTV, avec un sketch qui arrive en
troisième place dans les préférences des téléspectateurs.
En
juin 2014, elle est l’une des principales interprètes d’un
show d’improvisation avec un sketch intitulé « Lok Street »
(xǐlè
jiē《喜乐街》),
littéralement « Rue de la joie ».
Son sketch
est repris dans le Gala du Nouvel An de CCTV en février 2015
(《2015年中央电视台春节联欢晚会》).
Cette
même année, Jia Ling monte un
autre sketch, adapté de la légende de Hua Mulan
(《木兰从军》),
pour un show de la télévision du Zhejiang intitulé
« Mobilisation générale pour la comédie » (《喜剧总动员》).
Le sketch est diffusé en septembre 2016 et soulève une vive
controverse : au lieu de l’héroïne qui s’habille en homme
pour aller vaillamment combattre à la place de son père, Jia
Ling fait de Mulan une jeune paysanne un peu idiote qui
s’enrôle sous les drapeaux pour manger à sa faim. Un
institut de recherche sur Mulan va jusqu’à demander à Jia
Ling de faire des excuses publiques…
En
2016, elle participe avec son équipe à la première saison
d’une compétition de comédies télévisées avec un sketch en
hommage à sa mère intitulé « Hello, Li Huanying » (《你好,李焕英》)
qui remporte la première place dans le show télévisé. Elle
continue de participer à ces shows télévisés dans les années
suivantes, mais entre-temps « Hello, Li Huanying » a été
adapté au cinéma, pour devenir « Hi, Mom »…
De « Hello, Li Huanying » à« Hi, Mom »
« Hi,
Mom » (《你好,李焕英》)
a remporté un succès que rien ne laissait prévoir, sauf un
heureux concours de circonstances, dans un contexte
post-covid de cinéma anémique. Malgré tout, ce que l’on peut
en retenir, au-delà des chiffres, c’est l’impact d’ordre
émotionnel du film : si l’idée d’un retour vers le passé a
un côté un peu simpliste, y compris dans sa matérialisation
à l’écran, le scénario joue ensuite sur les possibilités
qu’offre cet artifice pour revenir sur la relation
mère-fille, avec un regard rétrospectif.
Hi, Mom
En
recréant l’atmosphère des années 1980, dans un contexte
épidémique tendu où la grande majorité des Chinois étaient
dans l’impossibilité de rentrer dans leur famille au moment
des fêtes du Nouvel An, le gouvernement ayant interdit les
déplacements pour des raisons sanitaires, le film a suscité
une émotion d’autant plus forte auprès de spectateurs
bloqués loin de chez eux. Le changement de titre même (de
« Hi, Li Huanying » à « Hi, Mom ») souligne l’aspect
symbolique de la mère dans le film, au-delà de celle,
précisément, de Jia Ling, facilitant la symbiose affective
de chacun avec le personnage du film, entre rire et larmes,
comme dans les mélodrames d’antan.
« Hi,
Mom » reste malgré tout empreint de sa marque originelle :
les productions de comédies télévisées. Le xiangsheng
de Jia Ling est d’un comique souvent lourd, fort
heureusement allégé dans son film dont on retient
finalement l’atmosphère nostalgique de passé aux teintes
pastel soulignées à plaisir par la photo – de Sun Ming (孙明)
plutôt que de Liu Yin (刘寅)
[3].
Et de« Hi, Mom » à « YOLO »
Jia
Ling s’éclipse ensuite pour préparer son deuxième film,
« YOLO » (《热辣滚烫》),
qui sort en février 2024, comme le précédent pour les fêtes
du Nouvel An.
YOLO
« YOLO » est adapté d’un film japonais de 2014 : « 100 Yen
Love » (《百円の恋》)
– un film classé « sports drama » et qualifié par un
critique du Hollywood Reporter de « powerful portrait of
punch-drunk love » ; il avait pour lui d’avoir obtenu le
Japanese Cinema Splash Award au 27e festival de
cinéma de Tokyo.
100 Yen Love
Écrit
avec quatre autres coscénaristes, « YOLO » reprend les
grandes lignes du scénario du film japonais, mais en lui
insufflant une autre dynamique et une thématique légèrement
différente. « YOLO » est l’histoire d’une jeune femme d’une
trentaine d’années, Du Leying (杜乐莹),
vivant avec ses parents, dans une semi-réclusion, déçue par
la vie, en conflit avec sa sœur et trompée par sa meilleure
amie ; tombée amoureuse d’un entraîneur de boxe, elle finit
par trouver un équilibre physique et émotionnel dans une
pratique sportive qui lui redonne tonus et confiance en
elle, et une nouvelle indépendance. Le titre chinois - Rè
là gǔntàng《热辣滚烫》-
soit « chaud, épicé et brûlant », se veut symboliser cette
vie dont la réussite finale est faite de combats acharnés.
YOLO, trailer
Jia
Ling – qui interprète Du Leying - semble avoir elle-même
suivi le parcours de son personnage, ayant perdu quelque
cinquante kilos pour le tournage comme le soulignent ad
libitum le dossier de presse et la plupart des articles sur
le film
[4].
Il a ainsi soulevé toute une
polémique sur le culte du corps
en Chine aujourd’hui, surtout chez les jeunes femmes, culte
exacerbé au cinéma, mais présent aussi en littérature[5] :
comme si la perte de poids était la voie royale vers un
regard apaisé sur soi-même. Le film est aussi la
glorification de la jouissance épicurienne du moment présent
– YOLO étant l’acronyme de « You Only Live Once ». Jia Ling
en sort transformée, et plus que jamais emblématique d’un
cinéma au féminin
On
retiendra que « YOLO » a été un nouveau succès au
box-office. Les droits de distribution à l’international ont
été acquis par Sony Pictures. Le film est sorti le 21 mars
2024 à Singapour et en Malaisie. Jia Ling a de beaux jours
devant elle.
La nouvelle Jia Ling
En
Chine, cependant, beaucoup de ses fans ne se
reconnaissent plus en elle… L’avenir n’est pas si
souriant que ses nouvelles photos.
[1]
Et, en décembre 2024, reste noté 7.7
sur douban.
[2]Genre
relevant d’une tradition populaire du nord,
longtemps divertissement des Galas de fin d’année de
la télévision chinoise, sous l’égide de
Zhao Benshan (赵本山)
et de ses disciples.