par Brigitte Duzan, 24 août
2013, actualisé 18
octobre 2022
Née en
décembre 1973 dans le Shandong, Li Yu (李玉)a commencé à seize ans une carrière d’animatrice d’émissions télévisées,
à la chaîne de télévision du Shandong, et a continué pour
faire plaisir à sa mère pendant qu’elle poursuivait des
études littéraires.
Après
avoir obtenu son diplôme, cependant, elle a démissionné pour
partir à Pékin. Après une période de recherche, elle a été
embauchée par CCTV, devenant réalisatrice de documentaires
pour l’émission « Espace de vie » (《生活空间》) :
« Sisters » (《姐姐》)
en 1996, « Stay and Hope » (《守望>》)
en 1997 et « Honours and Dreams » (《光荣与梦想》)
en 1998, qui furent
tous les trois primés.
1.
Fish and Elephant
C’est en
2000 qu’elle s’est lancée dans une carrière
Li Yu
cinématographique, avec son premier long métrage de fiction,
« Fish
and Elephant » (《今年夏天》),
sorti en 2001 et aussitôt salué comme une œuvre originale
tant par son sujet que par la manière dont il est traité.
Fish and Elephant
Le
scénario retrace les relations de deux jeunes filles, Liu
Xiaoqun (刘小群)
et Xiaoling (小玲).
La première, la trentaine, originaire du Sichuan et toujours
célibataire, travaille dans un zoo, où elle est en charge
d’un éléphant. Xiaoling fabrique des vêtements qu’elle vend
dans une petite échoppe. Liu Xiaoqun est harcelée par sa
mère, divorcée, qui voudrait la voir mariée. Mais elle est
lesbienne, et préfère la compagnie de Xiaoling à celle des
hommes que lui envoient sa mère et son oncle. La situation
se complique lorsque surgit brusquement une ancienne amie de
Xiaoqun, qui vient de tuer son père…
C’est un
film très subtil, qui évite les clichés et offre au
contraire une analyse très profonde des caractères de chacun
des personnages, y compris la mère de Xiaoqun qui est en
fait un pivot essentiel du récit. C’est en outre un film qui
fait date dans l’histoire du cinéma chinois : c’est le
premier film underground lesbien en Chine, mais sans être
militant.
Li Yu a
réalisé là une transition très réussie de son expérience de
documentariste au cinéma de fiction, conservant dans son
film des éléments quasi documentaires qui lui donnent
profondeur et crédibilité. « Fish and Elephant » a obtenu
le prix Elvira Notari
à la Biennale de Venise en 2001, et le Grand Prix du Forum à
la Berlinale en 2002. Il a été présenté dans une soixantaine
de festivals dans le monde. On peut toujours le regarder
avec le même plaisir, il n’a pas pris une ride.
Le
deuxième film de Li Yu n’a été réalisé qu’en 2005 : c’est « Dam
Street » (《红颜》), sur un très beau scénario primé au festival de Pusan en 2002.
« Dam
Street » a été tourné au Sichuan, en dialecte local.
Là encore, Li Yu a traité avec une grande retenue un thème
qui aurait facilement pu tourner au mélo. Une élève de seize
ans, Xiaoyun (小云),
découvre qu’elle est enceinte ; nous sommes au début des
années 1983 et l’histoire fait scandale, d’autant plus que
la mère de Xiaoyun est elle-même institutrice. Xiaoyun est
exclue de son école, et son petit ami envoyé en
apprentissage dans une autre ville. La sœur aînée du garçon,
Zhengyue, qui est infirmière, aide la mère de Xiaoyun lors
de l’accouchement et les deux femmes annoncent à Xiaoyun que
le bébé est mort à la naissance ; il est en fait bien
vivant, mais adopté par une famille d’instituteurs, de
l’autre côté de la rivière.
Dam Street
Dix ans
plus tard, Xiaoyun est devenue chanteuse d’opéra, et vit
toujours dans la même petite ville. Elle se produit avec la
troupe locale, sur des estrades de fortune, mais on lui
demande plus souvent de chanter des chansons pop dans les
cafés et les bars. Alors qu’elle mène une vie triste,
entraînée malgré elle dans des aventures sans lendemain avec
des hommes mariés, elle rencontre un jour un petit garçon de
dix ans, élève de sa mère, nommé Xiaoyong (小勇) ;
vif et précoce, il la suit comme son ombre, et il naît entre
eux un sentiment indéfinissable propre à faire – encore –
hausser les sourcils. Xiaoyong est en fait le fils de
Zhengyue, qui ne voit pas cette amitié d’un bon œil. Et les
choses se gâtent encore plus quand la mère de Xiaoyun
découvre l’histoire…
Le film
tourne autour du drame latent sans le laisser éclater, mais
le twist final est entièrement prévisible. Cependant, « Dam
Street » reste un très beau film malgré ses défauts.
Outre la photographie, signée Wang Wei, il doit beaucoup à
la qualité de l’interprétation, celle de l’enfant, en
particulier, qui est extraordinaire de vérité. Il est
dommage, en revanche, que le personnage de Xiaoyun adulte,
pourtant interprété par une véritable chanteuse d’opéra du
Sichuan, Liu Yi (刘谊),
n’ait pas été
développé pour faire ressortir son rêve frustré d’opéra.
Le film
a été primé à la Biennale de Venise en 2005 où il était
présenté en première mondiale ; il a également été couronné
du Lotus d’or du meilleur film au Festival du film asiatique
de Deauville en 2006 et l’actrice Li Kechun (李克纯)a reçu un Coq d’or
au festival du même nom pour son interprétation
de la mère de Xiaoyun.
C’est
avec son troisième film, en 2006, que Li Yu s’est vraiment
fait connaître, et en particulier à l’étranger : « Lost
in Beijing » (《苹果》)
est cette fois-ci une satire de la vie moderne dans les
grandes villes chinoises. Le scénario est de Li Yu et Fang
Li (方励)
qui est, comme pour « Dam Street », également coproducteur
du film avec sa société Laurel Films, l’autre coproducteur
étant Sylvain Bursztejn avec Rosem Films.
Un
scénario alambiqué
Liu
Pingguo (刘苹果)et son mari Ankun (安坤)
sont deux jeunes migrants venus du Dongbei à Pékin où ils
mènent une vie de misère. Ankun est laveur de vitres et
Pingguo est masseuse de pieds dans un salon de massage dont
le propriétaire, Lin Dong (林东),
est un fieffé coureur de jupons. Sa meilleure amie ayant été
limogée pour avoir agressé un client, Pingguo sort avec
elle pour la consoler ; le dîner ayant
Lost in Beijing
été bien
arrosé, Pingguo
rentre ivre dans le salon désert où elle a un malaise. Lin
Dong en profite pour la violer, mais il est surpris par
Ankun venu laver les vitres.
Entre réalisme urbain
Celui-ci
tente alors de faire chanter Lin Dong, et finit séduit par
sa femme. Mais Pingguo se retrouve enceinte, sans que l’on
sache exactement de qui, et comme la femme de Lin Dong ne
peut avoir d’enfant, il propose à Ankun de lui acheter celui
que va avoir Pingguo ; l’affaire est conclue après un
marchandage sophistiqué entre les deux hommes, aux termes
duquel le bébé reviendra à l’un ou à l’autre selon les
résultats du test de paternité, avec une compensation
financière dépendant de ces résultats, mais tenant compte du
tort infligé à Ankun. Il n’est pas question de Pingguo.
Quand le
bébé naît, il s’avère que le père est effectivement Ankun.
Mais il réussit à persuader Lin Dong que le bébé est bien de
lui, et touche les 120 000 RMB à la clé. Sur quoi il devient
jaloux de la joie de Lin Dong, et finit par kidnapper le
bébé pour le récupérer. Quant à Pingguo, devenue bonne
d’enfants chez Lin Dong dont la femme a divorcé, elle finit
par partir avec le bébé et les RMB…
On voit
tout de suite la lourdeur du scénario dont l’idée de départ
n’était pourtant pas mauvaise. Truffé d’incohérences, le
film manque en outre d’unité de ton. Il commence comme un
mélodrame à teneur de satire sociale et tourne à la comédie
de mœurs, pour revenir au mélo en conclusion, avec des
séquences dans un style docu/fiction qui rappelle les débuts
de Li Yu. La réalisatrice tombe finalement dans les excès de
la critique sociale, en accumulant et forçant les traits :
corruption, vénalité, misère et paillettes de la vie en
ville, etc…
Et décor baroque
Réception mitigée, interdiction en Chine
« Lost
in Beijing » a connu bien des difficultés lors de sa sortie,
et d’abord au festival de Berlin, en février 2007. Les
censeurs chinois ayant demandé une quinzaine de coupures, il
s’ensuivit des négociations semblables au marchandage, dans
le film, autour du bébé. Finalement, le film fut projeté
sans les coupures demandées, donc sans autorisation.
La
situation fut difficile au retour en Chine. Le film est
sorti à Hong Kong avec une interdiction aux moins de 18 ans,
mais, en Chine continentale, il arrivait dans la période
sensible de préparation des Jeux olympiques de Pékin. Déjà
coupable d’avoir été projeté sans autorisation à Berlin,
« Lost in Beijing » fut victime du raidissement de la
censure opéré pour l’occasion, et qui n’a d’ailleurs fait
qu’empirer depuis lors. Après quelques tergiversations, non
seulement le film fut interdit au tout début de 2008, mais
la société Laurel Films ainsi que Li Yu furent aussi frappés
d’une interdiction de tournage pendant deux ans.
Début
de la collaboration avec Fan Bingbing
« Lost
in Beijing » est par ailleurs le premier film de Li Yu avec
l’actrice Fan Bingbing (范冰冰).
Elle y est en retrait derrière les deux acteurs
principaux,Tong Dawei (佟大为)dans le rôle d’Ankun
et Tony Leung Ka-fai (梁家辉)
dans celui de Lin Dong, mais elle va
devenir une figure récurrente de la filmographie de Li Yu,
comme Fang Li, et l’élément majeur de la promotion de ses
films
[1].
Ce
tournant dans l’œuvre de Li Yu va se trouver confirmé avec
le film suivant. Il n’est pas forcément totalement voulu,
traduisant certainement les pressions auxquelles sont soumis
les cinéastes aujourd’hui, entre censure et marché, mais il
entraîne la réalisatrice dans une spirale où son talent est
aspiré.
4.
Buddha Mountain
Projeté
en première mondiale au 23ème Festival de Tokyo en octobre
2010, « Buddha Mountain » (《观音山》)
est une chronique de la vie de trois jeunes en pleine crise
de l’adolescence, qui, pour échapper aux contraintes
familiales et sociales, louent des chambres chez une
chanteuse d’opéra à la retraite qui a ses propres problèmes
existentiels à surmonter. Le film part donc de l’idée
intéressante de mettre en parallèle la révolte des uns et
les tourments de l’autre, la solidarité des uns et la
solitude de l’autre, en en faisant un drame humain d’où
l’humour n’est pas exclu, et où les soucis des uns et des
autres se rejoignent dans la quête du sens de la vie, et de
l’impermanence des choses.
Cependant, comme dans le film précédent, le scénario de
« Buddha Mountain » se perd dans un entrelacs complexe de
fils narratifs qui enlève toute cohésion au film. Une foule
d’indices laissés d’abord mystérieux contribue à créer une
atmosphère de vie en suspens, dans l’attente d’une
révélation
Buddha Mountain
de leur
sens ultime. Mais quand celui-ci apparaît enfin, c’est un
anti-climax.
Le
personnage de la chanteuse âgée, superbement interprété par
Sylvia Chang (张艾嘉),
est certes laissé dans le flou parce que l’intrigue l’exige,
mais, comme dans « Dam Street », il n’est pas développé en
utilisant tout son potentiel. Elle est finalement réduite à
une mère qui pleure son fils. Et c’est peut-être là que le
film pèche le plus
[2].
Car
« Buddha Mountain » laisse par moments entrevoir le film
superbe qu’il aurait pu être. Chaque fois que Sylvia Chang
apparaît. Et ces moments-là font (presque) oublier les
maladresses du reste.
Le film
a été généralement assez bien accueilli par la critique
anglo-saxonne qui a apprécié le renouvellement de la
thématique des dérives de la jeunesse urbaine chinoise. Mais
les prix ont été rares, même au Festival du film asiatique
de Deauville, en 2011, où le film a cependant été acclamé
par le public. La principale récompense est celle qui a
couronné Fan Bingbing meilleure actrice au festival de
Tokyo.
Mais le
film a rapporté quatre fois son budget. Et cette course au
résultat au box office caractérise aussi le film suivant,
comme le cinéma chinois dans son ensemble. En ce sens, Li Yu
est entrée dans le mainstream.
5.
Double Xposure
Sorti en
Chine le 29 septembre 2012, « Double Xposure » (《二次曝光》)
a été de toute évidence calibré pour le public chinois, en
capitalisant sur la vogue actuelle des films policiers et à
suspense. C’est un film techniquement et visuellement plus
complexe que les précédents, filmé en 35 mm mais avec des
flashbacks en 16 mm, mêlant séquences sous-marines, prises
de vue en hélicoptère et effets spéciaux, le tout signé
Florian Zinke qui était l’assistant chef opérateur de
« Buddha Mountain ». Pari gagné : le film a eu un grand
succès, et rapporté plus de 108 millions de RMB pour un
budget de 45 millions.
Classé
dans les « thrillers psychologiques », il a un scénario
particulièrement alambiqué, basé sur la personnalité d’une
femme, Song Qi (宋其),
dont on découvre la folie à mi-parcours ; toute la première
partie du film s’avère ainsi avoir consisté en des
hallucinations auxquelles elle est sujette depuis l’enfance
à la suite d’un traumatisme ; chaque personnage est double :
une image hallucinatoire, miroir d’une personne réelle du
passé, et les faits sont également doubles : une
hallucination tenue au départ pour la réalité se révélant
être une image en miroir d’un fait ancien reconstruit de
façon sensiblement différente.
Song Qi
n’en finit pas de revivre ainsi le traumatisme vécu dans son
passé dont elle n’arrive pas à se libérer. L’idée est
séduisante, mais les deux parties du scénario semblent
difficiles à concilier. Les critiques sont jusqu’ici
mitigées, jusque dans l’appréciation de l’interprétation de
Fan Bingbing dans le rôle principal. Elle apparaît cependant
désormais comme l’alter ego incontournable de la
réalisatrice, son miroir à l’écran et son principal atout
promotionnel.
Le film
n’est pas encore parvenu en Europe, malgré la promotion
faite au festival de Cannes. Mais, de toute façon, on a
perdu Li Yu quelque part du côté de Dam Street…
Bande annonce
6.
Ever Since We Love
Pour son
sixième long métrage, « Ever Since we Love » (《万物生长》),
Li Yu a choisi d’adapter un roman de Feng Tang (冯唐)
[3]
considéré comme un équivalent chinois de « Catcher in the
Rye » : « Everything Grows » (《万物生长》),
dont le titre chinois a été conservé comme titre du film en
chinois
[4].
Feng
Tang est un avatar récent de ce qu’était Wang Shuo (王朔)
dans les années 1990
[5].
Mais Wang Shuo était surtout turbulent et résolument
marginal, Feng Tang ajoute à l’aliénation de la jeunesse
moderne une touche érotique provocatrice qui a entraîné
l’interdiction du roman en Chine mais qui est l’élément
principal retenu par Li Yu.
Le roman
de Feng Tang est le deuxième volet d’une trilogie
autobiographique sur ses années d‘étudiant en médecine. Le
contexte est donc celui de blagues de potache, qui donne
l’ambiance du début du film. Après avoir été abandonné
par sa petite amie, le personnage principal,
Qiu Shui (秋水),
entre
Ever Since We Love
en fac de
médecine et le film déroule ses histoires sentimentales sur
fond de vie en fac avec sa bande de copains. La grande
histoire de Qiu Shui, pendant cette première année de fac,
est sa rencontre avec Liu Qing (柳青),
plus âgée que lui, émancipée et séduisante pour le jeune
étudiant ébloui.
Fan
Bingbing/Han Geng : entreprise de séduction
Le film
marque une recherche stylistique dans la filmographie de Li
Yu, avec un rythme chaotique au début, pour traduire le
monde étudiant, et l’insertion de séquences d’animation qui
ajoutent une note débridée et insolite.
Qiu
Shui est interprété par Han Geng (韩庚),
mais, autant il était parfait dans le rôle (un peu en
retrait) de Lin Jing (林静)
dans « So Young » (《致青春》)
de Zhao Wei (赵薇),
autant il peine à tenir le devant de la scène dans « Ever
Since We Love ».
Le film
est en fait déséquilibré par le désir évident de la
réalisatrice de se couler dans la mode actuelle, en Chine,
des films sur la jeunesse estudiantine et ses premiers
émois. Or, Li Yu tente de faire œuvre originale dans ce
contexte en tirant son film vers l’âge adulte et en revenant
vers ce en quoi elle excelle, la peinture complexe de la
psyché féminine.
Et la
femme au centre de son film, c’est évidemment Fan Bingbing,
dans un rôle qui
pousse à ses limites ce qu’il est possible de faire en
matière de scènes érotiques dans le cinéma chinois
aujourd’hui, mais où elle peine à convaincre totalement. On
reste, pour Li Yu, au bord de l’exercice de style.
Coproduit par Fang Li (方励)
et Lu Jinbo (路金波),
la star de l’édition sur internet [6],
« Ever Since We Love » est sorti
Présentation du film avec de g. à dr. Han Geng,
Li
Yu, Fan Bingbing, Feng Tang et Lu Jinbo
en Chine en avril 2015 et a battu des records au box-office
à sa sortie.
Ever Since We
Love (sous-titres chinois et anglais)
7.
Tiger Robbers
Sorti en mai 2021, « Tiger Robbers » (《阳光劫匪》)
est un flop du duo Li Yu/Fan Li. L’idée de départ
était pourtant attrayante, et le dessin animé du
début, annonçant une « fable urbaine », laisse
espérer un film original. Mais la suite ne tient pas
la route.
Une jeune femme a récupéré un petit tigre quand le
zoo où elle travaillait a fermé ses portes et l’a
élevé comme animal de compagnie, mais il est
kidnappé. Elle embauche alors un groupe de jeunes
qui ont fondé une agence de recherche d’animaux
domestiques pour partir en quête du tigre. Ce qui
leur permet de découvrir le sous-sol mystérieux
d’une entreprise où sont engrangés des trésors… et
tout cela pour en arriver au fin mot de l’histoire :
si le tigre a été kidnappé, c’est parce que le
voleur a perdu sa petite sœur et qu’il est persuadé
que le tigre est sa réincarnation…
Tiger Robbers
Le film
serait une adaptation d’un roman (ou deux) de l’écrivain
japonais
Kōtarō Isaka, mais le tigre est un animal a
priori inédit dans son œuvre et le scénario défie même le
plus fantasque des mangas. En ajoutant une touche mélo
indigente : le film est dédié « à tous ceux qui, même après
avoir essuyé perte sur perte, continuent à garder l’espoir
au cœur et osent aimer à nouveau »
(那些在不断失去中,依然心怀阳光,勇敢去爱的人们).
Tiger
Robbers
(sous-titres chinois et
anglais)
8.
The Fallen Bridge
Après l’échec de« Tiger Robbers », Li Yu a
récidivé avec« The Fallen Bridge » (《断•桥》)
[7], sorti un
an plus tard, en juin 2022. L’atmosphère se veut
être celle d’un thriller à la mode, mais le scénario
– toujours conçu avec son comparse Fan Li - peine à
créer le suspense au-delà des clichés de l’image
[8].
Dans une ville du Sichuan, un pont s’effondre
soudain, faisant trois morts et une demi-douzaine de
blessés ; la catastrophe révèle surtout un cadavre
qui était pris dans le béton d’un pilier. Or le
corps est identifié comme étant celui de
l’architecte qui a conçu le pont, Wen Liang (闻亮),
qui, justement, a disparu huit ans plus tôt. Et il
porte sur lui, dans une poche, une lettre adressée
au pdg de la société qui a construit le pont, Ju
Huaiyi (菊怀义),
dans laquelle il lui fait part de défauts dans la
construction qu’il est important de
Fallen Bridge
corriger. Sur quoi ce même Ju Huaiyi est trouvé mort sur un
chantier.
Apprenant ces nouvelles, la fille de Wen Liang, Wen Xiaoyu (闻晓雨)
– qui fait elle-même des études d’architecture – décide de
mener l’enquête, aidée de son parrain, Zhu Fangzheng (朱方正),
un ancien ami de son père qui l’a recueillie chez lui quand
sa mère, poussée par Zhu Fangzheng, a divorcé parce que Wen
Liang la trompait…. Autant de mensonges et d’entourloupes
qui pointent vers la responsabilité du parrain. Mais c’est
aussi fin que du gros sel. Il suffisait d’ajouter, pour
l’histoire d’amour qui manquait au thriller, que la jeune
Wen Xiaoyu est approchée au passage par un marginal qui
semble en savoir beaucoup, mais qui ne peut se dévoiler car
il a lui-même tué un magistrat qui a violé sa sœur, huit ans
auparavant (tiens…).
La main du cadavre
apparaissant
Fan Wei dans le rôle
de Zhu Fangzheng
Le film est gris, filmé sous une pluie récurrente et
des cieux aussi plombés que le scénario ; les
premières images feraient presque croire à un film
de
Diao Yinan (刁亦男).
Les films de Li Yu sont d’ordinaire centrés sur un
personnage féminin, pendant longtemps interprété par
Fan Bingbing. Mais ici le personnage de Wen Xiaoyu
est sans éclat. Sans vouloir être injuste envers les
rôles féminins secondaires, celui qui ressort du
film, c’est
Fan Wei (范伟)
dans le rôle de Zhu Fangzheng, le seul à se sortir
avec
les
honneurs de ce loupé. Le duo Li Yu / Fang Li est arrivé à un
point de non-retour.
The Fallen
Bridge, trailer
[1]En revanche, Li Yu n’avait pas de chef opérateur attitré, ce qui tendait
à brouiller le style visuel de ses films.
[2]Selon Li Yu elle-même, le rôle était bien plus étoffé au départ, mais
une séquence initiale la concernant a été supprimée
au montage, « pour accroître l’homogénéité du
scénario ». Cette séquence montrait la cantatrice
lors d’une répétition d’un opéra, évincée au profit
d’une chanteuse plus jeune, ce qui donnait bien plus
de profondeur à la prostration dans laquelle elle se
trouve au début du film. On a l’impression que tout
a été fait pour réduire le rôle de
Sylvia Chang pour
qu’il ne prime pas sur les autres, et en particulier
celui de Fan Bingbing. On rêve d’un nouveau montage.
[4]
Le roman est paru en France, traduit par Sylvie
Gentil, sous le titre « Qiu comme l’automne », du
nom du personnage principal (Qiu comme l’automne,
L’Olivier, 2007).
C’est lui qui a fait
éditer Feng Tang, après Wang Shuo, Han Han et
autres….
[7]
Le titre chinois, Duan.Qiao (《断•桥》)
ou Pont brisé, évoque aussitôt la célèbre
légende du Serpent blanc : c’est près de ce pont
que se situe la rencontre entre le Serpent blanc et
son futur époux Xu Xian. C’est l’un des multiples
mirages du film. L’autre référence tout aussi
fallacieuse étant la légende de Meng Jiang faisant
écrouler de ses pleurs la Grande Muraille (《孟姜女哭长城》)
et retrouvant son mari qui y avait été enterré.
[8]
Image qui va jusqu’à frôler le ridicule, en
particulier quand apparaît la main du cadavre dans
un trou du béton.