Ling Zi 凌子
Présentation
par
Brigitte Duzan, 30 janvier 2025
Née en
1941, Ling Zi (凌子) est l’une des réalisatrices chinoises les
plus étonnantes et les plus méconnues du renouveau du cinéma
chinois après la Révolution culturelle, l’une de celles,
aussi, dont le talent a été sacrifié par des mesures
absurdes : elle a été victime d’une censure inexpliquée
lorsque son premier film, réalisé en 1981 - « The
Savage Land » (《原野》)
– a été interdit pendant sept ans. Après deux autres
réalisations, et autant de problèmes, elle a fini par jeter
l’éponge et partir à Hong Kong sans plus jamais revenir
derrière la caméra ni même parler de cinéma… Pourtant, « The
Savage Land » est l’un des plus beaux films chinois des
débuts des années 1980.
Ling Zi
Talent et mariage sapés par la Révolution culturelle
De son
vrai nom Ye Xiangzhen (叶向真),
Ling Zi est née en 1941 à Yan’an où son père, le maréchal Ye
Jianying (叶剑英1897-1986),
l’un des dix grands maréchaux de la République populaire,
avait abouti après la Longue Marche ; après avoir été
déterminant dans les premiers succès de Mao, il fut aussi
l’un des leaders militaires derrière le plan qui permit
d’écarter la Bande des Quatre après la mort de Mao, en 1976.
Il fut ensuite président du Comité permanent du Congrès
national du peuple de 1978 à 1983, soutenant au passage les
réformistes comme Zhao Ziyang (赵紫阳),
ce qui ne lui attira pas que des amis.
Ye
Xiangzhen enfant avec son père
Quant
à la mère de Ling Zi, Wu Bo (吴博),
elle était entrée dans l’armée en 1937, à l’âge de vingt
ans, avait été secrétaire de Zhou Enlai dans les bureaux de
la 8ème Armée de route à Chongqing en 1938, puis
avait rejoint Yan’an en 1940. Elle est décédée à Pékin en
novembre 2023, à l’âge de 106 ans.
Ling
Zi était leur deuxième fille. Au début de 1959, elle est
allée avec son père au Conservatoire de musique de Pékin
écouter un concert donné par le pianiste Liu Shikun (刘诗昆).
Après avoir échangé des poèmes, ils se sont mariés en 1962,
et ont eu un fils en 1964. Mais, au début de la Révolution
culturelle, Liu Shikun a été arrêté et emprisonné. Il lui a
conseillé de divorcer car il avait été catalogué
contre-révolutionnaire.
Entre-temps, Ling Zi était entrée en 1960 à l’Institut du
cinéma de Pékin, dans la section réalisation. (北京电影学院导演系),
puis elle a poursuivi sa formation à
l’Institut central d’art dramatique, dont elle est sortie
diplômée en 1966, juste au début de la Révolution
culturelle.
Faute de
mieux, elle s’est alors tournée vers des études de médecine
et a travaillé pendant sept ans dans le service de chirurgie
d’un hôpital de Pékin, jusqu’à la chute de la Bande des
Quatre. En 1978, elle est entrée dans le département cinéma
du China News Service (中国新闻社), la deuxième agence de presse institutionnelle chinoise derrière
l’agence Chine nouvelle (新华社),
mais destinée aux Chinois d’outre-mer (Hong Kong, Macao et
Taiwan).
Trois films
1. En
1980, dans le climat d’ouverture culturelle remettant à
l’honneur les grands classiques de la littérature et du
théâtre, elle conçut le projet d’adapter la pièce écrite en
1936 par le grand dramaturge Cao Yu (曹禺) :
« La plaine sauvage » (《原野》).
Elle réalisa le film avec un budget minimal de 20 000 yuans,
tout ce que pouvait lui offrir le responsable du China News
Service dont la mission était de produire des documentaires.
Le
film – « The
Savage Land » (《原野》)
– a été sélectionné à la Mostra de Venise, mais présenté en
l’absence de délégation chinoise, car les autorités
chinoises avaient décrété que, relevant du China News
Service, il ne pouvait pas représenter la Chine. Et ce
n’était que le début des problèmes rencontrés par ce film
qui ne fut autorisé à sortir sur les écrans chinois qu’en
décembre 1987, sans doute par mesure de représailles
politiques plus que pour des raisons tenant au film
lui-même. Mais, une fois autorisé, il remporta un grand
succès, et une série de prix dans les festivals chinois, car
c’est un film superbe, remarquable tant pour sa conception
et sa réalisation que son interprétation.
Pendant le tournage du film, en outre, Ling Zi a rencontré
le photographe Luo Dan (罗丹)
qu’elle a épousé.
Elle a
ensuite réalisé coup sur coup deux autres films, qui tous
deux ont rencontré des problèmes similaires.
2. Son
deuxième film, en 1982, est une adaptation d’une nouvelle de
Han Shaogong (韩少功)
publiée en septembre 1981 : « Le vent a le son d’un suona »
(《风吹唢呐声》).
C’est
une très belle nouvelle des débuts de Han Shaogong, publiée
alors qu’il était encore étudiant à l’École normale du
Hunan. L’histoire se passe à la campagne : la jeune Erxiang
(二香)
a été mariée à un homme d’un village voisin, Decheng (德成).
Ce Decheng a un frère muet, Deqi (德琪),
qui est fasciné par les héros de cinéma et s’efforce de les
émuler, ce qui ne suscite que du mépris chez son frère ; il
est aussi joueur de suona et en joue pour consoler Erxiang.
Après la fin de la Révolution culturelle, Decheng tente de
gagner de l’argent illégalement, et se fait prendre. Furieux
il se retourne contre Erxiang et la bat. Elle finit par
s’enfuir. Pendant ce temps, Deqi a un accident sur la
rivière et se noie. Il est regretté par tout le village, et
par Erxiang qui, venue jeter dans la rivière des boulettes
de riz glutineux (粽子),
semble percevoir, au milieu du bruit de l’eau, le son du
suona porté par le vent.
Pour
ce film, et pour des raisons obscures, les autorités du
cinéma adoptèrent une position inverse de celle prise pour
« The Savage Land » : le film devait être limité à la
consommation intérieure (“只准内销,禁止外销”).
Or le festival de Hawaï s’y était intéressé et en avait
demandé une copie ; on lui envoya un autre film : « La
rivière sans balises » (《没有航标的河流》)
de
Wu Tianming (吴天明).
Le film de Ling Zi est resté confidentiel ; comme il ne
devait sortir qu’en Chine, il n’a même pas de titre
international. Les acteurs étaient des acteurs de théâtre et
sont peu connus.
Il a
fini par sortir en juin 1984.
Le vent a
le son d’un suona
3. Le
troisième film, réalisé en 1985, est une comédie - « The
Lost Necklace » (《三宝闹深圳》)
ou « Les trois trésors de Shenzhen » - à nouveau avec
Liu Xiaoqing (刘晓庆).
Ce fut en fait son adieu au cinéma.
Exil à Hong Kong et retour à Pékin.
Après la mort de son père, en 1986, elle a décidé de quitter
et Pékin et le cinéma. Elle est partie à Hong Kong avec Luo
Dan en 1987. Ils se sont lancés dans des affaires qui n’ont
pas réussi tout de suite.
Elle
est ensuite revenue à Pékin où elle s’est engagée dans la
promotion des études confucéennes.
En
2021, elle a été consultante d’un film historique sur son
père dont elle continue d’honorer le souvenir. Le film est
sorti le 1er août à Pékin : « Young Ye Jianying,
Forging the Sword » (《青年叶剑英之锻剑》).
Ling Zi en
2021
|