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Liu Jiayin 刘伽因

Présentation

par Brigitte Duzan, 28 août 2008, actualisé 7 janvier 2025

 

Née en 1981 à Pékin, Liu Jiayin (刘伽因)est brusquement devenue célèbre en février 2005 lorsqu’elle a décroché le prix FIPRESCI à la Berlinale, pour son premier film « Oxhide » (Niúpí《牛皮》). Ce documentaire-qui-n’en-est-pas-un a ensuite fait le tour des grands festivals internationaux où il a été loué par la critique comme une œuvre éminemment originale, et il a été suivi d’un deuxième, quatre ans plus tard, selon les mêmes principes.

 

Liu Jiayin avait cependant dû manger son lot de vache enragée avant d’en arriver là : son histoire a quelque chose d’un conte de fées, une histoire de Cendrillon post-moderne.

 

L’histoire de Liu Jiayin

 

 

 

Liu Jiayin en 2005 (photo baidu)

 

La galère pour étudier

 

Son père était un petit artisan qui fabriquait des sacs à main, ou plutôt qui les dessinait, sa mère se chargeant de la fabrication. Ils avaient une petite boutique qui marchait plus ou moins bien et vivaient dans le minuscule appartement attenant de 50 m2. La mère reprochait au père de ne pas réussir à concevoir des sacs un peu plus à la mode, ce qui leur aurait évité d’avoir à faire des remises de 50 % pour arriver à écouler leur marchandise.

 

Liu Jiayin a senti dès le collège s’éveiller en elle une vocation de cinéaste. Elle s’est alors mise à étudier dur et a réussi le concours d’entrée de La Mecque des futurs cinéastes chinois : l’Institut du cinéma de Pékin. Les ennuis ne faisaient que commencer : les frais d’études pour la première année s’élevaient à 7 000 yuans, une fortune pour un Chinois moyen. Son père était déjà tellement endetté qu’il ne pouvait songer à demander un autre prêt. La famille et les amis n’ont pas témoigné beaucoup d’enthousiasme pour leur apporter une aide financière. La situation semblait sans issue.

 

C’est alors que la chance se manifesta un beau jour : une cliente venue acheter un sac ayant demandé au père pourquoi il avait l’air si sombre offrit de lui avancer la somme intégrale des frais d’études de l’année, et revint sans faillir le lendemain apporter son livret d’épargne…

 

Un an plus tard, les affaires familiales s’étant un peu améliorées, la somme était remboursée, mais Liu Jiayin voulait commencer à tourner son film de fin d’études : il lui fallait une caméra. Elle écrivit alors des scénarios pour la télévision, sous la houlette de Cao Baoping (曹保平) qui enseignait l’écriture scénaristique à l’Institut du cinéma – et qui l’aidera plus tard en participant à la production de son troisième film. Liu Jiayin put ainsi se payer sa première caméra, une petite caméra digitale.

 

Elle a alors réalisé son premier film,  un court métrage de 17 minutes intitulé « Le train » (《火车》), tourné près de chez elle avec un budget de quelques centaines de yuans et des moyens techniques dérisoires, préfigurant le format et le style d’« Oxhide » - un résultat né d’une volonté digne d’un Yugong.

 

Le cinéma avec les moyens du bord

 

Le cinéma de Liu Jiayin puise au plus vif de sa vie et de son expérience personnelle, reflétant les conditions de réalisation pour donner une sorte d’arte povera par nécessité. On peut s’étonner, par exemple, de la mauvaise qualité du son et de l’éclairage qui frappe dans « Oxhide ». C’est tout simplement parce qu’elle n’avait qu’un mauvais micro, sans pouvoir s’en payer un autre, et que les scènes ont été tournées de nuit dans la boutique, après le travail de la journée et le dîner du soir, sans éclairage autre que celui existant.

 

« Quand on a beaucoup d’argent, on fait un film avec des méthodes demandant beaucoup d’argent ; quand on n’en a pas, on fait autrement. » Tel est le principe de Liu Jiayin qui voit son travail comme une sorte d’artisanat d’art, comme celui de son père. Le film y gagne une atmosphère particulière qui s’ajoute à l’authenticité des scènes, pourtant scénarisées. C’est cette originalité dans le traitement de la réalité, s’écartant du documentaire traditionnel, qui a suscité l’enthousiasme de nombreux critiques cinématographiques. Mais on peut aussi trouver le format un peu lassant, et tenir plutôt du film d’école.

 

2005 : Oxhide I

 

« Oxhide » (Niúpí《牛皮》) est donc apparu comme une sorte d’ovni retraçant les difficultés de la famille de la réalisatrice, et partant les siennes propres. Il est intitulé ainsi par référence au métier du père.  

 

 

 

  

« Oxhide », cependant, n’est pas un documentaire traditionnel, c’est un documentaire scénarisé. Liu Jiayin a bien expliqué qu’elle l’avait tourné en suivant un scénario soigneusement préparé, après avoir préalablement expliqué chaque scène à ses parents, qui interprètent leurs propres rôles. On voit dans cette méthode le reflet du cœur de métier de la réalisatrice, élève de Cao Baoping et elle-même devenue professeur d’écriture scénaristique, le scénario étant même devenu le thème de son troisième film.

 

Ce qui fait surtout l’originalité d’ « Oxhide », c’est la manière rigoureuse dont il a été construit. Il comporte 23 plans, un pour chacune des années de la réalisatrice quand elle l’a tourné. Il sont filmés avec une caméra numérique fixe, dans un format qui ne permet pas, la plupart du temps, de capter l’image dans son ensemble, laissant au spectateur le soin de reconstituer par lui-même ce qu’il ne voit pas, guidé par le son, également très souvent off-screen. Chaque plan est ainsi minutieusement construit, et filmé avec une caméra toujours strictement immobile, procédé particulièrement adapté aux conditions exiguës du lieu de tournage.  

 

Malgré l’atmosphère pesante, dans cet univers à la limite de la claustrophobie, le film a malgré tout ses moments d’humour, comme dans la vie. C’est du cinéma-vérité comme on n’en avait encore pas vu en Chine, qui a donc suscité l’engouement.

 

2009 : Oxhide II

 

Le succès du film a attiré l’attention sur Liu Jiayin. A l’automne 2007, la fondation Hubert Bals (liée au festival de Rotterdam) a sélectionné son second projet pour recevoir un soutien financier dans le cadre de la section « films digitaux » [1]. Ce deuxième film s’appelle …« Oxhide II » (Niúpí 2《牛皮贰》). Rien n’a changé : c’est toujours la même galère, et toujours le même procédé, dans une attention minutieuse aux menus gestes du quotidien.

 

 

 

 

Les parents ont dû résilier le bail de leur boutique, devenu trop cher dans le contexte de la surenchère immobilière au moment des Jeux Olympiques de Pékin. Ils ont lancé un nouveau projet : commercialiser des peintures sur cuir, sur internet. L’avenir est toujours aussi incertain, et c’est toujours le même minuscule appartement, les mêmes acteurs familiaux, les mêmes plans fixes, la même introspection d’une intimité familiale au bord de la crise.

 

« Oxhide II » a été présenté en première mondiale au festival de Cannes en 2009, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. Mais c’est très long : 166 minutes ! Le procédé original de départ est devenu système et a épuisé son sujet et ses possibilités.

 

2010 : 607

 

En 2010, ensuite, Liu Jiayin a réalisé un court métrage de 17’25 intitulé « 607 », une histoire de poisson filmée comme un théâtre de marionnettes. Mais c’est surtout inutilement long.

 

607

 

Et puis plus rien. Pendant près de quinze ans, Liu Jiayin s’est contentée d’enseigner l’écriture scénaristique à l’Institut du cinéma de Pékin. On la retrouve sur les écrans en 2023, pour tout autre chose et avec de tout autres moyens : une histoire de scénariste en panne où l’on pressent tout de suite une inspiration autobiographique.

 

2023 : All Ears

 

« All Ears » (Bù xū cǐxíng《不虚此行》) est sorti en juin 2023 en première mondiale, et en compétition, au 25e  festival de Shanghai qui lui a décerné un double prix : meilleure mise en scène et meilleur acteur. Après avoir fait le tour de bon nombre de festivals internationaux et être sorti en Chine le 9 septembre, le film a encore été sélectionné l’année suivante en France, au FICA de Vesoul.

 

 

All Ears

 

 

Liu Jiayin a commencé à en écrire le scénario en 2019. C’est l’histoire d’un scénariste qui peine à trouver des idées et qui trouve soudain une voie inattendue quand on lui propose d’écrire l’éloge funèbre d’un mort, à lire lors de ses funérailles. Il y met autant de soin que pour écrire un scénario, justement, en interviewant la famille et les proches pour mieux cerner son sujet. Le film est ainsi construit autour des recherches et rencontres pour écrire trois éloges funèbres,  comme autant de mini-scénarios. C’est original, guidé par le même souci d’authenticité, mais un peu long comme toujours chez Liu Jiayin, et comme bien souvent en Chine aujourd’hui. 

 

La réalisatrice a désormais la quarantaine. Comme les enfants précoces, il lui faut se réinventer.

 

 

 

Liu Jiayin en 2023, à la sortie de « All Ears »

(photo Fédération des cinéastes de Chine)

 


 

[1] Parmi les quatre projets sélectionnés en même temps figurait aussi « Crude Oil » (《采油日记》) de Wang Bing (王兵).

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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