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Liu Taifeng 刘泰风

Présentation

par Brigitte Duzan, 12 janvier 2025

 

 

Liu Taifeng

 

  

Photographe, scénariste et réalisateur né en 1984 à Nankin, Liu Taifeng (刘泰风) est diplômé en arts de la scène (théâtre et cinéma) de l’Université des Communications du Zhejiang (浙江传媒学院戏剧影视舞台美术设计专业). En 2010, il est parti aux États-Unis et a poursuivi ses études dans le département de cinéma de la School of the Art Institute of Chicago, puis dans le département de photographie de l’American Film Institute dont il est sorti avec un master en 2016. Il est rentré en Chine en 2018.

 

Il a alors coécrit le scénario de son premier film, « Another Day of Hope » (《又是充满希望的一天》), avec la scénariste, diplômée de l’Institut du cinéma de Pékin, Cai Zhiling (蔡知伶). C’est avec elle aussi qu’il a écrit le scénario d’un autre film, « The Life or Death Ring » (《生死戒》), un film policier dont l’intrigue part d’un cambriolage qui sème le chaos dans une petite ville. Mais le film n’a pas encore été tourné.

 

« Another Day of Hope », en revanche, est sorti en Chine en août 2024. Il a été tourné en 16 mm, pour le grain de l’image, mais le reste est plus conventionnel, même si la critique sociale et institutionnelle atteint sans doute les limites de ce qui peut être fait : le film a été loué pour être le premier à dénoncer le système des livraisons à domicile, de nourriture en particulier, dans les grandes villes chinoises aujourd’hui.

 

 

 

Another Day of Hope

 

Vies de galère

 

Le film se passe à Hangzhou, non pour la beauté du lac de l’Ouest, mais comme symbole de la ville chinoise du 21e siècle, dans une atmosphère où, les catastrophes s’accumulant, on ne peut que s’attendre à la prochaine. Le titre paraît dès l’abord éminemment trompeur.

 

L’histoire commence lorsque le médecin qu’il est allé consulter diagnostique des calculs biliaires à Wei Li (危力)[1]. Il est directeur d’une société de livraison à domicile, sa femme Shen Junyi (沈均怡) dirige, elle, un studio de danse ; tous deux sont stressés et épuisés par les pressions auxquelles ils sont soumis au travail, surtout Wei Li qui doit améliorer ses résultats pour pouvoir prétendre à une promotion. Shen Junyi est en outre harcelée par son mari pour qu’elle reste à la maison s’occuper de leur fille, Wei Meng (危梦), Wei Li se déchargeant sur elle de cette responsabilité : c’est une adolescente difficile dont Junyi a découvert qu’elle leur avait caché ses mauvais résultats à l’école car passant tout son temps sur son téléphone et son iPad, dûment confisqués, ce qui n’arrange rien.

 

Dans cette atmosphère déjà tendue, Wei Li a un accident en se rendant au travail : il reçoit littéralement un livreur sur son parebrise. Le livreur a brûlé un feu rouge et circulait à contresens. Il est bien évidemment responsable, mais la police déclare Wei Li responsable collatéral car il n’a pas freiné au carrefour. Ce contre quoi il s’insurge, demandant une révision de cette décision, ce qui entraîne une procédure d’un mois. Cependant, le livreur, qui est aux urgences, doit être opéré et l’opération ne peut être faite que si l’hôpital est d’abord payé ; mais la procédure de révision de la responsabilité secondaire de Wei Li bloque les dédommagements attendus par la femme du livreur pour payer.

 

Shen Junyi croit clore l’affaire en offrant 20 000 RMB à la femme, mais en vain. Sur quoi Wei Li apprend qu’il va être licencié avec toute son équipe dans le cadre d’un plan de réduction des coûts de son entreprise. Or il a quarante ans, âge auquel il est quasiment impossible de retrouver un travail dans le climat de concurrence exacerbée par la crise économique….

 

 

 

Deux couples en crise

 

Tensions sociales

 

Dans sa volonté de réalisme, le film est bien plus noir que la série de films noirs sortis en Chine ces dernières années, dont « The Looming Storm » (《暴雪将至》) de Dong Yue (董越) fait figure de précurseur. Ces films partent en général du contexte de désastre industriel qui a marqué la Chine dans les années 1990, avec cependant un meurtre au cœur de l’intrigue. Dans « Another Day of Hope », pas de crime, juste la même atmosphère délétère de problèmes sans issue.

 

C’est toute la société qui est en cause, la société urbaine tout au moins. Entre les lignes, la critique s’attaque à un grand nombre de problèmes sociaux nés des tensions provoquées par les institutions mêmes au point de donner presque l’impression d’un véritable réquisitoire :

- pressions sur les cols blancs aussi bien que les autres, au bas de l’échelle, dans un monde du travail hyper-compétitif, où tout le monde se sent menacé de perdre son travail un jour ou l’autre ;

- pressions sur les livreurs considérés comme un sous-prolétariat soumis à des contraintes qui leur font braver tous les interdits de circulation pour être « dans les temps » - système de livraison qui s’est développé à la faveur des règles drastiques de confinement liées au covid, et qui s’est radicalisé aujourd’hui, dans une Chine où tout le monde vit rivé sur son téléphone, en commandant à domicile ;

- tensions nées d’un système de santé dont le coût est hors de portée de bien des bourses en l’absence de couverture sociale, et système plus inhumain que jamais, refusant les soins à ceux qui ne peuvent pas payer ;

- tensions complémentaires liées aux systèmes d’assurance, et surtout à l’insensibilité de la police, voire à ses brutalités ;

- à quoi s’ajoute l’éternel problème du hukou, ce passeport intérieur qui fonctionne comme un permis de résidence et fait des ruraux venus travailler en ville des parias sans protection sociale et sans recours.

 

Liu Taifeng a habilement tissé cette peinture sociale dans la trame de son scénario. Les tensions explosent à l’écran dans les altercations entre les personnages. Mais personne n’est totalement dans son bon droit, tout le monde a tort et raison à la fois, non tant victime de l’autre que du système dans son ensemble, ce qui entraîne une impuissance d’où peuvent naître tous les excès possibles. On est loin de l’espoir du titre.

 

Réalisme critique

 

Dans ce premier film, Liu Taifeng fait certes preuve des leçons prises pendant ses études. La séquence de l’accident, par exemple, semble tirée d’un film d’horreur : elle est filmée de l’intérieur de la voiture, où l’on voit soudain la tête du livreur s’écraser dans un choc soudain, comme une hallucination, comme les poissons tombant du ciel, soulevés par un typhon, du film de Cao Baoping (曹保平) « Across the Furious Sea » (《涉过愤怒的海》).

 

Cependant, Liu Taifeng a bien été obligé de composer, en tentant d’aller vers le public. Le film est typiquement chinois, dans sa facture comme dans son interprétation. Il a même le défaut courant dans le cinéma chinois des années 2020 : la longueur (133’), due ici au désir de vouloir trop en dire, en ajoutant une ligne narrative secondaire (concernant un ancien camarade d’école de Wei Li offrant une peinture de caractère en négatif).

 

Sorti en plein été 2024, le film n’a guère eu de succès. Mais c’est sans doute dû au manque d’attrait d’un film qui renvoie les spectateurs chinois à la triste réalité de leur quotidien, sans le relever par quelques noms d’interprètes populaires – la qualité de l’interprétation elle-même n’étant pas en cause. Tel qu’il est, « Another Day of Hope » reste cependant une critique comme on en a peu d’un système social sous tension qui semble au bord de l’implosion.

 

 

Another Day of Hope, trailer (sous-titres anglaise)

 

 

 


[1] Dont le nom peut être compris comme signifiant « force en danger ».

 

     

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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