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Qiu
Anxiong 邱黯雄
Présentation
par Brigitte Duzan, 10 novembre 2012
Si les
techniques traditionnelles du film d’animation
chinois telles qu’elles ont été développées au
Studio d’animation de Shanghai sont aujourd’hui peu
ou prou délaissées,
elles sont peut-être en train de renaître sous une
autre forme.
Qiu
Anxiong est un exemple de ces nouveaux réalisateurs
du cinéma d’animation. Mais il est bien plus : un de
ces artistes hybrides d’aujourd’hui qui manient avec
le même brio et la même profondeur la peinture,
l’animation, la vidéo d’art ou l’art de
l’installation, et qui sont |
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Qiu Anxiong dans son
appartement
de Shanghai où
il crée ses œuvres |
d’autant plus
profonds que leur art reflète une subtile connaissance de la
culture traditionnelle, revue et pondérée.
Art occidental et
retour à la culture chinoise
Qiu Anxiong (邱黯雄)
est né à
Chengdu, dans le Sichuan, en 1972.
Le bestaire de Qiu
Anxiong |
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Après avoir fait des études de peinture à l’Académie
des Beaux-Arts du Sichuan (l’une des premières en
Chine à enseigner la peinture d’avant-garde
occidentale), il est parti en 1998 étudier à
l’université de Kassel, en Allemagne. Il y resta six
ans et cette expérience modifia sa vision
artistique : jusque là orienté vers les modèles
occidentaux, il se tourna vers la culture chinoise,
approfondissant les textes classiques, la poésie et
les contes fantastiques, tout autant que le
bouddhisme et le confucianisme. En même
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temps, il se perfectionna dans les techniques de peinture
héritées des vieux maîtres chinois, signant des œuvres
reflétant quiétude et détachement.
C’est en 2004
qu’il revint en Chine, s’installa à Shanghai, où il
enseigne, et commença à s’intéresser à la vidéo, qu’il avait
jusque là méprisée. Mais il insuffla à ce nouveau media les
raffinements de la peinture traditionnelle chinoise, donnant
à ses œuvres une touche personnelle d’une infinie subtilité,
si bien qu’elles se lisent comme de véritables tableaux.
Animation
Il a commencé
son œuvre d’animation en 2005, avec un petit film intitulé
« Jiangnan Poem » (《江南诗》)
qui n’est cependant pas vraiment animé : c’est une suite
d’images de branches d’arbres que traverse de temps à autre
le vol rapide d’un oiseau. Le générique final n’a pour toute
indication que « Vent, nuage, arbre, oiseau ». C’est une
paisible méditation sur la nature et le passage du temps.
C’est avec sa
première véritable animation, créée cette même année 2005 et
intitulée « In the sky » (《空中的》),
qu’apparaissent les préoccupations qui caractérisent les
œuvres suivantes : c’est une vision lyrique des conséquences
de la croissance et du processus dramatique que représente
l’urbanisation. C’est aussi avec cette œuvre que Qiu Anxiong
a mis au point sa technique particulière : une peinture à
l’acrylique sur un support unique, les images étant
modifiées l’une après l’autre, filmées en numérique puis
animées par ordinateur.
Cette œuvre
expérimentale de huit minutes se présente comme un travail
sur la forme, des formes qui naissent et surgissent de la
terre puis se dissolvent dans les airs en se métamorphosant
constamment, tout un monde en flux permanent, sous la menace
oppressante d’oiseaux géants.
In
the Sky
« Le
nouveau livre des montagnes et des mers »
(《新山海经》)
est le prolongement de ce travail initial, dont il
reprend les thèmes en les développant. C’est l’œuvre
qui a rendu Qiu Anxiong célèbre.
La
première partie (《新山海经I》)
a été présentée en 2006 à la Biennale de Shanghai.
Elle est constituée de quelque six mille images
dessinées sur une minuscule table de l’appartement
que Qiu Anxiong habite à Shanghai. Il travaille
seul, très souvent de nuit. « J’y ai presque laissé
la peau, a-t-il avoué, il y a des nuits où je n’ai
dormi que deux ou trois |
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Le titre du générique
du Nouveau livre
des montagnes et des
mers |
heures ».
La
seconde partie (《新山海经II》)
a été achevée un an plus tard (1)
Le titre fait
référence à l’un des grands classiques de la littérature
chinoise, le « Livre des Montagnes et des Mers » ou
Shanhaijing (《新山海经》),
vaste recueil d’anciennes données géographiques et de
légendes diverses qui n’a pas cessé de nourrir l’imaginaire
chinois.
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Une peinture de la
série du Nouveau Shanhaijing |
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De même
que ce fabuleux classique prétendait être une description du
monde ancien, le film de Qiu Anxiong se veut être une vision
du monde actuel, avec son bestiaire et ses mythes modernes,
revisités un peu à la manière de
Roland Barthes, mais sur un ton profondément satirique
questionnant les « progrès » de la civilisation.
En 2007, Qiu Anxiong a
poursuivi avec un film d’animation sur la fondation de la
République de Chine après la chute de la dynastie des Qing,
en 1911. Il s’appelle « Paysage de la République » (《民国风景》).
Il voit dans cette période d’hybridation artistique des
parallèles avec la situation actuelle, et son film est une
rêverie picturale sur ce thème.
Videos et installations
A partir de cette année 2007, Qiu Anxiong a ensuite
développé sa réflexion sur plusieurs media qui ont fait
l’objet d’expositions : peinture, vidéo, installations.
Parallèlement au film d’animation « Le nouveau livre des
montagnes et des mers », il a réalisé toute une série de
peintures dans le style traditionnel du shanshui qui
portent le même titre et montrent bien l’étendue de son
talent de peintre.
Toujours en 2007, il s’est fait remarquer par une
installation assez extraordinaire : il a fait transporter un
wagon de chemin de fer dans la salle d’un musée plongée dans
l’obscurité ; à l’intérieur, vingt quatre écrans
remplaçaient les fenêtres et y étaient projetés des clips de
documentaires d’actualités ainsi que ses propres œuvres,
extraits de films d’animation et films tournés de la fenêtre
de trains. Cela s’appelait « Staring into amnesia ».
Zoo |
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Il a ensuite multiplié les expositions de ses vidéos et les
installations. La série la plus intéressante est sans doute
celle
intitulée « Zoo »
(《动物园》),
achevée fin 2010, qui poursuit
sous une autre
forme
le travail sur le
Shanhaijing,
son univers et son bestiaire, mais dans un tout autre
style. Elle
en
prolonge la réflexion, en posant la notion d’emprisonnement
(囚禁) comme
élément indissociable de la « civilisation » (文明).
Qiu Anxiong s’affirme comme un artiste en marge, qui observe
le monde de loin, et fait |
de son œuvre une satire
désenchantée de la société moderne (2), aux confins des arts
traditionnels et de l’avant-garde qui les bouscule pour les
revivifier. Mais son travail semble se distancier de la
réalité, s’épurer peu à peu, jusqu’à l’abstraction et au
vide ; ses œuvres reflètent de plus en plus la richesse de
son moi et de sa pensée intime, où la musique joue un rôle
important, comme une pulsation de l’être.
Il est aujourd’hui en train de préparer le troisième volet
du « Nouveau livre des montagnes et des mers »….
Notes
(1) La première
partie a été découverte en France lors de la seconde édition
du festival Shadows, en octobre 2008, la deuxième partie
lors de la quatrième édition de ce même festival, en
novembre 2012.
(2) Son regard
désenchanté est nourri de pensée bouddhique, mais aussi
d’une observation du monde autour de lui. Son blog, bien que
limité dans le temps (2010-2011), est en ce sens instructif
car il permet de mieux comprendre son œuvre :
http://blog.sina.com.cn/u/1734574947
On y trouve des
témoignages de sa foi, ou ses réflexions au quotidien, comme
cette idée originale de
pìmín
(屁民),
peuple écrasé par le pouvoir, aussi insignifiant que des
pets dans le vent…
Lire en complément
Des notes prises
pendant ses cours :
http://shanghaichase.blogspot.fr/2006/11/lecture-notes-on-qiu-anxiong.html
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