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Shao Yihui 邵艺辉

Présentation

par Brigitte Duzan, 20 décembre 2024

 

 

Shao Yihui

 

 

Réalisatrice et scénariste née en mai 1991, Shao Yihui (邵艺辉) a fait irruption sur la scène médiatique chinoise en décembre 2021 quand son premier film, « B for Busy » (《爱情神话》), a battu des records au box-office au moment des fêtes de Noël, et plus encore en novembre 2024 quand son deuxième opus, « Her Story » (《好东西》), a été promu « blockbuster féministe » dans une Chine où le féminisme n’a pas vraiment les faveurs du pouvoir, mais où le film a rivalisé avec le « Barbie » de Greta Gerwig.

 

Hors dithyrambes essentiellement promotionnels, ces deux films manifestent l’émergence en Chine, au cinéma comme en littérature, de nouvelles voix féminines représentatives d’un mouvement qui s’affirme tout particulièrement depuis la fin de l’épidémie de covid, reflet d’une nouvelle mentalité féminine dans les franges urbaines. Shao Yihui surfe habilement sur la vague.

 

2016-2022 : De l’écriture à la réalisation

 

Shao Yihui est diplômée en écriture scénaristique de l’Institut du cinéma de Pékin. Elle a commencé par être novelliste, parce qu’il faut bien vivre : elle a publié en 2016 un recueil de dix nouvelles intitulé « Pas d’amour, c’est aussi bien pour l’humanité », ou « Almost Love » (《人类要是没有爱情就好了》), sous-titré « Histoires d’amour hors normes »  (非正常爱情故事).

 

 

Almost Love

 

 

Alors que ses films se situent de manière emblématique à Shanghai, elle-même est née dans le Shanxi, a fait ses études de scénariste à Pékin et n’est allée vivre à Shanghai qu’en 2016. Avant de se tourner vers la réalisation, elle n’avait qu’une mince expérience de co-scénariste, pour le film de Tian Meng (田蒙) « Youth Never Returns » (《既然青春留不住》) sorti en 2015 et aussitôt tombé dans les oubliettes du cinéma chinois sans qu’on ait à le regretter, contrairement à beaucoup d’autres.

 

C’est alors qu’elle passe derrière la caméra : elle écrit et réalise « B for Busy » (àiqíng shénhuà《爱情神话》)[1], soit « Le mythe de l’amour », filmé à Shanghai dans les rues typiques, bordées d’arbres et de vieilles maisons, de l’ancienne Concession française. On a ainsi aussitôt l’atmosphère du vieux Shanghai, surtout que les dialogues sont en Shanghai hua. C’est une comédie de fin d’année, avec le côté populaire et télévisuel du genre, mais dans une optique différente: le regard est féminin et le scénario se joue des stéréotypes de genre, même si le film doit beaucoup à Xu Zheng (徐峥) qui l’a produit et interprète le rôle masculin principal – il est lui-même shanghaïen : on retrouve, par sa seule présence, l’ambiance des comédies à succès qui sont sa marque de fabrique, à commencer par « Lost in Thailand » (《泰囧》), mais sans leurs excès burlesques.

 

 

B for Busy

 

 

Shao Yihui a écrit le scénario en 2019, et l’a envoyé au 14e festival FIRST de Xining, où il a attiré l’attention d’un producteur. Il est essentiellement axé sur l’histoire des relations entre un professeur de peinture, divorcé de longue date, Bai (老白), et trois femmes : son ex-épouse Beibei (蓓蓓), interprétée par Wu Yue (吴越), une autre divorcée, Li (李小姐), interprétée par Ma Yili (马伊琍), et une étudiante de Bai interprétée par Ni Hongjie (倪虹洁), qui prétend que son mari a été enlevé par des terroristes. Quand finalement Bai arrive à inviter Li chez lui et qu’il s’apprête à passer une soirée en tête à tête avec elle, il est dérangé par une foule d’amis qui débarquent de manière inopinée les uns après les autres, prétexte à joyeuse cacophonie.

 

Le film a le mérite de ne pas forcer le trait sur les personnages principaux, en évitant les clichés habituels, et de donner vie à toute une série de personnages secondaires bien campés, en particulier la fille d’ascendance mi-britannique de Li, le fils à la sexualité indécise de Bai, et son voisin Wu, interprété par un acteur shanghaïen, Zhou Yemang (周野芒).

 

« B for Busy » a remporté un étonnant succès. Mais près de la moitié des recettes du box-office (260 millions de RMB) a été encaissée à Shanghai même où 2,15 millions de spectateurs sont allés le voir. En ce sens, le film a relevé le défi posé par les dialogues en dialecte de Shanghai [2], montrant que, loin de desservir le film, ils ont contribué à son succès. On a parlé de renaissance du haipai (海派), l’épitome de la culture de Shanghai… C’est peut-être aller un peu loin. Mais le film a donné des ailes à Shao Yihui qui est repartie illico sur un deuxième film : « Her Story » (《好东西》), sorti en novembre 2024.

 

 

Trailer

 

2024 : Her Story

 

Ce deuxième film a dépassé les espérances nées du succès du premier, provoquant un véritable raz-de-marée médiatique, nourri en Chine par les médias officiels.

 

 

Her Story

 

 

Cette fois, le film est centré sur trois personnages féminins. Une femme, rédactrice dans un journal, emménage dans un quartier animé de Shanghai avec sa fille, Wang Moli, qu’elle élève seule. Aux prises avec les difficultés d’une vie partagée entre travail et responsabilités maternelles, elle se lie d’amitié avec une jeune voisine qui rêve de devenir chanteuse. C’est cette amitié improbable qui constitue le thème central du film : c’est une force dynamique qui soutient les deux femmes dans leur quotidien en les aidant à se tailler un espace à elles dans un monde où elles se sentent souvent marginalisées.

 

Ce sont donc des scènes du quotidien que déroule le film, des tranches de vie montrant comment ces femmes s’épaulent en gérant leurs problèmes, professionnels et familiaux pour l’une, émotionnels et un rien romantiques pour l’autre, en trouvant le bonheur dans les petites joies de l’existence, nées parfois de frêles actes de résistance… Mon Dieu, comme disait Verlaine, la vie est là, simple et tranquille…

 

Il n’est pas question de féminisme, la réalisatrice l’a bien souligné, pas question de s’attirer inutilement des ennuis. Le mot est tabou en Chine, seuls les critiques étrangers l’ont utilisé[3]. Il est bien question, entre les lignes, d’émancipation, sinon de libération, mais surtout d’épanouissement personnel. Selon un article du China Daily du 5 décembre 2024, ce nouveau film « explore les complexités des relations féminines et de l'épanouissement personnel, en présentant un portrait nuancé des expériences des femmes d'aujourd'hui en Chine ». Les médias officiels chinois n’ont pas tari d’éloges sur un film qui captive les foules, mais en outre fait réfléchir car « "Her Story" est une célébration du pouvoir tranquille des femmes dans un monde où leur vie quotidienne n’a rien d’ordinaire. Il ne remet pas seulement en question notre perception du rôle que jouent les femmes dans la société, il redéfinit les minuscules mais puissants actes de rébellion et de libération qu’elles exécutent chaque jour. » [4]

 

« Her Story » est le type même du film qui répond aux attentes du public en lui offrant une comédie de fin d’année sympathique sur un sujet en passe de devenir phénomène social, mais sans dépasser les normes possibles. Rien ne peut offrir de prise au censeur même le plus tatillon – le film est déjà sans doute passé par ses griffes. « Her Story » ne s’attaque pas aux clichés, il déroule une série de contre-clichés (celui de la honte des menstruations, par exemple). Et finalement, la vie des femmes sort de là « positivée » : tout va pour le mieux pour les femmes dans l’Empire du milieu, il suffit d’avoir une bonne copine [5]

 

D’un format usuel, faisant feu de bonne humeur et de répliques humoristiques, mais sans aborder aucune question de fond, « Her Story » est un divertissement de fin d’année : il ne faut en attendre ni un chef-d’œuvre de sensibilité féminine ni un pavé dans la mare du patriarcat – le titre chinois le dit bien : c’est une « petite chose ». Il restera dans l’histoire comme représentatif d’un cinéma féminin à l’aube d’une ère nouvelle où la femme accède peu à peu au centre des préoccupations, de la société comme du pouvoir, l’une pour la promouvoir, l’autre pour la contrôler, une ère des femmes qui a déjà son nom : ta shidai (她时代).

 

 

Trailer

 


 


[1] C’est le titre sous lequel est sorti en Chine le « Satyricon » de Fellini qui est l’un des films préférés de Shao Yihui.

 

[2] Que tout le monde parle couramment, y compris les étrangers comme le locataire italien de Bai !

On compte sur les doigts de la main les réalisateurs chinois qui ont utilisé des dialectes (de manière très limitée) dans leurs films : Zhang Yimou dans « Qiu Ju » (《秋菊打官司》) en 1992 et « Pas un de moins » (《一个都不能少》) en 1999, ou Jia Zhangke dans « The World » (《世界》) en 2004 et « Still Life » (《三峡好人》) en 2006. C’est toujours dans un souci de réalisme et de couleur locale. Ning Hao (宁浩) a aussi utilisé le dialecte du Sichuan dans sa comédie populaire « Crazy Stone » (《疯狂的石头》)… Mais, dans « B for Busy », le dialecte apparaît inséparable de la ville et comme tenant de la vie même des personnages. Mais c’est un peu comme les bâtiments restaurés, tout pimpants, de la « zone de protection historique » du district de Xuhui (徐汇区) où le film a été tourné, devenu haut lieu touristique.

[4] “Shao Yihui's Her Story …is an undeniably engaging and thought-provoking film that has captivated audiences, earning a well-deserved 9.1 rating on Douban… [It is] “a cinematic exploration that celebrates the quiet power of women in a world where their everyday lives are anything but ordinary. Herstory not only challenges our perceptions of the roles women play in society but also redefines the small, yet powerful acts of rebellion and liberation they perform daily.”

[5] Ce qui tendrait à redéfinir les liens familiaux, au-delà du « clan » traditionnel et du pouvoir du père, du mari et du frère, un peu de la même manière que le film de Ray Yeung « Tout ira bien » (《從今以後》).

 

 

     

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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