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Su Qiqi
苏七七
Présentation
par
Brigitte Duzan, 9 juin 2025
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Su
Qiqi |
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D’abord productrice et critique cinématographique, Su Qiqi (苏七七)
est passée à la réalisation avec un scénario, largement
autobiographique, écrit pendant le confinement.
Elle a
travaillé pendant des années à promouvoir le cinéma chinois
dans sa composante art-et-essai. Elle a en particulier
coproduit des films comme « The Cloud in Her Room » (《她房间里的云》)
de
Zheng Lu Xinyuan (郑陆心源)
primé au festival de Rotterdam en janvier 2020, et « A New
Old Play » (《椒麻堂会》)
de
Qiu Jiongjiong (邱炯炯),
prix spécial du jury au
festival de Locarno en 2021.
Puis elle est passée à la réalisation.
Sorti
en juillet 2023 au
festival FIRST de Xining,
son premier long métrage, « Talks Overnight » (Cháng tán
《长谈》),
est une parabole sophistiquée sur les aléas, les doutes et
interrogations d’une intellectuelle arrivée à l’âge moyen
dans la Chine d’aujourd’hui, à mi-chemin entre documentaire
et fiction comme la réalisatrice l’a elle-même expliqué :
这个电影起始于2021年炎热的夏日郁积于心的焦虑。这是我个人的问题,也是一种相当普泛的状态——以至于社交媒体上都出现“如何应对抑郁”的文章。问题既显得很抽象,但又具体到生活中,它像是精神上的,又已经出现身体的症状。在一次彻底的低谷之后,我忽然起了抗争的决心——这一切只能用创作来反抗。当有了这个决心后,创作的内容与形式很快地就浮现出来,好像它们已经准备好在那儿等待似的。我知道我要做的是一个电影,它有一种纪录与剧情相混融的状态:纪录为里,剧情为表。也就是说,它完全来自于我的生活,但它按照一个剧情片的方法来拍摄,它从现实出发,但它必然含有超现实的成分,并且在日常融入戏剧与诗歌,观念与妄想。
Ce
film est né en 2021 d’un état d’angoisse ressenti lors d’une
chaude journée d’été – un problème personnel, mais aussi
assez général, comme le montrent les articles qui paraissent
sur les réseaux sociaux sur le traitement des états
dépressifs. Le problème est à la fois abstrait et concret ;
il affecte aussi bien le mental que le physique. Après une
véritable crise et avoir atteint le fond, j’ai soudain pris
la décision de me battre, et tout cela ne pouvait être
combattu que par la création. Une fois ma décision prise,
forme et contenu créatifs ont très vite émergé, comme s’ils
étaient prêts, en attente. Je savais ce que je voulais
faire : un film qui mêle réel et fiction – le réel en moi et
une intrigue à l’extérieur. En d’autres termes, un film
totalement inspiré de ma vie, mais filmé comme un film de
fiction ; un film partant de la réalité mais comportant
forcément des éléments surréalistes, et intégrant drame et
poésie aux impressions et chimères de la vie quotidienne.
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Talks Overnight |
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Le
résultat est un film en noir et blanc qui commence par une
lecture de poèmes dans la nuit et se poursuit par des
dialogues assez ésotériques (tournant parfois au monologue)
sur le sens de la vie, ou plutôt son non-sens, et les rêves
qui permettent de s’évader du quotidien. Diverses scènes
font intervenir des rencontres, autour d’une table, avec des
amis du même âge qui apportent quelques thèmes
complémentaires (problèmes de l’éducation des enfants en
particulier).
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Poèmes dans la nuit |
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Tourné
à Hangzhou, lieu emblématique d’une vie intellectuelle
brillante, le film offre une vision sans éclat d’une frange
intellectuelle de la société aisée de la Chine moderne, où
les personnages semblent noyés dans une sorte de brume
persistante n’offrant aucune aspérité ni au regard ni à
l’esprit. Ils semblent hors du monde, perdus dans des
considérations philosophiques sans fin, sur fond de clichés
qui ne mènent à rien (« en trente ans, nous sommes passés du
modernisme au postmodernisme »). Et finalement, lorsque,
lors d’une lente, très lente promenade dans une forêt
presque irréelle dans de somptueuses teintes grisées, le
couple au centre du film s’arrête un instant pour évoquer
leurs rêves d’avenir, si l’homme évoque l’éventualité d’un
départ en Amérique, la femme, elle, se retranche dans une
vision beaucoup plus simple, et un rien bucolique : un rêve
de jardin en banlieue. Ce qui semble une autre manière, non
point de cultiver son jardin à la Candide, mais de fuir la
réalité en se réfugiant dans un univers paisible, sans
remous.
On a
finalement l’impression d’un monde intellectuel coupé des
réalités, peut-être volontairement, voire par nécessité.
Mais le plus inquiétant est qu’il ne s’agit pas d’un tableau
satirique dépeint de l’extérieur, mais, selon la
réalisatrice elle-même, d’une peinture autobiographique. Une
sorte d’ « œuvre au noir » qui ne semble pas avoir dépassé
l’état dépressif, comme si ces intellectuels ne pouvaient
pas en sortir.
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