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Tan
Tan 炭叹
Présentation
par Brigitte
Duzan, 17 novembre 2012
Sun Weiwei,
alias Tan Tan, est l’une des jeunes artistes les
plus prometteuses du cinéma expérimental chinois.
Originaire
de Wuhan, elle a d’abord fait des études littéraires
et scénaristiques à l’Institut des communications de
Chine. Marquée par les œuvres de Maya Deren et Bill
Viola, elle est ensuite entrée à l’Institut national
des Beaux-Arts pour étudier le cinéma expérimental
dans le cadre d’un programme d’échange avec
l’université californienne Calarts.
Elle a
réalisé un premier documentaire en 2004, puis son
premier film expérimental en 2005, alternant alors
documentaires et films expérimentaux. En 2009, elle
s’est ensuite tournée vers la vidéo et le
multimédia.
Ses œuvres
ont en commun une imagination féconde qui met en
images une ligne réflexive plutôt que narrative.
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Tan Tan au festival de
Rotterdam |
- Les deux
courts métrages expérimentaux de 2007
« Song »
(《歌》)
et «
Spend 1 minute with 60
people
» (《与60人共度1分钟》)
sont le début de cette recherche d’un au-delà de
l’image cinématographique.
Song |
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Le premier
(6’26) est l’évocation d’un rêve. Un adolescent dont
on ne voit que la partie supérieure du corps, à
l’exclusion de la tête, est assis face à la caméra
qui filme les mouvements de ses mains, mouvements
décomposés comme ceux d’une poupée d’un film d’animation.
Ses mains se mettent à jouer d’une
guitare fantôme …. bientôt remplacée par les menus
objets de la vie quotidienne, du balai au clavier de
l’ordinateur, jusqu’à ce qu’un hachoir lui mette les
mains en sang…
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Rêve de
musique (qui est peut-être aussi celui de Tan Tan,
qui est également musicienne), rêve de poésie,
d’art, d’évasion, brisé par la réalité contingente …
Le second,
«
Spend 1 minute with 60
people »
(6’58), est une métaphore de
l’éparpillement des vies modernes. Tan Tan tente de faire
communiquer entre elles pendant une minute des personnes qui
ne se connaissent pas, et ne se
connaîtront sans doute jamais, en enregistrant les
premiers chiffres et nombres, jusqu’à 60, dits par
diverses personnes prises au hasard dans la rue.
C’est sur
fond d’un bruit de vague qu’elle fait ensuite le
montage de ces différentes voix, pendant qu’une
pendule égrène les secondes. |
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Spend 1 minute with 60
people : dites 59 – non,
répond le vieil homme,
je n’ai aucune éducation… |
Le bruit de vague crée
le lien, symbole d’éternité
dans lequel chacun de nous n’est qu’un instant
fugace, mais possédant une existence irréfutable,
participant de cette éternité.
- En 2008,
« Qianmen n°1 Hotel » (《前门一店》)
(12’) est l’évocation onirique d’un vieil hôtel du
quartier de Pékin au sud de Tian’anmen alors en voie
de démolition. Une femme en qipao rouge erre
comme une ombre du passé ou un esprit tutélaire dans
ses couloirs… mais la splendeur passée n’est plus
qu’un souvenir qui se couvre de poussière et
s’effrite sous son regard, au gré de sa
déambulation. |
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Qianmen n°1 Hotel |
La destruction du
quartier de Qianmen a fait l’objet de nombreux documentaires
soulignant la brutalité de la démolition. Tan Tan, elle,
jette un regard nostalgique empreint de poésie sur un monde
qui se meurt, un pan d’histoire qui va disparaître.
Qianmen n°1
Hotel
http://www.cafa.com.cn/cafatube/video/?N=249
- En 2010,
« Positive » (《阳性》yángxìng)
(33’) est
une vision personnalisée du concept binaire de yin
et de yang. Yang (阳)
est, initialement, ce qui est face au soleil, yin (阴)
ce qui est à l’ombre (l’ubac sur une montagne). Par
extension, yang est ce qui est positif, solaire et
masculin, yin ce qui est négatif, lunaire et
féminin, dualisme dynamique qui sous-tend les
changements constants en œuvre dans l’univers.
Le concept
a son application en médecine chinoise, le corps,
reflet de l’univers, devant établir un équilibre
entre les deux forces, un excès de yang n’étant pas
meilleur qu’un excès de yin. C’est cet aspect que
Tan Tan explore dans « Positive », en illustrant une
réflexion sur les couples lumière/obscurité,
vie/mort, pour tenter de trouver une approche
pacifiée à cette dernière. |
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Positive |
- « Whose
Eyes » (《谁的眼睛》)
(19’)
est son dernier documentaire expérimental à ce jour,
achevé en 2011 après quatre ans de travail. Le film
confronte les images de quatre fausses caméras de
vidéosurveillance à de véritables vidéos de
surveillance montrant des scènes de violence dans
divers lieux publics.
La
confrontation de ces deux réalités, l’une soulignant
l’autre, et le décalage parallèle réalisé sur la
bande son, mettent en question notre vision du
quotidien et de sa « normalité » qui apparaît
soudain monstrueuse. Ses vidéos de surveillance
montrent des individus renversés sur la voie
publique ou attaqués au vu et au su de tout le
monde, sans que personne n’intervienne, indifférence
générale qui a récemment offusqué l’opinion publique
lors de cas semblables retransmis par le biais des
réseaux internet.
Tan Tan
pose indirectement la question de la valeur de la
vie |
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Whose Eyes, 2011 |
Whose Eyes, stills |
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humaine
dans des villes déshumanisées où chacun semble avoir
perdu le sens de la solidarité la plus fondamentale,
face à la mort. Mais son film n’est pas un film
engagé ; c’est plutôt une image baroque, au bord de
l’absurde, du monde actuel, qui dégage un sentiment
diffus de danger imminent.
« Whose
Eyes » a également une version vidéo d’art - quatre
vidéos projetées simultanément sur les quatre murs
d’une salle d’exposition plongée dans obscurité –
qui renforce le sentiment de malaise instinctif que
suscite le film (1). |
- Cette
recherche aux confins du cinéma, de la vidéo d’art
et de l’installation a été poursuivie sur plusieurs
projets, dont « Mirage », en 2010, où elle a
imaginé tout un travail sur l’image à partir d’un
faux développement immobilier, imaginé près du lac
Donghu à Wuhan. Là encore, elle a mêlé les réactions
de vrais passants commentant les fausses affiches et
une fausse maison témoin. La réalité mouvante est
traduite en trois séries, déclinées selon divers
modes d’art multimédia.
Aujourd’hui, Tan Tan prépare un nouveau film qu’elle
va tourner chez elle et sera centré sur son propre
monde intérieur, intitulé « Lost in Home » (《咸安一箩》).
Elle
refuse de « faire du cinéma » et reste résolument en
marge, en marge même du cinéma indépendant.
L’indépendance est pour elle un choix artistique
volontaire, indispensable à sa création.
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Mirage, la fausse
affiche publicitaire |
Elle participe au
mouvement le plus intéressant du cinéma chinois aujourd’hui,
qui tend à estomper, voire effacer, les frontières entre le
cinéma proprement dit et les arts multimédias, en créant des
œuvres en prise directe sur notre temps. Œuvres
difficilement commercialisables en termes
cinématographiques, mais qui cherchent un substitut aux
marges du marché de l’art.
Principales
œuvres
- Films
expérimentaux
实验影像
2005 365
nights, everyday has a teleplay《365夜天天都有电视剧》
2006
Live《过》
2007
Song《歌》+
Spend 1 minute with 60 people《与60人共度1分钟》
2008
Qianmen No.1 Hotel《前门一店》
2010
Positive《阳性》
2011 Whose Eyes《谁的眼睛》
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Documentaires
纪录影像
2004
Visiting《串门》
2005
Human Made《人造》
2007
Chinese Cabbage《白菜》
2008 In
front of Qianmen《前门前》
2009
Game Time《游戏时光》
- Art Multi-Media 综合媒体
2009 VJ Performance with “Planetarium”
VJ表演+天文馆乐队“Planetarium”
2009
Video Installation ”The reverse side of dreams”
影像装置《梦的反面》
2009
Performance "Hypnogenetic Moments" with Anton Lustig
VJ表演“催眠术时刻”+乐安东
Anton Lustig
2010
Multi-Media Art (photo, video, installation) “Mirage”
综合媒体艺术(图片、录像、装置)《海市蜃楼》
(1) Voir les images
de l’installation sur son blog :
http://blog.163.com/sww56@126/
« Whose Eyes » a
fait partie du programme de courts métrages du festival
Shadows, en novembre 2011.
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