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Metteurs en scène

 
 
 
     
 

Wang Bo 王博

Présentation

par Brigitte Duzan, 6 février 2024

 

 

Wang Bo

 

 

Né en 1982 à Chongqing, Wang Bo (王博) y a grandi jusqu’à son entrée à l’université en 2000.

En 2007, il a obtenu un master en physique de l’université Qinghua à Pékin. Puis, en 2011, il est parti étudier la photographie et la vidéo à la School of Visual Arts de New York où il a ensuite enseigné de 2014 à 2019. En collaboration avec Pan Lu (潘律), il a évolué vers une forme originale de « film-essai » (散文电影) qui renouvelle l’art du documentaire en croisant le réel et l’histoire.

Il est aujourd’hui basé à Amsterdam.

 

 

Pan Lu

 

 

Il a vécu le processus de bouleversement dramatique qu’a connu l’agglomération de Chongqing et son hinterland pendant la période de croissance accélérée de la Chine, à partir des années 1990. C’est ce qui a inspiré en grande partie les débuts de son œuvre, à partir de 2010. Son regard s’est ensuite élargi à l’ensemble de la Chine et au-delà, en s’intéressant en priorité à l’espace urbain et à son histoire.  

 

- 2010 : Heteroscapes

Photographies de l’espace urbain en Chine en période de transition rapide.

 

Le projet est inspiré de la conférence prononcée le 14 mars 1967 par Michel Foucault, « Des espaces autres », où il développe le concept d’hétérotopie, zone alternative entre espace réel et espace imaginaire. À partir des bouleversements traumatiques de la ville de Chongqing, les photographies montrent le paysage urbain comme hétérotopie dramatique, dans un contexte chaotique non planifié, une destruction succédant à une autre dans un processus incertain et imprévisible.

 

- 2010 : Brother Sharp Arrives Home 犀利哥回家(2’50)

Installation vidéo.

 

Un jeune SDF diagnostiqué autiste, surnommé Brother Sharp (Xīlì gē犀利哥), est soudain devenu une star médiatique grâce à des photos de lui postées sur internet par un photographe anonyme. Sa famille, ses proches aussi bien que les médias, tout le monde s’est précipité pour exploiter sa popularité devenue valeur commerciale. La vidéo de Wang Bo est un montage d’images provenant de diverses sources montrant son retour chez lui. 

 

         - 2012 : China Concerto 中国协奏曲(50’) 

         Retour sur le scandale Bo Xilai et réflexion sur l’impact de l’image dans la Chine contemporaine.

 

Montage d’images tournées en majeure partie à Chongqing à l’apogée de la campagne « rouge » de Bo Xilai (薄熙来) en 2010 et 2011, prélude au plus grand scandale politique en Chine depuis 1989 [1]. Sous le voile du capitalisme et de la course au profit persistent bien des aspects de l’autoritarisme du régime maoïste.

Le film est construit sur une trame narrative constituée par une série de lettres fictionnelles d’un homme décrivant ses réactions à toutes ces images auxquelles il est confronté lors d’un voyage en Chine, lettres qui sont lues par une voix féminine. Mais ce sont les images qui importent : images symboliques d’une société et d’un régime à double visage.

 

 

Trailer 

 

         - 2014 : We Landed / I Was Born / Passing by – New York’s Chinatown on Screen

         落地/出生/经过:纽约华埠影像

         Montage d’images d’archives cinématographiques par divers curateurs, dont Wang Bo.

 

Observation du Chinatown de New York des années 1940 à aujourd’hui, le film en retrace l’histoire depuis les premières communautés en s’attachant à en montrer l’évolution et ses causes. Comportant aussi bien des extraits de documentaires et de films d’archives que des films d’amateurs, avec des séquences tournées de différents points de vue – activistes, artistes, visionnaires, cinéastes amateurs, journalistes – le film est une réflexion sur le regard que l’on porte sur son environnement, mais en retour sur la manière dont ses représentations influent sur l’image que l’on s’en fait.

 

         - 2014 : Postcards from the Future为未来而制的明信片

         En collaboration avec Pan Lu. Installation à la Biennale de Shanghai.

 

Projet inspiré par le philosophe français d’origine russe Alexandre Kojève et son concept d’humanité post-historique : humanité qui, oubliant son histoire, en revient au stade élémentaire du désir animal. Représentant la France dans différentes institutions internationales après la deuxième guerre mondiale, Kojève a commencé à collectionner des photographies anonymes représentant le passé avant « la fin de l’histoire ».

 

Le projet de Wang Bo et Pan Lu renverse le regard du philosophe en capturant des images de monuments non plus du passé mais du futur : des images figées de la Chine postrévolutionnaire où le passé a disparu.

 

- 2016 : A Sip of Mao 江山如此多娇

Images d’archives illustrant l’histoire devenue légendaire des mangues offertes à Mao Zedong par le premier ministre du Pakistan lors de sa visite à Pékin le 5 août 1968.

 

Après avoir reçu ces quarante mangues, au lieu de les manger lui-même, Mao en fit don aux travailleurs chinois, ce qui fut perçu comme le signe de son infinie mansuétude envers le peuple. Envoyées aux quatre coins du pays, les mangues, alors inconnues en Chine, suscitèrent une vague d’enthousiasme. On le compara aux Pêches de l’immortalité de la Reine Mère de l’Ouest. On en fit des répliques en cire pour les exposer, et elles allèrent orner affiches, badges, tasses, couvertures et autres.

Dans l’usine de tricots n°1 de Pékin, comme la mangue reçue était en train de pourrir, les ouvriers tinrent une réunion pour décider des actions à prendre. Il fut décidé de faire bouillir la mangue dans un bac d’eau. La cérémonie eut lieu devant l’assemblée des travailleurs et chacun reçut une cuillérée de cette eau sanctifiée [2].

 

- 2016 : Traces of an Invisible City: Three Notes on Hong Kong 港城三记(70’) 

Film-essai de Pan Lu et Wang Bo.

 

 

Traces of an Invisible City (2016)

 

 

L’espace urbain de Hong Kong comme représentatif des changements historiques des villes dans le monde entier, entre capitalisme et globalisation. En trois chapitres montrant les interactions et les tensions entre le global, le local et la frontière entre les deux, le film montre comment l’espace urbain a été construit, comment il est utilisé, approprié et interprété. Il montre en particulier le rôle de la rue comme espace d’expression collective lors du mouvement des parapluies, en 2014, et l’image-miroir de Shenzhen de l’autre côté de la frontière, au nord.

 

Mais le film analyse aussi comme un symbole le bâtiment du Centre de congrès et d'expositions de Hong Kong (香港會議展覽中心), construit de 1994 à 1997 sur un terrain gagné sur la mer dans le quartier de Wan Chai Nord, sur l’île de Hong Kong, au bord de Victoria Harbour que surplombe l’immense façade de verre ; c’était initialement pour abriter la cérémonie de la Rétrocession, le 1er juillet 1997. Wang Bo et Pan Lu rejoignent là, à leur manière propre, la littérature introspective de Hong Kong de l’époque.

 

 

Trailer

 

         - 2016 : The Wangs 三横一竖(40’) 

Film documentaire réalisé à l’occasion de la 12e convention, en 2015, de l’Association mondiale du clan des Wangs, le nom le plus répandu en Chine, porté par environ 15 % de la population.

 

Le documentaire explore les problèmes d’identité générés par le fait même que le nom soit aussi répandu, et les efforts pour donner un sentiment de communauté au clan.

 

 

Trailer

 

         - 2017 : Miasma, Plants, Export Paintings 瘴气、植物、外销画(28’) 

Vidéo de Wang Bo et Pan Lu.

 

 

Miasma, Plants, Export Paintings (2017)

 

 

L’idée est partie des angoisses inspirées par le climat tropical aux troupes britanniques stationnées à Hong Kong pendant les guerres de l’opium – peur des maladies tropicales latentes ayant contribué à la ségrégation à Hong Kong. Puis des recherches scientifiques ont été menées sur la flore, des artistes ont alors été commissionnés pour peindre des tableaux représentant des spécimens de botanique. Le projet de Wang Bo et Pan Lu s’est intéressé à la circulation de ces images dans la zone de Canton au 19e siècle.

 

 

Teaser

 

 

Extrait 

 

         - 2018 : Divergent Memories of Tumen Shan-shui图们山水

         En collaboration avec Lu Xiaoxuan ().

 

Évocation de la rivière Tumen, frontière entre la Chine, la Corée du Nord et la Russie, au pied des monts Changbai (Paektu), site de violents conflits depuis le milieu du 19e siècle. Le film est à nouveau une réflexion visuelle sur un paysage en évolution, et les relations transnationales sur fond d’histoire qui s’y jouent [3].

 

         - 2019 : Murmuring Debris and Leaves Silently Fall 默垣墟语(22’)  

Exploration visuelle des locaux abandonnés de l’ancien hôpital des Forces armées coréennes à Gwangju.

À travers les gravats, la poussière et les herbes folles, les images évoquent aussi le soulèvement de Gwangju, en mai 1980, en réaction au Coup d’Etat du 17 mai et à la dictature de Chun Doo-hwan. Les blessés étaient transportés là pour y être soignés.

 

Trailer

 

         - 2019 : Many Undulating Things 湧浪之间  (125’)   

         Film-essai de Wang Bo et Pan Lu, sélectionné au festival Visions du réel de Nyons.

         (littéralement : Entre les vagues)

 

 

Entre les vagues 《湧浪之间》 (2019)

 

 

Film-essai géopolitique sur Hong Kong qui commence et s’achève dans un centre commercial comme si le flux constant de la foule représentait celui de la ville entière. Autour de cet espace, le film dérive vers les entrepôts du port, les galeries du centre d’expositions, les blocs d’immeubles surpeuplés, les fragments qui subsistent de la ville coloniale. À travers le paysage urbain, entre densification de l’habitat et espaces naturels préservés malgré tout par l’urbanisation, les deux cinéastes ont affiné leur vision de la ville à la rencontre entre l’histoire et le présent.

 

         - 2019 : Song for the Dreamless无梦的歌(installation)  

         Réflexion sur l’espace urbain sous l’angle de la couleur.

 

Deux écrans LED extérieurs en rotation projettent des couleurs fluo, du mauve au bleu en passant par le rose. Symbole de la manière subliminaire dont procède la propagande gouvernementale aujourd’hui, par l’image et la couleur plus que par le message lui-même.

 

 

Trailer

 

- 2019 : Empress of China Revisits (7’)

Pastiche de reportage télévisé marquant le 70e anniversaire de la visite du trois-mâts « Empress of China » à Canton en 1784, peu après la déclaration d’indépendance américaine (le 4 juillet 1776).

 

Épisode historique déterminant dans l’histoire des relations commerciales entre Hong Kong et les États-Unis : après son retour à New York en mai 1785, couronnée de succès, l’expédition a entraîné le développement des échanges commerciaux avec Canton, commerce de thé, de produits de luxe comme les porcelaines et la laque, mais bien plus commerce de l’opium ; c’est ainsi que se sont constituées les grandes fortunes de la Nouvelle Angleterre.

 

         - 2022 : The Revolution Will Not Be Air-conditioned (27’)

         Vidéo à deux canaux.

 

Le titre fait référence à un poème de 1970 de l’activiste des droits des noirs Gil Scott-Heron « The Revolution Will Not Be Televised », repris symboliquement par les manifestants hongkongais contre la loi extradition en 2019. Les heurts entre manifestants et police se sont surtout passés dans des centres commerciaux, induisant une réflexion sur le design de ces espaces et leur subversion dans un contexte de protestation et de contestation politique.  

 

- 2023 : An Asian Ghost Story (37’) (film et installation)

Film inventif qui explore la mémoire de la modernisation en Asie à la fin du 20e siècle à travers les exportations de perruques pendant la Guerre froide.

 

 

An Asian Ghost Story, 2023

 

 

Ce sont ici les perruques qui sont prises comme symbole de l’expansion économique en Asie dans la période de l’après-guerre. Dans les années 1960, c’était le quatrième produit d’exportation de Hong Kong. La colonie britannique était l’intermédiaire entre le fournisseur, la Chine continentale, et le marché occidental, jusqu’à ce que, en 1965, le département du Trésor américain impose un embargo sur « les cheveux asiatiques » pour couper une source importante de devises à la Chine de Mao. Mais le concept a été ensuite révisé en « cheveux communistes » de manière à permettre le développement de cette industrie chez les alliés américains, Corée du sud et Japon.

 

Le film de Wang Bo part de l’interdiction des « cheveux communistes » pour explorer l’histoire des migrations et de la diaspora faisant de Hong Kong un espace transitoire connectant des monde différents, entre impérialisme américain et Asie de l’Est, pendant la Guerre froide.

 

En mars 2023, le film a été couronné du New Vision Award au festival international du documentaire CPH.DOX de Copenhague.

 


 

[1] Sur l’affaire Bo Xilai, voir « Coup d’Etat à Pékin » :

http://www.chinese-shortstories.com/Recensions_Ho_Pin_Huang_Wenguang_Slatkine_2017.htm

[2] Pour la petite histoire, quand la première dame des Philippines Imelda Marcos vint en visite officielle en Chine en 1974, elle apporta elle aussi une boîte de mangues, et Jiang Qing tenta alors de faire renaître le culte des mangues en les offrant aux travailleurs. En 1976, elle réalisa un film de propagande intitulé « Le chant de la mangue » (芒果之歌), mais une semaine après sa sortie, Jiang Qing était arrêtée et le film retiré de la circulation. Il reste une curiosité :
Le chant de la mangue
https://www.youtube.com/watch?v=eLNhABbQTMY

[3] Ce film-essai peut être mis en parallèle avec le film de Zhang Lü (张律) « La rivière Tumen » (《图们江》) qui offre une approche fictionnelle et poétique du même sujet.

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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