Yim Ho a
été, dans les années 1980, l’un des chefs de file de
la Nouvelle Vague du
cinéma de Hong Kong. C’est d’ailleurs à partir de
son premier film, « The Extras » (《茄喱啡》),
en 1978, que l’on date le début de cette Nouvelle
Vague.
Si l’apogée
de sa carrière se situe dans la décennie 1984-1994,
elle ne s’arrête cependant pas là : il a encore
sorti un nouveau film salué par la critique en mai
2012.
Yim Ho
Chef de file de la
Nouvelle Vague
Yim Ho est né à
Hong Kong en 1952, de parents originaires du Jiangsu. Il
révèle des dons pour l’écriture dès le lycée, publiant
divers récits et essais.
Faux départ : The
Extras
En 1972, il part à
Londres faire des études de cinéma. De retour à Hong Kong en
1975, il entre comme scénariste, puis réalisateur, à la
chaîne de télévision TVB (Television Broadcasts). Il passe
ensuite à RTHK (Radio Television Hong Kong) comme producteur
de programmes télévisés.
The Extras
C’est en
1978 qu’il réalise son premier film, « The Extras »
(《茄喱啡》),
salué par la critique, et considéré, avec le recul,
comme le film qui annonçait les prémices de la
Nouvelle Vague.
C’est l’histoire d’un pauvre type qui rêve de
devenir une star mais reste au stade de figurant et
se retrouve dans des situations impossibles et
hilarantes, tout ce qu’il fait tournant au désastre.
Après le
succès remporté par ce film, Yim Ho réalise des
comédies pour la Golden Harvest, dont « Wedding
Bells, Wedding Belles » (《公子娇》),
en
1981, que lui-même considère comme le plus mauvais
film qu’il ait réalisé. L’échec relatif de ces films
l’incite à se tourner vers le théâtre, mais il
travaille en même temps à
un nouveau projet
qui n’a
jamais été achevé, le tournage, problématique, ayant été
abruptement arrêté et le contrat avec la Golden Harvest
rompu.
Il lui faut attendre 1984 pour voir la carrière de Yim Ho
décoller véritablement.
1984-1994 : la décennie en or
1. En 1984,
en effet, il réalise « Homecoming » (《似水流年》)
qui marque un tournant dans son œuvre et sa
carrière ; le film obtient six récompenses aux
Hong
Kong Film Awards : meilleur film, meilleur
réalisateur, meilleur scénario, meilleure actrice,
meilleur nouvel acteur, meilleure direction
artistique.
C’est aussi
un film qui représente une prise de conscience,
comme il l’a expliqué : prise de conscience de ce
qu’il voulait faire, dont il n’avait pas une idée
claire jusque là, à part la volonté de réaliser
quelque chose de différent. Le film avorté entraîna
une période de doute et de réflexion qui prit fin
avec la mort de son père. Etant allé le voir à
Pékin, il le trouva dans le coma, et le vieil homme
mourut quelques jours plus tard. Yim Ho eut alors la
révélation de ce qu’il voulait faire : il se promit
de mettre l’accent sur l’expression des sentiments,
en privilégiant des personnages se trouvant
Homecoming
dans des situations
changeantes, affectant leur état psychologique.
« Homecoming »
rompt radicalement avec les comédies précédentes. C’est un
film qui éclaire les contradictions entre villes et
campagnes en plein essor dans la Chine des années 1980.
C’est aussi l’analyse d’un caractère féminin : celui d’une
jeune citadine qui revient dans son village natal où elle
retrouve deux amis d’enfance qui se sont mariés, l’une étant
devenue directrice de l’école locale, l’autre étant resté
simple paysan.
Photo du film
« Homecoming »
Le contraste entre
les deux modes de vie crée des tensions qui mettent leur
amitié en danger : vie citadine représentée par la vie à
Hong Kong, symbole de liberté et du capitalisme, et vie à la
campagne, dans un petit village de Chine continentale,
traitée ici avec une certaine sympathie nostalgique. Les
tensions sont portées par la narration, qui évite les
clichés idéologiques habituels. Finalement, elles sont
résolues par la compréhension mutuelle, forgeant des liens
encore plus forts (1).
La réussite tient
en grande partie au jeu subtil des deux grandes actrices qui
interprètent les deux rôles principaux : Joséphine Koo côté
Hong Kong et, côté continent, Siquin Gaowa (斯琴高娃)
dont c’était le second grand rôle au cinéma, après « Le
pousse pousse » (《骆驼祥子》)
de Ling Zifeng (凌子风)en 1982. Il faut mentionner également le célèbre thème musical du film :
la chanson interprétée par Anita Mui (梅艳芳)reste
très prenante près de trente ans après et contribue à
l’atmosphère du film.
La chanson,
interprétée par Anita Mui
2. Le succès de
« Homecoming » n’a pas empêché Yim Ho de rencontrer des
difficultés pour financer ses films suivants. « Buddha’s
Lock » (《天菩萨》)ne sort que
trois ans plus tard, en 1987. Le titre chinois signifie ‘le
bouddha tombé du ciel’ ; le scénario est adapté d’une
histoire vraie, d’un pilote américain dont l’avion fut
abattu par les Japonais pendant la guerre, et qui atterrit
dans des montagnes perdues où les gens n’avaient encore
jamais vu un blanc ; devant ses cheveux blonds et ses yeux
bleus, ils pensent qu’il doit s’agir d’une espèce différente
de la race humaine et le gardent comme esclave et objet de
curiosité, avant que l’armée le découvre une dizaine
d’années plus tard… Le film reste lui aussi une curiosité.
Red Dust
Le suivant,
« Red Dust » (《滚滚红尘》)en
1990, est un chef d’œuvre. Il obtint huit
récompenses au festival du Golden Horse, à Taipei :
meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure
photographie, meilleure actrice, meilleure actrice
dans un second rôle, meilleure direction artistique,
meilleurs costumes, meilleure musique originale.
Le scénario est inspiré de l’histoire d’amour entre
Zhang Ailing (张爱玲) et Hu Lancheng (胡兰成) (2).
Nous sommes
en 1938 alors que les soldats japonais envahissent
la Chine. Shen Shaohua (沈韶华),
une jeune femme qui aspire à devenir écrivain,
interprétée par Brigitte Lin, part de chez elle
après la mort de son père. Enfermée dans la maison
par son père, elle s’est réfugiée dans l’écriture et
a créé un personnage fictif, une jeune paysanne
orpheline dont les problèmes personnels sont une
version autobiographique de ses propres difficultés
et de l’incertitude de son avenir.
Alors qu’elle tente
de se lancer dans une carrière d’auteur freelance, ses
articles parus dans un petit journal attirent l’attention de
Chang Neng-Tsai, un
attaché culturel du gouvernement provisoire des forces
d’occupation considéré comme un traître par les Chinois.
Elle tombe sous son charme en dépit des mises en garde de
ses amies, l’éditrice et une activiste de la résistance
anti-japonaise, interprétée par Maggie Cheung, qui connaîtra
un sort tragique…
« Red Dust » est
la petite chronique
d’une vie, une chronique d’amour, de sacrifice et de survie
sur fond de débâcle nationale, le tout baignant dans une
atmosphère subtile riche en allusions et en symboles. C’est
un mélodrame au sens le plus pur du terme, dont l’héroïne
semble totalement déconnectée de la réalité ambiante ; elle
est en fait apolitique, aimant un collabo pendant que sa
meilleure amie fait de la résistance. En fait, elle ne
s’intéresse ni au monde matériel ni à la politique qui en
est une émanation, seule lui importe sa création.
En ce sens, Yim Ho
tente de dépasser la chronique locale et historique afin
d’atteindre l’universel. Il fait de son écrivain une femme
qui revendique sa liberté, liberté d’aimer et de s’exprimer.
Le roman qu’elle écrit est la marque même de cette
revendication de liberté. Mais le film marque sa défaite, et
le triomphe du politique : elle voit disparaître les êtres
chers autour d’elle….
Le film est
remarquablement interprété par son trio d’actrices :
Brigitte Lin, Josephine Koo et Maggie Cheung.
3. Le projet
suivant fut abandonné en cours de route par Yim Ho. Il
s’agit du « King of Chess » (《棋王》)adapté du
roman éponyme d’A Cheng (阿城).
Le film était produit Tsui Hark et il intervint dans la
réalisation. Finalement, Yim Ho préféra le laisser terminer
seul. Seules les parties où ils jouent, a-t-il expliqué,
sont vraiment de lui. On ne peut que le regretter, ces
séquences, justement, laissaient prévoir un grand film (3).
King of Chess
4. Il fallut
plusieurs années à Yim Ho pour se remettre de ce faux-pas,
mais le film qui suivit, en 1994, fut un autre chef
d’œuvre : « The Day the Sun Turned Cold » (《天国逆子》)
obtint, entre autres, les prix du meilleur film et du
meilleur réalisateur au festival de cinéma de Tokyo.
The Day the Sun Turned
Cold
Là encore, Yim Ho
s’est inspiré de faits réels :
l'histoire d'un fils qui traîna sa mère en justice pour
avoir tué son père. La mère est interprétée tout en nuances
par Siqin Gaowa. Ce qui est intéressant, c’est la manière
dont le réalisateur a imaginé la logique psychologique de
l’action du jeune garçon, intuition prouvée juste lorsqu’il
rencontra le personnage réel. Il pensa que « si le fils
avait traîné sa mère en justice, c'était parce qu'il voyait
là le seul moyen de se rapprocher d'elle. Il avait en effet
été retiré très jeune à sa mère, au moment où il avait sans
doute le plus besoin d'elle. Ils
ont été séparés pendant près de dix ans et ce manquedans le subconscient de l'enfant l'avait fait
terriblement souffrir. Un
manque qui est vite devenu douleur, et le seul moyen dont
disposaitle fils pour se
rapprocher de sa mère était de l'inculper du crimequ'elle avait commis. Par cette démarche
torturée,
leur destin pouvaitde
nouveau être lié » (4).
Seul le personnage
du policier a été inventé par Yim Ho, personnage distant,
auquel tout spectateur peut s’identifier, et qui joue donc
un rôle de médiateur entre le public et une action elle-même
fondée sur des faits avérés. Il y a là un subtil jeu de
miroir pour rendre la réalité encore plus directe.
L’autre jeu très
subtil du film concerne l’équilibre toujours difficile entre
le mélodrame implicite dans les relations entre mère et
fils, et la réalité quasiment documentaire vers laquelle
tend Yim Ho, mais sans l’atteindre puisqu’elle est teintée
de mélodrame. Cette tension dans la construction stylistique
vient renforcer celle des relations entre les personnages.
5. Deux ans plus
tard, il tourne encore « The Sun Has Ears » (《太阳有耳》), couronné de l’Ours d’argent du
The Sun has Ears
meilleur réalisateur et du prix FIPRESCI
au festival de Berlin.
Yim Ho atteint là
un sommet de sa carrière.
Années 2000
Pavilion of Women
Après « Kitchen »
(《我爱厨房》)
en 1997, adapté d’un roman japonais et nouvelle histoire
d’amour, mais très originale, Yim Ho enchaîne une série
d’œuvres mineures au tournant du millénaire.
En 2001, « Pavilion
of Women », avec Willem Dafoe, est basé sur un roman de
Pearl Buck qui se passe à la fin des années 1930 ; saga
familiale, il décrit une famille partagée entre tradition,
modernité et pensée occidentale : une jeune femme d’une
quarantaine d’années décidant de suivre des cours auprès
d’un missionnaire américain, les idées qu’il enseigne vont
bouleverser cet univers clos.
Après le relatif
échec de ses deux films suivants, en 2004 et 2005, Yim Ho
s’est tourné vers l’écriture : il est devenu une sorte de
guru écrivant des articles sur la santé dans diverses
revues, qu’il a ensuite publiées dans un livre : « Yim Ho’s
secret recipes » (les recettes secrètes de Yim Ho :《严浩特选秘方集》).
Il a dit qu’il lui avait fallu
développer des dons spéciaux
pour ne pas succomber au stress, et donc qu’il avait pensé
partager ses « recettes » avec le public.
Pourtant, il
n’avait pas dit son dernier mot ; il est récemment revenu
derrière la caméra : son dernier film, « Floating
City » (《浮城大亨》), est sorti en mai 2012, pour ses soixante ans. Avec pour interprètes
principaux
Aaron Kwok (郭富城)
et
Charlie Yeung (楊采妮),
il est lui
aussi basé sur une histoire réelle, et même deux, celles de
deux anciens pêcheurs.
Violée
par un Anglais, une femme confie le bébé à une famille de
pêcheurs.
A force de se battre, Po Wah
Chuen (布华泉)
finit par devenir un grand patron...
C’est un genre d’histoire très prisée à Hong Kong car elle
loue la volonté de réussir et l’acharnement au travail qui a
fait la fortune du territoire.
Floating City
Floating City, mère et
fils
Bande annonce
Notes
(1) Le film est
sorti au moment où était signée la Déclaration conjointe
sino-britannique sur la question de Hong Kong (décembre
1984), qui annonçait l’accord des deux parties sur la
rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997.
(4) Selon les
propos de Yim Ho recueillis lors d’une interview à la sortie
du film par Julien Fonfrède, 24 images, n° 81,
1996, p. 12-16 – à lire en ligne :
http://id.erudit.org/iderudit/23446ac