Zhang Mengqi est l’une des premières jeunes
documentaristes à s’être jointe au Folk Memory
Project de
Wu Wenguang (吴文光),
ce projet visant à recueillir les témoignages des
survivants de la Grande Famine des années 1959-1961
et étendu à un travail sur la mémoire, sous forme de
portraits individuels.
C’était en 2009. Elle a depuis lors fait œuvre de
recherche personnelle dans un mouvement de retour
aux sources, son documentaire de 2011 «
Self-Portrait: At 47km » (《自画像:
Zhang Mengqi en 2021
47公里》)
marquant le début de son travail dans le cadre du Folk
Memory Project. En octobre 2021, dix ans et dix films plus
tard, son documentaire « Fairy Tale in 47km » (《自画像:47公里童话》)
a été primé à la 26ème édition du festival de
Busan (prix du Mécénat).
Les autoportraits
De
la danse au documentaire
Née
en 1987 dans le Hubei, Zhang Mengqi est diplômée de l’Ecole
de danse de l’Université centrale des nationalités (中央民族大学舞蹈学院),
à Pékin, dont elle est sortie en 2008. En avril, alors
qu’elle participe à un atelier de danse japonais à Chaoyang,
elle suit un groupe à Caochangdi, et découvre cet endroit
étrange qui ressemble à un entrepôt et abrite à la fois des
ateliers, un cinéma, une cantine. Elle apprend ce qu’est un
documentaire en assistant le mois suivant, en mai 2008, à
l’atelier organisé conjointement par Wu
Wenguang (吴文光)
et le documentariste hollandais Frank Sheffer.
Autoportrait
En mai 2009, elle entend Jia Zhitan (贾之坦)
– un paysan du Hubei qui a participé au « Villagers’
Documentary Project » de Wu Wenguang à partir de
2005 - parler du projet de documentaires sur la
mémoire des villages, celle des communes populaires
et de la Grande Famine en particulier. Acceptée
comme réalisatrice et chorégraphe en résidence à
Caochangdi (草场地),
elle bénéficie de la sensibilisation et de la
formation en ateliers qui en est le principe.
C’est
alors qu’elle commence à filmer, en réalisant d’abord deux
courts métrages documentaires sur elle-même et sa mère, les
premiers « autoportraits » : « Self-Portrait and Dialogue
with My Mother » (《自画像及和母亲对话》)
en 2009 et « Self-Portrait and Sexual Self-Education » (《自画像及自我性教育》)
en 2010. Ces premiers films gardent la marque de sa
formation de danseuse et de chorégraphe.
Le film suivant, son premier long métrage, «
Self-Portrait with Three Women » (《自画像和三个女人》),
forme le troisième volet de cette trilogie
personnelle, les trois femmes étant sa grand-mère,
sa mère et elle-même, et le thème central celui du
mariage. Le film a été présenté au festival
international du
Autoportrait avec
trois femmes (Zhang Mengqi au centre), photo sina
documentaire de Yamagata.
Self-Portraits at 47 km
Le
« Folk Memory Project » démarre pendant l’été 2010. Zhang
Mengqi part alors dans le village de son grand-père,
Diaoyutai (钓鱼台村),
à 47 kilomètres de Suizhou (随州),
dans le nord du Hubei, d’où le titre commun, dès lors, de
ses « autoportraits ». Village décimé par la Grande Famine,
il était alors fui par les jeunes qui partaient travailler
en ville, représentant ainsi une image emblématique de
l’histoire rurale chinoise du 20e siècle.
Achevé
en 2011 et sélectionné au festival Cinéma du Réel à Paris en
2012 dans la section Compétition premiers films, «
Self-Portrait: At 47km » (《自画像:47公里》)
est le premier documentaire réalisé par Zhang Mengqi dans le
cadre du projet de Wu Wenguang. Elle a interrogé les anciens
du village sur leurs souvenirs de la Grande Famine, et leurs
réponses l’ont renvoyée aux souvenirs conservés dans sa
propre famille.
Self-Portrait:
At 47km (extrait)
Self-Portrait 2014 :
construire un pont
Les trois films suivants sont des variations sur le
thème du « kilomètre 47 », décliné en « Danser »,
« Rêver », « Construire le pont » et
« Mourir ». « Construire le pont » concerne
un groupe d’enfants du village qui tentent de créer
une bibliothèque ; c’est difficile mais aussi signe
d’espoir, un pont vers l’avenir. Le pont est une
autre histoire : il y a une petite rivière qui
traverse le village, témoin de toute son histoire,
mais qu’aucun pont n’a jamais franchie, les
villageois se contentant de la franchir à pied sur
des pierres et des blocs de bois. En allant rendre
visite à son grand-père, elle a souhaité qu’un pont
soit construit, mais elle s’est aussi demandé s’il
n’aiderait pas les gens à en partir.
En 2013, le grand-père de la réalisatrice était
gravement malade. Elle a fait la connaissance des
enfants et de leurs rêves, se demandant où elle
pouvait bien elle-même se situer : quelque part
entre le vieillard mourant et ces
enfants
encore pleins d’espoirs et d’illusions. Le dernier film de
la série, en 2015, est une réflexion sur la mort du vieil
homme et sa signification dans le contexte du village.
Self-Portraits in 47 km
Après la mort de son grand-père, Zhang Mengqi se
tourne vers une autre famille, sans quitter le thème
de l’autoportrait, mais dans une optique légèrement
différente, marquée par le changement de préposition
dans le titre - in et non plus at 47km
– et sans doute reflétant aussi le fait que sa
résidence à Caochangdi s’est achevée en 2014. Tous
les films de cette sous-série, un par an quasiment,
sont construits sur l’opposition entre la mémoire
des anciens et les rêves des plus jeunes.
Les enfants filment
- Dans « Birth in 47km », elle filme une
grand-mère dont le dos tout tordu témoigne des malheurs
qu’elle a eus à subir toute sa vie et sa petite-fille qui
vient d’avoir un bébé. La grand-mère vit encore dans l’ombre
du souvenir de la famine ; elle a donné naissance à sept
enfants, en accouchant toute seule, et deux des enfants, des
jumeaux, sont morts peu après la naissance. Sa petite-fille,
qui est travailleuse migrante, travaille dans une usine en
ville et n’a pas un avenir bien rose non plus. Le village,
presque vide, est un amas de maisons à l’abandon… Tout donne
l’impression déprimante que la famine a laissé une empreinte
tellement durable dans les esprits qu’elle n’est pas
vraiment terminée.
Le film
a été présenté au festival de Yamagata, en 2017.
-
Dans « Sphinx in 47km », en 2018, une autre
vieille femme raconte la mort de son fils, tandis
qu’une petite fille peint ce qu’elle rêve sur les
murs de la maison. Là encore, Zhang Mengqi montre le
décalage abrupt entre la mémoire amère de la vieille
génération et le monde de rêve de l’enfant.
Pourquoi le Sphynx ? Parce que Zhang Mengqi, comme
son mentor Wu Wenguang, pense qu’il est nécessaire
en Chine de se poser des questions sur le passé, en
tentant de résoudre les énigmes qu’il pose afin de
découvrir la vérité.
Self-Portrait 2018 :
Sphinx at 47km
Le film
a été présenté en première mondiale au festival Visions du
réel de Nyon.
-
« Window in 47km », en 2019, est filmé
l’hiver, dans un village enneigé où la mémoire
semble être figée. Un vieil homme de 85 ans raconte
l’histoire de la moitié de sa vie, comme une fenêtre
sur le passé, tandis qu’une petite fille dessine des
portraits de personnes âgées du village.
« Window in 47km » a été sélectionné au 15ème
festival de Yamagata.
-
« Fairy
Tale in 47km », achevé en 2021, marque le
dixième anniversaire des débuts de la réalisatrice
dans le Folk Memory Project. Alors que se construit
un nouveau bâtiment dans le village, les jeunes
filles qu’elle avait jusqu’ici filmées prennent à
leur tour la caméra pour filmer dans le village. Le
titre vient de la réaction d’un vieil homme :
« Quand je regarde tes films, c’est comme si je
revoyais la maison de ma grand-mère où j’allais
quand j’étais petit, c’est comme un conte de
fées. »
Cependant, le montage du film a été fait en 2020, pendant
une nouvelle phase du « Folk Memory Project » entraînée par
l’épidémie de covid19.
Le monde par la fenêtre
La Maison bleue 2022
En effet, en 2020, la pandémie de covid19 empêche de
poursuivre le travail sur le terrain : plus possible
d’aller filmer dans les villages en interrogeant les
habitants. Mais la préservation de la mémoire de
l’année 2020 fournit un autre sujet de travail de
mémoire, sur des bases différentes, définissant une
communauté en ligne, ce que Wu Wenguang appelle
« Online Reading Material Workshop » (线上阅读素材工作坊).
Alors
Zhang Mengqi rapporte ce qu’elle voit de sa fenêtre. Un
espace public a enfin été créé, sur la colline, comme
l’annonçait l’enfant dans « Fairy Tale » - la Maison bleue -
mais il est resté vide, pour un temps indéterminé. C’est le
titre de son film : « La Maison bleue » (《蓝房子》).
Filmographie
Réalisatrice
-
Série des “Self-Portraits”
《自画像》
2010
Self-Portrait with Three Women
《自画像和三个女人》
2011
Self-Portrait: At 47km《自画像:47公里》
2012
Self-Portrait: Dancing at 47km
《自画像:47公里跳舞》
2013
Self-Portrait: Dreaming at 47km
《自画像:47公里做梦》
2014
Self-Portrait: Building the Bridge at 47km
《自画像:47公里架橋》
2015
Self-Portrait: Dying at 47km
《自画像:47公里之死》
2016
Self-Portrait: Birth in 47km《自画像:生于47公里》
2018
Self-Portrait: Sphinx in 47km《自画像:47公里斯芬克斯》
2019
Self-Portrait: Window in 47km
《自画像:47公里之窗》
2021
Self-Portrait: Fairy Tale in 47km
《自画像:47公里童话》
-
Autre
2022
Blue House
《蓝房子》
Directrice de la photographie
2013
Because of Hunger: Diary 1
《因为饥饿:吴日记之1》,
de Wu
Wenguang (吴文光).
Documentaire sur les deux premières années du Caochangdi
Memory Project.
Bibliographie
Articles et critiques de films
Hu Lidan. “Self-Portraiture and Historical Memory: Zhang
Mengqi’s Documentary Practice.” Critical Arts 2019/33.2,
pp. 29-41.
Chang Chen. “True/False film review: Self-Portrait: Birth in
47 KM”, Vox Magazine, March 2, 2018
Zhang Mengqi's film reveals a disturbing hidden history of
China under the rule of Chairman Mao :