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« Red White » de
Chen Zhong : quête spirituelle au milieu des ruines
par Brigitte Duzan,
27 janvier 2019
« Red White » (《众生》)
est un documentaire réalisé par Chen Zhong (陈忠)
en 2009 sur un sujet qui nous en a déjà valu plusieurs
autres : le tremblement de terre qui a dévasté le Sichuan en
mai 2008 .
Son approche est cependant totalement différente de ce qu’on
avait pu voir jusque-là, et en particulier le documentaire
de
Du Haibin (杜海滨)
« 1428 ».
Red White
Red White est le
nom du bourg où le film a été tourné (红白镇), au
nord-ouest de Shifang (什邡市), subdivision de la ville-préfecture de Deyang (德阳市),
à une cinquantaine de kilomètres au nord de Chengdu. Ce fut
l’un des villages les plus touchés par le tremblement de
terre de Wenchuan.
Un documentaire sur
la reconstruction spirituelle
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Red White |
Chen Zhong est
originaire de Chengdu mais, quand a eu lieu le tremblement
de terre, il était à Pékin. Il n’est pas allé tourner
aussitôt après le séisme, pour laisser les habitants se
relever un peu du traumatisme subi. Il ne voulait pas tomber
dans le sensationnalisme, ni faire un film politique. Son
propos était différent : étudier les lendemains du séisme
sous un aspect à la fois personnel et spirituel,
c’est-à-dire la reconstruction spirituelle derrière la
reconstruction matérielle.
Il ne s’est rendu
sur place que six mois après la catastrophe, en novembre
2008. Il a d’abord passé un mois à vivre avec les habitants,
période à l’issue de laquelle il a choisi six ou sept
familles types, qu’il a ensuite réduites à trois : une femme
de trente-trois ans ayant perdu un enfant de onze ans, et à
nouveau enceinte ; un couple dont le mari est resté
handicapé et qui reconstruit la maison familiale ; un
coiffeur qui a également perdu un enfant et dont la boutique
est un centre de discussion.
Tout autour d’eux,
la vie tente de se reconstruire sur les débris de
l’ancienne, les souvenirs de la catastrophe affleurant à
chaque instant au détour d’une conversation, l’affliction
retrouvant toute son acuité lors de la fête des morts,
devant les tombes des enfants disparus. Mais tout le monde
est dans le même cas, dit une femme à son mari en pleurs, et
ce n’est pas en pleurant que tu le feras revenir.
Le plus difficile
est justement cela : apprendre à vivre avec cette douleur,
cette blessure au cœur. Et c’est là qu’intervient le
personnage central du film.
Le taoïsme comme
planche de salut
Car le personnage
central le plus important, celui autour duquel est structuré
le film, est un prêtre taoïste de soixante-deux ans : il en
représente le thème de fond et en fait toute la valeur et
l’originalité. Son temple a été partiellement détruit, les
dieux sont « tombés », mais il continue à officier, et même
plus que jamais. Les gens traumatisés par une catastrophe
naturelle ont tendance à se tourner vers la religion, et,
dans le cas de ce village, c’est le taoïsme.
Le film est ainsi
construit en une série de séquences faisant alterner celles
où figure le prêtre, dans le temple ou ailleurs, et celles
montrant la vie quotidienne dans le village, centrée sur les
trois familles choisies ; les efforts pour tenter de
reconstruire leur existence matérielle sont ainsi mis en
parallèle, et comme en abyme, avec le renouveau de croyances
populaires que le maoïsme avait voulu éradiquer.
Zhang Daoling, grand
maître céleste, monté sur son tigre |
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On est surpris de
voir la force de ce qu’il faut bien appeler une religion,
avec ses dieux, ses livres sacrés et ses rituels. On est
loin du taoïsme universitaire qui est plus un système de
pensée. Il s’agit là d’une des plus anciennes croyances
chinoises, qui, justement, s’est développée au Sichuan, si
elle n’en est pas originaire : le taoïsme aurait pris son
essor à partir du moment où Zhang Daoling (张道陵)
– fondateur de l’Ecole, ou Voie des cinq boisseaux de riz (五斗米道)
- serait venu au Sichuan, sous l’empereur Mingdi des Han
(58-75), la doctrine s’étant alors mêlée à d’anciennes
croyances populaires locales.
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Le film suit le
prêtre dans le village, pratiquant le fengshui pour
déterminer la façon la plus auspicieuse de reconstruire une
maison ou célébrant des cérémonies pour aider les esprits
errant après le séisme à regagner l’au-delà afin qu’ils
cessent de provoquer des accidents. Chen Zhong le filme
aussi officiant dans le temple, recevant ses visiteurs venus
demander conseil pour choisir un conjoint, ou pour chasser
les esprits leur causant des cauchemars. La séquence la plus
fantastique montre un rituel visant à protéger une voiture
et son conducteur d’un éventuel accident en la maculant du
sang d’un coq.
Quête de valeurs
sur fond de croyances immémoriales
Selon Chen Zhong,
il ne s’agit pas là de simples superstitions, mais bien
d’une religion, qui fait partie de la culture chinoise.
Son documentaire
révèle une approche originale et novatrice du sujet. Dans un
contexte où l’argent-roi, en Chine, est vilipendé de tous
côtés, avec la perte des valeurs et des idéaux qu’il
entraîne, le film apporte une vision quelque peu hétérodoxe.
Il y a quelque chose de chaleureux et profondément humain
dans la façon dont la caméra se pose sur le visage souriant
du vieux prêtre, et la sympathie avec laquelle elle filme la
foi aveugle manifestée par ses visiteurs, même si c’est
souvent avec une légère ironie.
A l’issue d’une
projection du documentaire, en mai 2010 à Pékin, Chen Zhong
a raconté qu’il avait fait des recherches avant de commencer
son documentaire. Il a ainsi découvert qu’il y a eu un grave
tremblement de terre au Yunnan en 1972. On était alors en
pleine Révolution culturelle. Le gouvernement chinois a
envoyé l’Armée de Libération au secours des populations
sinistrées. Mais elles n’ont pas apporté des tentes et des
vivres comme ce fut le cas à Wenchuan, elles sont arrivées
avec des camions chargés de… Petits Livres rouges, le livre
des citations du président Mao. Mao considérait en effet que
le plus important était le soutien moral et spirituel des
populations…
Au-delà de
l’anecdote, c’est peut-être le principal message du film de
Chen Zhong : la quête spirituelle est aujourd’hui
l’essentiel, et c’est finalement à chacun de trouver ses
propres valeurs, y compris dans des fonds de croyances
ancrées dans les esprits depuis des temps immémoriaux.
Notes
complémentaires
1. La transition
entre deux séquences du film est assurée par une longue
prise d’une immense sculpture dominant un rond-point de la
ville, représentant le mystérieux « homme de Sanxingdui » (三星堆) :
une statue de 2 mètres 60 datant de l’ancien royaume de Shu,
il y a quelque trois mille ans, découverte en 1931 et
aujourd’hui au musée de Sanxingdui, à Guanghan, à une
quarantaine de Chengdu
.
Témoin d’une civilisation qui s’est développée parallèlement
à celle du bassin du fleuve Jaune, il semble veiller
majestueusement sur la ville et ses habitants, justifiant de
plusieurs millénaires d’une culture toujours vivante dans le
peuple et célébrée en filigrane dans ce documentaire.
2. Le titre
original du documentaire reprenait le nom du village, comme
le titre anglais actuel : Hóngbái
红白.
Le titre
chinois définitif est plus profond :
Zhòngshēng《众生》,
ce sont ‘toutes les créatures vivantes’, sous-entendant le
caractère universel de la religion dont il est question.
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L’homme de Sanxingdui
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Film
projeté dans le cadre du Festival Shadows, le
mercredi 17 novembre 2010
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